Avis juridique important
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61995C0356
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 26 juin 1997. - Matthias Witt contre Amt für Land- und Wasserwirtschaft. - Demande de décision préjudicielle: Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht - Allemagne. - Politique agricole commune - Règlement (CEE) nº 1765/92 - Régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables - Détermination des régions de production - Obligation d'indiquer les critères de détermination - Prise en compte de la fertilité du sol. - Affaire C-356/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-06589
Conclusions de l'avocat général
1 Le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht (1) défère à votre Cour deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables (2), et, plus particulièrement, de son article 3, paragraphe 1, premier alinéa.
Il s'agit, en substance, de préciser l'étendue des pouvoirs dont disposent les États membres pour élaborer le plan de régionalisation prévu par cette disposition. Cette question présente un intérêt pratique certain, puisque ce plan conditionne non seulement l'octroi des aides aux cultures arables ou au gel de terres versées aux cultivateurs dans le cadre du régime institué par le règlement n_ 1765/92, mais encore leur montant.
Le cadre factuel et procédural
2 M. Witt, demandeur au principal, exploitant agricole installé dans le Land du Schleswig-Holstein, en Allemagne, s'est vu accorder, pour la campagne 1993/1994, par l'Amt für Land- und Wasserwirtschaft, défendeur au principal, la somme de 73 323,93 DM, à titre de paiements compensatoires pour des céréales, des oléagineux et des protéagineux, ainsi que pour un gel structurel de terres.
3 Le recours administratif formé par M. Witt contre cette décision ayant été rejeté, il a introduit, devant le Verwaltungsgericht, une requête tendant à son annulation et à la condamnation du défendeur à lui verser un montant de 11 961 DM à titre de paiement compensatoire complémentaire.
4 A l'appui de sa demande, il a fait valoir que le règlement lui confère directement un droit à un paiement compensatoire supérieur à celui qui lui a été accordé et a soutenu qu'il incombe à chaque État membre, en vertu du règlement, d'élaborer un plan de régionalisation qui tienne compte des caractéristiques structurelles qui influencent les rendements, telles que la fertilité du sol. Selon lui, seul un découpage en fonction des espaces naturels ou des territoires défavorisés serait conforme aux
exigences du règlement.
5 Le défendeur a conclu au rejet de cette demande, en se prévalant du large pouvoir d'appréciation des États membres en la matière et du fait qu'il aurait été juridiquement impossible de délimiter les espaces naturels entre eux.
6 Par jugement du 6 octobre 1994, le Verwaltungsgericht a rejeté le recours de M. Witt.
7 Le 18 novembre 1994, le demandeur a interjeté appel de ce jugement devant l'Oberverwaltungsgericht qui, estimant que la solution du litige dépend de la compatibilité de la décision litigieuse avec l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement et doutant de l'interprétation de cette disposition, vous soumet les deux questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, autorise-t-il un État membre à déterminer différentes régions de production sans indiquer les `critères' retenus à cet effet?
2) Si la question sous 1) appelle une réponse affirmative: un État membre qui, conformément à l'article 2, paragraphe 2, troisième phrase, du règlement précité, n'a pas défini comme superficie de base régionale l'ensemble de son territoire national mais les différentes parties de ce même territoire - ainsi que la République fédérale d'Allemagne l'a fait - peut-il en principe également désigner, au titre de l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement, l'ensemble du territoire de chaque
superficie de base régionale comme région de production ayant une moyenne uniforme de rendement en céréales? Dans quels cas les `caractéristiques structurelles spécifiques qui influencent les rendements, telles que la fertilité du sol', appellent-elles dans la situation donnée que nous décrivons une classification complémentaire des superficies de base régionales en différentes régions de production ayant des moyennes différentes de rendement en céréales?»
Le cadre juridique
Les dispositions communautaires
8 En 1992, la politique agricole commune (ci-après la «PAC») a fait l'objet d'une profonde réforme qui comprenait, notamment, la création ou la modification d'un certain nombre de régimes d'aides aux cultures arables ou au gel de terres. Cette réforme poursuivait essentiellement deux objectifs. Le premier consistait à contrôler l'augmentation du coût financier de la PAC, le second, à éviter la surproduction en équilibrant au mieux l'offre et la demande.
