Avis juridique important
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61996J0114
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 25 juin 1997. - Procédure pénale contre René Kieffer et Romain Thill. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de police de Luxembourg - Grand-Duché de Luxembourg. - Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Règlement (CEE) nº 3330/91 - Statistiques des échanges de biens - Déclaration détaillée de tous les échanges intracommunautaires - Compatibilité avec les articles 30 et 34 du traité CE. - Affaire
C-114/96.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-03629
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Interdiction - Portée
(Traité CE, art. 30)
2 Rapprochement des législations - Mesures destinées à la réalisation du marché unique - Statistiques des échanges de biens entre États membres - Règlement n_ 3330/91 - Obligation imposée aux entreprises de fournir une déclaration détaillée de leurs importations et exportations intracommunautaires - Entrave justifiée à la libre circulation des marchandises - Légalité - Violation du principe de proportionnalité - Absence
(Règlement du Conseil n_ 3330/91)
Sommaire
3 L'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions communautaires.
4 Le règlement n_ 3330/91, relatif aux statistiques des échanges de biens entre États membres, qui prévoit une obligation pour les entreprises de fournir une déclaration détaillée de leurs importations et exportations intracommunautaires, qui s'impose à la fois dans l'État membre d'expédition et dans celui de destination de la marchandise, poursuit un but justifié et les effets restrictifs qu'il comporte au regard de la libre circulation des marchandises sont adéquats par rapport à cet objectif. En
effet, ce règlement a pour objectif de favoriser la réalisation du marché intérieur en établissant un niveau satisfaisant d'information sur les échanges de biens entre États membres par des moyens n'impliquant aucun contrôle aux frontières internes. Or, des entraves à la libre circulation des marchandises peuvent être admises lorsqu'elles s'avèrent indispensables à l'obtention de renseignements raisonnablement complets et exacts sur les mouvements intracommunautaires de marchandises.
Par ailleurs, et compte tenu de la marge d'appréciation dont dispose le législateur communautaire dans le cadre de ses compétences d'harmonisation, les effets restrictifs que comporte cette obligation déclarative, qui frappe spécifiquement les échanges transfrontaliers et dont l'élaboration nécessite du temps et impose des frais en particulier aux petites et moyennes entreprises, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, dès lors que, d'une part, différents
seuils ont été établis en vue de prendre en compte les intérêts des entreprises et de ne pas leur imposer une charge disproportionnée par rapport aux résultats que les utilisateurs des statistiques sont en droit d'attendre, et que, d'autre part, les institutions communautaires ont mis gratuitement à disposition des entreprises des moyens modernes de traitement des données.
Parties
Dans l'affaire C-114/96,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal de police de Luxembourg et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre
René Kieffer et Romain Thill,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation et la validité du règlement (CEE) n_ 3330/91 du Conseil, du 7 novembre 1991, relatif aux statistiques des échanges de biens entre États membres (JO L 316, p. 1),
LA COUR
(sixième chambre),
composée de MM. G. F. Mancini (rapporteur), président de chambre, J. L. Murray et P. J. G. Kapteyn, juges,
avocat général: M. M. B. Elmer,
greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,
considérant les observations écrites présentées:
- pour MM. Kieffer et Thill, par Me Marc Thewes, avocat au barreau de Luxembourg, et M. Alain Schumacher, mandataire spécial,
- pour le gouvernement luxembourgeois, par M. Nicolas Schmit, directeur des relations économiques et de la coopération au ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent,
- pour le Conseil de l'Union européenne, par Mme Cristina Giorgi, conseiller juridique, et M. Frédéric Anton, membre du service juridique, en qualité d'agents,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Jürgen Grunwald, conseiller juridique, assisté de M. Jean-Francis Pasquier, fonctionnaire national détaché auprès du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de MM. Kieffer et Thill, représentés par Me Marc Thewes, du gouvernement luxembourgeois, représenté par Me Alain Lorang, avocat au barreau de Luxembourg, du Conseil, représenté par M. Frédéric Anton, et de la Commission, représentée par M. Jürgen Grunwald, assisté de M. Jean-Francis Pasquier, à l'audience du 16 janvier 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 27 février 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 2 avril 1996, parvenue à la Cour le 9 avril suivant, le tribunal de police de Luxembourg a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, deux questions préjudicielles sur l'interprétation et la validité du règlement (CEE) n_ 3330/91 du Conseil, du 7 novembre 1991, relatif aux statistiques des échanges de biens entre États membres (JO L 316, p. 1, ci-après le «règlement»).
