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29/05/1997 | CJUE | N°C-188/96

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 29 mai 1997., Commission des Communautés européennes contre V., 29/05/1997, C-188/96


Avis juridique important

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61996C0188

Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 29 mai 1997. - Commission des Communautés européennes contre V. - Fonctionnaires - Révocation - Motivation. - Affaire C-188/96 P.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-06561

Conclusions de l'avocat général
> Introduction

1 Dans le cadre du présent pourvoi, la Commission a conclu à l'annul...

Avis juridique important

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61996C0188

Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 29 mai 1997. - Commission des Communautés européennes contre V. - Fonctionnaires - Révocation - Motivation. - Affaire C-188/96 P.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-06561

Conclusions de l'avocat général

Introduction

1 Dans le cadre du présent pourvoi, la Commission a conclu à l'annulation de l'arrêt rendu par le Tribunal de première instance (ci-après le «Tribunal») le 28 mars 1996 dans l'affaire V/Commission (1), par lequel le Tribunal a annulé, pour insuffisance de motivation, la décision de la Commission du 18 janvier 1995 portant révocation de M. V.

La réglementation communautaire applicable

2 L'article 190 du traité CE dispose que:

«Les règlements, les directives et les décisions adoptés conjointement par le Parlement européen et le Conseil ainsi que lesdits actes adoptés par le Conseil ou la Commission sont motivés et visent les propositions ou avis obligatoirement recueillis en exécution du présent traité.»

3 L'article 25, deuxième alinéa, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes dispose que:

«Toute décision individuelle prise en application du présent statut doit être communiquée par écrit, sans délai, au fonctionnaire intéressé. Toute décision faisant grief doit être motivée.»

Les faits de l'affaire

4 Le Tribunal a exposé les faits de l'affaire de la manière suivante dans son arrêt:

«1 [M. V] est un ancien fonctionnaire de grade C 3 de la Commission ...

2 Le 24 mai 1991, [M. V], ainsi que son épouse et un de ses collègues, M. K., ont participé aux épreuves écrites de comptabilité et d'audit du concours général EUR/B/21 ... organisé en commun par la Commission et la Cour des comptes. Par lettre du 10 juillet 1991, adressée au jury du concours en question, un des correcteurs des épreuves écrites a relevé des similitudes dans la rédaction des réponses des trois candidats relatives à certaines questions de comptabilité et d'audit, ainsi que des
similitudes entre certaines réponses et le manuel d'audit de la Cour des comptes.

3 Par lettre du 19 février 1992, l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après `AIPN') a notifié [à M. V] sa décision du même jour, d'une part, d'entamer une procédure disciplinaire à son encontre au motif qu'il était soupçonné d'avoir communiqué avec deux autres candidats lors du concours EUR/B/21 ...

6 ... [M. V] a reconnu avoir fourni ses brouillons, au cours des épreuves du concours EUR/B/21, sous forme de copies carbone, tant à son épouse qu'à M. K. Il a cependant nié avoir eu connaissance des questions et/ou des corrigés types des épreuves écrites avant les épreuves du 24 mai 1991.

7 Le 17 février 1993, l'AIPN a décidé de saisir ... le conseil de discipline ...

8 Le 11 juin 1993, le conseil de discipline ... a recommandé à l'AIPN d'infliger [à M. V un] blâme. Il constatait un manquement [de M. V] à ses obligations statutaires, eu égard au fait qu'il avait avoué avoir remis, au cours des épreuves écrites, des brouillons à deux candidats, mais ne retenait pas le grief, considéré comme non prouvé, qu'il aurait eu connaissance à l'avance des questions et/ou des corrigés types des réponses.

9 ... M. K. ... a été entendu par l'AIPN le 28 juillet 1993. Lors de cette audition, M. K. a déclaré avoir été informé par [M. V] lui-même, la veille des épreuves écrites, que ce dernier disposait des questions qui seraient posées lors des épreuves. Les questions lui auraient été remises par un réseau, existant au sein du bureau de sécurité à Luxembourg, lequel aurait distribué des informations sur les épreuves des concours à un nombre limité de personnes ...

