Avis juridique important
|
61994J0321
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 mai 1997. - Procédure pénale contre Jacques Pistre (C-321/94), Michèle Barthes (C-322/94), Yves Milhau (C-323/94) et Didier Oberti (C-324/94). - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Règlement (CEE) nº 2081/92 relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Articles 30 et 36 du traité CE - Législation nationale relative à l'utilisation de la
dénomination 'montagne' pour des produits agricoles et alimentaires. - Affaires jointes C-321/94, C-322/94, C-323/94 et C-324/94.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-02343
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
1 Agriculture - Législations uniformes - Protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires - Champ d'application matériel du règlement n_ 2081/92 - Réglementation nationale fixant des conditions d'utilisation, pour les produits agricoles et alimentaires, de la dénomination «montagne» - Exclusion
(Règlement du Conseil n_ 2081/92)
2 Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Notion - Interdiction - Portée
(Traité CE, art. 30)
3 Libre circulation des marchandises - Restrictions quantitatives - Mesures d'effet équivalent - Réglementation nationale réservant l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales - Inadmissibilité - Justification - Protection de la propriété industrielle et commerciale - Absence
(Traité CE, art. 30 et 36)
Sommaire
4 Le règlement n_ 2081/92, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale qui fixe des conditions d'utilisation, pour les produits agricoles et alimentaires, de la dénomination «montagne».
En effet, la dénomination «montagne», d'une part, revêt un caractère tout à fait général qui transcende les frontières nationales, alors que, selon l'article 2 du règlement n_ 2081/92, un lien direct doit exister entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son origine géographique spécifique, et, d'autre part, suggère au consommateur des qualités du produit liées abstraitement à la provenance de zones de montagne et non pas d'un lieu, d'une région ou d'un pays déterminé, de sorte qu'une
telle réglementation est trop éloignée de l'objet matériel dudit règlement pour que celui-ci s'oppose à son maintien.
5 L'interdiction de toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, qui résulte de l'article 30 du traité, déploie son plein effet, dès lors qu'est en cause l'application d'une réglementation de ce type, quand bien même la situation à propos de laquelle le juge national est appelé à intervenir ne comporterait que des éléments cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre.
En effet, dans une telle situation, l'application de la mesure nationale peut également avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres, notamment lorsque la mesure en cause favorise la commercialisation des marchandises d'origine nationale au détriment des marchandises importées. Dans de telles circonstances, l'application de la mesure, serait-elle limitée aux seuls producteurs nationaux, crée et maintient par elle-même une différence de traitement entre ces deux
catégories de marchandises entravant, au moins potentiellement, le commerce intracommunautaire.
6 L'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une réglementation nationale qui réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales.
En effet, une telle réglementation entrave les échanges intracommunautaires, est discriminatoire à l'encontre des marchandises importées des autres États membres et ne saurait trouver de justification dans la protection de la propriété industrielle et commerciale que réserve l'article 36 du traité, dans la mesure où la dénomination «montagne», telle qu'elle en organise l'utilisation, ne peut être qualifiée d'indication de provenance au sens du droit communautaire.
