Avis juridique important
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61995C0127
Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 17 avril 1997. - Norbrook Laboratories Ltd contre Ministry of Agriculture, Fisheries and Food. - Demande de décision préjudicielle: Court of Appeal (Northern Ireland) - Royaume-Uni. - Directives 81/851/CEE et 81/852/CEE - Médicaments vétérinaires - Autorisation de mise sur le marché. - Affaire C-127/95.
Recueil de jurisprudence 1998 page I-01531
Conclusions de l'avocat général
1 La Court of Appeal in Northern Ireland (ci-après la «Court of Appeal») vous interroge en interprétation et en appréciation de validité de certaines dispositions des directives du Conseil 81/851/CEE (1) et 81/852/CEE (2). Il s'agit plus précisément de celles relatives aux renseignements sur le fabricant, sur le processus de fabrication et sur les opérations de contrôle de la composition d'un principe non actif (ou encore une «substance») entrant dans la composition d'un des principes actifs
nécessaire à la fabrication d'un médicament vétérinaire pour lequel une autorisation de mise sur le marché (ci-après l'«AMM») est sollicitée, que peut valablement exiger l'autorité nationale compétente en matière d'octroi, de suspension et de retrait d'AMM de médicament vétérinaire (ci-après l'«autorité compétente»). Vous êtes en outre invités à vous prononcer sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire.
Le cadre factuel et procédural
2 Norbrook Laboratories Ltd (ci-après «Norbrook» ou la «requérante au principal»), une société anglaise à responsabilité limitée, fabrique et distribue dans quarante-cinq pays un produit injectable connu sous la dénomination «Pen & Strep», à partir de son établissement de production situé à Newry, en Irlande du Nord.
3 Ce médicament vétérinaire est un antibiotique fréquemment utilisé pour le traitement d'infections bactériennes chez les bovins, les porcins et les ovidés. Il contient principalement deux principes actifs, la pénicilline de procaïne (ci-après la «PP») et le sulfate de dihydrostreptomycine (ci-après le «DHS»).
4 Le DHS est lui-même fabriqué à partir du sulfate de streptomycine (ci-après le «SS» ou encore le «produit litigieux» ou la «substance litigieuse») qui n'est pas un principe actif. Ces deux substances ont été très largement utilisées dans des produits destinés au traitement des animaux et sont généralement considérées comme efficaces et n'engendrant que peu d'effets secondaires.
5 Le Pen & Strep a été mis sur le marché pour la première fois en Irlande et au Royaume-Uni en 1968, aux Pays-Bas en 1970, en Belgique et en France en 1981, et au Danemark en 1989.
6 A la suite de l'entrée en vigueur des directives communautaires concernant l'AMM des médicaments vétérinaires (3), Norbrook a déposé, le 28 août 1987, une demande d'AMM «révisée» (4) pour le Pen & Strep auprès du Ministry of Agriculture, Fisheries and Food (ci-après le «MAFF» ou le «défendeur au principal»), l'autorité compétente, qui délègue certains pouvoirs d'exécution au Veterinary Medicines Directorate (ci-après le «VMD»). Elle spécifiait dans sa demande que ce médicament serait fabriqué à
partir du DHS fourni par la société Rhône-Poulenc Industrie en France.
7 Le 9 mars 1990, la requérante au principal a demandé à être autorisée à commercialiser le Pen & Strep fabriqué à partir du DHS, produit depuis de longues années par elle-même, et du SS, acheté auprès d'une vingtaine de fournisseurs.
8 A la suite de ces nouvelles données, le VMD a prié Norbrook de lui transmettre un certain nombre d'informations sur l'identité et la localisation desdits fournisseurs de SS, ainsi que sur les méthodes de fabrication et de contrôle dudit produit. Devant son mutisme, le VMD lui a notifié, le 13 mai 1991, que l'autorisation préalablement accordée pour le produit Pen & Strep expirait avec effet au 12 mars 1991 et que l'autorisation «révisée» qui la remplaçait lui permettait seulement d'utiliser le DHS
de la source indiquée par elle dans sa demande du 28 août 1987.
9 Sur les raisons pour lesquelles elle ne peut déférer à ces demandes, Norbrook explique: «Ces renseignements, il est fréquent que Norbrook elle-même ne soit pas en état de les obtenir lorsqu'elle achète à des intermédiaires sur le marché au comptant. Même dans les cas où Norbrook pourrait obtenir l'identité du fabricant de SS, de nombreux fabricants, spécialement hors d'Europe, ne seraient pas disposés à révéler à des agences gouvernementales d'un pays `étranger' des renseignements confidentiels
sur leurs procédés de fabrication et de contrôle» (5).
10 Cette demande de renseignements supplémentaires réclamés par le VMD se trouve à l'origine du contentieux qui a conduit Norbrook devant la High Court of Justice in Northern Ireland, Queen's Bench Division, dont le jugement a été frappé d'appel devant la Court of Appeal. Estimant que la solution du litige dépend de l'interprétation et de l'appréciation en validité des dispositions communautaires en la matière, cette juridiction vous soumet les sept questions suivantes:
«1) Les directives du Conseil 81/851/CEE et 81/852/CEE (et, en particulier, les articles 5, 8, 9, 11, 29 à 31, 35, 40 et 41 de la directive 81/851/CEE ainsi que la première partie de l'annexe de la directive 81/852/CEE, dans leur version originelle) doivent-elles être interprétées comme permettant à l'autorité compétente d'un État membre, dans des circonstances telles que celles décrites dans l'ordonnance de renvoi,
a) d'exiger de celui qui sollicite une autorisation de mise sur le marché pour un médicament vétérinaire (`le médicament') qu'il identifie - ou fasse en sorte que soient identifiés vis-à-vis de l'autorité compétente - les noms et adresses du ou des fabricants d'une substance particulière (`la substance') dont il entend se procurer certaines quantités, en tant que celle-ci entre dans la fabrication, par le demandeur, de l'un des principes actifs (`le principe actif') du produit, et qu'il fournisse -
ou fasse en sorte que soient fournis - à l'autorité compétente les détails du site ou des sites de fabrication de la substance, ainsi que les procédés de fabrication et les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant de la substance;
b) d'exiger de celui qui sollicite une autorisation de mise sur le marché qu'il fournisse à l'autorité compétente, en vue de leur homologation, les résultats des expérimentations devant être effectuées sur chaque lot de la substance achetée par le demandeur et s'abstienne de mettre en vente un lot quelconque du produit jusqu'à ce qu'une telle homologation ait été donnée pour le lot considéré de la substance dont il s'agit;
c) d'exiger du demandeur (que ce soit par des conditions d'autorisation spécifiques ou en réservant l'octroi d'une autorisation de mise sur le marché, ou par tout autre moyen) soit qu'il se conforme à l'une des deux exigences précitées (ou aux deux) ou qu'il ne commercialise le produit que si celui-ci a été préparé en utilisant les quantités de principe actif achetées auprès d'un tiers déterminé au lieu du principe actif fabriqué par le fabricant lui-même;
d) de suspendre le délai d'octroi de l'autorisation de mise sur le marché prévu à l'article 8 de la directive 81/851/CEE jusqu'à ce que le demandeur ait accepté de fournir l'information visée au point a) ci-dessus?
2) La circonstance que le processus de fabrication du produit soit continu ou discontinu est-elle pertinente aux fins des réponses aux questions 1) a) à 1) d) et quelle serait, dans ce cas, l'incidence sur les réponses à ces questions?
3) La circonstance qu'il soit raisonnablement impossible à un demandeur d'obtenir tout ou partie des informations visées dans la question 1) a) serait-elle, le cas échéant, pertinente aux fins des réponses aux questions 1) a) à 1) d) et, dans l'affirmative, quelle serait l'incidence sur les réponses à ces questions?
4) a) Si les demandes d'information supplémentaire et les autres exigences décrites dans la question 1 ci-dessus, ou l'une ou l'autre d'entre elles, sont prima facie admissibles en vertu des directives du Conseil 81/851/CEE et 81/852/CEE, de telles demandes et de telles exigences doivent-elles satisfaire au principe de proportionnalité édicté par le droit communautaire?
b) En cas de réponse affirmative à la question sous a), ces principes doivent-ils être appliqués en l'espèce par la juridiction nationale ou par la Cour de justice?
c) i) Si ces principes doivent être appliqués par la Cour, les demandes et exigences précitées, ou l'une ou l'autre d'entre elles, enfreignent-elles les principes de proportionnalité?
ii) Si ces principes doivent être appliqués par la juridiction nationale, suivant quels critères et quelles considérations la proportionnalité des demandes et exigences doit-elle être appréciée?
5) Convient-il d'interpréter les articles 30 à 36 du traité CE en ce sens qu'ils interdisent tout ou partie des demandes et exigences décrites ci-dessus?