9 Entré en vigueur à partir de la campagne de commercialisation 1993/1994, le règlement n_ 1765/92 participe à cette réforme et instaure un nouveau régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, fondé sur les principes précédemment énoncés. Il a ainsi pour objet d'éviter la surproduction, de maintenir le revenu des agriculteurs à un niveau comparable à celui qui existait jusqu'alors et d'assurer un meilleur équilibre de l'offre et de la demande sur le marché mondial des cultures
arables (3).
10 Pour atteindre ces objectifs, le législateur communautaire a substitué aux anciens systèmes de soutien aux prix, grâce auxquels des prix artificiellement élevés étaient maintenus par des mécanismes d'intervention, de nouveaux systèmes fondés sur les principes de contrôle de l'offre et de la réduction de prix, accompagnés d'une aide directe aux exploitants agricoles (4).
11 Concrètement, la réforme de la PAC a eu pour première conséquence de séparer partiellement (pour les céréales) ou totalement (pour les oléagineux, les protéagineux, le lin oléagineux) la politique de marché de la politique des revenus. Ainsi, les prix de soutien administratifs ont été sensiblement réduits pour les céréales, et supprimés pour les oléagineux, les protéagineux et le lin oléagineux, dont les prix à la production sont désormais exclusivement fonction des prix sur le marché mondial
(5). En second lieu, cette réforme a abouti à une modification radicale des principes qui commandent l'octroi des aides aux cultures arables. La politique des revenus s'effectue désormais essentiellement au moyen d'aides directes sous forme de paiements compensatoires versés en fonction de la superficie et de la capacité de rendement des différentes régions de la Communauté (6). En outre, le gel des terres constitue, en principe, un préalable à l'octroi de paiements compensatoires (7).
12 Deux types de régimes de soutien aux producteurs de cultures arables sont prévus: un «régime général» en faveur des producteurs et un «régime simplifié» pour les seuls petits producteurs (8). S'agissant du régime général, la volonté du législateur communautaire de subordonner l'octroi des paiements compensatoires à l'obligation absolue de geler une partie des terres est clairement exprimée (9). En revanche, aucune obligation de gel des terres n'est imposée aux petits producteurs (10).
13 Le titre I du règlement est consacré au paiement compensatoire.
14 Les articles 2 et 3 établissent, de façon exhaustive, les règles générales gouvernant son octroi.
15 L'article 2 dispose ainsi que le paiement compensatoire est fixé à l'hectare et qu'il est soit «régionalisé» (paragraphe 2, premier alinéa), soit «individualisé» (paragraphe 3).
16 Il appartient aux États membres de choisir entre ces deux systèmes, étant précisé qu'il leur est toujours loisible de modifier leur choix ultérieurement (paragraphe 4).
17 Ainsi, concrètement, les paiements compensatoires «régionalisés» (11) ne sont accordés qu'en fonction d'une superficie et d'un rendement moyen à l'hectare fixé pour chaque région de production. Ce rendement moyen à l'hectare est calculé sur la base des rendements obtenus pendant les campagnes allant de 1986/1987 à 1990/1991 et sans tenir compte de l'année où le rendement a été le plus élevé et de l'année où il a été le plus faible (12).
18 L'article 3, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement énonce en effet que:
«Pour chaque région de production, l'État membre fournit les données détaillées relatives aux superficies et aux rendements des céréales, des graines oléagineuses et des protéagineux, produits dans cette région au cours de la période quinquennale 1986/1987-1990/1991. Un rendement moyen en céréales et, si possible, les rendements des graines oléagineuses doivent être calculés séparément pour chaque région en excluant, pour cette période, l'année où le rendement a été le plus élevé et l'année où il a
été le plus faible» (13).
19 Les régions de production susmentionnées sont déterminées par chaque État membre conformément à la procédure générale prévue par l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, qui dispose:
«Chaque État membre élabore un plan de régionalisation indiquant les critères de détermination des différentes régions de production. Les critères utilisés doivent être pertinents et objectifs et assurer la souplesse nécessaire à la reconnaissance de zones homogènes distinctes d'une taille minimale et permettre la définition des caractéristiques structurelles spécifiques qui influencent les rendements, telles que la fertilité du sol, y compris, le cas échéant, une différenciation appropriée entre
les superficies irriguées et non irriguées. Ces régions ne doivent pas déborder les frontières des superficies de base régionales visées à l'article 2, paragraphe 2» (14).
