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29/05/1997 | CJUE | N°C-14/96

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre Paul Denuit., 29/05/1997, C-14/96


Avis juridique important

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61996J0014

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 mai 1997. - Procédure pénale contre Paul Denuit. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique. - Directive 89/552/CEE - Télécommunications - Radiodiffusion télévisuelle - Compétence sur

les organismes de radiodiffusion. - Affaire C-14/96.
Recueil de jurisprude...

Avis juridique important

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61996J0014

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 29 mai 1997. - Procédure pénale contre Paul Denuit. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique. - Directive 89/552/CEE - Télécommunications - Radiodiffusion télévisuelle - Compétence sur les organismes de radiodiffusion. - Affaire C-14/96.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-02785

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

1 Libre prestation des services - Activités de radiodiffusion télévisuelle - Directive 89/552 - Organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un État membre - Critère de détermination - Établissement - Incidence de l'origine des programmes diffusés sur la compétence d'un État membre - Absence

(Directive du Conseil 89/552, art. 2, § 1)

2 Libre prestation des services - Activités de radiodiffusion télévisuelle - Directive 89/552 - Contrôle du respect des dispositions de la directive - Contrôle incombant à l'État membre d'origine des émissions - Opposition d'un État membre à la retransmission d'émissions, non conformes aux articles 4 et 5 de la directive, transmises par un organisme relevant de la compétence d'un autre État membre - Inadmissibilité - Exceptions

(Directive du Conseil 89/552, art. 2, § 2)

3 États membres - Obligations - Action unilatérale - Interdiction

Sommaire

4 L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89/552, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi.

En effet, si la directive ne comporte pas de définition expresse des termes «organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de [la] compétence [d'un État membre]», il résulte, toutefois, du libellé de la disposition précitée que la notion de compétence d'un État membre doit être entendue comme englobant nécessairement une compétence ratione personae à l'égard desdits organismes, laquelle ne peut être fondée que sur le rattachement de ces derniers à l'ordre juridique de cet État, ce qui recouvre
en substance la notion d'établissement au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité, dont les termes présupposent que le prestataire et le destinataire d'un service sont «établis» dans deux États membres différents.

Par ailleurs, l'origine des programmes diffusés par l'organisme de radiodiffusion ou leur conformité avec les articles 4 et 5 de la directive sont dénuées de pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer l'État membre de la compétence duquel relève un tel organisme en vertu de l'article 2, paragraphe 1, de ladite directive.

5 L'article 2, paragraphe 2, de la directive 89/552, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, doit être interprété en ce sens qu'un État membre ne peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un autre État membre, lorsque ces émissions ne sont pas conformes aux
exigences des articles 4 et 5 de cette même directive.

En effet, selon le système de répartition des obligations entre les États membres dont émanent les émissions et ceux qui les reçoivent, établi par la directive, le contrôle de l'application du droit de l'État membre d'origine applicable aux émissions de radiodiffusion télévisuelle ainsi que celui du respect des dispositions de la directive n'incombent qu'à l'État membre dont les émissions émanent, l'État membre de réception n'étant pas autorisé à exercer son propre contrôle à cet égard.

Ce n'est que dans le cas prévu à l'article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, de ladite directive que l'État membre de réception peut, à titre exceptionnel, suspendre la retransmission d'émissions télévisées aux conditions déterminées par cette disposition.

6 Un État membre ne saurait s'autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destinées à obvier à une méconnaissance éventuelle, par un autre État membre, des règles du droit communautaire.