Parties
Dans les affaires jointes C-321/94, C-322/94, C-323/94 et C-324/94,
ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par la Cour de cassation française et tendant à obtenir, dans les procédures pénales poursuivies devant cette juridiction contre
Jacques Pistre (C-321/94),
Michèle Barthes (C-322/94),
Yves Milhau (C-323/94) et
Didier Oberti (C-324/94),
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 2 du règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), et des articles 30 et 36 du traité CE,
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, C. Gulmann (rapporteur), D. A. O. Edward, J.-P. Puissochet et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. F. G. Jacobs,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Mme Barthes ainsi que MM. Pistre, Milhau et Oberti, par Me Véronique Jeannin, avocat au barreau de Paris,
- pour le gouvernement français, par Mme Edwige Belliard, directeur adjoint à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Philippe Martinet, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement hellénique, par M. Fokion Georgakopoulos, conseiller juridique adjoint auprès du Conseil juridique de l'État, ainsi que Mmes Christina Sitara, mandataire judiciaire auprès du Conseil juridique de l'État, et Sofia Chala, collaborateur scientifique spécialisé du service spécial du contentieux communautaire du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement italien, par M. le professeur Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Ivo Braguglia, avvocato dello Stato,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. José Luis Iglesias Buhigues, conseiller juridique, et Jean-Francis Pasquier, fonctionnaire national mis à la disposition du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Mme Barthes ainsi que de MM. Pistre, Milhau et Oberti, du gouvernement français, du gouvernement hellénique et de la Commission à l'audience du 13 juin 1996,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 24 octobre 1996,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par arrêts du 3 octobre 1994, parvenus à la Cour le 9 décembre suivant, la Cour de cassation française a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 2 du règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), et des articles 30 et 36 du traité CE.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre de poursuites pénales exercées à l'encontre Mme Michèle Barthes ainsi que MM. Jacques Pistre, Yves Milhau et Didier Oberti (ci-après les «prévenus»), du chef d'étiquetages de nature à induire le consommateur en erreur sur la qualité ou la provenance de produits.
3 Les prévenus sont des ressortissants français, gérants de sociétés établies à Lacaune, dans le département du Tarn en France, qui fabriquent et commercialisent des produits de salaison. Ils ont été poursuivis pour avoir commercialisé, en 1991, de la charcuterie sous un étiquetage faisant mention des dénominations «montagne» ou «Monts de Lacaune», alors qu'ils n'avaient pas reçu, pour ces produits, l'autorisation d'employer les mentions spécifiques aux zones de montagne requise par l'article 34 de
la loi n_ 85-30, du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne (JORF du 10 janvier 1985, p. 320, ci-après la «loi n_ 85-30»), et le décret n_ 88-194, du 26 février 1988, fixant les conditions d'utilisation pour les produits agricoles et alimentaires de l'indication de provenance «montagne» (JORF du 27 février 1988, p. 2747, ci-après le «décret n_ 88-194»).
4 Par jugements du 26 mai 1992, le tribunal de police de Castres a relaxé les prévenus des fins de la poursuite, estimant que la réglementation relative à l'indication de provenance «montagne» était contraire au principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité CEE, devenu traité CE, et qu'elle ne pouvait être appliquée même aux producteurs nationaux, en raison d'un risque de discrimination à rebours.
5 Sur appel du ministère public, la cour d'appel de Toulouse a infirmé les jugements du tribunal de police de Castres et a déclaré les prévenus coupables. Ils ont été condamnés à différentes amendes. La cour d'appel de Toulouse a considéré que les dispositions en cause, qui réservaient l'utilisation de l'indication de provenance «montagne» à certains produits nationaux et visaient à assurer la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale ainsi que celle des consommateurs
contre des indications susceptibles de les induire en erreur, n'étaient pas, malgré la différence de traitement qui en résulte entre produits nationaux et produits importés, de nature à entraver les importations.
6 Les prévenus se sont pourvus en cassation contre ces arrêts. Devant la Cour de cassation, ils ont notamment fait valoir que les dispositions en cause, du fait qu'elles subordonnent la mise en vente d'un produit à une autorisation administrative préalable, constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au commerce entre États membres contraires aux articles 30 et 36 du traité.
7 Dans ses décisions de renvoi, la Cour de cassation observe, d'une part, que les textes pertinents de la loi n_ 85-30 et du décret n_ 88-194 prévoient que la délimitation des aires de montagne s'étend aux zones montagneuses, aux zones présentant une certaine déclivité et aux zones des départements d'outre-mer situées au-dessus de 100 mètres, et qu'ils comportent d'importantes dérogations à l'obligation de localisation du processus de production, en admettant notamment que la matière première
entrant dans la composition du produit ne provienne pas de l'aire géographique ou que le produit n'y soit pas totalement fabriqué.