20 Le rôle de la Commission dans la procédure d'élaboration des plans de régionalisation est, aux termes de l'article 3, paragraphe 4, de les examiner et de s'assurer «que chaque plan est fondé sur des critères objectifs appropriés et est conforme aux données disponibles. [La Commission] peut refuser les plans qui ne sont pas compatibles avec les critères importants susmentionnés, en particulier avec le rendement moyen dans l'État membre considéré. Dans ce cas, les plans sont ajustés par l'État
membre après consultation de la Commission» (15). Par le biais de cette disposition, la Commission prend part activement à la détermination des superficies éligibles aux paiements compensatoires instaurés par le règlement litigieux.
Les dispositions nationales
21 L'article 3, paragraphe 1, de la Verordnung über eine Stützungsregelung für Erzeuger bestimmter landwirtschaftlicher Kulturpflanzen (Kulturpflanzen-Ausgleichszahlungs-Verordnung) (décret allemand relatif à un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables), du 3 décembre 1992 (16), définit chaque Land d'Allemagne comme superficie de base régionale.
22 La classification complémentaire des superficies de base en régions de production pour la récolte de la campagne 1993/1994 a été laissée aux services compétents de chaque Land. La liste de ces régions figure à l'annexe de l'article 3, paragraphe 2, de la KVO (ci-après la «disposition nationale litigieuse»).
23 La superficie de base régionale et la région de production sont identiques dans le Land du Schleswig-Holstein.
24 L'explication donnée à cet égard par le ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche du Land du Schleswig-Holstein au ministre fédéral de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Forêts, dans une lettre du 16 juillet 1992, est qu'«il n'était pas possible de procéder à un sous-découpage conformément à l'article 3, paragraphe 1, du règlement ... en raison de l'absence de critères de délimitation juridiquement fondés» (17). En raison de l'impossibilité de procéder à un
découpage selon les critères spécifiques fixés à l'article 3, paragraphe 1, précité, la solution retenue par les autorités compétentes régionales pour déterminer la région de production à l'intérieur de ce Land fut donc de retenir le critère objectif des frontières administratives du Land du Schleswig-Holstein.
25 Le 4 août 1992, le ministre fédéral de l'Alimentation, de l'Agriculture et des Forêts a transmis le plan de régionalisation allemand à la Commission, accompagné de trente-sept pages d'explications fournies par les Länder.
26 La Commission n'a pas trouvé matière à critiquer ce plan. Selon elle, les rendements à l'hectare fixés dans les différents Länder correspondent aux chiffres attestés par les statistiques, tant à l'échelon des Länder qu'à l'échelon fédéral (18).
Réponses aux questions
Première question
27 Le juge de renvoi vous demande, dans une première question, rappelons-le, de dire si «L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, autorise ... un État membre à déterminer différentes régions de production sans indiquer les `critères' retenus à cet effet».
28 Cette disposition prévoit expressément que chaque État membre élabore un plan de régionalisation énonçant les critères de détermination des différentes régions de production.
29 Le libellé du texte est clair. Dès lors qu'un État membre a opté pour un système de paiement compensatoire régionalisé (19), il doit établir un plan de régionalisation désignant les critères de détermination des différentes régions de production.
30 Vous devriez donc répondre par la négative à la première question préjudicielle. Vous n'auriez pas alors à vous prononcer sur la deuxième question qui suppose une réponse positive à la première.
31 Toutefois, il nous semble que l'objet de cette première question est plus précis que sa formulation ne l'énonce.
32 En effet, le juge a quo nous précise qu'il ne lui semble guère douteux que le libellé même de l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n_ 1765/92 impose aux États membres de mentionner les critères qui leur ont permis de définir les différentes régions de production (20).
33 En outre, il nous semble qu'il tient pour acquis que le plan de régionalisation, justifiant des choix opérés par la République fédérale d'Allemagne dans la délimitation des superficies de base régionales en régions de production, a bien été adressé à la Commission (21) et qu'il admet que les autorités compétentes allemandes ont bien retenu certains critères pour l'élaborer. En l'espèce, il s'agit du critère tout à fait objectif et incontestable des limites territoriales de ce Land (22). Or, c'est
précisément le choix de ce critère qui fait l'objet de son interrogation dans sa deuxième question préjudicielle (23).
34 De ce fait, en vous limitant au strict libellé de la question, vous encourrez le risque de fournir au juge national des éléments inutiles à la solution de son litige dans la mesure où vous répondrez à une question dont il connaît déjà la réponse.