10 Par note du 17 septembre 1993, l'AIPN a notifié [à M. V] sa décision de suspendre momentanément la procédure disciplinaire engagée à son encontre, en vue de poursuivre l'enquête administrative `compte tenu des faits nouveaux révélés lors des récentes auditions' ...

11 Par rapport complémentaire du 5 novembre 1993, l'AIPN a rouvert la procédure devant le conseil de discipline à l'encontre [de M. V] ...

15 ... le conseil de discipline a rendu un second avis le 11 octobre 1994, dont la dernière partie a la teneur qui suit:

`Le conseil de discipline:

... considérant que la majorité des membres du conseil aboutissent à la conviction que M. V était en possession des questions avant les épreuves;

... recommande, à la majorité, à l'autorité investie du pouvoir de nomination d'infliger à M. V la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, littera e), du statut, à savoir la rétrogradation vers le grade C 4, tout en maintenant l'échelon.'

16 ... l'AIPN a adopté, le 18 janvier 1995, une décision infligeant [à M. V] la sanction disciplinaire visée à l'article 86, paragraphe 2, sous f), du statut, à savoir la révocation, avec prise d'effet au 1er mars 1995. La motivation de la décision se lit comme suit:

...

considérant qu'il résulte tant des rapports d'audition de M. V que des avis du conseil de discipline que celui-ci a reconnu avoir remis au cours des épreuves écrites des brouillons à M. K. ...

considérant que le comportement de M. V est aggravé au vu des circonstances décrites ci-après;

considérant qu'il ressort des copies de M. K. que sa réponse ... est très similaire à la réponse de M. V;

...

considérant qu'il résulte du dossier que les éléments de réponse ne peuvent pas avoir été pris du manuel d'audit de la Cour des comptes ...

... qu'il faut donc bien constater que M. V disposait du corrigé type ... et cela forcément avant de pénétrer dans la salle de concours; qu'il a donc bénéficié d'une fuite;

considérant que M. V a ainsi sciemment essayé de fausser les résultats du concours général en violation du principe selon lequel les candidats à des postes à la fonction publique européenne doivent se trouver en position d'égalité par rapport aux épreuves desdits concours généraux;

considérant que ce comportement aurait ainsi entraîné un risque sérieux de réussite aux épreuves de ce concours général de candidats qui ne possédaient pas réellement les connaissances professionnelles requises, ce qui aurait eu pour conséquence tant de léser les autres candidats que de porter préjudice aux intérêts de l'institution;

considérant qu'en refusant de fournir toute indication quant à l'origine du corrigé type en question il a manqué à son devoir de coopération dans la recherche de la vérité, dans l'intérêt de l'institution;

considérant que M. V, ancien inspecteur de la police belge et ancien fonctionnaire du bureau de sécurité ... assurait des tâches importantes de responsabilité et de confiance;

considérant que l'institution est en droit d'attendre de ses fonctionnaires et en particulier de la part d'un ancien fonctionnaire du bureau de sécurité, de par la nature même des fonctions exercées, une honnêteté irréprochable;

considérant l'extrême gravité du comportement de M. V qui a abusé de la confiance qui doit régner entre le fonctionnaire et son institution;

considérant que pour ces raisons et en tenant compte également de l'ensemble des circonstances d'espèce il s'avère nécessaire et justifié d'infliger à M. V une sanction plus sévère que la sanction disciplinaire préconisée par le conseil de discipline.»

La procédure devant le Tribunal

5 M. V a introduit devant le Tribunal, le 17 février 1995, un recours en annulation de la décision. Il a invoqué cinq moyens à l'appui de son recours. Eu égard aux faits de l'espèce, le Tribunal a considéré qu'il convenait de procéder d'abord à l'examen du dernier moyen de M. V, pris de la méconnaissance du principe de proportionnalité et de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée.

