Avis juridique important
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61995J0223
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 7 mai 1997. - A. Moksel AG contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas. - Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg - Allemagne. - Agriculture - Restitutions à l'exportation - Bovins importés de l'ex-RDA en République fédérale d'Allemagne en régime de transit - Incidence de l'unification allemande sur l'origine et le statut de marchandises en libre pratique. - Affaire C-223/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-02379
Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif
Mots clés
Agriculture - Organisation commune des marchés - Restitutions à l'exportation - Produits y donnant droit - Produits originaires de la Communauté ou produits importés mis en libre pratique - Bovins originaires de l'ancienne République démocratique allemande importés sous régime de transit en République fédérale d'Allemagne avant la réunification en vue d'une réexportation vers un pays tiers - Exclusion
(Traité CE, art. 9, § 2; règlement de la Commission n_ 3665/87, art. 8, § 1)
Sommaire
Les dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 3665/87, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, et de l'article 9, paragraphe 2, du traité doivent être interprétées en ce sens que ne sont ni d'origine communautaire ni en libre pratique sur le territoire de la Communauté, et, dès lors, ne sont pas susceptibles de bénéficier de restitutions à l'exportation, des produits d'abattage de bovins exportés
avant le 3 octobre 1990, date de la réunification allemande, de l'ancienne République démocratique allemande après accomplissement des formalités douanières d'exportation et octroi des restitutions à l'exportation dans ce pays, puis importés sous régime du transit et placés en entrepôt en République fédérale d'Allemagne en vue d'être réexportés vers un pays tiers.
A cet égard, la réunification allemande n'a pas eu d'effet sur la qualification des marchandises en cause, qui étaient, au moment de leur importation sous le régime de transit, originaires d'un pays tiers à l'égard de la Communauté et qui n'ont pas été mises en libre pratique dans celle-ci. Ce n'est qu'à compter de l'adhésion de l'ancienne République démocratique allemande à la République fédérale d'Allemagne et uniquement pour l'avenir que les marchandises se trouvant en libre pratique sur le
territoire de la première ont acquis une origine communautaire, celles ayant quitté ce territoire avant l'adhésion ne pouvant pas acquérir rétroactivement une telle origine.
Parties
Dans l'affaire C-223/95,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE, par le Finanzgericht Hamburg et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Firma A. Moksel AG
et
Hauptzollamt Hamburg-Jonas
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), et de l'article 9, paragraphe 2, du traité CE,
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. J. C. Moitinho de Almeida, président de chambre, L. Sevón (rapporteur), C. Gulmann, J.-P. Puissochet et M. Wathelet, juges,
avocat général: M. P. Léger,
greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour A. Moksel AG, par Me Dietrich Ehle, avocat à Cologne,
- pour le gouvernement allemand, par M. Ernst Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. Klaus-Dieter Borchardt, membre du service juridique, en qualité d'agent,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de A. Moksel AG, du gouvernement allemand et de la Commission à l'audience du 9 janvier 1997,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 février 1997,
rend le présent
Arrêt
Motifs de l'arrêt
1 Par ordonnance du 7 juin 1995, parvenue à la Cour le 27 juin suivant, le Finanzgericht Hamburg a posé, en application de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle portant sur l'interprétation des dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles (JO L 351, p. 1), et de l'article 9, paragraphe 2, du
traité CE.
2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant A. Moksel AG (ci-après «Moksel») au Hauptzollamt Hamburg-Jonas au sujet de l'octroi de restitutions à l'exportation pour des produits d'abattage de bovins.
3 Il résulte de l'article 18, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24), que, dans la mesure nécessaire pour permettre l'exportation des produits visés au règlement sur la base des cours ou des prix de ces produits sur le marché mondial, la différence entre ces cours ou prix et les prix dans la Communauté peut être couverte par une restitution à l'exportation.
4 Conformément à l'article 18 du règlement n_ 805/68, le Conseil a adopté, le 28 juin 1968, le règlement (CEE) n_ 885/68, établissant, dans le secteur de la viande bovine, les règles générales concernant l'octroi des restitutions à l'exportation, et les critères de fixation de leur montant (JO L 156, p. 2), dont l'article 6, paragraphe 1, dispose:
«La restitution est payée lorsque la preuve est apportée que les produits:
- ont été exportés hors de la Communauté et
- sont d'origine communautaire, sauf dérogation décidée en vertu de l'article 7.»
5 Aux termes de l'article 7 du règlement n_ 885/68:
«Sauf dérogation décidée selon la procédure prévue à l'article 27 du règlement (CEE) n_ 805/68, aucune restitution n'est accordée lors de l'exportation de produits visés à l'article 1er dudit règlement, importés des pays tiers et réexportés vers les pays tiers.»
6 La procédure visée à cette disposition est celle du comité de gestion de la viande bovine.
7 Selon l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 3665/87, règlement qui a été adopté, selon le dernier considérant, conformément aux avis de tous les comités de gestion concernés, «Une restitution n'est accordée que pour les produits qui répondent aux conditions de l'article 9, paragraphe 2, du traité».