8 D'autre part, elle renvoie au règlement n_ 2081/92 et relève que celui-ci, entré en vigueur le 26 juillet 1993, limite la protection des indications de provenance aux seuls produits originaires d'une région délimitée, dont une qualité déterminée ou une autre caractéristique peut être attribuée à l'origine géographique et dont la production a lieu sur place, et organise une procédure particulière d'agrément communautaire des dénominations existantes.
9 Estimant que se pose, par suite, la question de la compatibilité de la loi n_ 85-30 et du décret n_ 88-194 avec les dispositions, apparemment plus restrictives, du règlement n_ 2081/92, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité CE et 2 du règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, s'opposent-elles ou non à l'application d'une législation nationale comme celle issue de la loi n_ 85-30 du 9 janvier 1985 et de son décret d'application n_ 88-194 du 26 février 1988?»
10 Pour répondre à la question du juge de renvoi, il convient d'abord, après avoir rappelé les dispositions principales de la réglementation nationale en cause, de s'interroger sur l'interprétation du règlement n_ 2081/92 qui, quoique entré en vigueur après les faits à l'origine des poursuites au principal, pourrait avoir une incidence sur leur issue en application du principe connu du droit national en cause de la rétroactivité de la loi pénale la plus favorable. Si, au terme de ce premier examen,
il apparaît que ce règlement ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale telle que celle en cause dans les litiges au principal, il conviendra de vérifier s'il en va de même pour les articles 30 et 36 du traité.
La réglementation nationale en cause
11 Selon l'article 1er de la loi n_ 85-30, «La montagne constitue une entité géographique, économique et sociale dont le relief, le climat, le patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la mise en oeuvre d'une politique spécifique de développement, d'aménagement et de protection...». La loi envisage différentes actions à cet égard dont l'établissement d'une protection de la dénomination «montagne».
12 Les articles 3 à 4 de la loi n_ 85-30 délimitent les zones de montagne. Ainsi, l'article 3 dispose:
«Les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l'exercice de certaines activités économiques. Elles comprennent, en métropole, les communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dus:
1_ Soit à l'existence, en raison de l'altitude, de conditions climatiques très difficiles se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie;
2_ Soit à la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire, de fortes pentes telles que la mécanisation ne soit pas possible ou nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux;
3_ Soit à la combinaison de ces deux facteurs lorsque l'importance du handicap, résultant de chacun d'eux, pris séparément, est moins accentuée; dans ce cas, le handicap résultant de cette combinaison doit être équivalent à celui qui découle des situations visées aux 1_ et 2_ ci-dessus.
Chaque zone est délimitée par arrêté interministériel.»
13 L'article 4 délimite les zones de montagne dans les départements d'outre-mer.
14 L'article 34, qui se trouve dans la section IV du titre III de la loi, relative au développement des produits agricoles et alimentaires de qualité, prévoyait, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits:
«L'indication de provenance `montagne' et les références géographiques spécifiques aux zones de montagne au sens de la présente loi, telles que les noms d'un massif, d'un sommet, d'une vallée, d'une commune ou d'un département, sont protégées. Cette indication de provenance et ces références ne peuvent être utilisées, pour tous les produits mis sur le marché, que dans des conditions fixées par décret en conseil d'État pris après avis des organismes professionnels représentatifs en matière de
certification de qualité. Ce décret détermine notamment les techniques de fabrication, le lieu de fabrication et la provenance des matières premières permettant l'utilisation des références géographiques susmentionnées.»
15 Le décret n_ 88-194 précise les conditions auxquelles doivent satisfaire les produits, leurs matières premières et leurs méthodes de fabrication, afin de bénéficier d'indications faisant référence à la montagne ou à une zone géographique déterminée.
16 Selon l'article 2 de ce décret, l'aire géographique de production, d'élevage, d'engraissement, d'abattage, de préparation, de fabrication, d'affinage et de conditionnement des produits en cause de même que le lieu de provenance des matières premières entrant dans la fabrication des produits transformés doivent être situés dans les zones de montagne définies dans les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi.