6 Le Tribunal a déclaré ce qui suit:

«35 Il convient de rappeler, d'abord, qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal que l'obligation de motivation d'une décision faisant grief a pour but, d'une part, de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non fondée et, d'autre part, d'en rendre possible le contrôle juridictionnel ...

36 Lorsque l'AIPN inflige une sanction disciplinaire à un fonctionnaire, la motivation de la décision de l'AIPN doit indiquer de manière précise les faits retenus à la charge du fonctionnaire ainsi que les considérations qui ont amené l'AIPN à prononcer la sanction choisie. En outre, si, comme en l'espèce, la sanction infligée par l'AIPN est plus sévère que celle suggérée par le conseil de discipline, la décision infligée doit préciser de façon circonstanciée les motifs qui ont conduit l'AIPN à
s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline ...

40 ... c'est en substance le prétendu fait que [M. V] aurait disposé, avant les épreuves, du corrigé type qui a déterminé tant le conseil de discipline que l'AIPN dans l'évaluation du degré de gravité intrinsèque des faits reprochés [à M. V].

41 Or, force est de constater que l'AIPN conclut à une aggravation du comportement [de M. V] par rapport à celui constaté par le conseil de discipline, sans pour autant préciser de façon circonstanciée, au moyen d'un complément de motivation, les raisons qui l'ont conduite à s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline.

...

50 ... les circonstances, invoquées par l'AIPN, ne sauraient justifier, en l'espèce, que l'AIPN inflige [à M. V] la sanction de la révocation plutôt que celle de la rétrogradation recommandée par le conseil de discipline.

51 ... la décision aurait dû comporter une motivation circonstanciée et mentionner les raisons susceptibles de justifier le refus de l'AIPN de prendre en considération les circonstances atténuantes qui avaient déterminé le conseil de discipline dans le choix de la sanction recommandée par lui.

...

53 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d'annuler la décision attaquée pour insuffisance de motivation, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens et arguments invoqués par [M. V].»

Moyens et arguments des parties devant la Cour

7 Dans le cadre du présent pourvoi, la Commission a conclu à l'annulation de l'arrêt du Tribunal en s'appuyant sur trois moyens. La Commission a soutenu en premier lieu que le Tribunal a apprécié de manière erronée la portée de l'obligation de motivation. Elle a soutenu en second lieu que le Tribunal a donné une qualification juridique erronée aux faits retenus comme aggravants par l'AIPN dans la décision litigieuse. De l'avis de la Commission, le Tribunal a également commis une erreur de droit en
considérant que la décision litigieuse aurait dû prendre position sur les circonstances atténuantes relevées par le conseil de discipline. Enfin, la Commission a soutenu en troisième lieu que le Tribunal a apprécié de manière erronée le degré de preuve requis pour l'établissement d'un manquement disciplinaire.

8 M. V a soutenu qu'il résulte de l'article 51 du statut CE de la Cour de justice que le pourvoi devant la Cour est limité aux questions de droit. Le présent pourvoi ne portant que sur de pures appréciations de fait, il est irrecevable. A titre subsidiaire, M. V conclut au rejet du pourvoi comme non fondé.

Le premier moyen et la seconde branche du deuxième moyen de la Commission

9 Par son premier moyen et la seconde branche de son deuxième moyen, la Commission fait valoir que la conclusion du Tribunal selon laquelle la motivation de la décision litigieuse est insuffisante est dépourvue de fondement. La Commission a indiqué à cet égard que le Tribunal a posé des exigences plus importantes que les intérêts que l'obligation de motivation sert, à savoir permettre à l'intéressé et au juge de vérifier si les circonstances de fait qui sont invoquées sont de nature à justifier la
sanction retenue.