8 L'article 9, paragraphe 2, du traité prévoit que l'élimination des droits de douane et des restrictions quantitatives entre les États membres s'applique aux produits qui sont originaires des États membres, ainsi qu'à ceux en provenance de pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans les États membres.
9 Selon l'article 10, paragraphe 1, du traité CE, «Sont considérés comme étant en libre pratique dans un État membre les produits en provenance de pays tiers pour lesquels les formalités d'importation ont été accomplies et les droits de douane et taxes d'effet équivalent exigibles ont été perçus dans cet État membre, et qui n'ont pas bénéficié d'une ristourne totale ou partielle de ces droits et taxes.»
10 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, en 1990, Moksel a importé un certain nombre de bovins en provenance de l'ex-RDA en vue de leur abattage lors de leur transit en République fédérale d'Allemagne et de leur réexportation vers l'ex-URSS. En outre, selon les observations déposées devant la Cour, des restitutions à l'exportation ont été octroyées conformément à la législation alors en vigueur dans l'ex-RDA.
11 En République fédérale d'Allemagne, ces bovins étaient couverts par des autorisations de transit délivrées les 23 avril et 15 mai 1990. Diverses mentions préimprimées sur les formulaires d'autorisation rappelaient les conditions du transit et, notamment, l'obligation de maintenir les animaux sous le régime de l'entrepôt douanier dans cet État membre jusqu'à l'exportation de la viande et des abats.
12 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les bovins qui devaient être expédiés ont fait l'objet d'une déclaration en douane auprès des autorités douanières de l'ex-RDA sur présentation, notamment, d'un contrat d'exportation, d'un document de suivi relatif aux envois à destination de la République fédérale d'Allemagne et d'une lettre de voiture internationale. Le bureau de douane compétent de l'ex-RDA a procédé aux formalités nécessaires à l'exportation des animaux sur une annexe du contrat
d'exportation. Lorsque les animaux ont été introduits en République fédérale d'Allemagne, au cours de la période du 24 mai au 22 juin 1990, ils ont été présentés aux autorités douanières compétentes de cet État membre, qui ont établi un document de transfert qui a été confirmé par le bureau principal de douane compétent et pourvu d'un cachet. Ce document a accompagné les bovins du bureau de douane situé à la frontière jusqu'à l'abattoir et a été ensuite remis au service douanier intérieur concerné
lors de la mise en entrepôt des produits issus de l'abattage. Après cet abattage, une attestation indiquant que les marchandises faisaient l'objet d'une mise sous entrepôt douanier a été délivrée.
13 Le 10 janvier 1991, Moksel a accompli les formalités d'exportation des produits issus de l'abattage vers l'ex-URSS et a introduit, le 15 janvier 1991, auprès du Hauptzollamt Hamburg-Jonas une demande de restitutions à l'exportation. Selon Moksel, l'instauration de «l'union agricole de facto», le 1er août 1990, ou, à tout le moins, la réunification de l'ex-RDA et de la République fédérale d'Allemagne intervenue le 3 octobre 1990 aurait eu pour conséquence une modification du statut juridique des
marchandises qui devraient dès lors être considérées comme étant d'origine communautaire.
14 Après avoir vainement fait une réclamation, Moksel a introduit un recours devant la juridiction de renvoi qui a sursis à statuer et a renvoyé à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 3665/87 dans sa rédaction du 27 novembre 1987, modifiée le 8 décembre 1988, et de l'article 9, paragraphe 2, du traité CE doivent-elles être interprétées en ce sens que ces dispositions visent également les produits qui ont été importés entre le 24 mai et le 22 juin 1990 de l'ex-RDA vers la République fédérale sur la base d'une dérogation accordée pour la transformation de marchandises en transit et ont été exportés le 10
janvier 1991 vers un pays tiers?»
15 Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si des restitutions à l'exportation doivent être octroyées en raison de l'exportation, vers un pays tiers, de produits issus de l'abattage de bovins qui ont été importés, sous régime de transit, de l'ex-RDA en République fédérale d'Allemagne peu avant la réunification allemande. Le problème qui sous-tend cette question est celui de l'effet de cette réunification sur le statut juridique, en droit communautaire, de ces marchandises
et la qualification de «marchandises originaires d'un État membre» ou de «marchandises en libre pratique» au sens des dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 3665/87 et de l'article 9, paragraphe 2, du traité.
16 Le règlement applicable à l'époque des faits au principal pour déterminer l'origine des marchandises était le règlement (CEE) n_ 802/68 du Conseil, du 27 juin 1968, relatif à la définition commune de la notion d'origine des marchandises (JO L 148, p. 1). L'article 4, paragraphe 1, de ce règlement prévoit: «Sont originaires d'un pays les marchandises entièrement obtenues dans ce pays.» Selon l'article 4, paragraphe 2, sous c), de ce règlement, il convient d'entendre, par marchandises entièrement
obtenues dans un pays, «les animaux vivants qui y sont nés et élevés».
17 Il y a donc lieu de conclure que, au moment de leur importation sous le régime de transit, les bovins étaient originaires de l'ex-RDA, c'est-à-dire d'un pays tiers à l'égard de la Communauté.