6) a) L'article 40 de la directive du Conseil 81/851/CEE doit-il être interprété comme s'appliquant aux demandes et exigences décrites ci-dessus?
b) Dans l'affirmative, dans quelles circonstances et par rapport à quels critères les motifs invoqués à l'appui de telles demandes et exigences doivent-ils être considérés comme inadéquats aux fins de l'article 40 et ces demandes et exigences sont-elles en l'espèce suffisamment motivées en droit?
7) a) La responsabilité d'un État membre peut-elle être engagée, en droit communautaire, aux fins de l'indemnisation d'une entreprise pour le préjudice qu'elle a subi du fait qu'elle s'est vu imposer les demandes et conditions décrites ci-dessus, dès lors qu'elles sont
i) incompatibles avec les dispositions des directives du Conseil 81/851 et/ou 81/852;
ii) contraires aux principes de proportionnalité;
iii) interdites par les articles 30 à 36 du traité CE;
iv) insuffisamment motivées au sens de l'article 40 de la directive 81/851?
b) En cas de réponse affirmative aux questions 7, sous a), i), ii), iii) et iv), ou à l'une ou l'autre d'entre elles, dans quelles conditions cette responsabilité est-elle engagée?»
11 Les deuxième et troisième questions préjudicielles précisent la première, qui vous invite à juger si les directives 81/851 et 81/852 doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent une autorité compétente à exiger du demandeur d'AMM d'un médicament vétérinaire (ci-après le «demandeur d'AMM» ou encore le «responsable de la mise sur le marché»), d'une part, des renseignements sur le fabricant et sur le processus de fabrication d'un principe non actif entrant dans la composition d'un des
principes actifs nécessaire à la fabrication de ce médicament vétérinaire et, d'autre part, des informations sur les opérations de contrôle de la composition de la substance elle-même. La sixième question porte sur l'interprétation de l'article 40 de la directive 81/851.
12 En cas de réponse affirmative à la première question, vous êtes invités, dans les quatrième et cinquième questions préjudicielles, à apprécier la validité de ces prescriptions au regard des principes de proportionnalité et des articles 30 à 36 du traité.
13 Dans l'hypothèse d'une réponse négative à la première question, vous êtes finalement interrogés, dans une septième question, sur les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire.
Le cadre réglementaire
La législation communautaire
14 Au sein de l'Union, l'harmonisation des conditions d'octroi, de suspension et de retrait des AMM de spécialités pharmaceutiques à usage humain a été réalisée en 1965 par la directive 65/65/CEE du Conseil (6), toujours applicable bien que modifiée à diverses reprises. Votre Cour a été appelée de nombreuses fois à se prononcer sur l'interprétation de ces textes (7).
15 En ce qui concerne les médicaments vétérinaires, cette harmonisation n'a été réalisée qu'en 1981 par les deux directives précitées, assez sensiblement amendées depuis pour tenir compte des progrès de la science (8).
16 A l'instar de la directive 65/65, la directive 81/851 se présente comme «une étape dans la réalisation de l'objectif de la libre circulation des médicaments vétérinaires» (9). Votre Cour a très rarement été appelée à interpréter les directives 81/851 et 81/852 (10), contrairement à celles relatives au médicament à usage humain.
17 Le juge national limite expressément l'objet de son renvoi au régime prévu par les directives 81/851 et 81/852 dans leurs versions initiales.
Les dispositions pertinentes de la directive 81/851
18 Cette directive vise à harmoniser les législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires et, notamment, les conditions de délivrance, de suspension et de retrait des AMM. Les objectifs poursuivis par cette législation sont de deux ordres: la sauvegarde de la santé publique et la libre circulation du médicament. Ainsi, en son premier considérant, elle précise que toute réglementation en matière de production et de distribution des médicaments vétérinaires doit avoir pour
objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique. Au onzième considérant, il est souligné que la directive ne constitue qu'une étape dans la réalisation de l'objectif de la libre circulation des médicaments vétérinaires et que de nouvelles mesures s'avéreront nécessaires, compte tenu de l'expérience acquise, en vue d'éliminer les obstacles à la libre circulation de ces marchandises qui subsistent encore.
19 Son article 4, paragraphe 1, dispose que:
«Aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre.»
20 L'article 5, paragraphe 2, de la directive 81/851 précise en treize points le contenu du dossier qui doit être fourni à l'appui d'une demande d'octroi d'AMM.
21 Aux termes du premier alinéa de l'article 8, la durée de la procédure pour l'octroi de l'AMM ne doit pas excéder cent vingt jours à compter de la date de la présentation de la demande.
22 Après avoir souligné que le dossier présenté à l'appui d'une telle demande devait être établi par des experts possédant les qualifications techniques ou professionnelles nécessaires (11), la directive 81/851 explicite le rôle de ces experts (12).
23 L'article 9 règle la procédure d'instruction des demandes d'octroi d'AMM.
24 L'article 11 précise que l'AMM doit être refusée dès lors que, d'une part, la documentation et les renseignements présentés à l'appui de la demande ne sont pas conformes aux dispositions des articles 5, 6 et 7, précités, et que, d'autre part, le médicament vétérinaire n'assure pas la protection de la santé publique, des consommateurs ou de la santé des animaux. De ce fait, il doit respecter les trois critères communément définis en la matière: qualité, innocuité et efficacité thérapeutique.
25 L'article 40 énonce les règles relatives à la motivation et à la notification de certaines décisions prises dans le cadre de la directive.
26 Par ailleurs, l'article 41 prévoit que toute décision de refus, de retrait ou de suspension d'AMM ne peut être prise que pour les raisons limitativement énumérées par la directive.
Les dispositions pertinentes de la directive 81/852
27 La directive 81/852 vise à rapprocher les législations nationales des États membres en ce qui concerne les méthodes de contrôle des médicaments vétérinaires, en imposant aux autorités compétentes d'instruire les demandes d'AMM conformément aux protocoles décrits à l'annexe de cette directive `normes et protocoles'. En son premier considérant, elle précise qu'elle entend assurer l'application des principes posés par la directive 81/851. Son troisième considérant souligne ainsi que «... des normes
et protocoles pour l'exécution des essais sur les médicaments vétérinaires, qui sont un moyen efficace pour le contrôle de ceux-ci et, partant, pour la sauvegarde de la santé publique, sont de nature à faciliter la circulation des médicaments vétérinaires s'ils fixent des règles communes pour la conduite des essais et la constitution des dossiers» (13).
28 Elle pose le principe du respect de standards minimaux quant aux méthodes de contrôle des médicaments vétérinaires:
«Les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que les renseignements et documents qui doivent être joints à la demande d'autorisation de mise sur le marché d'un médicament vétérinaire, en vertu de l'article 5, deuxième alinéa, points 3, 4, 6, 8, 9 et 10, de la directive 81/851/CEE, soient présentés par les intéressés, conformément à l'annexe de la présente directive» (14).
29 Cette annexe comporte trois parties (autrement nommées «protocoles»). La première partie est consacrée aux essais analytiques des médicaments vétérinaires (15); la deuxième partie porte sur les essais de toxicité, de pharmacodynamie (16) et de pharmacocinétique (17); la troisième partie est réservée aux essais cliniques (18).
30 Les dispositions pertinentes pour la solution des questions posées figurent au premier protocole. Il est subdivisé en six parties respectivement désignées de A à F, traitant respectivement: de la composition qualitative et quantitative des composants (A), de la description du mode de préparation (B), du contrôle des matières premières (C), des contrôles en cours de fabrication (D), des contrôles du produit fini (E) et, enfin, des essais de stabilité (F).
31 Nous reviendrons précisément sur le contenu des prescriptions des directives 81/851 et 81/852 lors des développements que nous consacrerons aux réponses aux questions posées (19).
La législation nationale
32 Au Royaume-Uni, les directives 81/851 et 81/852 ont été considérées comme mises en oeuvre par le Medicines Act 1968 (ci-après la «loi de 1968»), tel que modifié, et par la législation dérivée.
33 Tout médicament vétérinaire doit faire l'objet d'une AMM (20), dont la demande d'octroi doit respecter des critères et une procédure spécifiques (21).
34 Divers renseignements sont exigés (22) dans le cas d'un médicament - que celui-ci soit à usage humain ou vétérinaire - fabriqué ou assemblé au Royaume-Uni.
35 Les AMM sont normalement valables pour une durée de cinq ans, sauf indication d'une durée plus brève.
36 Au moment de l'entrée en vigueur des directives 81/851 et 81/852, les AMM précédemment accordées pour les médicaments vétérinaires ont été réexaminées selon la procédure de «révision», prévue par la directive 81/851, qui a pour but de vérifier que les produits ayant fait l'objet d'une AMM sont conformes aux dispositions communautaires.