En l'espèce, l'obligation de motivation a été entièrement respectée, la décision de l'AIPN mentionnant expressément les raisons pour lesquelles l'AIPN a décidé d'infliger à M. V une sanction plus lourde que celle suggérée par le conseil de discipline. Le Tribunal a confondu à cet égard le grief tiré d'une insuffisance de motivation avec celui qui aurait éventuellement pu être tiré de l'absence de bien-fondé des raisons effectivement données pour justifier la décision. La Commission n'a pas négligé
les circonstances atténuantes dans l'affaire, mais elle ne les a pas mentionnées dans la décision litigieuse, les circonstances aggravantes occultant en l'espèce celles-ci.

10 M. V a fait valoir que le moyen de la Commission relatif à la portée de l'obligation de motivation est irrecevable, la Commission cherchant en réalité à obtenir une nouvelle qualification des faits par la Cour, ce qui est contraire à l'article 51 du statut CE de la Cour de justice. Sur le fond, M. V a déclaré que le Tribunal a correctement constaté la violation de l'obligation de motivation, eu égard au fait, notamment, que l'AIPN n'a pas pris en considération les circonstances atténuantes
relevées par le conseil de discipline.

Recevabilité

11 La Cour a déclaré, dans l'arrêt du 20 février 1997, Commission/Daffix (2) (ci-après l'«arrêt Daffix»), qui portait également sur l'obligation de motivation au cas où l'AIPN inflige à un fonctionnaire une sanction plus lourde que celle qui a été recommandée par le conseil de discipline, que:

«... la motivation d'une décision faisant grief doit permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle sur sa légalité et de fournir à l'intéressé les indications nécessaires pour savoir si la décision est bien fondée ...

Par conséquent, un défaut ou une insuffisance de motivation, qui entravent ce contrôle juridictionnel, constituent des moyens d'ordre public qui peuvent, et même doivent, être soulevés d'office par le juge communautaire ...

L'examen de tels moyens pouvant donc avoir lieu à tout stade de la procédure...» (points 23, 24 et 25).

12 La Cour a constaté ainsi dans l'arrêt Daffix qu'elle était compétente pour statuer dans le cadre d'un pourvoi sur la question de savoir si le Tribunal a mal apprécié l'obligation de motivation résultant de l'article 190 du traité et de l'article 25 du statut, cela constituant une question de droit. Le contrôle de la légalité d'une décision qui est exercé dans ce cadre par la Cour doit nécessairement prendre en considération les faits sur lesquels le Tribunal s'est fondé pour aboutir à sa
conclusion selon laquelle la motivation est suffisante ou insuffisante.

13 Nous estimons par conséquent que l'exception d'irrecevabilité de M. V ne saurait être accueillie.

Au fond

14 Le Tribunal a affirmé dans l'arrêt attaqué qu'il convenait de procéder d'abord à l'examen du moyen de M. V pris de «la méconnaissance du principe de proportionnalité et de l'insuffisance de motivation». Après avoir rappelé la jurisprudence relative à l'obligation de motivation, le Tribunal a indiqué au point 37 qu'il convenait d'examiner si l'obligation de motivation avait été satisfaite en l'espèce. Le Tribunal a constaté les faits de l'affaire aux points 38 à 42. Aux points 43 à 50, le Tribunal
a recherché si les circonstances retenues par l'AIPN étaient susceptibles de justifier l'adoption d'une sanction plus lourde que celle recommandée par le conseil de discipline. Au point 51, le Tribunal a constaté que la décision aurait dû comporter une motivation circonstanciée et mentionner les raisons pour lesquelles d'éventuelles circonstances atténuantes ne pouvaient pas être prises en considération. Au point 52, le Tribunal a constaté que la décision ne comportait pas une motivation suffisante
pour justifier le choix d'une sanction autre que celle qui avait été suggérée par le conseil de discipline et, au point 53, le Tribunal a annulé la décision pour insuffisance de motivation.