18 Dès lors que ces bovins ont été importés sous le régime de transit, ils n'ont pas été mis en libre pratique dans la Communauté, en sorte qu'ils n'auraient en aucune manière pu acquérir une origine communautaire pendant leur présence sur le territoire de la République fédérale d'Allemagne.
19 Moksel conteste cependant que les marchandises importées aient été couvertes par des autorisations de transit, prétendant, au contraire, qu'elles ont été importées dans le cadre du commerce intérieur allemand, sans qu'aucune formalité douanière ait été accomplie.
20 Il résulte toutefois d'une jurisprudence constante que, en vertu de l'article 177 du traité, basé sur une nette séparation de fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, celle-ci est uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité d'un texte communautaire, à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 16 mars 1978, Oehlschlaeger, 104/77, Rec. p. 791, point 4). En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé au point 12
du présent arrêt, il est précisé dans l'ordonnance de renvoi que les formalités d'exportation des marchandises de l'ex-RDA ont été accomplies, de même que celles d'importation en République fédérale d'Allemagne, sous le régime de transit avec placement sous contrôle douanier (régime d'entrepôt).
21 Moksel soutient également que les bovins importés entre les mois de mai et de juin 1990 de l'ex-RDA ont acquis une origine communautaire en raison de la réunification allemande, soit, au plus tard, lors de la mise en oeuvre, le 3 octobre 1990, du traité du 31 août 1990 relatif à l'établissement de l'unité allemande (BGBl. 1990 II, p. 889).
22 Or, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 40 de ses conclusions, l'article 10 du traité d'unification a eu pour effet de rendre la législation communautaire applicable sur le territoire de l'ex-RDA à partir de l'adhésion de ce pays à la République fédérale d'Allemagne, soit le 3 octobre 1990. Ce n'est donc qu'à compter de cette date et pour l'avenir que les marchandises se trouvant en libre pratique sur le territoire de l'ex-RDA ont acquis une origine communautaire, celles ayant
quitté ce territoire avant cette date ne pouvant pas acquérir rétroactivement une telle origine.
23 C'est d'ailleurs ce qui ressort du point 3 de la note du 24 octobre 1990 de la Commission à l'attention des délégations du comité de gestion «Mécanismes des échanges», selon lequel ne sont pas en libre pratique dans la Communauté les marchandises de l'ex-RDA qui, le 2 octobre 1990, ne se trouvaient plus en libre pratique dans ce pays, notamment parce que les formalités douanières pour l'octroi de restitutions à l'exportation par l'ex-RDA avaient été accomplies.
24 Les bovins dans l'affaire au principal n'étaient, dès lors, plus en libre pratique dans l'ex-RDA à la date de la réunification puisqu'ils avaient été exportés avant cette date de ce pays, après que les formalités douanières d'exportation ont été accomplies dans l'ex-RDA et que les restitutions à l'exportation ont été versées par ce pays. Ils n'ont donc pas pu changer d'origine en raison de la réunification. Par ailleurs, ils ont été importés en République fédérale d'Allemagne sous le régime de
transit et, par conséquent, n'ont pas pu acquérir, à la date du 3 octobre 1990, une origine communautaire en raison de leur présence sur le territoire de cet État membre.
25 Il y a donc lieu de répondre que les dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement n_ 3665/87 et de l'article 9, paragraphe 2, du traité doivent être interprétées en ce sens que ne sont ni d'origine communautaire ni en libre pratique sur le territoire de la Communauté, et, dès lors, ne sont pas susceptibles de bénéficier de restitutions à l'exportation, des produits d'abattage de bovins, lesquels, avant le 3 octobre 1990, date de la réunification allemande, ont été exportés de
l'ex-RDA après que les formalités douanières d'exportation ont été accomplies dans ce pays et que des restitutions à l'exportation ont été octroyées, et importés en République fédérale d'Allemagne sous régime de transit et de placement en entrepôt en vue d'être réexportés vers un pays tiers.
Décisions sur les dépenses
Sur les dépens
26 Les frais exposés par le gouvernement allemand ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Dispositif
Par ces motifs,
LA COUR
(cinquième chambre)
statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Hamburg, par ordonnance du 7 juin 1995, dit pour droit:
Les dispositions combinées de l'article 8, paragraphe 1, du règlement (CEE) n_ 3665/87 de la Commission, du 27 novembre 1987, portant modalités communes d'application du régime des restitutions à l'exportation pour les produits agricoles, et de l'article 9, paragraphe 2, du traité CE doivent être interprétées en ce sens que ne sont ni d'origine communautaire ni en libre pratique sur le territoire de la Communauté, et, dès lors, ne sont pas susceptibles de bénéficier de restitutions à l'exportation,
des produits d'abattage de bovins, lesquels, avant le 3 octobre 1990, date de la réunification allemande, ont été exportés de l'ex-RDA après que les formalités douanières d'exportation ont été accomplies dans ce pays et que des restitutions à l'exportation ont été octroyées, et importés en République fédérale d'Allemagne sous régime de transit et de placement en entrepôt en vue d'être réexportés vers un pays tiers.