37 C'est dans le cadre de cette procédure d'AMM «révisée» que le litige est né entre Norbrook et le VMD (23).
Réponses aux questions préjudicielles portant sur l'interprétation des directives 81/851 et 81/852
La première question
38 La première question porte en substance sur deux points: les exigences imposées par les directives 81/851 et 81/852 en matière d'octroi d'AMM et celles relatives aux conditions de suspension et de refus d'AMM du médicament vétérinaire.
Les exigences imposées par les directives 81/851 et 81/852 en matière d'octroi d'AMM
39 Le point a) de la première question vous invite à juger si, dans les circonstances telles que celles décrites par la décision de renvoi, les directives 81/851 et 81/852 doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent une autorité compétente à exiger du responsable de la mise sur le marché des renseignements sur le fabricant - savoir les noms et adresses du ou des fabricants et les détails sur le ou les sites de fabrication d'une substance -, sur le processus de fabrication ainsi que sur
les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant d'une substance telle que le SS.
40 Les articles 5, 6, 7, et 9, point 1, de la directive 81/851 prévoient quelles sont les obligations que doivent respecter les États membres avant d'accorder l'AMM d'un médicament vétérinaire. La directive `normes et protocoles' complète et précise les méthodes de contrôle à appliquer au médicament vétérinaire pour lequel une AMM est demandée.
41 S'agissant des prescriptions fixées par les directives communautaires d'harmonisation en matière d'AMM de médicaments à usage humain (24), vous avez jugé, dans un arrêt du 5 octobre 1995, Scotia Pharmaceuticals, qu'elles doivent impérativement être respectées par les autorités compétentes:
«... il convient de rappeler que le pouvoir d'appréciation de l'autorité compétente est limité. D'une part, il s'exerce sur les conclusions du rapport d'expert agissant conformément à la réglementation en vigueur quant à la faisabilité d'un essai. A cet égard, les dispositions précitées ne peuvent en effet être interprétées en ce sens qu'elles imposent des essais matériellement irréalisables. D'autre part, l'autorité compétente peut faire usage de son pouvoir d'appréciation afin de vérifier si le
demandeur d'autorisation, et donc l'expert qui a préparé le dossier à l'appui de la demande, a tenu compte de l'état d'avancement de la technique et du progrès de la science et s'il s'est assuré que les publications scientifiques, sur la base desquelles une demande d'autorisation selon la procédure abrégée est présentée, sont toujours actuelles» (25).
42 Nous pensons que cette jurisprudence doit être transposée à la présente affaire dans la mesure où le libellé des différentes dispositions des directives d'harmonisation en matière d'AMM de médicaments à usage humain et vétérinaire est similaire (26), comme le sont également leurs objectifs (27).
43 De ce fait, conformément à l'arrêt Scotia Pharmaceuticals, toutes les prescriptions nombreuses et précises figurant dans les directives 81/851 et 81/852 doivent être respectées par l'autorité compétente.
44 Le degré d'exigence relatif à ces renseignements dépend de la nature du produit en cause (excipient, principe actif ou éléments de mise en forme pharmaceutique (28)). C'est la raison pour laquelle il est important de déterminer celle du SS, substance litigieuse en l'espèce.
45 Dans l'exposé du cadre factuel du litige au principal (29), il est précisé que le SS n'est pas un principe actif, mais qu'il entre dans la fabrication du principe actif, le DHS, dont il est l'unique ingrédient, et qu'il est fabriqué à partir du produit litigieux (30).
46 A l'audience, l'expert de la Commission a précisé que le produit litigieux devait être considéré comme une «matière de départ» au sens de la directive 92/18 qui dispose que:
«Lorsque des matières de départ telles que des micro-organismes, des tissus d'origine végétale ou animale, des cellules ou des liquides biologiques (y compris le sang) d'origine humaine ou animale, ou des constructions cellulaires biotechnologiques, sont utilisées dans la fabrication du médicament vétérinaire, l'origine et l'historique des matières premières doivent être décrits et documentés.
La description des matières premières doit couvrir la stratégie de production, les procédés de purification/inactivation, avec leur validation, et toutes les procédures de contrôle en cours de fabrication destinées à assurer la qualité, la sécurité et la conformité des lots du produit fini» (31).$
Selon cet expert, cette «matière de départ» est assimilable à une «matière première» au sens des directives 81/851 et 81/852. Le Royaume-Uni se rallie à cette opinion (32).
47 Norbrook conteste les résultats de l'analyse scientifique à laquelle se sont livrés les experts de la Commission et du Royaume-Uni et s'oppose à ce que le SS soit considéré comme une matière première. Elle se prévaut des résultats d'une expertise effectuée à sa demande et argue du fait que la directive 92/18 est entrée en vigueur postérieurement au litige qui l'oppose au MAFF.
48 Nous ne pensons pas que ce dernier argument soit de nature à empêcher l'autorité compétente d'exiger la production de nouveaux essais à l'appui d'une demande d'AMM, et ce pour deux raisons essentielles.
49 En premier lieu, le législateur communautaire a indiqué lui-même que, en raison de la spécificité de l'objet de ces directives, les essais prévus par la directive 81/852 pouvaient être remplacés par d'autres, plus pertinents au regard de l'évolution des données scientifiques (33). Ainsi, l'article 14, premier alinéa, de la directive 81/851 dispose:
«Le responsable de la mise sur le marché doit modifier la méthode de contrôle prévue à l'article 5, point 9 (34), en fonction de l'avancement de la technique et du progrès de la science, lorsqu'une telle modification est nécessaire pour permettre un contrôle plus sûr du médicament vétérinaire.»
50 En décider autrement risquerait de neutraliser l'effet utile d'une telle législation. En effet, l'objectif essentiel de cette législation communautaire étant la sauvegarde de la santé publique, dès lors que de nouvelles données scientifiques font apparaître que des essais plus performants sont recommandés pour s'assurer de l'innocuité, de l'efficacité et de la qualité du médicament, ceux-ci doivent être effectués.
51 En second lieu, vous avez d'ores et déjà confirmé cette interprétation dans l'arrêt Scotia Pharmaceuticals, précité, en précisant que: «... l'autorité compétente peut faire usage de son pouvoir d'appréciation afin de vérifier si le demandeur d'autorisation, et donc l'expert qui a préparé le dossier à l'appui de la demande, a tenu compte de l'état d'avancement de la technique et du progrès de la science et s'il s'est assuré que les publications scientifiques, sur la base desquelles une demande
d'autorisation selon la procédure abrégée est présentée, sont toujours actuelles» (35).
52 En revanche, il ne nous appartient pas d'apprécier l'argument tiré de l'expertise réalisée à la demande de Norbrook. Conformément à l'article 14, premier alinéa, de la directive 81/851, seul le juge national, en fonction des caractéristiques particulières du SS et de l'état d'avancement de la technique et du progrès de la science, est compétent pour apprécier si les essais réservés, aux termes des dispositions des directives 81/851 et 81/852, aux matières premières doivent être pratiqués sur le
SS.
53 Pour la suite de nos développements, afin d'éviter l'écueil d'un raisonnement fondé sur des bases hypothétiques (36), et compte tenu des éléments du dossier, nous ne pourrons envisager utilement que la thèse défendue par la Commission et le Royaume-Uni, selon laquelle le SS est assimilable à une «matière première» au sens de la directive `normes et protocoles' (37).
54 Il faut entendre par matière première: «... tous les composants du médicament et, si besoin est, le récipient, tels qu'ils sont visés au point A, paragraphe 1» (38).
55 Cette dernière disposition précise que les composants du médicament sont:
- le ou les principes actifs,
- le ou les constituants de l'excipient, quelle que soit leur nature et quelle que soit la quantité mise en oeuvre, y compris les colorants, conservateurs, stabilisants, épaississants, émulsiants, antiagglutinants, correcteurs de goût, aromatisants, fluides, pulseurs, etc.,
- les léments de mise en forme pharmaceutique destinés à être ingérés ou, plus généralement, administrés à l'animal.
1) Les renseignements relatifs aux procédés de fabrication d'une matière première
56 L'article 5, deuxième alinéa, point 4, de la directive 81/851 prévoit que doit figurer au titre des renseignements et des documents présentés à l'appui d'une demande d'AMM une «description sommaire du mode de préparation» (39).
57 La directive `normes et protocoles' énonce que la description sommaire du mode de préparation doit contenir au minimum:
«- l'vocation des diverses étapes de la fabrication permettant d'apprécier si les procédés employés pour la mise en forme pharmaceutique n'ont pas pu provoquer l'altération des composants,
...