15 A notre avis, l'arrêt attaqué ne fait pas apparaître très clairement sur quels moyens le Tribunal s'est effectivement prononcé. Le Tribunal ayant uniquement annulé la décision litigieuse pour insuffisance de motivation, il pourrait sembler à première vue que cela constitue le seul élément sur lequel le Tribunal a pris position. Il ressort toutefois d'une lecture de l'arrêt dans son ensemble que le moyen qui est examiné concerne tant la question de la motivation que la question de la
méconnaissance du principe de proportionnalité et que le Tribunal se prononce, aux points 43 à 50, sur la question de la méconnaissance du principe de proportionnalité et, aux points 51, 52 et 53, sur la question du respect de l'obligation de motivation.

16 Il s'agit toutefois de deux questions différentes que le Tribunal semble ainsi réunir en une seule. La question du défaut ou de l'insuffisance de motivation concerne le point de savoir si la décision litigieuse indique de manière suffisamment claire pourquoi l'AIPN a choisi d'écarter la sanction recommandée par le conseil de discipline et revêt donc un caractère plus formel. La seconde question, relative à la méconnaissance du principe de proportionnalité, a un caractère purement matériel; elle
consiste en effet à savoir si les motifs invoqués constituent des raisons suffisantes d'infliger la sanction retenue. En d'autres termes, si la première question porte sur le point de savoir si une motivation a été fournie, la seconde porte sur le point de savoir si la motivation indiquée est valable.

17 Il aurait donc été plus logique que le Tribunal se prononce tout d'abord sur la question de savoir si la décision litigieuse était suffisamment motivée et s'interroge ensuite, le cas échéant, sur la validité de la motivation fournie. Si le Tribunal avait constaté que la motivation fournie était insuffisante, la décision aurait dû être annulée de ce fait et il n'aurait pas été nécessaire d'examiner la seconde question. En revanche, si le Tribunal avait considéré que la décision comportait une
motivation suffisante, il aurait dû examiner ensuite la question de la méconnaissance du principe de proportionnalité.

18 Cette façon de procéder est conforme à la jurisprudence de la Cour en matière d'obligation de motivation (3), selon laquelle l'obligation de motiver une décision faisant grief a notamment pour but d'en rendre possible le contrôle juridictionnel. S'il est constaté qu'une décision est insuffisamment motivée, c'est précisément parce que la décision ne comporte pas d'éléments suffisants pour rendre possible le contrôle juridictionnel de son bien-fondé matériel.

19 Bien qu'il résulte de la rédaction de l'arrêt du Tribunal que le Tribunal a examiné tant le point de savoir s'il y a eu méconnaissance du principe de proportionnalité que celui de savoir si la décision litigieuse est suffisamment motivée, il y a cependant lieu de conclure que le Tribunal a annulé, au point 53 de l'arrêt, la décision litigieuse pour insuffisance de motivation, si bien qu'il est uniquement possible de se prononcer, dans le cadre du pourvoi devant la Cour, sur le point de savoir si
la constatation de cette insuffisance par le Tribunal constitue une erreur de droit.

20 L'arrêt indique au point 16 qu'il ressort de la décision litigieuse que les circonstances de fait sur lesquelles la décision de l'AIPN se fonde sont étayées par les éléments suivants:

- M. V a reconnu au cours des auditions devant le conseil de discipline qu'il avait remis des brouillons à un collègue au cours des épreuves écrites.

- La réponse de ce collègue à la question de comptabilité pure était très similaire à la réponse de M. V.

- M. V disposait du corrigé type pour un point de l'épreuve et cela forcément avant de pénétrer dans la salle de concours; il a donc bénéficié d'une fuite.

21 Il ne fait donc guère de doute que la décision litigieuse indique de manière suffisamment claire les circonstances de fait retenues à la charge de M. V. Il y a lieu de relever à cet égard que la décision était l'aboutissement d'une procédure disciplinaire engagée en 1992, M. V étant régulièrement informé de son déroulement. La décision fournit ainsi sur ce point à son destinataire les indications nécessaires pour savoir si la décision est ou non fondée et elle rend possible le contrôle
juridictionnel.