17 L'article 3 du décret n_ 88-194 prévoit des exceptions à l'article 2. Il en résulte que l'obligation de provenance de zones de montagne ne s'applique pas aux matières premières qui, pour des raisons naturelles, ne sont pas produites dans ces zones et que le lieu d'abattage des animaux entrant dans la fabrication des produits carnés transformés et le lieu d'abattage et de conditionnement des viandes vendues à l'état frais peuvent ne pas être situés dans les zones de montagne telles que définies
par les articles 3 et 4 de la loi n_ 85-30.
18 Selon l'article 4 du décret n_ 88-194, les produits en cause doivent être produits, préparés ou élaborés en respectant les procédés de fabrication déterminés par arrêtés conjoints du ministre de l'Agriculture et du ministre de la Consommation, pris sur l'avis de la Commission nationale des labels et des commissions régionales des produits alimentaires de qualité.
19 L'article 5 du décret n_ 88-194 dispose que «L'autorisation d'utiliser l'indication `provenance montagne' ou toute référence géographique spécifique aux zones de montagne est délivrée par arrêté conjoint du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation après avis de la commission régionale des produits alimentaires de qualité». Il est ajouté que «Le bénéficiaire de l'autorisation doit apposer sur ses produits un signe distinctif défini par le ministre de l'agriculture».
20 Les intervenants à la procédure devant la Cour, et notamment les prévenus, le gouvernement français et la Commission, se sont exprimés sur la qualification de la réglementation nationale en cause.
21 Les prévenus font valoir que les conditions auxquelles est subordonnée l'utilisation de la dénomination «montagne» sont trop lâches et trop souples pour que celle-ci puisse être considérée comme une indication géographique au sens de l'article 2 du règlement n_ 2081/92. Cette dénomination ne serait pas justifiée par les qualités intrinsèques des produits; il s'agirait seulement d'une mention informative faisant référence à la forme d'un relief caractérisé par une altitude plus ou moins élevée. Le
terme serait purement descriptif, générique et non délimité. Les prévenus ajoutent qu'en réalité la réglementation nationale a pour but d'assurer un débouché aux produits issus de la montagne en leur réservant une protection par une dénomination de fantaisie.
22 Le gouvernement français observe que la dénomination «montagne» s'apparente plus à une dénomination de qualité qu'à une indication de provenance. Il souligne que les conditions objectives et assez strictes relatives à la préparation et à la fabrication des produits alimentaires susceptibles de comporter sur leur étiquetage la mention «montagne» indiquent que le but de la réglementation est de garantir au consommateur, par cette mention, le respect de certaines prescriptions relatives à la qualité
des produits. Les conditions posées par l'article 2 du décret n_ 88-194 viseraient, en particulier, à assurer au consommateur que le produit portant la dénomination «montagne» présente effectivement les qualités attachées par le consommateur aux produits provenant des zones de montagne. La réglementation nationale subordonnerait donc l'octroi de l'autorisation d'emploi de la dénomination aux caractéristiques intrinsèques des produits. Il s'agirait en réalité d'une réglementation qui vise à une
information loyale du consommateur tout en recherchant une certaine promotion des produits en provenance des zones de montagne.
23 La Commission partage en substance l'opinion du gouvernement français relative à la qualification de la réglementation nationale. Selon elle, la dénomination «montagne» peut être assimilée à une indication de provenance simple qui, au vu des dispositions du décret n_ 88/194, constitue un label de qualité visant à promouvoir les produits des zones montagneuses, cette origine étant de nature à valoriser les produits aux yeux des consommateurs.
Le règlement n_ 2081/92
24 La question posée relativement à ce règlement étant celle de savoir s'il s'oppose à l'application d'une réglementation nationale comme celle en cause dans les présentes affaires, il y a lieu de rappeler l'objectif et les dispositions principales de celui-ci.
