Avis juridique important
|
61995C0057
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 janvier 1997. - République française contre Commission des Communautés européennes. - Communication de la Commission - Marché intérieur - Fonds de retraite. - Affaire C-57/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-01627
Conclusions de l'avocat général
1 En formant le présent recours, la République française demande l'annulation, au sens de l'article 173, premier alinéa, du traité, d'un acte adopté par la Commission et intitulé «Communication de la Commission relative à un marché intérieur pour les fonds de retraite» (1) (ci-après la «communication»).
La communication, il est bon de le signaler dès maintenant, est fort semblable dans ses lignes essentielles à la proposition de directive du Conseil concernant la liberté de gestion et d'investissement des fonds collectés par les institutions de retraite (2), qui a été présentée par la Commission au Conseil le 21 octobre 1991 (3). Cette proposition a été retirée par la Commission en décembre 1994 en raison du désaccord persistant entre certains États membres sur son contenu (4). Plus précisément, la
Commission a informé les États membres, par lettre du 21 décembre 1994, de sa décision de retirer la proposition de directive, omettant toutefois d'indiquer que le 17 décembre déjà, la communication litigieuse avait été publiée à la série C du Journal officiel.
2 La communication contient une première partie, «Introduction et considérations générales», qui met en évidence, d'une part, l'importance croissante des fonds de pension, en tant que source de capitaux de placement, pour l'économie de l'Union européenne (points 1.1 et 1.2) et, d'autre part, la nécessité de soumettre ces fonds aux dispositions sur la libre circulation pour que «les intéressés puissent bénéficier du risque moindre et du rendement plus élevé que peuvent proposer les gestionnaires des
Fonds de retraite s'ils sont libres de placer leurs actifs de la façon la plus efficace sur le territoire de l'Union dans le respect de principes sains sur le plan commercial et prudentiel» (point 1.3).
Dans la même partie, la Commission, après avoir rappelé que la communication fait suite au retrait de la proposition de directive, précise qu'elle constitue une réponse à la nécessité de clarifier au plus vite «ses intentions vis-à-vis des opérateurs économiques et des États membres quant à l'interprétation des principes fondamentaux du traité en matière de libre prestation de services, de liberté d'établissement et de libre circulation des capitaux, en ce qui concerne les institutions de retraite»
(point 1.5). Dans cette perspective, la communication «donne des orientations en ce qui concerne les restrictions que les États membres peuvent imposer pour des raisons prudentielles, lorsque ces restrictions peuvent être considérées comme compatibles avec les principes du traité. Elle énonce également certains principes en matière de placement prudentiel que toutes les institutions de retraite devraient appliquer» (point 1.8).
3 La deuxième partie de la communication, intitulée «Interprétation», comporte avant tout une série de définitions destinées à préciser ce qu'il faut entendre par «institution de retraite», «prestations de retraite», «entreprise participante», «organisme participant», «entreprises filiales» et «entreprises associées». La communication souligne en particulier que les définitions d'institution de retraite et de prestations de retraite sont à ce point larges qu'elles comprennent aussi les organismes de
sécurité sociale réglementaires qui sont toutefois expressément exclus du champ d'application de la communication (point 2.1).
En effet, la communication ne s'applique pas aux organismes de sécurité sociale réglementaires inclus dans les listes visées à l'annexe 2 du règlement (CEE) n_ 574/72 (5) ni aux institutions financières pour certains types d'activités qu'elles exercent et qui sont régies par des directives déjà adoptées (6) (point 2.2).
4 Le point 2.3 de la communication, consacré aux «Services de gestion financière et de dépôt des actifs», prévoit avant tout que les institutions de retraite peuvent choisir librement, pour la gestion de leurs investissements ou la conservation et l'administration des actifs en cause (7), parmi les opérateurs dûment agréés à cette fin: gestionnaires externes établis dans d'autres États membres ou établissements de crédit ou entreprises d'investissement établis dans d'autres États membres (points
2.3.1 et 2.3.2). Il est par ailleurs prévu que les autorités de surveillance de l'institution de retraite doivent être en mesure d'accomplir effectivement leurs tâches de surveillance et donc aussi lorsque l'institution elle-même ne peut ou ne veut pas fournir des informations qu'il est raisonnable de demander, ou de prendre des mesures en ce qui concerne les actifs qui ne relèvent pas de la compétence immédiate de l'autorité de surveillance. Aux fins de la surveillance prudentielle de
l'institution, il est donc demandé aux États membres de faire en sorte que tous les prestataires de services concernés soient tenus contractuellement de fournir toutes les informations nécessaires aux autorités de surveillance de l'institution (point 2.3.3).