35 Cependant, une seconde lecture de cette première question, qui résulte de l'analyse plus approfondie des motifs de la décision de renvoi, est, selon nous, possible.
36 En effet, après avoir procédé aux deux constatations susmentionnées (24), le juge a quo ajoute que les critères en question ne figurent pas à l'annexe de la disposition nationale litigieuse et que c'est précisément cette absence de mention qui lui fait douter de la juste application de l'article 3, paragraphe 1, du règlement (25).
37 Il nous faut donc en conclure (26) que, par cette question, le juge a quo entend exactement savoir si les critères retenus par un État membre pour déterminer les différentes régions de production doivent seulement figurer dans le plan de régionalisation destiné à être examiné par la Commission et, par voie de conséquence, si le texte communautaire permet que ces mêmes critères ne figurent pas dans les textes nationaux réalisant la mise en oeuvre des prescriptions communautaires.
38 Nous pensons que les paragraphes 3, 4 et 5 de l'article 3 du règlement litigieux permettent de répondre aux interrogations du juge national.
39 Le paragraphe 3 précise que «Les tats membres présentent à la Commission, pour le 1er août 1992, leur plan de régionalisation...» (27).
40 Le paragraphe 4 dispose que «La Commission examine les plans de régionalisation présentés par les États membres et s'assure que chaque plan est fondé sur des critères objectifs appropriés et est conforme aux données disponibles. La Commission peut refuser les plans qui ne sont pas compatibles avec les critères importants susmentionnés, en particulier avec le rendement moyen dans l'État membre considéré. Dans ce cas, les plans sont ajustés par l'État membre après consultation de la Commission»
(28).
41 Le paragraphe 5 énonce que «Le plan de régionalisation peut être révisé par l'État membre considéré, à la demande de la Commission ou à l'initiative dudit État membre, selon la procédure définie aux paragraphes 1 à 4» (29).
42 Il ressort du libellé de ces paragraphes que le plan de régionalisation est destiné à la Commission et que l'énoncé des critères, qui doivent être définis par les États, n'a d'autre objet que de permettre à cette dernière de vérifier sur quel fondement juridique les différentes régions de production ont été identifiées par les États membres.
43 Cette interprétation est confirmée par le contenu du cinquième considérant du règlement litigieux, aux termes duquel:
«... ces paiements compensatoires devraient prendre en considération les caractéristiques structurelles spécifiques qui influencent les rendements et ... il appartiendrait aux États membres d'établir un plan de régionalisation fondé sur des critères objectifs; ... un rendement moyen uniforme en céréales devrait ressortir des plans de régionalisation; ... ces plans doivent être conformes aux rendements moyens obtenus dans chaque région durant une période déterminée; ... une procédure particulière
devrait être prévue pour analyser ces plans au niveau communautaire».
44 En revanche, le règlement litigieux ne contient aucune disposition imposant aux États membres d'énoncer, dans les textes nationaux d'application, les critères retenus pour l'élaboration du plan de régionalisation.
45 Il résulte de ce qui précède que la réponse à cette question doit être affirmative.
Deuxième question
46 Par sa deuxième question préjudicielle, le juge de renvoi vous demande si un État membre peut désigner comme «région de production» l'ensemble d'une «superficie de base régionale». De plus, il vous interroge sur les hypothèses dans lesquelles une classification complémentaire des superficies de base régionales en différentes régions de production sont obligatoires.
Par ces précisions, le juge de renvoi vous interroge, en réalité, sur l'étendue du pouvoir d'appréciation des États membres dans la détermination des régions de production.
47 Les autorités compétentes du Land du Schleswig-Holstein justifient le défaut de découpage de cette «région» en différentes régions de production et l'identité parfaite de la superficie de base régionale et de la région de production par l'absence de statistiques fiables relatives aux rendements historiques des différentes régions naturelles du Land. Le critère des frontières administratives du Land du Schleswig-Holstein a donc été retenu dans la mesure où il présente l'avantage, d'une part,
d'être objectif et, d'autre part, de disposer de statistiques fiables, tant sur les superficies des terres cultivées et en jachère que sur les rendements historiques moyens des différentes cultures arables.
48 Le demandeur conteste cette affirmation en prétendant qu'il existe également des statistiques fiables sur les rendements moyens à l'hectare des cultures arables dans les différentes régions naturelles (30) au cours des années de référence. A l'audience, le conseil de M. Witt a produit des documents qui le prouveraient. La République fédérale d'Allemagne conteste cette affirmation.