22 Le point 16 de l'arrêt indique également que l'AIPN a mentionné ensuite dans la décision que les faits imputés à M. V et repris ci-dessus s'accompagnaient de certaines circonstances aggravantes, à savoir:

- que M. V avait ainsi sciemment essayé de fausser les résultats du concours général en violation du principe selon lequel les candidats doivent se trouver en position d'égalité par rapport à ces concours,

- que le comportement de M. V entraînait un risque sérieux de réussite aux épreuves de candidats qui ne possédaient pas les qualifications nécessaires, ce qui aurait lésé tant les autres candidats que les intérêts de l'institution,

- que, en refusant de fournir toute indication quant à l'origine du corrigé type, M. V avait manqué à son devoir de coopération,

- que M. V, ancien inspecteur de la police belge et ancien fonctionnaire du bureau de sécurité, assurait des tâches importantes de responsabilité et de confiance,

- que l'institution est en droit d'attendre de ses fonctionnaires et en particulier de la part d'un ancien fonctionnaire du bureau de sécurité une honnêteté irréprochable,

- que M. V avait abusé de la confiance entre le fonctionnaire et son institution.

En conséquence, l'AIPN a conclu que «pour ces raisons et en tenant compte également de l'ensemble des circonstances d'espèce, il s'avère nécessaire et justifié d'infliger à M. V une sanction plus sévère que la sanction disciplinaire préconisée par le conseil de discipline».

23 Le Tribunal a affirmé au point 41 de l'arrêt que l'AIPN avait conclu à une aggravation du comportement de M. V par rapport à celui constaté par le conseil de discipline, sans pour autant préciser de façon circonstanciée, au moyen d'un complément de motivation, les raisons qui l'avait conduite à s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline. Le Tribunal a relevé en outre au point 51 que l'AIPN n'avait pas pris en considération la circonstance atténuante, retenue par le conseil de
discipline en faveur de M. V, tirée de six années de service irréprochables, ni ses rapports de notation. Pour ces raisons, le Tribunal a conclu au point 52 que «la décision ne comporte aucun motif précisant de manière suffisante les raisons pour lesquelles l'AIPN a infligé à [M. V] la sanction nettement plus lourde de la révocation que celle suggérée, sur le fondement des mêmes faits, par le conseil de discipline».

24 Il résulte d'une jurisprudence constante (4) que l'obligation de motivation d'une décision faisant grief a notamment pour but de rendre possible le contrôle juridictionnel. Il résulte également de la jurisprudence que si, comme en l'espèce, la sanction infligée par l'AIPN est plus sévère que celle suggérée par le conseil de discipline, la décision doit préciser de façon circonstanciée les motifs qui ont conduit l'AIPN à s'écarter de l'avis émis par le conseil de discipline (5).

25 Il ressort de nos développements précédents au point 22 que l'AIPN a indiqué dans la décision litigieuse pour quelles raisons elle s'est écartée de la sanction préconisée par le conseil de discipline, à savoir les circonstances aggravantes que l'AIPN avait retenues en l'espèce. Il apparaît également à la lecture de l'arrêt du Tribunal que ces raisons étaient suffisantes pour procéder à un contrôle juridictionnel du bien-fondé matériel de la décision, le Tribunal s'étant livré à une telle
appréciation dans l'arrêt.

26 Il ne semble pas résulter de la jurisprudence précitée que les décisions infligeant des sanctions plus lourdes que celles qui ont été recommandées par le conseil de discipline doivent indiquer quelles raisons l'AIPN a estimé, dans le cadre du choix de la sanction, ne pas devoir retenir. Cela n'aurait d'ailleurs pas beaucoup de sens. Les raisons qui doivent être indiquées sont celles qui justifient, de l'avis de l'AIPN, le choix d'une sanction plus lourde.