Il importe de souligner ici que, pour atteindre les objectifs énoncés au point 2.3.3, il est souhaitable «que chaque État membre désigne une seule autorité compétente pour la coopération avec ses homologues dans les autres États membres» et que «la Commission adressera aux États membres la liste des autorités désignées par les États membres» (point 2.3.4).
5 Le point 2.4, qui est consacré à la «Liberté de placement des actifs», énumère tout d'abord les principes auxquels il est opportun que les institutions de retraite établies dans un État membre se conforment dans le placement de tous les actifs qu'elles détiennent à titre de couverture des paiements futurs de prestations de retraite. Ces principes peuvent être synthétisés comme suit: a) placement des actifs dans l'intérêt des affiliés et des bénéficiaires, compte tenu des exigences de sécurité, de
qualité, de liquidité et de rendement du portefeuille de l'institution de retraite dans son ensemble; b) diversification suffisante de ces mêmes actifs pour éviter toute accumulation excessive de risques; c) limitation des placements dans des entreprises participantes, associées ou filiales à un niveau prudent. Pour l'application de ces principes, l'existence d'une assurance couvrant le risque d'insolvabilité ou d'une garantie de l'État peut être prise en considération (point 2.4.1).
Le point 2.4.2 énumère en outre les cas dans lesquels les États membres peuvent exclure du champ d'application des dispositions du point 2.4.1 les actifs placés dans une entreprise participante ou dans une ou plusieurs entreprises associées. En particulier, il n'est pas superflu de rappeler ici que les placements effectués avant l'adoption de la communication peuvent être exclus. Il est en tout cas demandé aux États membres de s'engager à examiner périodiquement les éléments exclus.
6 Toujours dans le domaine de la liberté de placement des actifs, il est prévu au point 2.4.3 que «les États membres n'imposent pas aux institutions de retraite l'obligation d'effectuer ou de ne pas effectuer leurs placements dans des catégories particulières d'actifs ni de localiser leurs actifs dans un État membre déterminé, si ce n'est pour des raisons prudentielles dûment justifiées». Les restrictions imposées éventuellement pour des raisons prudentielles doivent aussi être proportionnées aux
objectifs qu'elles peuvent légitimement poursuivre. S'agissant du degré de congruence, il est aussi prévu que, «dans un premier temps, les États membres n'imposent en aucun cas aux institutions de retraite l'obligation de détenir plus de 60 % de leurs actifs dans des monnaies congruentes, compte tenu de l'effet des instruments de couverture de risque de change détenus par l'institution étant donné que, en général, ceci ne peut être justifié pour des raisons prudentielles» (8). Le point 2.4.4 précise
en outre que «les États membres ne soumettent les décisions d'une institution de retraite ou de son gestionnaire à aucune obligation d'approbation préalable ou de notification systématique».
Enfin, la communication comporte des «Remarques finales» libellées comme suit: «La Commission considère qu'il est important que les institutions de retraite puissent profiter pleinement des libertés instaurées par le traité. Elle veillera à ce que les restrictions en vigueur dans les États membres soient pleinement justifiées au regard des considérations prudentielles et autres considérations qui ont été invoquées pour justifier de telles restrictions et qu'elles sont proportionnées aux objectifs
poursuivis» (point 3).
7 D'après le gouvernement français, la communication introduirait des obligations nouvelles, en particulier en ce qui concerne le degré de congruence. Elle devrait donc être annulée pour incompétence de la Commission, ainsi que pour absence de fondement juridique et violation du principe de la sécurité juridique.