49 Nous pensons que l'analyse de ces documents relève de la compétence du juge national. Au surplus, nous ne pensons pas que l'existence avérée de telles statistiques contraint automatiquement l'État membre à procéder au découpage du Land du Schleswig-Holstein en différentes régions de production.
50 En effet, il résulte du libellé des textes et des objectifs du règlement litigieux que l'État membre dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour définir les régions de production.
51 Le seul critère, précis et clairement contraignant, prévu figure au paragraphe 1, in fine, de l'article 3, qui énonce que «Ces régions ne doivent pas déborder les frontières des superficies de base régionales visées à l'article 2, paragraphe 2». A l'inverse, le caractère non contraignant des autres indications contenues au même paragraphe (31) découle de l'analyse de son paragraphe 4.
52 En effet, le paragraphe 4 prévoit expressément que la Commission est seulement chargée de veiller à ce que le plan de régionalisation soit «fondé sur des critères objectifs appropriés et ... conforme aux données disponibles».
53 En revanche, le non-respect des autres critères précédemment indiqués (32) n'est pas inéluctablement sanctionné par la Commission.
54 Ainsi, la deuxième phrase du même paragraphe précise seulement que «La Commission peut refuser les plans qui ne sont pas compatibles avec les critères importants susmentionnés, en particulier avec le rendement moyen dans l'État membre considéré. Dans ce cas, les plans sont ajustés par l'État membre après consultation de la Commission» (33).
55 En second lieu, l'interprétation que nous proposons de ces dispositions est parfaitement conforme aux objectifs poursuivis par la réforme de la PAC opérée en 1992. Le législateur communautaire a souhaité, nous l'avons vu (34), séparer la politique de marché de la politique des revenus. De plus, il a voulu subordonner très étroitement le droit aux aides versées aux agriculteurs de certaines cultures arables au rendement obtenu dans une région donnée, pour une période déterminée (35). Le plan de
régionalisation présenté par le Land du Schleswig-Holstein respecte précisément ces obligations.
56 Pour conclure, nous dirions que le large pouvoir d'appréciation dont dispose un État membre pour définir les régions de production est seulement limité par l'obligation expresse, d'une part, de justifier de son choix en rapportant la preuve qu'il s'est fondé sur des critères objectifs appropriés et conformes aux données disponibles (36) et, d'autre part, de ne pas retenir, dans son plan de régionalisation, des régions de production dont les limites territoriales déborderaient celles des
superficies de base régionales (37).
57 Le demandeur soutient, en outre, que le plan de régionalisation établi par les autorités du Land du Schleswig-Holstein a entraîné pour lui une perte de revenus, ce qui n'aurait pas été le cas si elles s'étaient fondées sur les statistiques des rendements historiques des différentes cultures arables qui existaient au niveau des trois grandes régions naturelles du Land (38). Selon lui, les critères qu'il invoque auraient été plus appropriés.
58 Il est indéniable que l'application de la réforme de la PAC a pu affecter de manière différente les producteurs, pris individuellement, et il est tout à fait possible, en l'espèce, que M. Witt ait subi une perte de revenus à la suite de la mise en oeuvre en Allemagne du règlement litigieux. Toutefois, vous avez déjà jugé, dans le cadre d'un recours tendant à obtenir l'annulation du règlement litigieux, que ces conséquences inévitables ne sont pas pour autant condamnables, car «... la politique
agricole exige l'adoption de règles communes qui peuvent affecter les producteurs de manière différente selon l'orientation individuelle de leur production ou les conditions locales, mais qui pourtant ne sauraient être considérées comme une discrimination interdite par l'article 40, paragraphe 3, du traité, dès lors qu'elles sont fondées sur des critères objectifs, adaptés aux besoins du fonctionnement global de l'organisation commune» (39).
59 En revanche, il est incontestable que le critère administratif retenu par les autorités régionales du Land du Schleswig-Holstein est un critère objectif et que les données statistiques des rendements historiques obtenus dans cette région, fournies par les autorités allemandes, sont fiables. Ces deux éléments n'ont pas été contestés au demeurant. Par conséquent, il nous faut conclure que la République fédérale d'Allemagne a respecté les obligations prévues à l'article 3, paragraphes 1, 3 et 4, du
règlement litigieux.