Parties

Dans l'affaire C-14/96,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le tribunal de première instance de Bruxelles et tendant à obtenir, dans la procédure pénale poursuivie devant cette juridiction contre

Paul Denuit,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. G. F. Mancini, président de chambre, J. L. Murray, C. N. Kakouris, P. J. G. Kapteyn (rapporteur) et H. Ragnemalm, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour M. Denuit, par Mes A. Braun et F. de Visscher, avocats au barreau de Bruxelles,

- pour l'État belge, en les personnes du vice-Premier ministre et ministre des Communications et des Entreprises publiques et du ministre de la Politique scientifique, par Me A. Berenboom, avocat au barreau de Bruxelles,

- pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, conseiller général au ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et de la Coopération au développement, en qualité d'agent, assisté de Me A. Berenboom, avocat au barreau de Bruxelles,

- pour le gouvernement allemand, par M. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, assisté de Mme S. Maass, Regierungsraetin au même ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Samoni-Rantou, conseiller juridique spécial adjoint au service spécial du contentieux communautaire du ministère des Affaires étrangères, et I. Kiki, secrétaire au service juridique spécial du même ministère, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement français, par Mme C. de Salins, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. P. Martinet, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. Ridley, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, assistée de M. R. Thompson, barrister,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. J. Drijber et P. van Nuffel, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de M. Denuit, représenté par Mes A. Braun et F. de Visscher, du gouvernement belge, représenté par M. J. Devadder et Me A. Joachimowicz, avocat au barreau de Bruxelles, du gouvernement hellénique, représenté par Mme A. Samoni-Rantou, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. R. Thompson, et de la Commission, représentée par M. B. J. Drijber, à l'audience du 12 décembre 1996,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 6 février 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 16 janvier 1996, parvenue à la Cour le 19 janvier suivant, le tribunal de première instance de Bruxelles a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion
télévisuelle (JO L 298, p. 23, ci-après la «directive»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure pénale poursuivie contre M. Denuit, administrateur délégué de Coditel Brabant SA (ci-après «Coditel»), pour infraction à la législation nationale en matière audiovisuelle.

La directive

3 Au chapitre II (Dispositions générales), l'article 2 de la directive dispose:

«1. Chaque État veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises:

- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence

ou

- par des organismes de radiodiffusion télévisuelle utilisant une fréquence ou la capacité d'un satellite accordée par cet État membre ou une liaison montante vers un satellite située dans cet État membre, tout en ne relevant de la compétence d'aucun État membre,

respectent le droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre.

2. Les États membres assurent la liberté de réception et n'entravent pas la retransmission sur leur territoire d'émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance d'autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive. Ils peuvent suspendre provisoirement la retransmission d'émissions télévisées si les conditions suivantes sont remplies:

a) une émission télévisée en provenance d'un autre État membre enfreint d'une manière manifeste, sérieuse et grave l'article 22;

b) au cours des douze mois précédents, l'organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, la même disposition;

c) l'État membre concerné a notifié par écrit à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et son intention de restreindre la retransmission au cas où une telle violation surviendrait de nouveau;

d) les consultations avec l'État de transmission et la Commission n'ont pas abouti à un règlement amiable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.

La Commission veille à la compatibilité de la suspension avec le droit communautaire. Elle peut demander à l'État membre concerné de mettre fin d'urgence à une suspension contraire au droit communautaire. Cette disposition n'affecte pas l'application de toute procédure, mesure ou sanction aux violations en cause dans l'État membre de la compétence duquel relève l'organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné.

3. La présente directive ne s'applique pas aux émissions de radiodiffusion télévisuelle exclusivement destinées à être captées dans d'autres États que les États membres et qui ne sont pas reçues directement ou indirectement dans un ou plusieurs États membres.»

4 L'article 3, qui fait partie du même chapitre de la directive, prévoit:

«1. Les États membres ont la faculté, en ce qui concerne les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence, de prévoir des règles plus strictes ou plus détaillées dans les domaines couverts par la présente directive;

2. Les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect, par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence, des dispositions de la présente directive.»

5 Au chapitre III (Promotion de la distribution et de la production de programmes télévisés), les articles 4 et 5 mettent en oeuvre l'objectif consistant à promouvoir la production et la distribution d'oeuvres européennes, en fixant des conditions minimales pour la proportion de la programmation qui doit être consacrée à la diffusion d'oeuvres européennes et d'oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants d'organismes de radiodiffusion télévisuelle, y compris des oeuvres récentes diffusées
dans un laps de temps de cinq ans après leur production.