La Commission demande en revanche que le recours soit déclaré irrecevable, dans la mesure où l'acte attaqué, comme le démontrerait l'examen de son contenu, n'introduirait aucune obligation nouvelle par rapport à celles déjà prévues par le traité. Autrement dit, la communication se limiterait, aux yeux de la Commission, à donner une interprétation des principes fondamentaux fixés par le traité en matière de libre prestation des services, de liberté d'établissement et de libre circulation des
capitaux, en ce qui concerne la gestion et les placements des fonds de retraite.
Sur la recevabilité
8 L'exception d'irrecevabilité de la Commission se fonde sur le fait que la communication en cause serait un acte non contraignant et qu'elle ne serait donc pas attaquable au sens de l'article 173, premier alinéa, qui, comme chacun le sait, n'habilite la Cour à exercer un contrôle de légalité que sur les actes «autres que les recommandations et les avis», c'est-à-dire uniquement sur les actes contraignants. Un acte qualifié de «communication» ne devrait donc pas être attaquable devant la Cour,
puisqu'il s'agit en principe d'un acte non contraignant.
La jurisprudence de la Cour en la matière est toutefois orientée en ce sens que, aux fins de la recevabilité du contrôle juridictionnel, la forme sous laquelle se présente extérieurement l'acte s'avère peu importante, alors que ce sont les effets et le contenu de l'acte lui-même qu'il faut vérifier.
9 S'agissant plus particulièrement de la notion d'acte attaquable au sens de l'article 173, premier alinéa, la Cour a précisé dès l'arrêt dit «AETR» (9) que le recours en annulation doit être ouvert à l'égard «de toutes dispositions prises par les institutions, quelles qu'en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit». Cette approche a été confirmée ultérieurement dans trois arrêts, trouvant tous leur origine dans des recours de la République française destinés à obtenir
l'annulation d'actes atypiques: des «instructions internes» (10), un «code de conduite» (11) et, enfin, une «communication en matière d'aides» (12). La Cour a en effet jugé ces actes attaquables, précisément parce que - en dépit de leur dénomination et de la forme sous laquelle ils se présentaient - il s'agissait d'actes qui introduisaient des obligations nouvelles et étaient donc destinés à produire des effets juridiques à l'égard de leurs destinataires, et ce sans qu'aient été respectées, pour
leur adoption, les procédures prévues par le traité à cette fin.
10 En l'espèce, nous sommes confrontés à un acte qualifié de communication, dépourvu d'indication quant à son fondement juridique, qui ne porte la signature d'aucun commissaire et qui n'a pas été notifié aux États membres. Il a toutefois été adopté collégialement par la Commission et publié à la série C du Journal officiel.
De plus, l'acte en cause est essentiellement identique à la proposition de directive présentée au Conseil par la Commission et que celle-ci a retirée, étant donné que «les négociations avec les États membres au sein du Conseil étaient dans l'impasse» (point 1.4). Bien que la communication ne relève pas de la catégorie des actes typiques, ses modalités de rédaction et de publicité, en particulier les circonstances de son adoption, sont de nature à faire pour le moins soupçonner l'intention de lier
les destinataires, c'est-à-dire les États membres et, par ce biais, les opérateurs du secteur.
11 Cela étant dit, et conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière qui a déjà été rappelée, il s'avère donc indispensable d'examiner le contenu de l'acte pour vérifier s'il comporte des obligations juridiques nouvelles et contraignantes pour les destinataires. En conséquence, l'appréciation du bien-fondé de l'exception d'irrecevabilité doit être jointe à l'examen des questions de fond soulevées dans le litige.
Sur le fond
12 Comme nous l'avons déjà évoqué, la République française, à l'appui de laquelle est intervenu le royaume d'Espagne, invoque trois moyens: l'incompétence de la Commission, la violation de l'article 190 du traité pour absence de fondement juridique et, enfin, la violation du principe de la sécurité juridique. En outre, tant le gouvernement français que le gouvernement espagnol mettent en cause la validité de l'acte litigieux en raison de l'inégalité de traitement qui en découlerait entre titulaires
de fonds de pension et titulaires de polices d'assurance sur la vie (13).
S'agissant de l'incompétence de la Commission, la République française fait valoir que la communication est, en substance, une pseudo-directive, une copie de la proposition de directive, proposition fondée sur les articles 57, paragraphe 2, et 66 du traité. Puisque l'article 57, paragraphe 2 - disposition qui prescrit la procédure à suivre pour adopter des directives visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant l'accès aux
activités non salariées et l'exercice de celles-ci - exige que le Conseil statue à l'unanimité après consultation du Parlement européen ou conformément à la procédure visée à l'article 189 B, il s'ensuivrait que l'acte litigieux aurait dû être adopté par le Conseil ou par le Conseil et le Parlement, mais certainement pas par la Commission.
13 Celle-ci soutient en revanche que l'analyse du contenu de la communication démontrerait qu'elle n'est rien d'autre - et en tout cas telles sont ses intentions - qu'une simple interprétation des principes fondamentaux du traité sur la libre circulation à l'égard du secteur des fonds de retraite. Pour étayer cette thèse, la Commission ajoute que, les dispositions relatives à la libre prestation des services, à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux étant des dispositions
assorties de l'effet direct, la communication, comme du reste la proposition de directive, peut uniquement avoir valeur déclaratoire.
En somme, selon la Commission, la communication ne comporterait aucune obligation nouvelle à l'égard de ses destinataires, se limitant en revanche à clarifier les obligations incombant déjà aux États membres en vertu des dispositions du traité pertinentes en l'espèce. L'examen du contenu de la communication confirmerait donc qu'il s'agit d'un acte non attaquable au sens de l'article 173 du traité et que, dès lors, le recours devrait être déclaré irrecevable. C'est d'ailleurs précisément en se
fondant sur ces considérations que la Commission n'a même pas examiné les moyens avancés par le gouvernement français sur le fond.
14 Disons tout de suite à ce propos que nous partageons, bien que pour des motifs différents, la position de la Commission lorsqu'elle considère que, pour se prononcer sur le présent recours, il suffit en réalité d'examiner si la communication impose ou non des obligations nouvelles. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour en matière d'actes atypiques, il va de soi que, si elle impose des obligations nouvelles à ses destinataires, la communication devrait en tout cas être annulée, indépendamment
des vices allégués.
Comme on s'en souvient, en effet, alors que les «instructions internes» et le «code de conduite» ont été annulés pour incompétence de la Commission, l'arrêt sur la «communication en matière d'aides» a mis en évidence qu'un acte atypique introduisant des obligations nouvelles peut (ou mieux, doit) être annulé, même s'il est uniquement affecté de vices de forme, en particulier au nom de la sécurité juridique. Dans ce dernier arrêt, rappelons-le, la Cour a en effet souligné que «la législation
communautaire doit être claire et son application prévisible pour tous ceux qui sont concernés. Cet impératif de sécurité juridique requiert que tout acte visant à créer des effets juridiques emprunte sa force obligatoire à une disposition du droit communautaire qui doit expressément être indiquée comme base légale et qui prescrit la forme juridique dont l'acte doit être revêtu» (14).
15 L'affirmation que nous venons de citer montre à l'évidence qu'un acte communautaire, fût-il atypique, doit respecter non seulement les procédures nécessaires prévues pour son adoption, mais aussi les exigences substantielles de forme, dans la mesure où il introduit des obligations nouvelles à l'égard de ses destinataires et qu'il vise donc à produire des effets juridiques. Ainsi, même lorsque, comme dans le cas de la communication en matière d'aides, la Commission est compétente pour adopter un
acte normatif et qu'elle n'a violé aucune norme procédurale, l'acte doit néanmoins être annulé pour violation des formes substantielles, et ce en vue de garantir la sécurité juridique.
Dans ces conditions, il faudrait encore se demander si l'absence d'un minimum de formes substantielles ne peut pas être considérée de façon telle qu'il faille juger que l'acte en cause, indépendamment de l'issue de la vérification concrète de son contenu, n'a en tout cas pas vocation à produire des effets juridiques, de sorte que le recours destiné à en obtenir l'annulation devrait être déclaré irrecevable, précisément parce que les obligations éventuelles découlant de cet acte seraient, en tout
état de cause, inopposables aux administrés et aux États membres. La Cour, à laquelle nous avons déjà suggéré de répondre à titre préliminaire à cette question dans les conclusions relatives à l'affaire des «instructions internes» (15), a néanmoins confirmé, bien qu'indirectement, que le critère formel est tout à fait dénué de pertinence et que, par conséquent, il importe en tout état de cause de qualifier l'acte en se fondant sur son contenu.
16 Cela étant dit, examinons maintenant si la communication se limite à clarifier les obligations découlant, pour les États membres, des dispositions du traité en cause en l'espèce ou si elle crée des obligations nouvelles par rapport à ces dispositions. Avant même d'effectuer cet examen, il n'est pas surperflu de vérifier si les dispositions de la communication sont formulées en termes impératifs ou si elles expriment l'avis de la Commission sur la matière en cause, recommandant aux États membres
une ligne de conduite déterminée.
Force est de reconnaître à ce propos que la formulation linguistique de la communication n'est pas dépourvue d'ambiguïté. S'il est vrai que l'on relève des expressions se limitant par exemple à juger «souhaitable» un comportement déterminé de la part des États membres, des expressions beaucoup plus fortes sont néanmoins présentes, comme «les États membres ne soumettent» ou «les États membres n'imposent en aucun cas».
17 L'impression qui en ressort est que l'opération de maquillage de la proposition de directive en communication n'est pas parvenue, volontairement ou par distraction, au meilleur résultat. En particulier, nous ne croyons pas que l'on puisse avoir le moindre doute sur le fait que la fixation du degré de congruence (point 2.4.3), qui constitue l'un des points majeurs de contestation entre les parties, est formulée comme une obligation et certainement pas comme un souhait. Il en va de même pour ce qui
concerne les éléments qui peuvent être exclus du champ d'application de la communication (point 2.4.2) et l'interdiction de soumettre les décisions de placement à des obligations d'approbation préalable ou de notification systématique (point 2.4.4).
Il va de soi, cependant, que la formulation de ces points en termes contraignants n'est pas du tout décisive, au contraire. Elle serait même dépourvue de pertinence si l'on en arrivait à conclure que la communication est simplement déclaratoire. Telle est la thèse de la Commission, selon laquelle l'effet direct dont sont assorties les dispositions relatives à la libre prestation des services, à la liberté d'établissement et à la libre circulation des capitaux impliquerait que les obligations
contenues dans la communication résultent directement du traité, de sorte que la communication elle-même, comme du reste la proposition de directive, n'ajouterait aucune obligation nouvelle dans le chef des États membres.
18 Cette thèse nous semble en réalité simpliste, étant donné que l'on peut pour le moins objecter que toutes les obligations découlant du droit communautaire trouvent leur source dans le traité. L'effet direct des dispositions en question, qui n'est certainement pas en cause ici, a en réalité pour conséquence que les États membres ne peuvent pas imposer de restrictions injustifiées aux libertés concernées. Il est par trop évident, dans cette optique, que les institutions de retraite doivent pouvoir
choisir librement les gestionnaires et/ou les organismes chargés de gérer leurs placements ou les activités de dépôt, et il est tout aussi évident que, s'ils n'ont pas cette possibilité, ce sera le cas échéant la Cour qui statuera sur la question de savoir si les restrictions en cause sont justifiées ou si elles comportent une violation des dispositions du traité concernées.
Cela ne signifie toutefois pas que les éventuelles mesures de coordination ou d'harmonisation, même si elles visent uniquement à faciliter l'exercice de la liberté en question, ne soient plus nécessaires (16) ni qu'elles puissent être adoptées sans respecter les procédures prévues à cet effet. L'adoption de mesures d'harmonisation, il est presque superflu de le souligner, n'est par ailleurs pas dépourvue de conséquences: en présence de telles mesures, les États membres ne peuvent, en effet, plus
invoquer les exceptions expressément prévues par le traité en la matière ou des raisons d'intérêt général pour justifier les éventuelles restrictions imposées, pour ce qui importe ici, à la gestion et aux activités de placement des institutions de retraite.
19 Or, l'imposition de certains principes prudentiels (point 2.4.1) et plus encore la fixation du degré de congruence à 60 % constituent indubitablement des mesures, même minimes, d'harmonisation et, en tant que telles, elles auraient exigé l'adoption d'un acte normatif.
La défense de la Commission n'est d'ailleurs pas exempte de contradictions à ce sujet. Si, comme elle le soutient, la communication et la proposition de directive ont pure valeur déclaratoire, elles devraient manifestement avoir pour conséquence que les États membres seraient tenus de se conformer aux comportements qui y sont indiqués. On ne comprend donc pas pourquoi la même institution s'attache tellement à démontrer qu'à elle seule la formulation linguistique de la communication est telle qu'il
faille exclure que l'on est en présence d'un acte obligatoire, et qu'elle souligne avec insistance que l'extraordinaire similitude entre la communication et la proposition de directive est due à des raisons de cohérence. En réalité, la Commission reconnaît elle-même que la communication est tout sauf déclaratoire, et elle le fait en rappelant qu'elle est sur le point de publier un livre vert en la matière, à l'égard duquel les États membres sont invités à exprimer leur avis, et en précisant que la
fixation du degré de congruence à 60 % ne découle pas du tout du traité, mais constitue son point de vue, qui n'est pas nécessairement correct.
20 En somme, il ne fait aucun doute que la communication n'est pas seulement déclaratoire, et il ne nous semble pas non plus qu'elle puisse être qualifiée, comme le soutient néanmoins la Commission, de simple communication interprétative. Il est vrai que la Commission utilise très fréquemment des communications ayant une forme et des contenus différents, allant jusqu'à provoquer quelques tentatives de classification des différents types (17); il est tout aussi vrai, comme le démontre l'expérience,
que les communications interprétatives visent à faire connaître aux États membres et aux opérateurs les droits et obligations découlant pour eux du droit communautaire, en particulier à la lumière des développements jurisprudentiels relevés dans le secteur en cause (18).
Or, nous ne pensons pas que le présent cas d'espèce relève d'une telle hypothèse. En effet, la Commission ne s'est pas limitée à clarifier, comme elle l'a en revanche prétendu, quelle est l'application correcte de certains principes fondamentaux du traité à l'égard du secteur des fonds de pension, mais elle est allée bien plus loin. Cela est prouvé, entre autres, par la circonstance, quand bien même serait-elle jugée souhaitable, que les États membres doivent désigner une autorité de surveillance
unique et qu'ils le notifient à la Commission, laquelle, à son tour, envoie une liste des autorités désignées aux États membres (point 2.3.4). La fixation contestée du degré de congruence à 60 % (point 2.4.3) en est une autre preuve, de même que l'interdiction absolue de soumettre les décisions des institutions de pension relatives aux placements à toute obligation d'approbation préalable (point 2.4.4). Enfin, la circonstance que les États membres peuvent exclure du champ d'application de la
communication les placements effectués avant l'adoption de celle-ci (point 2.4.2) démontre bien que cette communication a et veut avoir des effets juridiques.
21 Avant de tirer les conséquences par trop évidentes découlant de la conclusion à laquelle nous sommes parvenu, nous estimons nécessaire de faire mention, très synthétiquement il est vrai, de deux observations supplémentaires formulées par la Commission. Celle-ci a en effet soutenu, d'une part, que l'acte litigieux, à la différence des actes atypiques annulés précédemment par la Cour, ne vise à compléter aucun autre acte normatif contraignant et qu'il résulte au contraire d'un acte normatif
«avorté» (19) et, d'autre part, que ce même acte n'a pas été notifié aux États membres et ne leur est pas adressé officiellement.
Il suffit de faire observer à propos de la première remarque qu'il serait absurde ne serait-ce que d'imaginer que seuls les actes «atypiques» portant des modalités d'application ou, en tout cas, destinés à compléter d'autres actes de droit dérivé sont susceptibles d'annulation, et non les actes «atypiques» qui tirent leur force contraignante directement du traité. S'agissant de l'absence de notification aux États membres, s'il est bien vrai que la Cour en a souligné l'importance dans son arrêt sur
la «communication en matière d'aides» (20), il est tout aussi vrai, comme le prouve bien le cas des «instructions internes», que cette même jurisprudence montre qu'il ne s'agit pas du tout d'un élément décisif (21).
22 Eu égard à tous les éléments considérés, force est de constater que la communication sur les fonds de retraite est un acte visant à produire des effets juridiques propres. Compte tenu de ce que nous avons déjà précisé précédemment (22), cette constatation est suffisante pour porter à conclure que la communication doit être annulée.
Sans qu'il soit nécessaire de se pencher davantage sur les moyens avancés par le gouvernement français, il suffit en effet de rappeler ici que la communication n'a pas été adoptée d'après la procédure visée aux articles 57, paragraphe 2, et 66 du traité, sur lesquels était fondée la proposition de directive retirée par la suite; de plus, elle est, en tout cas, dépourvue des formes substantielles qui révéleraient très clairement et sans ambiguïté qu'il s'agit d'un acte contraignant pour ses
destinataires.
23 A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons par conséquent à la Cour d'accueillir le recours et de condamner la Commission aux dépens.
(1) - JO 1994, C 360, p. 7.
(2) - JO 1991, C 312, p. 3.
(3) - Une deuxième proposition, modifiée, a été présentée au Conseil le 26 mai 1993 (JO C 171, p. 13). La modification n'est cependant pas substantielle, étant donné que la deuxième proposition se limite à préciser, dans son intitulé même, qu'elle concerne uniquement les organismes de retraite complémentaire et non les organismes de sécurité sociale réglementaires.
(4) - La Commission a précisé à ce propos, dans la communication elle-même, que la décision de retirer la proposition de directive découlait de son refus «d'apporter certaines modifications destinées à rendre le texte de sa proposition acceptable pour la majorité des États membres, considérant que celles-ci risquaient de transformer complètement le sens de la directive et d'aller à l'encontre de ses objectifs, puisque, loin de supprimer les obstacles à la prestation de services et à la liberté de
placement, elles les légitimaient» (point 1.4).
(5) - Règlement du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 74, p. 1).
(6) - La référence concerne les directives suivantes du Conseil: directive 85/611/CEE, du 20 décembre 1985, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) (JO L 375, p. 3); directive 89/646/CEE, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son
exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE (JO L 386, p. 1); directive 92/49/CEE, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73/239/CEE et 88/357/CEE (troisième directive «assurance non vie») (JO L 228, p. 1); directive 92/96/CEE, du 10 novembre 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant
l'assurance directe sur la vie, et modifiant les directives 79/267/CEE et 90/619/CEE (troisième directive assurance vie) (JO L 360, p. 1); directive 93/22/CEE, du 10 mai 1993, concernant les services d'investissement dans le domaine des valeurs mobilières (JO L 141, p. 27).
(7) - Il s'agit plus précisément, comme l'indique la communication, des actifs visés au point 12 de l'annexe de la directive 89/646 ou au point C.1 de l'annexe de la directive 93/22.
(8) - Mis en italique par nous.
(9) - Arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil (22/70, Rec. p. 263, point 42).
(10) - Arrêt du 9 octobre 1990, France/Commission (C-366/88, Rec. p. I-3571, point 8).
(11) - Arrêt du 13 novembre 1991, France/Commission (C-303/90, Rec. p. I-5315, point 8).
(12) - Arrêt du 16 juin 1993, France/Commission (C-325/91, Rec. p. I-3283, point 9).
(13) - Et ce essentiellement parce que le degré de congruence, fixé à 60 % pour les institutions de pension, est en revanche fixé à 80 % à l'égard du secteur de l'assurance.
(14) - Arrêt du 16 juin 1993, France/Commission, cité à la note 12, point 26; mis en italique par nous.
(15) - La nécessité de répondre à cette question était dictée par la conviction que, s'il est vrai que le choix de la forme ne peut pas transformer la nature de l'acte, il est tout aussi vrai que l'absence de certaines exigences formelles, en particulier des formes qui permettent d'identifier un acte comme étant contraignant, aurait pour conséquence que, même lorsqu'un examen de son contenu en révèle la vocation à produire des effets juridiques, ceux-ci seraient en tout cas inopposables aux tiers.
Il s'agirait, en substance, d'actes dépourvus en tout cas d'effet juridique à l'égard des administrés et des États membres, et ce indépendamment du fait que la Commission soit habilitée ou non, dans le secteur considéré, à adopter des actes contraignants.
(16) - Il est à peine nécessaire de rappeler à cet égard ce qu'a déclaré la Cour en affirmant l'effet direct de l'article 52 du traité, à savoir que les directives en cause «n'ont cependant pas perdu tout intérêt, puisqu'elles conservent un champ d'application important dans le domaine des mesures destinées à favoriser l'exercice effectif du droit de libre établissement» (arrêt du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, Rec. p. 631, points 29 à 31).
(17) - Outre les communications interprétatives et informatives, ces dernières étant destinées à alimenter le dialogue entre institutions sur des thèmes et matières pour lesquels l'adoption d'actes normatifs proprement dits est envisagée [voir, par exemple, la communication relative à la législation communautaire sur les produits alimentaires COM (85) 603 final, du 8 novembre 1985], les communications dites décisoires, relatives à des secteurs dans lesquels la Commission dispose d'un pouvoir
d'appréciation, revêtent une grande importance. Tel est le cas en matière de concurrence: il suffit de penser, par exemple, à la communication de la Commission, du 3 septembre 1986, concernant les accords d'importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté économique européenne (JO C 231, p. 2) ou aussi à la communication de la Commission sur le traitement des entreprises communes à caractère coopératif au regard de
l'article 85 du traité CEE (JO 1993, C 43, p. 2); il en va de même en matière d'aides d'État. A propos de ce dernier secteur, rappelons, par exemple, la communication de la Commission sur la méthode pour l'application de l'article 92, paragraphe 3, sous a) et c) aux aides régionales (JO 1988, C 212, p. 2), ainsi que la communication sur l'encadrement communautaire des aides d'État dans le secteur de l'automobile (JO 1989, C 123, p. 3). S'agissant de la valeur de ces communications, on se référera à
l'arrêt du 24 février 1987, Deufil/Commission (310/85, Rec. p. 901, point 22), dans lequel la Cour a affirmé que la communication contient «des règles indicatives définissant les lignes de conduite que la Commission entend suivre et qu'elle demande aux États membres de respecter»; on verra aussi l'arrêt du 16 juin 1993, France/Commission, cité à la note 12, dans lequel la Cour a en revanche annulé la communication litigieuse en matière d'aides dans la mesure où, loin de contenir des règles purement
indicatives, elle créait des obligations nouvelles à charge des États membres et, de ce fait, des entreprises concernées.
(18) - Voir, notamment, la communication de la Commission sur les suites de l'arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes, le 20 février 1979, dans l'affaire 120-78 (Cassis de Dijon) (JO 1980, C 256, p. 2) et la communication interprétative de la Commission concernant la libre circulation transfrontière des services (JO 1993, C 334, p. 3).
(19) - Rappelons par ailleurs à ce propos que les «instructions internes» elles aussi, bien que destinées à compléter un acte normatif de droit dérivé, ont été adoptées alors qu'une proposition de règlement, ayant un contenu assez similaire, était soumise au Conseil.
(20) - D'ailleurs, la Cour a souligné dans cet arrêt, pour réfuter l'argument de la Commission selon lequel la communication était en réalité une circulaire adressée à ses propres services, qu'elle «vise expressément les États membres, auxquels elle a d'ailleurs été notifiée» (arrêt du 16 juin 1993, France/Commission, cité à la note 12, point 29).
(21) - Et, en effet, il est à peine nécessaire de faire observer que les instructions internes n'étaient pas du tout (du moins pas ouvertement) destinées aux États membres, pas plus qu'elles ne leur avaient été notifiées.
(22) - Voir, à ce propos, les points 12, 14 et 15 ci-dessus.