60 Nous vous proposons donc de répondre comme suit à la deuxième question: l'article 3, paragraphe 1, doit être interprété en ce sens qu'une région de production peut comprendre l'ensemble d'une superficie de base régionale et que la prise en compte de critères, tels que celui des «caractéristiques structurelles spécifiques qui influencent les rendements», appelant une classification complémentaire des superficies de base régionales en différentes régions de production ayant des moyennes différentes
de rendements en céréales, n'est justifiée que pour autant que ce critère est plus approprié.
Conclusion
61 Au bénéfice des observations qui précèdent, nous vous proposons de répondre comme suit aux questions déférées par le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht:
«1) L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement (CEE) n_ 1765/92 du Conseil, du 30 juin 1992, instituant un régime de soutien aux producteurs de certaines cultures arables, doit être interprété en ce sens qu'il autorise un État membre à déterminer différentes régions de production sans indiquer les `critères' retenus à cet effet dans les textes nationaux réalisant la mise en oeuvre des prescriptions communautaires.
2) L'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, précité, doit être interprété, dans une espèce telle que celle résultant de la présente affaire, en ce sens qu'un État membre, qui n'a pas défini comme superficie de base régionale l'ensemble de son territoire national mais les différentes parties de ce même territoire, conformément à l'article 2, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement précité, peut également désigner la superficie de base régionale fixée comme région de production, sans découpage
complémentaire. La prise en compte du critère, tiré des `caractéristiques structurelles spécifiques qui influencent les rendements', appelant une classification complémentaire des superficies de base régionales en différentes régions de production ayant des moyennes différentes de rendements en céréales, n'est justifiée que pour autant que ce critère est plus approprié.»
(1) - Ci-après l'«Oberverwaltungsgericht».
(2) - JO L 181, p. 12, ou encore le «règlement» ou le «règlement litigieux» .
(3) - Deuxième considérant du règlement litigieux.
(4) - Ibidem.
(5) - Point 17 de la traduction en français des observations de la Commission.
(6) - Cinquième considérant du règlement litigieux.
(7) - Ibidem, treizième considérant. Il faut entendre par «paiement compensatoire» une «aide aux cultures arables ou au gel de terre».
(8) - Ibidem, onzième et douzième considérants, et article 8.
(9) - Ibidem, treizième et quatorzième considérants.
(10) - Ibidem, seizième considérant, et article 2, paragraphe 5.
(11) - Il s'agit en l'espèce du choix opéré par la République fédérale d'Allemagne.
(12) - Ces rendements sont autrement nommés les «rendements historiques».
(13) - Souligné par nous.
(14) - Souligné par nous.
(15) - Souligné par nous.
(16) - BGBl. I, 1992, p. 1991, ci-après la «KVO»).
(17) - Point 8 de la traduction en français des observations de la Commission.
(18) - Point 9 de la traduction en français des observations de la Commission.
(19) - Voir ci-dessus points 15 à 19 des présentes conclusions.
(20) - Paragraphe 9 du point II de la traduction en français des motifs de la décision de renvoi.
(21) - Ibidem, paragraphe 5 du point I desdits motifs.
(22) - Voir point 24 des présentes conclusions.
(23) - Voir points 46 et suiv. des présentes conclusions.
(24) - L'absence d'ambiguïté du libellé du texte communautaire et la détermination d'un plan de régionalisation en fonction de certains critères sur la régularité desquels il s'interroge.
(25) - Paragraphes 5, 6 et 9 du point II de la traduction en français des motifs de la décision de renvoi.
(26) - Les observations présentées par la République fédérale d'Allemagne et par le demandeur semblent aller dans le même sens.
(27) - Souligné par nous.
(28) - Ibidem.
(29) - Ibidem.
(30) - Il s'agit de la Marsch, de la Geest et de l'Ostholsteinische Hügelland.
(31) - Énoncé au point 19 des présentes conclusions.
(32) - Ibidem.
(33) - Souligné par nous.
(34) - Voir point 11 des présentes conclusions.
(35) - Voir point 17 des présentes conclusions.
(36) - Article 3, paragraphes 1 et 4, respectivement énoncés aux points 19 et 40.
(37) - Article 3, paragraphe 1, in fine.
(38) - L'existence de ces statistiques est contestée par la République fédérale d'Allemagne et la Commission signale ne jamais en avoir eu connaissance.
(39) - Arrêt du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil (C-353/92, Rec. p. I-3411, point 25).