6 En vertu de l'article 4, paragraphe 1, de la directive, «Les États membres veillent, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des oeuvres européennes ... une proportion majoritaire de leur temps de diffusion ...». De plus, selon l'article 5 de la directive, «Les États membres veillent, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle
réservent au moins 10 % de leur temps d'antenne ... ou alternativement, au choix de l'État membre, 10 % au moins de leur budget de programmation, à des oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants ...».

Le droit britannique

7 Le Broadcasting Act 1990 (loi de 1990 sur la radiodiffusion, ci-après la «loi») établit le cadre réglementaire notamment pour les services de télévision indépendants au Royaume-Uni.

8 La section 13 de la loi interdit la fourniture de services de programmes de télévision autres que ceux de la BBC et de la Welsh Authority, s'ils ne sont pas autorisés par ou en vertu d'une licence accordée par l'Independent Television Commission (ITC).

9 La section 16(2), sous g) et h), de la loi met en oeuvre les conditions fixées aux articles 4 et 5 de la directive en ce qui concerne la programmation d'oeuvres européennes émanant de producteurs indépendants.

10 La section 43 de la loi distingue deux types de «services de télévision par satellite», à savoir les services intérieurs et les services autres qu'intérieurs, qui sont tous deux considérés comme des «services de programmes de télévision» au sens de la section 13 et pour la diffusion desquels une licence doit donc être obtenue. Elle énonce également les critères à appliquer pour déterminer quelles émissions de télévision relèvent de ces deux types de services:

- aux termes de la section 43 (1), un service par satellite intérieur («domestic satellite service», ci-après le «DSS») est un service de radiodiffusion télévisuelle dont les programmes sont transmis par satellite d'un lieu situé au Royaume-Uni sur une fréquence attribuée au Royaume-Uni et en vue d'être captés par l'ensemble de la population de cet État;

- aux termes de la section 43 (2), un service par satellite autre qu'intérieur («non-domestic satellite service», ci-après le «NDSS») est un service qui consiste à transmettre des programmes de télévision par satellite

a) d'un lieu situé au Royaume-Uni pour qu'ils soient captés par l'ensemble de la population au Royaume-Uni ou dans un État membre autrement que sur une fréquence attribuée ou

b) d'un lieu situé hors du Royaume-Uni ou d'un État membre pour qu'ils soient captés par l'ensemble de la population au Royaume-Uni ou dans un État membre, les programmes étant fournis par une personne au Royaume-Uni qui possède le contrôle éditorial sur le contenu de la programmation.

11 Des dispositions spécifiques sont prévues à la section 44 de la loi pour l'octroi de licences de DSS et à la section 45 pour l'octroi de licences de NDSS. La section 44(3) applique aux DSS la section 16(2), sous g) et h), concernant les conditions en matière de programmation d'oeuvres européennes. En revanche, la section 45(2) n'en fait pas autant pour les NDSS.

Le litige au principal

12 Il ressort du dossier de l'affaire au principal que la société Turner International Sales Ltd (ci-après «Turner»), établie à Londres, a reçu des autorités britanniques l'autorisation de transmettre un programme de télévision, appelé «TNT & Cartoon Network», par satellite Astra. Les transmissions ont lieu depuis septembre 1993. Le public du Royaume-Uni et de plusieurs pays d'Europe occidentale peut recevoir ce programme soit directement avec une antenne parabolique, soit par le câble. Comme la
fréquence utilisée sur le satellite Astra n'est pas une fréquence attribuée au Royaume-Uni, l'autorisation dont dispose Turner est une «non-domestic satellite service licence» au sens de l'article 43(2) de la loi.