25 Le règlement n_ 2081/92 rappelle, en ses septième et neuvième considérants,
- que les pratiques nationales dans la mise en oeuvre des appellations d'origine et des indications géographiques sont actuellement disparates; qu'il est nécessaire d'envisager une approche communautaire; que, en effet, un cadre de règles communautaires comportant un régime de protection permettra aux indications géographiques et aux appellations d'origine de se développer du fait que ce cadre garantira, à travers une approche plus uniforme, des conditions de concurrence égale entre les producteurs
de produits bénéficiant de ces mentions et qu'il conduira à une meilleure crédibilité de ces produits aux yeux des consommateurs;
- que le champ d'application du règlement se limite à certains produits agricoles et denrées alimentaires pour lesquels il existe un lien entre les caractéristiques du produit ou de la denrée et son origine géographique.
26 Aux termes de l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 2081/92, on entend par
«a) `appellation d'origine': le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:
- originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et
- dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée;
b) `indication géographique': le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:
- originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays, et
- dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et dont la production et/ou la transformation et/ou l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée.»
27 L'article 4, paragraphe 1, du règlement n_ 2081/92 prévoit que «Pour pouvoir bénéficier d'une appellation d'origine protégée (AOP) ou d'une indication géographique protégée (IGP), un produit agricole ou une denrée alimentaire doit être conforme à un cahier des charges». Il résulte du paragraphe 2 de la même disposition que le cahier des charges comporte, notamment, «les éléments justifiant le lien avec le milieu géographique ou avec l'origine géographique au sens de l'article 2 paragraphe 2 point
a) ou b), selon le cas».
28 En vertu de l'article 8 du règlement, «Les mentions `AOP', `IGP' ou les mentions traditionnelles nationales équivalentes ne peuvent figurer que sur les produits agricoles et les denrées alimentaires conformes au ... règlement».
29 Selon l'article 13, les dénominations, enregistrées par la Commission, sont protégées, notamment, contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte d'une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l'enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée.
30 L'article 13, paragraphe 2, dispose que les États membres peuvent toutefois, si certaines conditions sont respectées, maintenir les mesures nationales autorisant l'utilisation des expressions visées au paragraphe 1 point b) pendant une période limitée à cinq ans au maximum après la date de publication du présent règlement.
31 Il ressort ainsi du règlement n_ 2081/92 que la protection des appellations d'origine et des indications géographiques présuppose un enregistrement, lequel exige que les produits en cause remplissent les conditions du règlement, et notamment celles relatives au lien direct entre la qualité ou les caractéristiques du produit pour lequel l'autorisation est demandée et son origine géographique spécifique.
32 Les intervenants à la procédure devant la Cour observent que la réglementation nationale en cause dans les litiges au principal ne soumet pas l'autorisation d'utiliser la dénomination «montagne» à un tel lien de sorte que les dénominations qu'elle protège ne correspondent à aucune des définitions figurant à l'article 2 du règlement n_ 2081/92.
33 Selon les prévenus, il en résulte que ce règlement s'oppose à l'application de la réglementation nationale en cause. Ils estiment en effet qu'un État membre ne saurait laisser subsister la possibilité pour un produit de bénéficier d'une indication de provenance qui ne soit pas justifiée au regard du règlement.
34 Le gouvernement français et la Commission considèrent en revanche qu'une réglementation telle que celle en cause dans les litiges au principal, dès lors qu'elle sort du champ d'application du règlement n_ 2081/92, n'est pas contraire à celui-ci.
35 A cet égard, il y a lieu de constater qu'une réglementation nationale telle que celle en cause dans les litiges au principal, qui fixe des conditions d'utilisation pour les produits agricoles et alimentaires de la dénomination «montagne», ne peut être considérée comme couvrant une appellation d'origine ou une indication géographique au sens du règlement n_ 2081/92. En effet, la dénomination «montagne» revêt un caractère tout à fait général qui transcende les frontières nationales, alors que,
selon l'article 2 du règlement n_ 2081/92, un lien direct doit exister entre la qualité ou les caractéristiques du produit et son origine géographique spécifique.