2 Ces questions ont été posées dans le cadre d'une procédure pénale intentée à l'encontre de MM. Kieffer et Thill, prévenus d'avoir omis de fournir, au cours des années 1993 et 1994, les informations en matière de déclarations statistiques qui leur incombent en vertu du règlement.
Sur le règlement
3 Conformément à l'article 3, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement, «Toutes les marchandises qui circulent d'un État membre à un autre font l'objet des statistiques des échanges de biens entre États membres.» A cet égard, un système permanent de collecte statistique dénommé «système Intrastat» est instauré par l'article 6 du règlement.
4 En vertu de l'article 5, premier alinéa, du règlement, les particuliers sont dispensés des obligations qu'implique l'établissement des statistiques visées à l'article 4. L'article 5, second alinéa, première phrase, dispose:
«Cette dispense s'applique également au redevable de l'information qui, comme assujetti à la TVA, bénéficie, dans l'État membre où il est redevable, d'un des régimes particuliers prévus aux articles 24 et 25 de la directive 77/388/CEE.»
5 L'article 8, premier alinéa, du règlement prévoit que l'obligation de fournir l'information requise par ce système incombe à toute personne physique ou morale qui intervient dans un échange de biens entre États membres.
6 L'information statistique requise par le système Intrastat fait l'objet, en vertu de l'article 13, paragraphe 1, du règlement, de déclarations périodiques à transmettre par le redevable de l'information aux services nationaux compétents, dans les délais et conditions que la Commission fixe, suivant la procédure du comité de gestion. Selon l'article 14, un redevable qui ne remplit pas les obligations lui incombant en vertu du règlement est passible des sanctions que les États membres fixent
conformément à leurs dispositions nationales en la matière.
7 Conformément à l'article 20, point 5, du règlement, le redevable de l'information visé à l'article 8 est la personne physique ou morale qui:
«a) résidant dans l'État membre d'expédition:
- a conclu, mis à part le contrat de transport, le contrat ayant pour effet l'expédition des marchandises ou, à défaut,
- procède ou fait procéder à l'expédition des marchandises ou, à défaut,
- est en possession des marchandises faisant l'objet de l'expédition;
b) résidant dans l'État membre d'arrivée:
- a conclu, mis à part le contrat de transport, le contrat ayant pour effet la livraison des marchandises ou, à défaut,
- prend ou fait prendre livraison des marchandises ou, à défaut, - est en possession des marchandises faisant l'objet de la livraison».
8 L'article 21 du règlement prévoit que, dans le support de l'information statistique à transmettre aux services compétents, sans préjudice de l'article 34, les marchandises sont désignées de manière qu'elles puissent être classées aisément et avec rigueur dans la subdivision la plus détaillée dont elles relèvent dans la version en vigueur de la nomenclature combinée et que le numéro de code à huit chiffres correspondant à ladite subdivision de la nomenclature combinée doit également être mentionné
pour chaque espèce de marchandises.
9 L'article 23, paragraphes 1 et 2, est libellé ainsi:
«1. Pour chaque espèce de marchandises, les données suivantes doivent être mentionnées dans le support de l'information statistique à transmettre aux services compétents:
a) dans l'État membre d'arrivée, l'État membre de provenance des marchandises, au sens de l'article 24, paragraphe 1;
b) dans l'État membre d'expédition, l'État membre de destination des marchandises, au sens de l'article 24, paragraphe 2;
c) la quantité des marchandises, en masse nette et en unités supplémentaires;
d) la valeur des marchandises;
e) la nature de la transaction;
f) les conditions de livraison;
g) le mode de transport présumé.
2. Les États membres ne peuvent prescrire que soient mentionnées dans le support de l'information statistique des données autres que celles prévues au paragraphe 1, exception faite des données suivantes:
a) dans l'État membre d'arrivée, le pays d'origine; toutefois, cette donnée n'est exigible que dans les limites du droit communautaire;
b) dans l'État membre d'expédition, la région d'origine; dans l'État membre d'arrivée, la région de destination;
c) dans l'État membre d'expédition, le port ou l'aéroport de chargement; dans l'État membre d'arrivée, le port ou l'aéroport de déchargement;
d) dans l'État membre d'expédition et dans l'État membre d'arrivée le port ou l'aéroport présumé de transbordement situé dans un autre État membre pour autant que celui-ci établisse une statistique du transit;
e) le cas échéant, le régime statistique.»
10 En vertu de l'article 28, paragraphe 1, du règlement, les seuils statistiques se définissent comme les limites exprimées en valeur au niveau desquelles les obligations des redevables de l'information concernés sont soit suspendues soit allégées. Les seuils d'exclusion sont ceux dont bénéficient les redevables de l'information visés à l'article 5, second alinéa, de ce règlement.
11 Conformément à l'article 28, paragraphe 4, premier et second alinéas, les seuils d'assimilation dispensent les redevables de l'obligation de transmettre l'information des déclarations visées à l'article 13, paragraphe 1, lesdits redevables remplissant leurs obligations à cet égard par le dépôt de la déclaration périodique fiscale qu'ils sont tenus de déposer en tant qu'assujettis à la TVA. Ces seuils sont fixés par les États membres à des niveaux supérieurs aux seuils d'exclusion. Selon le
paragraphe 5 du même article, les seuils de simplification permettent aux redevables de l'information de mentionner seulement, dans les déclarations visées à l'article 13, paragraphe 1, pour chaque espèce de marchandises, le numéro de code à huit chiffres correspondant à la subdivision de la nomenclature combinée identifiant l'espèce de marchandises, l'État membre de provenance ou de destination et la valeur des marchandises. Le paragraphe 6, premier alinéa, dudit article prévoit que les seuils
d'assimilation et de simplification s'expriment en valeurs annuelles d'opérations intracommunautaires.
12 L'article 28, paragraphe 6, troisième alinéa, prévoit que les seuils d'assimilation et de simplification s'appliquent séparément aux opérateurs intracommunautaires à l'expédition et aux opérateurs intracommunautaires à l'arrivée.
13 En vertu de l'article 28, paragraphe 8, les seuils de simplification sont fixés à 100 000 écus à l'expédition et à 100 000 écus à l'arrivée. La Commission peut relever les niveaux de ces seuils, suivant la procédure du comité de gestion.
14 Les États membres peuvent, conformément à l'article 28, paragraphe 9, du règlement, fixer leurs seuils à des niveaux supérieurs. Dans le cas où l'application par les États membres des seuils d'assimilation et de simplification se répercute soit sur la qualité de la statistique du commerce entre les États membres, compte tenu des éléments d'information fournis par les États membres, soit sur l'allégement de la charge des redevables de l'information, de manière telle que les objectifs du règlement
sont compromis, l'article 28, paragraphe 10, permet à la Commission d'arrêter les dispositions qui rétablissent les conditions de cette qualité ou de cet allégement.
15 Enfin, l'article 34 du règlement dispose:
«1. En ce qui concerne tant les marchandises auxquelles le système Intrastat s'applique que les autres, la Commission peut, dans le but de faciliter la tâche des redevables de l'information, mettre en place, conformément à l'article 30, des procédures simplifiées de collecte de l'information et, en particulier, créer les conditions d'un recours accru au traitement automatique et à la transmission électronique de l'information.
2. Pour tenir compte de leur organisation administrative particulière, les États membres peuvent mettre en place des procédures simplifiées différentes de celles visées au paragraphe 1, à condition que le choix soit laissé aux redevables de l'information de recourir aux unes ou aux autres».
Sur le cadre législatif national
16 L'article 7 de la loi luxembourgeoise du 9 juillet 1962, portant institution d'un service central de la statistique et des études économiques, sanctionne d'une amende le refus de remplir l'obligation déclarative imposée par le règlement. Le taux de cette amende a été augmenté plusieurs fois, en dernier lieu par l'article IX de la loi du 13 juin 1994, relative au régime des peines. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le montant de l'amende encourue est actuellement comprise entre 10 001 et
100 000 LFR.
17 Cette amende est prononcée à l'encontre de toute personne physique qui se refuse à déclarer et cette condamnation pénale est inscrite aux bulletins no 1 et no 2 du casier judiciaire, en sorte qu'elle est portée à la connaissance tant des autorités judiciaires que des administrations et personnes morales de droit public énumérées à l'article 1er de l'arrêté ministériel du 22 novembre 1977, déterminant la liste des administrations et personnes morales de droit public pouvant réclamer le bulletin no
2 du casier judiciaire. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que le non-paiement de l'amende peut entraîner l'exécution de la contrainte par corps qui peut être prononcée subsidiairement par les juridictions répressives.
Sur les antécédents du litige
18 Les prévenus au principal, qui sont les gérants de la société à responsabilité limitée Établissements Kieffer & Thill, exploitent à Luxembourg un garage comprenant un atelier de réparation d'automobiles et ont également pour activité l'achat et la vente de voitures accidentées, de voitures d'occasion, de pièces détachées et de tous accessoires automobiles.
19 Ils sont poursuivis pour avoir enfreint l'obligation découlant du règlement de remettre les informations concernant les importations et les exportations de leur société.
20 MM. Kieffer et Thill ont reconnu que l'activité de la société dont ils sont les gérants dépasse le seuil de simplification, qui, au Luxembourg, est fixé à la somme de 10 000 000 LFR, en sorte qu'ils doivent, en vertu du règlement, déposer chaque mois une déclaration détaillée répertoriant tous les envois de marchandises à destination d'un autre État membre.
21 Cependant, ils soutiennent que, pour remplir ces obligations, ils doivent, en premier lieu, soit engager du personnel, soit faire exécuter ces obligations par des personnes extérieures, subissant dans tous les cas des frais supplémentaires; ils indiquent, en second lieu, que la nécessité de telles dépenses aurait comme conséquence de freiner, du moins indirectement, les efforts entrepris pour exporter au-delà du seuil annuel imposant l'élaboration desdites déclarations; ils prétendent, en dernier
lieu, que cette entrave favoriserait l'écoulement des marchandises sur le marché national.
22 La juridiction de renvoi a estimé que la déclaration détaillée requise par le règlement constitue une contrainte supplémentaire à laquelle ne sont pas soumis les commerçants qui exercent leur activité commerciale sur le seul marché national. En outre, elle a indiqué que l'exigence de cette déclaration et l'augmentation conséquente des obligations que les entreprises concernées doivent remplir pourraient avoir un effet dissuasif à l'égard des petites et moyennes entreprises établies au Luxembourg
dont les activités s'étendent au-delà du territoire national, compte tenu de l'exiguïté du territoire luxembourgeois.
23 Dans ces circonstances, elle a considéré qu'il convenait de vérifier si une telle entrave était justifiée au vu des objectifs visés par le règlement et si ces objectifs n'auraient pas pu être réalisés par des moyens moins contraignants. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Le règlement (CEE) no 3330/91 du Conseil, du 7 novembre 1991, pour autant qu'il impose aux États membres de recueillir auprès de chaque entreprise dépassant les seuils d'exclusion, d'assimilation et de simplification prévus une déclaration détaillée de toutes ses importations et exportations intracommunautaires, a-t-il introduit une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative des échanges de biens entre États membres prohibée par les articles 30 et 34 du traité instituant la CEE?
2) L'obligation de fournir les données requises en application du système de collecte Intrastat tant dans le pays de provenance des marchandises exportées que dans le pays de destination, laquelle est pénalement sanctionnée en droit luxembourgeois en cas de refus de transmission des renseignements demandés au service central de la statistique et des études économiques, constitue-t-elle pour les opérateurs économiques une mesure de contrainte non justifiée et disproportionnée par rapport à l'objectif
d'intérêt général poursuivi et est-elle de ce fait contraire à l'article 3 B, alinéa 3, du traité instituant la CEE tel qu'il a été inséré par l'article G, point 5, du traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992?»
Sur les questions préjudicielles
24 Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement est invalide pour autant qu'il impose aux États membres de recueillir auprès de chaque entreprise dépassant les seuils d'exclusion, d'assimilation et de simplification prévus une déclaration détaillée de toutes ses importations et exportations intracommunautaires. D'une part, les obligations ainsi imposées aux entreprises pourraient constituer une mesure d'effet équivalant à une restriction
quantitative prohibée par les articles 30 et 34 du traité CE. D'autre part, l'obligation de fournir les données requises en application du système de collecte Intrastat tant dans l'État de provenance des marchandises exportées que dans celui de destination pourrait constituer pour les opérateurs économiques une mesure de contrainte non justifiée et disproportionnée par rapport à l'objectif d'intérêt général poursuivi et violer de ce fait le principe de proportionnalité.
25 S'agissant du premier aspect, les prévenus au principal font valoir que le règlement engendre des frais et des contraintes pour les entreprises, puisqu'elles sont tenues de rechercher, pour chaque transaction, quelle que soit sa valeur, toute une série de données complexes comme, notamment, le code à huit chiffres de la nomenclature combinée. En outre, eu égard à la nature détaillée de l'obligation déclarative et au fait qu'elle s'impose à la fois dans l'État membre d'expédition et dans celui de
destination de la marchandise, ils soutiennent que l'obligation déclarative va au-delà de ce qui est nécessaire.
26 En revanche, le gouvernement luxembourgeois, le Conseil et la Commission soulignent l'importance pour le marché intérieur d'une connaissance suffisamment précise des flux intracommunautaires. De surcroît, ils soutiennent que les effets restrictifs que les obligations déclaratives pourraient éventuellement produire sur la libre circulation des marchandises seraient trop indirects et aléatoires pour être de nature à entraver le commerce intracommunautaire. En fait, le nouveau système de collecte
instauré par le règlement aurait entraîné une réduction des charges par rapport à l'ancien système et des avantages nets pour les entreprises.
27 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'interdiction des restrictions quantitatives ainsi que des mesures d'effet équivalent vaut non seulement pour les mesures nationales, mais également pour les mesures émanant des institutions communautaires (voir, notamment, en ce sens, arrêts du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, Rec. p. 2171, point 15, et du 9 août 1994, Meyhui, C-51/93, Rec. p. I-3879, point 11).
28 Il est constant que la nature détaillée de l'obligation déclarative ainsi que le fait qu'elle s'impose à la fois dans l'État membre d'expédition et dans celui de destination de la marchandise produisent des effets restrictifs au regard de la libre circulation des marchandises.
29 Toutefois, conformément à son premier considérant, le règlement a pour objectif de favoriser la réalisation du marché intérieur en établissant un niveau satisfaisant d'information sur les échanges de biens entre États membres par des moyens n'impliquant aucun contrôle aux frontières internes. Par ailleurs, il ressort de son troisième considérant qu'un certain nombre de politiques communautaires doit pouvoir s'appuyer sur une documentation chiffrée qui donne du marché intérieur la vision la plus
actuelle, la plus exacte et la plus détaillée possible.
30 Ainsi que la Cour l'a déjà précisé, des entraves à la libre circulation des marchandises peuvent être admises lorsqu'elles s'avèrent indispensables à l'obtention de renseignements raisonnablement complets et exacts sur les mouvements intracommunautaires de marchandises (voir, notamment, arrêt du 25 octobre 1979, Commission/Italie, 159/78, Rec. p. 3247, point 7).
31 Dès lors, le but que le règlement poursuit, qui est de favoriser la réalisation du marché intérieur en établissant des statistiques sur les échanges de biens entre États membres, apparaît justifié. En outre, les effets restrictifs qu'il comporte sont adéquats par rapport à cet objectif. Encore faut-il examiner si ces effets restrictifs sont conformes au principe de proportionnalité.
32 A cet égard, le Conseil soutient d'abord que le risque de frais supplémentaires est limité, étant donné que les entreprises disposent de toutes les données pertinentes au moment où elles réalisent leurs opérations économiques. Ensuite, les différents seuils auraient été précisément établis pour permettre que les intérêts des redevables soient pris en compte. Enfin, les entreprises auraient gratuitement à leur disposition des moyens modernes de traitement des données, tels que, au niveau
communautaire, le logiciel de saisie (IDEP/CN8) développé par la Commission.
33 Selon la jurisprudence de la Cour, afin d'établir si une mesure communautaire est conforme au principe de proportionnalité, il importe de vérifier si les moyens qu'elle met en oeuvre sont aptes à réaliser l'objectif visé et s'ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (arrêt du 9 novembre 1995, Allemagne/Conseil, C-426/93, Rec. p. I-3723, point 42).
34 Or, s'il est vrai que l'obligation déclarative découlant du règlement frappe spécifiquement les échanges transfrontaliers et que son élaboration nécessite du temps et impose des frais, en particulier aux petites et moyennes entreprises, il n'en résulte pas nécessairement que ces effets restrictifs sont disproportionnés à l'objectif poursuivi.
35 D'une part, même si les entreprises sont obligées de soumettre toute transaction à l'obligation déclarative, différents seuils ont été établis précisément pour leur permettre que leurs intérêts soient pris en compte et pour ne pas leur imposer une charge disproportionnée par rapport aux résultats que les utilisateurs des statistiques sont en droit d'attendre.
36 D'autre part, ainsi que le Conseil l'a notamment relevé, les institutions communautaires ont mis gratuitement à disposition des entreprises des moyens modernes de traitement des données, tels que le logiciel de saisie IDEP/CN8.
37 Au vu des considérations qui précèdent, il n'apparaît pas que l'obligation déclarative imposée par le règlement va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif qu'il poursuit. Cette conclusion s'impose d'autant plus étant donné que, comme la Cour l'a déjà précisé à maintes reprises, le législateur communautaire dispose d'une marge d'appréciation dans le cadre de ses compétences d'harmonisation (voir, notamment, arrêt Meyhui, précité, point 21).
38 S'agissant du second aspect des questions posées par le juge national, il résulte précisément des points 33 à 37 du présent arrêt que l'obligation déclarative découlant du règlement est proportionnée à l'objectif d'intérêt général poursuivi.
39 Il y a donc lieu de répondre que l'examen du règlement n'a pas révélé d'éléments de nature à mettre en cause sa validité.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
40 Les frais exposés par le gouvernement luxembourgeois, par le Conseil de l'Union européenne et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(sixième chambre),
statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de police de Luxembourg, par ordonnance du 2 avril 1996, dit pour droit:
L'examen du règlement (CEE) n_ 3330/91 du Conseil, du 7 novembre 1991, relatif aux statistiques des échanges de biens entre États membres, n'a pas révélé d'éléments de nature à mettre en cause sa validité.