13 A la suite de la signature entre Turner et Coditel d'un contrat relatif à la retransmission de la chaîne en question, le ministre des Communications et des Entreprises publiques belge a interdit, par arrêté ministériel du 17 septembre 1993, la distribution sur les réseaux de télédistribution de la Région de Bruxelles-Capitale du programme TNT & Cartoon Network.

14 Cette interdiction est motivée de la manière suivante:

«Considérant qu'il s'agit de programmes comportant essentiellement des émissions produites en dehors du territoire de la Communauté européenne et de publicités commerciales;

Considérant que ces émissions entrent en contradiction avec les intentions de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, dite `télévision sans frontière';

Qu'en particulier, elles ne correspondent pas aux exigences des articles 4 et 5 prévoyant, d'une part, la diffusion d'une proportion majoritaire d'oeuvres européennes et, d'autre part, une part de budget réservée à la production d'oeuvres européennes;

Considérant que les chaînes litigieuses se prévalent d'une autorisation, en date du 12 juillet 1993, qui leur a été délivrée par le Royaume-Uni sur base de service non domestique de radiodiffusion par satellite;

Que, selon la loi britannique, ces programmes ne seraient pas soumis aux obligations prévues par la directive précitée...»

15 Coditel ayant donné suite à cet arrêté ministériel, Turner a saisi le président du tribunal de commerce de Bruxelles d'une demande en référé tendant à ce qu'il lui soit ordonné de retransmettre les programmes en question conformément au contrat qu'elles avaient conclu. Le président du tribunal de commerce de Bruxelles a considéré que l'arrêté ministériel du 17 septembre 1993 était dépourvu de base légale en droit interne et a, en conséquence, condamné Coditel, par ordonnance du 26 octobre 1993, à
retransmettre le programme sur son réseau, sous peine d'astreinte. Coditel s'est conformée à cette décision.

16 L'État belge a fait tierce opposition contre l'ordonnance du 26 octobre 1993. Après un débat contradictoire, le président du tribunal de commerce de Bruxelles a reconsidéré sa décision et a décidé, par ordonnance du 30 novembre 1994, d'interroger la Cour sur l'interprétation de la directive (affaire C-316/94). Coditel a alors suspendu la distribution de la chaîne litigieuse. Toutefois, cette ordonnance a été annulée par la cour d'appel de Bruxelles dans un arrêt du 6 avril 1995, à la suite duquel
cette affaire a, le 1er décembre 1995, été radiée du registre de la Cour par ordonnance du président. Depuis lors, le programme en question est de nouveau retransmis dans la Région de Bruxelles-Capitale.

17 Dans le cadre de la procédure au principal, le procureur du roi accuse M. Denuit d'avoir commis une infraction à la législation nationale et, notamment, aux dispositions de l'arrêté ministériel du 17 septembre 1993. En effet, pendant un certain temps, Coditel a «transmis des émissions des stations commerciales de radiodiffusion télévisuelle dont la distribution a été interdite par le ministre compétent, en l'espèce ... sur les réseaux de télédistribution de la région bilingue de
Bruxelles-Capitale, le programme du service de radiodiffusion `Turner Network Television Limited' et le programme du service de radiodiffusion `The Cartoon Limited Network', alors que cela lui a été interdit par arrêté ministériel du 17 septembre 1993».

18 Compte tenu des antécédents de l'affaire, le tribunal de première instance de Bruxelles a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Quelles sont les conditions pour qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle soit considéré comme relevant de la compétence d'un État membre au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive du Conseil du 3 octobre 1989 (89/552/CEE)? Dans quelle mesure la circonstance de l'origine non européenne d'une partie plus ou moins grande des oeuvres diffusées joue-t-elle un rôle si le juge national constate par ailleurs que l'organisme dont question a son siège sur le territoire dudit État membre
et que des activités réelles de direction, de composition ou de montage sont exercées dans ce territoire?