36 Plus généralement, la dénomination «montagne» ne constitue pas davantage une indication de provenance, telle que cette notion a été définie par la Cour dans sa jurisprudence relative aux articles 30 et 36 du traité. En effet, selon celle-ci, une indication de provenance est destinée à informer le consommateur que le produit qui en est revêtu provient d'un lieu, d'une région ou d'un pays déterminé (arrêt du 10 novembre 1992, Exportur, C-3/91, Rec. p. I-5529, point 11).
37 Dans ces circonstances, il convient de constater que, comme l'ont relevé le gouvernement français et la Commission, une réglementation nationale, comme celle en cause dans les litiges au principal, qui se limite à donner une protection générale à une dénomination évoquant chez les consommateurs des qualités liées abstraitement à la provenance des produits de zones de montagne, est trop éloignée de l'objet matériel du règlement n_ 2081/92 pour que celui-ci s'oppose à son maintien.
38 A cet égard, il est indifférent que la réglementation nationale en cause protège non seulement la dénomination générale «montagne» en tant que telle, mais également, et selon les mêmes conditions, les références géographiques spécifiques aux zones de montagne telles que la référence «Monts de Lacaune».
39 Comme M. l'avocat général l'a relevé au point 30 de ses conclusions, bien que la référence «Monts de Lacaune» désigne une zone de montagne particulière et qu'elle pourrait par conséquent faire l'objet d'un enregistrement au titre du règlement n_ 2081/92 si les liens entre les caractéristiques du produit en cause et cette zone satisfaisaient aux exigences du règlement, de tels liens ne sont pas nécessaires pour obtenir l'autorisation d'employer cette dénomination au titre de la réglementation
nationale en cause. En effet, il apparaît que celle-ci ne protège ce type de références géographiques que dans la mesure où elles suggèrent une «provenance montagne» et non en tant qu'elles se rapportent à des zones de montagne déterminées.
40 Il convient par conséquent de constater que le règlement n_ 2081/92 ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article 34 de la loi n_ 85-30 et le décret n_ 88-194, qui fixe des conditions d'utilisation, pour les produits agricoles et alimentaires, de la dénomination «montagne».
Les articles 30 et 36 du traité
41 Quant à la seconde partie de la question, le gouvernement français et la Commission observent, à titre liminaire, que les faits des litiges au principal se limitent au territoire national, étant donné que les poursuites ont été engagées contre des ressortissants français et qu'elles concernent des produits français commercialisés sur le territoire français. Selon le gouvernement français, ces poursuites ne relèvent donc pas des articles 30 et 36, relatifs à la libre circulation des marchandises
entre États membres, de sorte qu' il n'y a pas lieu de répondre à la question de la compatibilité d'une réglementation nationale comme celle en cause dans les litiges au principal avec ces dispositions.
42 Cette argumentation ne saurait être accueillie.
43 En effet, selon une jurisprudence constante (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5), l'interdiction édictée à l'article 30 du traité vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire
44 Dès lors, s'il est vrai que l'application d'une mesure nationale n'ayant effectivement aucun lien avec l'importation des marchandises ne relève pas du domaine de l'article 30 du traité (arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9), cette dernière disposition ne peut toutefois pas être écartée pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre.
45 En effet, dans une telle situation, l'application de la mesure nationale peut également avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres, notamment lorsque la mesure en cause favorise la commercialisation des marchandises d'origine nationale au détriment des marchandises importées. Dans de telles circonstances, l'application de la mesure, serait-elle limitée aux seuls producteurs nationaux, crée et maintient par elle-même une différence de traitement entre ces deux
catégories de marchandises entravant, au moins potentiellement, le commerce intracommunautaire.