- la formule réelle de fabrication, avec indication quantitative de toutes les substances utilisées, les quantités d'excipients pouvant toutefois être données de manière approximative, dans la mesure où la forme pharmaceutique le nécessite; il sera fait mention des produits disparaissant au cours de la fabrication;
- la désignation des stades de la fabrication auxquels sont effectués les prélèvements d'échantillons en vue des essais en cours de fabrication lorsque ceux-ci apparaissent, de par les autres éléments du dossier, nécessaires au contrôle de la qualité du médicament» (40).
58 Nous devons donc conclure que, en réponse aux interrogations du juge de renvoi, l'exigence selon laquelle celui qui sollicite une AMM doit fournir des renseignements relatifs au mode de fabrication du produit litigieux, en tant qu'il constitue une matière première, est conforme aux prescriptions des directives 81/851 et 81/852.
2) Les renseignements sur les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant d'une matière première.
59 Le juge de renvoi précise, au point b) de la première question, un des aspects de la question posée au point a), en vous interrogeant sur la conformité d'une pratique nationale consistant, en particulier, à exiger du responsable de la mise sur le marché d'un médicament vétérinaire qu'il fournisse, en vue de leur homologation, les résultats des expérimentations sur chaque lot du produit litigieux acheté par ce dernier.
60 L'article 5, deuxième alinéa, point 9, de la directive 81/851 dispose que la demande d'AMM doit contenir une «description des méthodes de contrôle utilisées par le fabricant (analyse qualitative et quantitative des composants et du produit fini, essais particuliers, par exemple, essais de stérilité, essais pour la recherche des substances pyrogènes, recherche des métaux lourds, essais de stabilité, essais biologiques et de toxicité, contrôles sur les produits intermédiaires de la fabrication)»
(41).
61 La directive `normes et protocoles' précise que «Les renseignements et documents qui doivent être joints à la demande d'autorisation en vertu de l'article 5, deuxième alinéa, points 9 et 10, de la directive 81/851/CEE comprennent notamment les résultats des essais qui se rapportent au contrôle de qualité de tous les constituants mis en oeuvre. Les renseignements et documents sont présentés conformément aux prescriptions suivantes» (42). Suit une liste exhaustive de prescriptions à respecter pour
satisfaire aux exigences textuelles, qui distingue selon que les matières premières sont inscrites (43) ou non (44) dans les pharmacopées (45).
62 Il ressort clairement de l'analyse de la partie C du premier protocole de l'annexe de la directive 81/852 que le souci du législateur communautaire est, avant tout, de contrôler que la matière première, qu'elle soit inscrite dans une pharmacopée ou qu'elle ne le soit pas, a été préparée selon une méthode qui n'est pas susceptible de laisser des impuretés (46).
63 A titre d'exemple, dès lors que la matière première utilisée ne figure dans aucune pharmacopée, elle doit faire l'objet d'une monographie portant sur «les essais de pureté ... décrits en fonction de l'ensemble des impuretés prévisibles, notamment de celles qui peuvent avoir un effet nocif et, si nécessaire, de celles qui, compte tenu de l'association médicamenteuse faisant l'objet de la demande, pourraient présenter une influence défavorable sur la stabilité du médicament ou perturber les
résultats analytiques» (47). En revanche, lorsque la matière première utilisée est inscrite dans les pharmacopées, il est vérifié qu'elle «... a été préparée selon une méthode susceptible de laisser des impuretés non mentionnées dans la monographie de cette pharmacopée, ces impuretés doivent être signalées avec l'indication du taux maximal admissible et il doit être proposé une méthode de recherche appropriée» (48).
64 De plus, il nous semble important de signaler, eu égard au type de contentieux qui nous est soumis - et bien qu'il ne s'agisse que d'une donnée factuelle -, que l'expert de la Commission a souligné que le risque de voir les impuretés éventuellement existantes dans le produit litigieux se propager dans le DHS n'était pas négligeable, notamment en raison de l'usage du bore dans le processus de fabrication du SS. C'est pourquoi cet expert a conclu qu'il est très important de pouvoir connaître les
méthodes de fabrication utilisées par les producteurs du SS afin de pouvoir mettre en place les tests pertinents. En effet, toujours selon l'expert de la Commission, des contrôles à partir d'essais analytiques du principe actif (le DHS), du produit fini (le Pen & Strep) ou de la matière première elle-même (le SS) seraient insuffisants pour exclure tout risque d'impuretés dans le produit fini. Cette analyse est confirmée par le Royaume-Uni (49), mais contestée par Norbrook.
65 En outre, si le produit litigieux est inscrit dans une pharmacopée, la précision demandée par le juge national, au point b) de sa première question, trouve également réponse puisque, dans l'annexe de la directive 81/852, il est souligné que «les essais de routine à exécuter sur chaque lot de matières premières doivent être déclarés dans la demande d'autorisation de mise sur le marché. Ces essais doivent permettre d'apporter la preuve que chaque lot de matières premières répond aux exigences de
qualité de la monographie de la pharmacopée concernée» (50). Toutefois, comme le souligne à juste titre la Commission (51), en aucun cas les directives 81/851 et 81/852 ne prévoient une homologation préalable par les autorités compétentes des lots rentrant dans la fabrication du médicament concerné.
66 Ainsi, nous vous proposons de répondre sur ces points comme suit: une demande de renseignements relatifs aux méthodes de contrôle utilisées par le fabricant de matière première est conforme aux exigences des directives 81/851 et 81/852. En outre, dès lors que le produit litigieux est inscrit dans les pharmacopées existantes (52) - ce qu'il appartient au juge national de vérifier -, l'exigence de renseignements portant sur les résultats des tests sur chaque lot de matière première est également
conforme aux prescriptions des directives 81/851 et 81/852. Toutefois, les directives précitées s'opposent à ce qu'une autorité compétente subordonne l'octroi d'une AMM d'un médicament vétérinaire à l'homologation des lots de matière première entrant dans la fabrication du médicament.
3) Les renseignements sur le fabricant d'une matière première
67 Ces renseignements (53), et plus précisément ceux relatifs aux noms et adresses du ou des fabricants, ainsi que les détails du ou des sites de fabrication d'une matière première, ne sont pas exigés par les dispositions des directives 81/851 et 81/852. L'article 5, deuxième alinéa, point 1, de la directive 81/851 prévoit seulement que le responsable de la mise sur le marché doit mentionner le «nom ou raison sociale et domicile ou siège social du responsable de la mise sur le marché et, le cas
échéant, du fabricant». Par «fabricant», il faut entendre le fabricant du médicament, produit fini, et non le fabricant de chaque composant.
68 La directive 92/18 a ajouté à la liste des renseignements à fournir par le responsable de la mise sur le marché d'un produit vétérinaire celui aux termes duquel: «Le demandeur indique son nom et son adresse, le nom et l'adresse du ou des fabricants et des sites impliqués aux différents stades de la production (incluant le fabricant du produit fini et le ou les fabricants du ou des principes actifs), et, le cas échéant, le nom et adresse de l'importateur» (54). Cette disposition n'est toutefois
pas applicable en l'espèce.
69 A l'audience, le Royaume-Uni a admis que ces renseignements ne figuraient pas dans la directive 81/851 comme étant ceux qui doivent être joints aux demandes d'octroi d'AMM d'un médicament vétérinaire et qu'il les a demandés pour pouvoir prendre directement attache avec les fabricants du produit litigieux afin d'obtenir les informations sur le processus de fabrication et sur les méthodes de contrôle de la préparation du SS qui faisaient défaut dans le dossier de Norbrook. Il affirme que l'article
9, point 3, de la directive 81/851 lui permet de revendiquer ces informations supplémentaires (55).
70 Cet article dispose que l'autorité compétente «[peut], le cas échéant, exiger du demandeur qu'il complète le dossier en ce qui concerne les éléments visés à l'article 5» (56).
71 Nous pensons non seulement que les exigences imposées par le Royaume-Uni sont contraires aux directives 81/851 et 81/852, mais encore que l'article 9, point 3, de la directive 81/851 n'est pas applicable en l'espèce.
72 Les directives 81/851 et 81/852 imposent aux autorités compétentes de chaque État membre de subordonner l'octroi des AMM au respect de toutes les conditions expressément prévues par elles et n'autorisent pas un État membre à en prévoir d'autres.
73 Cela résulte du libellé de plusieurs dispositions des directives précitées.
74 Ainsi, l'article 11 de la directive 81/851, qui dispose que: «L'autorisation prévue à l'article 4 est refusée lorsque, après vérification des documents et renseignements énumérés à l'article 5, il apparaît: ... (57). L'autorisation est également refusée si le dossier présenté aux autorités compétentes n'est pas conforme aux dispositions des articles 5, 6 et 7» (58).
75 De même, l'article 9, point 1, de la directive 81/851, qui prévoit que: «Pour instruire la demande présentée en vertu de l'article 5, les autorités compétentes des États membres: 1. doivent vérifier la conformité avec l'article 5 du dossier présenté et examiner, sur la base des rapports établis par les experts, conformément à l'article 7, si les conditions de délivrance de l'[AMM] sont remplies.»
76 Ou encore, l'article 1er, premier alinéa, de la directive `normes et protocoles', qui précise - rappelons-le - que: «Les États membres prennent toutes les dispositions utiles pour que les renseignements et documents qui doivent être joints à la demande d'[AMM] d'un médicament vétérinaire, en vertu de l'article 5, deuxième alinéa, points 3, 4, 6, 8, 9 et 10, de la directive 81/851/CEE, soient présentés par les intéressés, conformément à l'annexe de la présente directive» (59).
77 Il nous semble que, par l'emploi du présent de l'indicatif, du présent du subjonctif, des adverbes «également» et «conformément», des verbes exprimant une obligation ou une interdiction comme les verbes «devoir» et «refuser», le législateur communautaire a clairement manifesté son intention de subordonner l'octroi d'une AMM au respect de l'ensemble des conditions inconditionnelles et précises de ces directives et que, dès lors que les renseignements exigés par l'article 5 font défaut, comme c'est
le cas en l'espèce, l'AMM doit être refusée.
78 De plus, l'interprétation selon laquelle toutes les prescriptions de l'article 5 de la directive 81/851, présentées conformément à l'annexe de la directive 81/852, doivent être respectées a pour objet d'assurer la réalisation de l'objectif de sauvegarde de santé publique (60). Nous avons exposé précédemment les risques que pourrait entraîner le non-respect des points 3, 4 et 9 de l'article 5, deuxième alinéa, de la directive 81/851 (61) pour la santé publique.
79 Enfin, vous avez jugé, dans l'arrêt Scotia Pharmaceuticals, précité (62), transposable en l'espèce (63), que toutes les prescriptions des directives en matière d'octroi d'AMM de médicaments à usage humain doivent être respectées.
80 En outre, l'article 41, premier alinéa, premier et deuxième tirets, de la directive 81/851 énonce:
«Toute décision
- de refus, de retrait ou de suspension d'une [AMM],
- d'interdiction de délivrance ou de retrait du marché d'un médicament vétérinaire,
...
ne peut être prise que pour les raisons énumérées dans la présente directive» (64).
81 Le libellé de cet article est clair. Il impose aux États membres de ne pas ajouter d'autres exigences à celles prévues par les directives dans le cadre de l'octroi, du retrait, du refus et de la suspension d'AMM.
82 Le respect des prescriptions de l'article 41 de la directive 81/851 a pour objet d'assurer la réalisation de l'objectif de libre circulation du médicament: «considérant que des normes et protocoles pour l'exécution des essais sur les médicaments vétérinaires ... sont de nature à faciliter la circulation des médicaments vétérinaires s'ils fixent des règles communes pour la conduite des essais et la constitution des dossiers» (65).
83 Or, nous estimons qu'autoriser les États membres à réclamer d'autres renseignements que ceux prévus par l'article 5 de la directive 81/851 reviendrait à autoriser les autorités compétentes à substituer aux prescriptions suffisamment précises et inconditionnelles de la directive d'autres prescriptions unilatéralement décidées, avec pour conséquence le risque de compromettre l'objectif d'harmonisation des procédures nationales en matière de délivrance d'AMM de médicament vétérinaire clairement
énoncé (66) et, de ce fait, la libre circulation des médicaments.
84 Votre Cour a également dit pour droit que seules les prescriptions limitativement énumérées par les directives d'harmonisation en matière d'AMM de médicament à usage humain peuvent être exigées par l'autorité compétente (67).
85 Il faut donc en conclure que la directive 81/851 s'oppose à une pratique nationale consistant à réclamer les informations sur le fabricant de la matière première.
86 Il découle de ce qui précède que l'article 9, point 3, de la directive 81/851 ne peut pas être interprété comme autorisant un État membre à demander d'autres renseignements que ceux strictement énumérés par les directives précitées, mais seulement comme permettant aux États membres de réclamer au demandeur d'AMM des informations complémentaires sur l'un des renseignements préalablement donnés, conformément aux prescriptions de l'article 5, informations jugées incomplètes au regard des exigences
de santé publique. Ce qui serait le cas, par exemple, si, compte tenu des avancées scientifiques, ces derniers estimaient qu'un complément d'information s'avérerait utile pour s'assurer de l'innocuité de la qualité et de l'efficacité thérapeutique du produit (68). De même, selon nous, elle leur offre la faculté, comme nous l'examinerons ultérieurement (69), de suspendre l'AMM dans l'attente des seuls renseignements expressément énumérés à l'article 5.
Les exigences imposées par les directives 81/851 et 81/852 en matière de refus et de suspension d'AMM
87 En second lieu, les points c) et d) de la première question préjudicielle vous invitent, en substance, à juger si, dans les circonstances telles que celles décrites par la décision de renvoi, les directives 81/851 et 81/852 doivent être interprétées en ce sens qu'elles autorisent une autorité compétente à refuser ou à suspendre une AMM de médicament vétérinaire dès lors que le responsable de la mise sur le marché ne s'est pas conformé aux exigences précitées (70).
1) Le refus de délivrance d'AMM
88 Le juge de renvoi vous demande au point c) de cette première question, précisément, si les dispositions des directives litigieuses permettent à une autorité compétente, comme le VMD, de refuser de délivrer une AMM pour un médicament vétérinaire, comme le Pen & Strep, si le responsable de la mise sur le marché (Norbrook) n'a pas fourni les renseignements sur le fabricant, sur les résultats, en vue de leur homologation, des expérimentations effectuées sur chaque lot de matière première, sur le
processus de fabrication ainsi que sur les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant de la matière première (le SS).
89 Nous vous renvoyons à nos développements relatifs à l'examen des exigences imposées par les directives précitées en matière d'octroi d'AMM, dans la mesure où nous ne décelons aucune différence entre les deux questions.
90 A l'occasion de l'examen de ces questions, nous avons souligné qu'une autorité compétente est tenue de subordonner l'octroi d'une AMM au respect de toutes les conditions énumérées par l'article 5 de la directive 81/851. A fortiori, cette autorité est tenue de refuser une AMM pour un médicament vétérinaire dès lors qu'une des informations exigées par l'article 5 de la directive 81/851 fait défaut.
91 En revanche, nous avons indiqué qu'elle ne peut pas subordonner l'octroi d'une AMM des renseignements non énumérés par ce texte. De la même façon, a fortiori, elle ne peut pas refuser d'accorder une AMM en raison de l'absence de documents et d'informations non expressément prévus par les directives.
92 En outre, vous êtes invités à juger si les dispositions desdites directives permettent au VMD de subordonner l'octroi de cette AMM à la preuve de l'achat des quantités de principes actifs auprès d'un tiers déterminé.
93 Aucune disposition des directives litigieuses n'autorise l'autorité compétente à exiger d'un demandeur d'AMM qu'il se fournisse auprès d'un fabricant homologué par elle-même.
94 Pour les raisons précédemment développées, il nous faut donc conclure qu'une autorité compétente ne peut refuser d'accorder une AMM pour un médicament vétérinaire soit en raison de l'absence de renseignements sur le fabricant du produit litigieux, soit parce qu'il ne s'est pas fourni en principes actifs auprès d'un fabricant homologué, soit encore parce que les lots de matière première utilisée pour la fabrication du médicament n'ont pas été préalablement homologués. En revanche, elle doit
refuser d'accorder une AMM pour ce médicament dès lors que les renseignements sur le processus de fabrication ainsi que sur les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant de la matière première ne figurent pas au dossier.
2) La suspension d'AMM
95 Le juge a quo vous invite, au point d) de la première question, à interpréter les dispositions de l'article 8 de la directive 81/851 et à dire si l'autorité compétente peut suspendre le délai d'octroi de l'AMM jusqu'à ce que le demandeur ait fourni les informations relatives au processus de fabrication, aux méthodes de contrôle et au fabricant.
96 Nous estimons qu'il résulte, d'une part, expressément de la simple lecture combinée des dispositions des articles 8 et 9, point 3, de la directive 81/851 et, d'autre part, de la ratio legis de la législation pertinente que le délai d'octroi de l'AMM peut être effectivement suspendu jusqu'à ce que le demandeur ait fourni les informations imposées par l'article 5 de la directive 81/851. En revanche, il ne le peut pas, s'agissant d'un renseignement non expressément prévu par les directives 81/851 et
81/852, comme les noms et adresses du ou des fabricants de la matière première et l'identification du ou des sites de fabrication.
97 En ce qui concerne le libellé des textes pertinents:
L'article 8, premier alinéa, de la directive 81/851 prévoit que:
«Les États membres prennent toutes dispositions utiles pour que la durée de la procédure pour l'octroi de l'[AMM] n'excède pas un délai de cent vingt jours à compter de la date de la présentation de la demande.»
L'article 9, point 3, dispose - rappelons-le - que:
«[les autorités compétentes] peuvent, le cas échéant, exiger du demandeur qu'il complète le dossier en ce qui concerne les éléments visés à l'article 5. Lorsque les autorités compétentes se prévalent de cette faculté, les délais prévus à l'article 8 sont suspendus jusqu'à ce que les données complémentaires requises aient été fournies. De même, ces délais sont suspendus du temps laissé, le cas échéant, au demandeur pour s'expliquer oralement ou par écrit» (71).
98 Les autorités compétentes ont la faculté, au lieu de refuser immédiatement l'octroi d'une AMM au demandeur qui ne fournit pas un dossier complet (72), de suspendre cette autorisation tant que les pièces qui manquent n'ont pas été jointes (73).
99 Le verbe «compléter» signifie précisément «ajouter ce qui manque», et non pas «ajouter autre chose» ou «fournir autre chose» (74). Ainsi, conformément à ce que nous avons développé précédemment, les autorités compétentes ne peuvent pas demander d'autres informations que celles expressément prévues par la directive et ne peuvent suspendre l'AMM que pour les raisons expressément visées par elle (75).
100 La ratio legis de la législation en matière d'AMM de médicament vétérinaire est conforme à cette interprétation. Nous l'avons vu, les objectifs qu'elle poursuit sont, d'une part, de veiller à la sauvegarde de la santé publique et, d'autre part, d'assurer la libre circulation des médicaments vétérinaires (76). Les moyens choisis pour parvenir à ces buts ont consisté à harmoniser les procédures nationales de délivrance, de suspension et de refus des AMM (77). Suspendre l'octroi d'une AMM dans
l'attente des renseignements devant être impérativement joints à la demande est de ce fait strictement conforme aux objectifs poursuivis par le législateur communautaire.
101 Il résulte de ce qui précède que les autorités compétentes ont la faculté de suspendre le délai d'octroi de l'AMM prévu à l'article 8 de la directive 81/851 tant que le demandeur n'a pas fourni les informations sur le processus de fabrication et sur les méthodes de contrôle de la matière première.
102 En revanche, et nous vous renvoyons à nos développements relatifs à l'examen des exigences prévues par les directives 81/851 et 81/852 en matière d'octroi d'AMM, dans la mesure où nous ne détectons aucune différence entre les deux questions (78), une autorité compétente ne peut pas suspendre l'octroi d'une AMM si une information non expressément prévue par les directives 81/851 et 81/852, comme l'identification du fabricant et des sites de fabrication, fait défaut.
La deuxième question
103 Par cette question, le juge national vous invite à préciser si les réponses données à la première question auraient été sensiblement différentes si une substance telle que le SS avait été produite «en continu», c'est-à-dire selon un processus consistant à ne pas isoler les composants.
104 A la lecture de l'énoncé du mode de fabrication du médicament, il faut déduire que ni le SS ni le DHS ne sont fabriqués selon un processus qui consiste à mélanger les composants: «La requérante produit le DHS à partir du SS par réduction ou hydrogénation, ce qui a pour effet de provoquer une modification de la structure moléculaire du [produit litigieux]. Ce dernier processus implique l'usage d'un catalyseur appelé borohydrure de sodium, qui contient un corps simple, le bore. Une fois que le DHS
a été produit, il est mélangé à l'autre principe actif, à savoir la [PP], et [à des] ingrédients non actifs connus sous le terme d'`excipients', [pour] compose[r] le produit final `Pen & Strep'» (79). La production en continu n'intervient donc que postérieurement à la fabrication du DHS.
105 Conformément à votre jurisprudence constante (80), dès lors qu'il apparaît de façon manifeste que l'interprétation du droit communautaire n'est pas pertinente pour la solution du litige, cette deuxième question est sans objet.
La troisième question
106 Dans la mesure où les exigences requises par l'autorité compétente sont conformes aux prescriptions des directives 81/851 et 81/852, par cette troisième question, le juge national vous demande si les directives précitées comportent des dispositions qui permettraient au responsable de la mise sur le marché d'être dispensé de fournir ces renseignements et, si oui, à quelles conditions.
107 Votre Cour a déjà été amenée, dans l'arrêt Scotia Pharmaceuticals, précité, à répondre à pareille interrogation en matière d'AMM de médicament à usage humain. A cette occasion, vous avez jugé que les essais et renseignements énumérés par les directives en vigueur doivent impérativement être joints à la demande d'AMM et que seuls les progrès de la science seraient de nature à entraîner la modification du contenu du dossier à fournir en vue de l'octroi d'une AMM (81).
La sixième question
108 Par cette question, le juge national vous demande d'interpréter les dispositions de l'article 40 de la directive 81/851 et de préciser si les différentes demandes de renseignements formulées, en l'espèce, par le VMD doivent être motivées, notamment en ce qui concerne les décisions de suspension et de refus d'AMM mentionnées dans les questions préjudicielles précédemment examinées. Dans l'affirmative, il vous est demandé de préciser les conditions qui doivent être respectées par l'autorité
compétente pour être considérées comme conformes aux prescriptions de cet article.
109 L'article 40, premier alinéa, de la directive 81/851 dispose que: «Toute décision prise aux termes des articles 11 (82), 36 (83), 37 (84) et 38 (85), et toute décision négative prise aux termes de l'article 10, point 2, et de l'article 19, paragraphe 3, ainsi que toute décision de refus d'autorisation de fabrication ou d'importation en provenance de pays tiers, de suspension ou de retrait de l'autorisation de fabrication doivent être motivées de façon précise. Elles sont notifiées à l'intéressé
avec l'indication des moyens de recours prévus par la législation en vigueur et du délai dans lequel le recours peut être présenté.»
110 Le libellé de l'article 40, premier alinéa, de la directive 81/851, lu en combinaison avec les articles auxquels elle renvoie, est très clair. Il énumère les cas où l'autorité compétente est tenue de motiver ses décisions. Il est uniquement imposé aux autorités compétentes de motiver les décisions de refus, de retrait ou de suspension d'une AMM d'un médicament vétérinaire provenant d'un État membre ou d'un pays tiers. Elle ne s'applique donc pas aux demandes de renseignements complémentaires
émanant du VMD durant l'instruction des demandes d'AMM.
111 Il est spécifié que cette motivation doit être précise, qu'elle doit être notifiée à l'intéressé avec l'indication des moyens de recours prévus par la législation en vigueur et du délai dans lequel le recours peut être présenté.
112 S'agissant de l'obligation de motiver précisément les décisions en question, nous considérons qu'une motivation qui fait apparaître d'une façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles une autorité compétente a refusé, retiré ou suspendu une AMM répond aux exigences de l'article 40, susmentionné. Ainsi en est-il, par exemple, d'une motivation désignant les renseignements et informations manquants.
Réponses aux questions portant sur l'appréciation en validité des directives 81/851 et 81/852
113 En cas de réponse positive à la première question, vous êtes invités, dans les quatrième et cinquième questions, à apprécier la validité des dispositions des directives 81/851 et 81/852 au regard des principes de proportionnalité et de libre circulation des marchandises.
La quatrième question: violation du principe de proportionnalité
114 Dans cette question, le juge national vous demande, nous semble-t-il, de juger si les exigences et les demandes de renseignements imposées par le VMD et examinées dans la première question ne violent pas le principe de proportionnalité.
115 Il convient, selon nous, de distinguer selon que ces demandes sont prescrites ou non par les directives 81/851 et 81/852.
116 Si elles ne sont pas prévues par les directives précitées (comme c'est le cas des exigences touchant à l'homologation préalable de chaque lot de SS ou de DHS ou à la localisation des sites de fabrication du SS), elles n'ont pas lieu d'être, et l'éventuelle application du principe de proportionnalité est sans objet.
117 En revanche, s'agissant des demandes requises par les directives précitées, il convient de vérifier effectivement si ces prescriptions respectent ce principe. A notre connaissance, c'est la première fois que vous êtes invités à le faire.
118 Il vous est demandé, précisément, de vérifier si le deuxième alinéa, point 4, de l'article 5 de la directive 81/851 et les prescriptions contenues au premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie B, premier et deuxième alinéas, premier au quatrième tiret, relatifs à la description du mode de préparation des matières premières, ainsi que le deuxième alinéa, point 9, de l'article 5 de la directive 81/851 et les prescriptions de la partie C du premier protocole de l'annexe de la
directive 81/852, relatifs à la description des méthodes de contrôle des matières premières utilisées par le fabricant, respectent le principe de proportionnalité.
119 Ce principe général du droit communautaire exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (86).
120 Le degré très élevé d'exigence imposé par ces textes pour la mise sur le marché d'un médicament vétérinaire est conforme à l'objectif de protection absolue de la santé publique poursuivi par cette législation.
121 En outre, en raison de l'objet même des directives 81/851 et 81/852, le législateur communautaire est appelé à apprécier des situations complexes puisqu'il s'agit de légiférer en fonction d'éléments techniques et scientifiques susceptibles d'évoluer rapidement. Il nous semble donc que son appréciation ne devrait être censurée que si elle apparaît manifestement erronée au vu des éléments dont il disposait au moment de l'adoption de la législation, ou si l'institution, auteur de l'acte litigieux,
a commis un détournement de pouvoir, ou encore a manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation (87).
122 Norbrook prétend (88) que le principe de proportionnalité a été violé en soutenant, notamment, que «... la nature de cette exigence, en particulier la fréquente impossibilité de la satisfaire et les conséquences de cette impossibilité, sont totalement hors de proportion avec le risque infinitésimal pour la santé ... qui pourrait découler de l'ignorance ... du processus de fabrication [du SS]» (89).
123 Vous avez déjà jugé que les dispositions des directives d'harmonisation en matière d'AMM de médicament à usage humain «... ne peuvent en effet être interprétées en ce sens qu'elles imposent des essais matériellement irréalisables» (90). L'argument selon lequel les exigences sont «difficiles à satisfaire» n'est pas pertinent eu égard aux enjeux de santé publique en cause.
124 Dans la mesure où aucun élément probant n'est rapporté sur une éventuelle erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir de la part du législateur communautaire, il convient de relever qu'aucun élément n'a permis de conclure à une violation du principe de proportionnalité.
La cinquième question: violation des articles 30 à 36 du traité
125 Dans cette question, le juge national vous demande, en outre, de dire si les demandes de renseignements imposées par le VMD, conformément aux directives 81/851 et 81/852, ne violent pas les articles 30 à 36 du traité.
126 Vous avez d'ores et déjà répondu à cette question dans l'arrêt Bruyère e.a., précité, en précisant que, «Si la directive 81/851 se présente comme `une étape dans la réalisation de l'objectif de la libre circulation des médicaments vétérinaires' (onzième considérant), il ne peut toutefois pas en être déduit que, pour les médicaments entrant dans son champ d'application, elle laisse place à l'application des articles 30 et 36 du traité. En effet, comme l'a montré l'évolution du droit
communautaire, cette expression signifie seulement que le régime de pluralité d'autorisations nationales de mise sur le marché, instauré initialement par la directive 81/851, était destiné à être remplacé par un régime de prise en considération des autorisations accordées par d'autres États membres (directive 90/676), puis par un régime de reconnaissance mutuelle de principe de ces autorisations (directive 93/40)» (91).
127 En l'espèce, le Pen & Strep entre bien dans le champ d'application des directives 81/851 et 81/852. De ce fait, sa mise sur le marché est subordonnée à la délivrance d'une AMM par le VMD, lequel est tenu de respecter toutes les prescriptions légales en vigueur.
128 De ce fait, il convient de constater qu'aucun élément n'a permis de conclure à la violation des articles 30 à 36 du traité.
Réponses aux questions portant sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire
La septième question
129 Dans cette question, vous êtes finalement invités à préciser les conditions nécessaires à la mise en oeuvre de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire.
130 Votre jurisprudence est aujourd'hui constante et, dans l'arrêt du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (92), vous avez clairement et précisément récapitulé les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire.
131 Ainsi considérez-vous (93) que les particuliers lésés ont un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir: que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers (94).
132 S'agissant de la condition d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle de droit communautaire, vous avez en outre précisé qu'elle était remplie, «[dans l'hypothèse où] ... un État membre, dans l'exercice de son pouvoir normatif, a méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs ... et ... dans l'hypothèse où l'État membre en cause, au moment où il a commis l'infraction, n'était pas confronté à des choix normatifs et disposait d'une marge
d'appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l'existence d'une violation suffisamment caractérisée...» (95).
133 Ainsi que nous l'avons vu ci-dessus, les dispositions des directives 81/851 et 81/852 sont précises et suffisamment claires pour qu'il puisse être affirmé que la marge d'appréciation laissée aux États membres dans le cadre de leur transposition est extrêmement réduite (96), voire inexistante.
134 De ce fait, lorsque, en violation de l'article 189, troisième alinéa, du traité, un État membre opère une transposition ou une application incorrecte des dispositions suffisamment claires et précises des directives précitées, cet État membre méconnaît, de manière manifeste et grave, les limites qui s'imposent à l'exercice de ses pouvoirs.
135 Par conséquent, une telle violation engendre au profit des particuliers un droit d'obtenir réparation si le résultat prescrit par la directive comporte l'attribution à leur profit de droits dont le contenu peut être identifié sur la base des dispositions de la directive et s'il existe un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées, sans qu'il y ait lieu de prendre en considération d'autres conditions.
Conclusion
136 En conclusion, pour les considérations développées ci-dessus, nous vous proposons de répondre de la manière suivante aux questions posées par la Court of Appeal in Northern Ireland:
«1) Les directives 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires, et 81/852/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d'essais de médicaments vétérinaires (et, en particulier, les articles 5, 8, 9, 11, 29 à 31, 35, 40 et 41 de la directive 81/851
ainsi que la première partie de l'annexe de la directive 81/852 dans leur version originelle), doivent être interprétées comme:
a) imposant à l'autorité compétente d'un État membre, compte tenu de l'état d'avancement de la technique et du progrès de la science, de subordonner l'octroi d'une autorisation de mise sur le marché d'un médicament vétérinaire à la fourniture, par le demandeur de ladite autorisation, de renseignements sur les procédés de fabrication et sur les méthodes de contrôle utilisées par le fabricant d'une matière première, ainsi que de refuser d'accorder ladite autorisation dès lors que ces renseignements
font défaut;
b) offrant la faculté à cette même autorité de suspendre le délai d'octroi de ladite autorisation, prévu à l'article 8 de la directive 81/851, dans l'attente des renseignements susmentionnés;
c) s'opposant à ce que ladite autorité compétente:
i) suspende le délai d'octroi de cette même autorisation, prévu à l'article 8 de la directive 81/851, dans l'attente des noms et adresses du ou des fabricants ainsi que des détails sur le ou les sites de fabrication de la matière première;
ii) subordonne l'octroi de cette même autorisation à la production, en vue de leur homologation, des résultats des expérimentations effectuées sur chaque lot de matière première, à l'utilisation, pour la fabrication d'un médicament vétérinaire, des seuls lots de matière première et de principe actif achetés auprès d'un tiers déterminé et à la fourniture de renseignements sur les noms et adresses du ou des fabricants ainsi que sur les détails du ou des sites de fabrication de la matière première;
iii) refuse d'accorder ladite autorisation dès lors que les renseignements précités sous ii) font défaut;
d) imposant à l'autorité compétente de motiver toute décision de refus, de suspension et de retrait d'une autorisation de mise sur le marché d'un médicament vétérinaire. La décision faisant apparaître d'une façon claire et non équivoque les raisons pour lesquelles ladite autorité a refusé, suspendu ou retiré l'autorisation susmentionnée satisfait à cette exigence.
2) L'examen des dispositions des directives précitées, à la lumière des motifs de l'ordonnance de renvoi, n'a pas révélé l'existence d'éléments de nature à affecter leur validité.
3) La responsabilité d'un État membre pour les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui lui sont imputables est engagée dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu'il existe un lien de causalité directe entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers.»
(1) - Directive du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 1).
(2) - Directive du 28 septembre 1981, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d'essais de médicaments vétérinaires (JO L 317, p. 16), autrement nommée la «directive `normes et protocoles' ou la «directive 81/852».
(3) - Voir points 14 à 31 de nos conclusions.
(4) - Voir point 36 de nos conclusions.
(5) - Point 2.7 de la traduction en français des observations de Norbrook.
(6) - Directive du 26 janvier 1965, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives, relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO 1965, 22, p. 369).
(7) - Voir, notamment, l'arrêt du 12 novembre 1996, Smith & Nephew et Primecrown (C-201/94, Rec. p. I-5819).
(8) - Voir, notamment, le deuxième considérant de la directive 92/18/CEE de la Commission, du 20 mars 1992, modifiant l'annexe de la directive 81/852 (JO L 97, p. 1).
(9) - Onzième considérant de la directive 81/851.
(10) - Nous n'avons relevé qu'un seul arrêt à ce jour portant sur l'interprétation de l'article 4 de la directive 81/851. Il s'agit de l'arrêt du 21 mars 1996, Bruyère e.a. (C-297/94, Rec. p. I-1551).
(11) - Articles 6 et 29 à 31 de la directive 81/851.
(12) - Ibidem, article 7.
(13) - Souligné par nous.
(14) - Article 1er, premier alinéa, de la directive 81/852.
(15) - C'est-à-dire les essais physico-chimiques, biologiques et microbiologiques.
(16) - Il s'agit de l'étude des effets provoqués par le médicament vétérinaire dans l'organisme animal.
(17) - A savoir le devenir du médicament dans l'organisme animal.
(18) - Ces essais ont pour but de mettre en évidence ou de vérifier l'effet thérapeutique du médicament, de préciser ses indications et contre-indications par espèce et par âge, ses modalités d'emploi, ses effets secondaires éventuels et son innocuité dans les conditions normales d'emploi.
(19) - Points 38 et suiv. de nos conclusions.
(20) - Section 7, paragraphe 2, de la loi de 1968.
(21) - Ibidem, sections 18 et 19, et les Medicines (Applications for Product Licences and Clinical Trial and Animal Test Certificates) Regulations 1971, telles que modifiées (S. I 1971 n_ 973, ci-après le «règlement de 1971»).
(22) - Dont l'énumération figure à l'annexe 1 de la première partie du règlement de 1971.
(23) - Voir points 6 à 9 de nos conclusions.
(24) - Directive 65/65, et directives du Conseil, du 20 mai 1975, 75/318/CEE, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les normes et protocoles analytiques, toxico-pharmacologiques et cliniques en matière d'essais de spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 1), et 75/319/CEE, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives aux spécialités pharmaceutiques (JO L 147, p. 13).
(25) - C-440/93, Rec. p. I-2851, point 21, souligné par nous.
(26) - Comparer, par exemple, les articles 3, 4, 5, 7, 8, 12 et 21 de la directive 65/65 et les articles 4, 5, 8, 9, 11, 40 et 41 de la directive 81/851, les articles 1ers des directives 75/318 et 81/852, ainsi que les premiers protocoles de l'annexe des directives 75/318 et 81/852, et les articles 2 de la directive 75/319 et 7 de la directive 81/851.
(27) - Comparer les arrêts Scotia Pharmaceuticals, précité, point 3, et Bruyère e.a., précité, point 2.
(28) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie A, point 1, premier alinéa, premier, deuxième et troisième tirets.
(29) - Page 2 de la traduction en français de la décision de renvoi du juge national.
(30) - Non contesté par les parties et notamment, Norbrook, point 1.4 de la traduction en français de ses observations.
(31) - Deuxième partie du premier protocole de l'annexe de la directive 92/18, partie C, paragraphe 2, premier et second alinéas, souligné par nous.
(32) - Point 13 de la traduction en français des observations du Royaume-Uni.
(33) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie A, premier alinéa.
(34) - Cette disposition traite des méthodes de contrôle utilisées par le fabricant. Nous l'examinerons précisément lors des réponses à apporter à la première question préjudicielle.
(35) - Point 21.
(36) - Prohibé par un arrêt du 16 juillet 1992, Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871).
(37) - En effet, nous ne disposons d'aucun autre élément pour nous permettre de raisonner pertinemment sur d'autres bases, car si Norbrook s'oppose à l'assimilation du SS à une matière première, elle ne nous fournit aucun élément qui nous permettrait d'envisager sérieusement une autre possibilité que celle défendue par la Commission et le Royaume-Uni. C'est ainsi que, selon elle, le produit litigieux n'est ni un principe actif, ni un excipient, ni une matière première, ni un composant, mais
seulement une «substance» (points 2.4 et 2.8 de la traduction en français de ses observations).
(38) - Premier protocole de l'annexe de la directive `normes et protocoles', partie C, premier alinéa, souligné par nous.
(39) - Souligné par nous.
(40) - Premier protocole de l'annexe de la directive `normes et protocoles', partie B, deuxième alinéa, premier, troisième et quatrième tirets, souligné par nous.
(41) - Souligné par nous.
(42) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie C, deuxième alinéa, souligné par nous.
(43) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie C, point 1.
(44) - Ibidem, point 2.
(45) - Définition du Nouveau Larousse médical: «Recueil contenant: la nomenclature des drogues, des médicaments simples et composés, des articles officinaux; une liste de dénominations communes des médicaments; les tableaux de posologie maximale et usuelle des médicaments pour [l'animal]; des renseignements qui peuvent être utiles au pharmacien pour la pratique pharmaceutique».
(46) - Voir, notamment, le premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie C, points 1, quatrième, cinquième et septième alinéas, et 2, sous b), d), et e.
(47) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie C, point 2, premier alinéa, sous d).
(48) - Premier protocole de l'annexe de la directive 81/852, partie C, point 1, quatrième alinéa.
(49) - Paragraphe 1 de la traduction en français de ses observations.
(50) - Ibidem, septième alinéa, souligné par nous.
(51) - Sous la rubrique «réponse au point 1, sous b)», p. 10 de la traduction en français des observations de la Commission.
(52) - De l'avis unanime des intervenants, tel serait le cas.
(53) - Point a) de la première question préjudicielle.
(54) - Titre I, première partie, partie A, deuxième alinéa, de l'annexe de la directive 92/18.
(55) - Point 14 de la traduction en français des observations du gouvernement du Royaume-Uni.
(56) - Souligné par nous.
(57) - Ibidem, premier alinéa, souligné par nous.
(58) - Ibidem, deuxième alinéa, souligné par nous.
(59) - Souligné par nous.
(60) - Troisième considérant de la directive `normes et protocoles', souligné par nous: «considérant que des normes et protocoles pour l'exécution des essais sur les médicaments vétérinaires, qui sont un moyen efficace pour le contrôle de ceux-ci et, partant, pour la sauvegarde de la santé publique...».
(61) - Points 62 à 65 de nos conclusions.
(62) - Point 21.
(63) - Point 42 de nos conclusions.
(64) - Souligné par nous.
(65) - Troisième considérant de la directive `normes et protocoles', souligné par nous.
(66) - Deuxième, troisième, quatrième et neuvième considérants de la directive 81/851; premier, deuxième, troisième et quatrième considérants de la directive `normes et protocoles'.
(67) - Arrêts du 26 janvier 1984, Clin-Midy e.a. (301/82, Rec. p. 251, point 11), et du 7 décembre 1993, Pierrel e.a. (C-83/92, Rec. p. I-6419, points 21 à 23).
(68) - Article 14 de la directive 81/851.
(69) - Voir points 96 à 101 de nos conclusions.
(70) - Ibidem, points 56 à 86.
(71) - Souligné par nous.
(72) - Voir, notamment, point 77 de nos conclusions.
(73) - Ibidem, point 86.
(74) - A noter que, comparée aux versions française, italienne, néerlandaise, allemande et espagnole du texte, la version anglaise est moins précise puisqu'elle prévoit «may, where appropriate, require the applicant to provide further information as regards the items listed in Article 5».
(75) - En ce sens, l'arrêt Pierrel e.a., précité, points 28 et 33.
(76) - Points 18, 78 et 82 de nos conclusions.
(77) - Troisième, quatrième et huitième considérants de la directive 81/852.
(78) - Points 67 à 86 de nos conclusions.
(79) - Point 3 de la traduction en français de la décision de renvoi.
(80) - Voir, notamment, l'arrêt du 5 octobre 1995, Centro Servizi Spediporto (C-96/94, Rec. p. I-2883).
(81) - Points 41 et 49 de nos conclusions.
(82) - Disposition qui énumère les cas où l'AMM doit être refusée.
(83) - Disposition qui énumère les cas où l'AMM doit être suspendue ou retirée.
(84) - Disposition qui énumère les cas où l'AMM doit être retirée.
(85) - Disposition qui énumère les cas où l'AMM doit être suspendue ou retirée.
(86) - Voir, notamment, l'arrêt du 11 juillet 1989, Schräder (265/87, Rec. p. 2237, point 21), et, plus récemment, l'arrêt du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil (C-84/94, Rec. p. I-5755, point 57).
(87) - Voir, notamment, l'arrêt Royaume-Uni/Conseil, précité, point 58, ou encore l'arrêt du 29 février 1996, France et Irlande/Commission (C-296/93 et C-307/93, Rec. p. I-795, points 30 et 31).
(88) - Pages 44 à 47 de la traduction en français de ses observations.
(89) - Ibidem, point 11.4.
(90) - Arrêt Scotia Pharmaceuticals, précité, point 21.
(91) - Point 18.
(92) - C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. p. I-4845.
(93) - Arrêts du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357); du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029); du 26 mars 1996, British Telecommunications (C-392/93, Rec. p. I-1631), et du 23 mai 1996, Hedley Lomas (C-5/94, Rec. p. I-2553).
(94) - Arrêt Dillenkofer e.a., précité, points 21 et 23.
(95) - Ibidem, point 25, souligné par nous.
(96) - Point 41 de nos conclusions.