2) A supposer que des émissions émanant d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle autorisé par un État membre ne soient pas à considérer comme des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un État membre au sens de cette directive, un autre État membre peut-il, et à quelles conditions au regard spécialement des articles 59 et suivants du Traité, interdire ou limiter leur retransmission sur un territoire?

3) L'article 2 de cette même directive doit-il être interprété en ce sens que, si un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence d'un État membre, un autre État membre ne peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des émissions de radiodiffusion télévisuelle en provenance de cet organisme même si les règles inscrites aux articles 4 et 5 de la même directive ne sont pas respectées?»

Sur la première question

19 Par la première partie de sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de préciser les critères à appliquer pour déterminer les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de la compétence d'un État membre au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive.

20 Il y a lieu d'observer que, dans l'arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Royaume-Uni (C-222/94, Rec. p. I-4025), la Cour a déjà examiné l'interprétation à donner à la notion de «compétence» dans l'expression «organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de [la] compétence [d'un État membre]» figurant à l'article 2, paragraphe 1, premier tiret, de la directive.

21 Ainsi que la Cour l'a constaté dans le même arrêt, la directive ne comporte pas de définition expresse de cette dernière expression (point 26).

22 Au terme d'un examen du libellé de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, la Cour a estimé que la notion de compétence d'un État membre doit être entendue comme englobant nécessairement une compétence ratione personae à l'égard des organismes de radiodiffusion télévisuelle (point 40).

23 Or, une compétence ratione personae d'un État membre à l'égard d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle ne peut être fondée que sur son rattachement à l'ordre juridique de cet État, ce qui recouvre en substance la notion d'établissement au sens de l'article 59, premier alinéa, du traité CE, dont les termes présupposent que le prestataire et le destinataire d'un service sont «établis» dans deux États membres différents (point 42).

24 Par la deuxième partie de la première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir dans quelle mesure l'application de l'article 2, paragraphe 1, de la directive dépend de l'origine non communautaire d'une partie plus ou moins grande des oeuvres diffusées.

25 Selon le gouvernement belge, les programmes TNT & Cartoon Network ne relèvent pas de la compétence d'un État membre au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive, parce qu'ils ne répondent pas aux exigences des articles 4 et 5 de celle-ci et qu'ils n'y sont d'ailleurs pas soumis par la section 43 de la loi.

26 A cet égard, il ressort du libellé même de l'article 2, paragraphe 1, de la directive que l'origine des programmes diffusés par l'organisme de radiodiffusion télévisuelle ou leur conformité avec les articles 4 et 5 de la directive n'ont aucune incidence sur la compétence d'un État membre au sens de cette disposition.

27 Il y a donc lieu de répondre à la première question posée que l'article 2, paragraphe 1, de la directive doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi. L'origine des programmes diffusés par l'organisme de radiodiffusion ou leur conformité avec les articles 4 et 5 de la directive sont dénuées de pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer l'État membre de la compétence duquel relève un tel organisme
en vertu de l'article 2, paragraphe 1.

Sur la deuxième question

28 Par sa deuxième question, le juge national demande en substance si et à quelles conditions un État membre peut interdire ou limiter la retransmission sur son territoire des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle autorisées par un autre État membre dans le cas où cet organisme ne relève pas de la compétence d'un État membre au sens de l'article 2, paragraphe 1, de la directive.

29 Il découle de la réponse à la première question que ce cas, qui suppose que l'organisme ne relève pas de la compétence d'un État membre, ne peut se présenter dans la situation décrite dans l'ordonnance de renvoi.

30 Par conséquent, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la troisième question

31 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande si l'article 2, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens qu'un État membre peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un autre État membre, si ces émissions ne respectent pas les exigences des articles 4 et 5 de cette même directive.

32 Dans l'arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Belgique (C-11/95, Rec. p. I-4115, point 34), la Cour a constaté que, selon le système de répartition des obligations entre les États membres dont émanent les émissions et ceux qui les reçoivent, établi par la directive, le contrôle de l'application du droit de l'État membre d'origine applicable aux émissions de radiodiffusion télévisuelle ainsi que celui du respect des dispositions de la directive n'incombent qu'à l'État membre dont les émissions
émanent, l'État membre de réception n'étant pas autorisé à exercer son propre contrôle à cet égard.

33 Cette interprétation est corroborée par les considérants de la directive. En effet, selon le dixième considérant, toutes les entraves à la libre diffusion auxquelles se réfère le neuvième considérant doivent être supprimées en vertu du traité. De plus, aux termes des douzième et quatorzième considérants, il est nécessaire et suffisant à cet égard que toutes les émissions respectent la législation de l'État membre dont elles émanent, ainsi que les dispositions de la directive. Enfin, il résulte du
quinzième considérant que l'obligation de l'État membre d'origine de s'assurer que des émissions sont conformes à la législation nationale telle que coordonnée par la directive est suffisante, au regard du droit communautaire, pour garantir la libre circulation des émissions, sans qu'un second contrôle pour les mêmes motifs soit nécessaire dans les États membres de réception (arrêt Commission/Belgique, précité, point 35).

34 Ce n'est que dans le cas prévu à l'article 2, paragraphe 2, deuxième phrase, auquel se réfère la deuxième partie du quinzième considérant de la directive, que l'État membre de réception peut, à titre exceptionnel, suspendre la retransmission d'émissions télévisées aux conditions déterminées par cette disposition. La Cour a ajouté que, si un État membre estime qu'un autre État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive, il lui est loisible de former un recours en
manquement au titre de l'article 170 du traité CE ou de solliciter de la Commission qu'elle agisse elle-même contre l'État membre en cause en vertu de l'article 169 du traité CE (arrêt Commission/Belgique, précité, point 36).

35 Dans le même arrêt Commission/Belgique, précité, point 37, la Cour a également rappelé que, selon une jurisprudence constante, un État membre ne saurait s'autoriser à prendre unilatéralement des mesures correctives ou des mesures de défense destinées à obvier à une méconnaissance éventuelle, par un autre État membre, des règles du droit communautaire (voir, également, arrêts du 13 novembre 1964, Commission/Luxembourg et Belgique, 90/63 et 91/63, Rec. p. 1217; du 25 septembre 1979,
Commission/France, 232/78, Rec. p. 2729, point 9, et du 23 mai 1996, Hedley Lomas, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 20).

36 Il y a donc lieu de répondre que l'article 2, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens qu'un État membre ne peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un autre État membre, lorsque ces émissions ne sont pas conformes aux exigences des articles 4 et 5 de cette même directive.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

37 Les frais exposés par les gouvernements belge, allemand, hellénique, français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal de première instance de Bruxelles, par ordonnance du 16 janvier 1996, dit pour droit:

1) L'article 2, paragraphe 1, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle, doit être interprété en ce sens qu'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relève de la compétence de l'État membre dans lequel il est établi. L'origine des programmes diffusés par l'organisme de radiodiffusion ou leur
conformité avec les articles 4 et 5 de la directive sont dénuées de pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer l'État membre de la compétence duquel relève un tel organisme en vertu de l'article 2, paragraphe 1.

2) L'article 2, paragraphe 2, de la directive 89/552 doit être interprété en ce sens qu'un État membre ne peut s'opposer à la retransmission sur son territoire des émissions d'un organisme de radiodiffusion télévisuelle relevant de la compétence d'un autre État membre, lorsque ces émissions ne sont pas conformes aux exigences des articles 4 et 5 de cette même directive.


Synthèse
Formation : Sixième chambre
Numéro d'arrêt : C-14/96
Date de la décision : 29/05/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de première instance de Bruxelles - Belgique.

Directive 89/552/CEE - Télécommunications - Radiodiffusion télévisuelle - Compétence sur les organismes de radiodiffusion.

Droit d'établissement

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Paul Denuit.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:260

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