27 On pourrait certes soutenir que l'AIPN aurait pu indiquer en l'espèce que «les circonstances invoquées par le conseil de discipline, tirées de six années de service irréprochables et des rapports de notation antérieurs, ne sauraient fonder une autre solution». A notre avis, une telle mention expresse des circonstances atténuantes n'est toutefois pas nécessaire, étant donné qu'il est implicite dans la décision que l'AIPN a pris en considération ces circonstances dès lors qu'elles étaient exposées
dans l'avis du conseil de discipline.

28 Nous estimons en conséquence que l'appréciation du Tribunal, au point 52 de l'arrêt, selon laquelle la décision litigieuse ne comporte aucun motif précisant de manière suffisante les raisons pour lesquelles l'AIPN a infligé à M. V la sanction plus lourde de la révocation que celle suggérée, sur le fondement des mêmes faits, par le conseil de discipline, constitue une erreur de droit.

29 De la même façon, la Cour a abouti au même résultat dans l'arrêt Daffix, précité, bien que la motivation du choix d'une sanction plus lourde que celle qui avait été préconisée par le conseil de discipline dans cette affaire était bien moins précise que la motivation considérée en l'espèce. La Cour y a affirmé que:

«... Alors que le conseil de discipline avait uniquement retenu que M. Daffix n'avait pas vérifié l'identité de la tierce personne en cause et ne s'était pas assuré de sa légitimité, ce qu'il avait qualifié de manquement grave aux obligations d'un fonctionnaire, l'AIPN a qualifié les griefs qu'elle avait établis de manquement extrêmement grave aux obligations d'un fonctionnaire vis-à-vis de son institution, mettant en cause les bases mêmes des relations de confiance entre l'institution et son
personnel... Même si elle ne le précise pas expressément, il résulte donc à suffisance de la décision litigieuse que telle était la raison pour laquelle l'AIPN s'écartait de l'avis du conseil de discipline» (point 37).

30 Étant donné que, comme nous l'avons indiqué, nous considérons qu'il y a lieu d'accueillir le moyen de la Commission tiré du fait que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que la décision litigieuse n'était pas suffisamment motivée, il y a lieu d'annuler l'arrêt attaqué en application de l'article 54, paragraphe 1, du statut CE de la Cour de justice, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués à l'appui du pourvoi.

31 Étant donné que, outre la question de savoir si la motivation était suffisante, le Tribunal ne s'est pas prononcé sur les autres moyens invoqués en première instance par M. V devant le Tribunal, nous considérons que le litige n'est pas en état d'être jugé et il y a donc lieu de le renvoyer au Tribunal pour qu'il statue au fond sur les moyens énoncés au point 25 de l'arrêt attaqué. Il y a également lieu de réserver les dépens.

Conclusion

32 Pour les raisons qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

«1) L'arrêt rendu par le Tribunal de première instance le 28 mars 1996 dans l'affaire T-40/95, V/Commission, est annulé en tant qu'il a annulé la décision de la Commission du 18 janvier 1995 portant révocation de M. V pour insuffisance de motivation et condamné la Commission aux dépens.

2) L'affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance pour qu'il statue sur les autres moyens invoqués et qui sont énoncés au point 25 de l'arrêt attaqué.

3) Les dépens sont réservés.»

(1) - T-40/95, RecFP p. II-461.

(2) - C-166/95 P, non encore publié au Recueil.

(3) - Voir notamment les arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement (195/80, Rec. p. 2861); du 21 juin 1984, Lux/Cour des comptes (69/83, Rec. p. 2447); Daffix (précité à la note 2), et du 20 mars 1991, Pérez-Mínguez Casariego/Commission (T-1/90, Rec. p. II-143).

(4) - Voir note 2.

(5) - Voir notamment l'arrêt du 29 janvier 1985, F./Commission (228/83, Rec. p. 275).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-188/96
Date de la décision : 29/05/1997
Type d'affaire : Pourvoi - fondé
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Fonctionnaires - Révocation - Motivation.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : V.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Jann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:270

Source

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