46 En l'occurrence, le gouvernement français souligne que la législation nationale en cause dans les litiges au principal n'est pas appliquée par ses autorités aux produits importés des autres États membres. Depuis son entrée en vigueur en 1988, aucune poursuite n'aurait été engagée à l'encontre de produits importés des États membres portant la mention «montagne». Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que la réglementation en cause constitue actuellement une mesure d'effet équivalant à une
restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité. Le gouvernement français concède cependant que le texte de l'article 34 de la loi n_ 85-30 n'exclut pas explicitement de son champ d'application les produits importés d'autres États membres et que, par conséquent, on peut émettre l'hypothèse que des produits importés, portant des mentions faisant référence à la montagne, soient considérés comme ayant été mis sur le marché en contradiction avec la réglementation en cause, dès lors qu'ils
n'ont pas obtenu l'autorisation visée.
47 Le gouvernement français ajoute que, dans la mesure où l'application de la réglementation nationale serait susceptible de constituer une entrave à la libre circulation des marchandises, celle-ci serait justifiée par des raisons touchant à la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales.
48 Le gouvernement français ayant admis que la réglementation nationale en cause est susceptible d'être appliquée aux produits importés d'autres États membres, il convient d'abord de constater qu'elle constitue une entrave aux échanges intracommunautaires au sens de l'article 30 du traité.
49 Il y a lieu de relever ensuite qu'une réglementation telle que celle en cause dans les litiges au principal est discriminatoire à l'encontre des marchandises importées des autres États membres dans la mesure où elle réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir des matières premières nationales (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 1978, Eggers, 13/78, Rec. p. 1935, point 25).
50 En effet, il résulte de l'article 2 du décret n_ 88-194 ainsi que des articles 3 à 5 de la loi n_ 85-30 que, pour qu'un produit puisse bénéficier de la dénomination «montagne» ou des références géographiques spécifiques aux zones de montagne, sa production, sa préparation, sa fabrication et son conditionnement doivent être effectués dans des zones de montagne situées sur le territoire français. Il apparaît donc que la réglementation exclut que les produits importés puissent remplir les conditions
auxquelles est subordonnée l'autorisation d'utiliser la dénomination «montagne».
51 De même, l'octroi de cette autorisation est subordonné, selon l'article 2 du décret n_ 88-194, à l'utilisation, lors de la fabrication des produits transformés, de matières premières provenant de zones de montagne situées sur le territoire français. Selon les termes de la réglementation, les produits importés ne peuvent donc pas entrer dans la fabrication des produits transformés portant la dénomination «montagne».
52 Selon une jurisprudence constante, une telle réglementation nationale, dès lors qu'elle revêt un caractère discriminatoire, ne peut trouver sa justification que, le cas échéant, dans l'un des motifs énoncés à l'article 36 du traité (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1981, Commission/Irlande, 113/80, Rec. p. 1625, points 8 et 11).
53 En l'occurrence, il y a lieu de constater qu'aucun des motifs énumérés à l'article 36 ne permet de justifier la réglementation concernée. En effet, parmi ces motifs, seule la protection de la propriété industrielle et commerciale, à savoir en l'espèce la protection des indications de provenance, peut être prise en considération. Or, il résulte du point 36 du présent arrêt que la dénomination «montagne» telle que protégée par la réglementation nationale en cause ne peut être qualifiée comme une
indication de provenance.
54 Il convient donc de répondre à la seconde partie de la question posée que l'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article 34 de la loi n_ 85-30 et le décret n_ 88-194, qui réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales.
55 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si et, le cas échéant, à quelles conditions une réglementation nationale semblable à la législation française concernée, mais qui ne comporterait pas de discrimination à l'encontre des produits importés des autres États membres, pourrait être conforme aux exigences des articles 30 et 36 du traité.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
56 Les frais exposés par les gouvernements français, hellénique et italien, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre),
statuant sur la question à elle soumise par la Cour de cassation française, par arrêts du 3 octobre 1994, dit pour droit:
1) Le règlement (CEE) n_ 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article 34 de la loi n_ 85-30, du 9 janvier 1985, et le décret n_ 88-194, du 26 février 1988, qui fixe des conditions d'utilisation, pour les produits agricoles et alimentaires, de la dénomination «montagne».
2) L'article 30 du traité CE s'oppose à l'application d'une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article 34 de la loi n_ 85-30 et le décret n_ 88-194, qui réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales.