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16/01/1997 | CJUE | N°C-258/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 janvier 1997., Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG contre Finanzamt Neustadt., 16/01/1997, C-258/95


Avis juridique important

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61995C0258

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 janvier 1997. - Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG contre Finanzamt Neustadt. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Sixième directive TVA - Prestation de services effectuée à titre on

éreux - Notion - Transport de travailleurs effectué par l'employeur. - Affai...

Avis juridique important

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61995C0258

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 16 janvier 1997. - Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG contre Finanzamt Neustadt. - Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne. - Sixième directive TVA - Prestation de services effectuée à titre onéreux - Notion - Transport de travailleurs effectué par l'employeur. - Affaire C-258/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-05577

Conclusions de l'avocat général

1 Le Bundesfinanzhof défère à votre Cour trois questions relatives à l'interprétation de certaines dispositions de la sixième directive TVA (1) (ci-après la «directive»). Il s'agit en substance d'évaluer le traitement à réserver, au regard de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée, au transport groupé gratuit fourni par un employeur à ses salariés, de leur domicile jusqu'à leur lieu de travail.

Le cadre factuel et procédural

2 Les faits de l'espèce au principal tels qu'ils sont exposés dans l'ordonnance de renvoi sont les suivants.

3 Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG (partie demanderesse et demanderesse en «Revision», ci-après la «demanderesse») exploite une entreprise de construction. Au cours des années 1980 à 1985 dont il s'agit en l'espèce, elle a assuré gratuitement le transport de certains de ses salariés, de leur domicile jusqu'aux divers chantiers sur lesquels ils étaient affectés. Ces transports s'effectuaient essentiellement dans des véhicules appartenant à l'employeur, certains étaient toutefois confiés par ce
dernier à l'un de ses salariés, qui les assurait au moyen de son véhicule privé. Dans les deux cas, aucuns frais particuliers ni déduction de salaire n'étaient imputés aux salariés qui faisaient usage de cette possibilité.

4 Ces prestations de transport étaient offertes, conformément aux dispositions de la «Bundesrahmentarifvertrag für das Baugewerbe» (convention collective cadre pour le secteur de la construction), dès lors qu'une distance minimale entre le domicile et les chantiers était atteinte (six kilomètres).

5 Le Finanzamt (partie défenderesse et défenderesse en «Revision», ci-après la «défenderesse») a retenu à cet égard l'existence d'opérations imposables au sens de la législation allemande relative à la taxe sur le chiffre d'affaires (2).

6 Dans son recours en «Revision», la demanderesse conteste la thèse de l'imposabilité de ces prestations de transport. Elle fait valoir à cet égard que la jurisprudence du Bundesfinanzhof du 11 mars 1988 (3) ne serait pas applicable aux circonstances de l'espèce et que le transport litigieux ne saurait à ce titre être considéré comme une prestation taxable au sens des dispositions précitées de l'UStG 1980 (4).

La défenderesse et le Finanzgericht, devant lequel son recours n'a pas abouti, auraient tous deux méconnu que le transport litigieux était non pas une prestation offerte aux salariés pour leurs besoins privés, mais une prestation que l'employeur fournissait essentiellement dans l'intérêt de son entreprise, et à laquelle il était tenu, en sa qualité d'entreprise de construction, par la convention collective cadre pour le secteur de la construction.

7 La juridiction de renvoi estime que la décision à prendre en l'espèce «... dépend de questions relatives à la taxation de ce qu'il est convenu d'appeler les avantages en nature fournis par l'employeur à ses travailleurs, lorsque lesdits travailleurs ne sont pas tenus de fournir en échange une contrepartie stipulée et calculée de façon concrète» (5). Elle vous soumet en conséquence les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le transport pris en charge par un employeur relève-t-il de la notion de prestation `effectuée à titre onéreux' au sens de l'article 2, point 1, de la directive 77/388/CEE - la contre-valeur étant constituée par une fraction, qui reste à évaluer, de la prestation de travail effectuée par le salarié - y compris lorsqu'il est assuré (sans que l'employeur perçoive de rétribution spécifiquement stipulée et calculée), à partir d'une distance minimale déterminée, depuis le domicile jusqu'au lieu de
travail en application d'une convention collective et que la prestation de travail - qui est dépourvue de lien concret avec ces prestations de transport - est due, comme pour les autres salariés, même contre versement du seul salaire en espèces?

2) L'article 6, paragraphe 2, de la directive 77/388/CEE s'applique-t-il à l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise et/ou à une prestation de services à titre gratuit, même lorsque celle-ci - par exemple, dans le cas où le transport gratuit de salariés entre leur domicile et leur lieu de travail est assuré à l'aide d'un véhicule affecté à l'entreprise - est effectuée par l'employeur à des fins qui ne sont pas étrangères à l'entreprise, tout en satisfaisant néanmoins des besoins privés du
salarié, sans que ce dernier soit pour autant tenu de payer la taxe sur le chiffre d'affaires (au titre du transport gratuit auquel il a eu recours)?

3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question:

Se trouve-t-on également en présence de l'un des cas de figure visés à l'article 6, paragraphe 2, de la directive 77/388/CEE lorsque l'employeur ne transporte pas les salariés dans ses propres véhicules, mais confie cette tâche à des tiers (et, dans le cas d'espèce, à l'un de ses salariés)?»

Sur la première question

8 Le Bundesfinanzhof s'interroge tout d'abord sur le point de savoir si, et dans quelle mesure, les prestations de transport fournies en l'espèce par l'employeur à ses salariés constituent des prestations «à titre onéreux» (la contre-valeur étant constituée par une fraction, qui resterait le cas échéant à évaluer, de la prestation de travail) au sens de l'article 2, point 1, de la directive.

9 Aux termes de cette disposition:

«Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée:

1. ... les prestations de services effectuées titre onéreux à l'intérieur du pays par un assujetti agissant en tant que tel» (6).

10 Il n'est pas contesté qu'en l'espèce la prestation de transport est constitutive d'une prestation de services effectuée par un assujetti au sens de la directive; seul son caractère onéreux fait l'objet des interrogations de la juridiction de renvoi.

11 La question de la détermination du caractère onéreux d'une prestation de services fait l'objet d'une jurisprudence abondante et dorénavant assise.

12 Selon votre Cour, pour qu'une prestation de services se voie reconnaître ce caractère, et soit donc taxable, il faut qu'il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue.

13 Ce principe a été dégagé pour la première fois dans l'arrêt du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (7), qui concernait alors les dispositions dites de la «deuxième directive TVA» (8).

14 Dans votre arrêt du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council (9), vous avez confirmé cette jurisprudence, dans le cadre cette fois de la sixième directive TVA, en considérant que l'organisme en question, dans sa mission de défense des intérêts communs des producteurs de pommes et de poires, en réalisant des opérations de publicité collective financées par une taxe annuelle obligatoire, n'accomplissait pas des prestations de services à titre onéreux, à défaut de lien direct entre le service
rendu et la contre-valeur reçue.

Vous avez en effet retenu que, si les producteurs individuels bénéficiaient d'avantages, ceux-ci n'étaient tirés qu'indirectement de ceux qui revenaient de façon générale à l'ensemble du secteur et que, en outre, il n'existait pas de relation entre le niveau des avantages que les producteurs individuels tiraient des services de l'Apple and Pear Development Council et le montant des taxes obligatoires qu'ils étaient tenus de payer.

15 Nous pouvons encore utilement citer l'arrêt du 3 mars 1994, Tolsma (10), dans lequel vous avez relevé qu'une prestation de services n'est effectuée «à titre onéreux» au sens de l'article 2, point 1, de la directive,

«... que s'il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire» (11).

Vous rappeliez à cette occasion que:

«... la Cour a déjà jugé, à propos de la notion de prestation de services effectuée à titre onéreux, utilisée par l'article 2, sous a), de la deuxième directive, dont le libellé est semblable à celui de l'article 2, point 1, de la sixième directive, que les opérations taxables supposent, dans le cadre du système de la TVA, l'existence d'une transaction entre les parties comportant stipulation d'un prix ou d'une contre-valeur. La Cour en a déduit que, lorsque l'activité d'un prestataire consiste à
fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n'existe pas de base d'imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA (voir arrêt du 1er avril 1982, Hong-Kong Trade Development Council, 89/81, Rec. p. 1277, points 9 et 10)» (12).

Ou encore:

«Dans les arrêts du 5 février 1981, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (154/80, Rec. p. 445, point 12), et du 23 novembre 1988, Naturally Yours Cosmetics (230/87, Rec. p. 6365, point 11), la Cour a précisé à cet égard que la base d'imposition d'une prestation de services est constituée par tout ce qui est reçu en contrepartie du service presté et qu'une prestation de services n'est dès lors taxable que s'il existe un lien direct entre le service rendu et la contrepartie reçue (voir également arrêt
du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, Rec. p. 1443, points 11 et 12)» (13).

16 L'on peut dégager de cette jurisprudence les trois critères suivants permettant de cerner la notion de prestation de services effectuée «à titre onéreux» (14):

- il doit exister un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (15);

- la contre-valeur doit pouvoir être exprimée en argent (16);

- cette contre-valeur doit être la valeur subjective que lui accordent les parties (17).

17 Or les trois conditions ainsi exigées par votre jurisprudence pour reconnaître à une prestation de services un caractère onéreux, susceptible de la rendre imposable au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, font en l'espèce défaut.

18 Une simple «fraction, qui reste à évaluer de la prestation de travail effectuée par le salarié», selon les termes de la juridiction de renvoi, ne peut être considérée comme une véritable contrepartie de la prestation de transport reçue par le salarié.

19 Aucun lien direct ne peut être observé en l'espèce entre le service rendu et la contre-valeur reçue.

20 Le service, qui consiste en l'espèce en une prestation de transport, est en effet rendu indépendamment de toute contre-valeur reçue. Le salarié qui fait usage du transport gratuit groupé mis à sa disposition par l'employeur ne verse aucune somme ni ne voit son salaire imputé d'aucune valeur censée représenter ce service en contrepartie. On ne saurait en outre voir dans le salaire une contrepartie de ce service: celui-ci n'est versé qu'en considération de la seule prestation de travail fournie.

De la même façon que dans l'affaire Apple and Pear Development Council, précitée, dans laquelle tous les producteurs de pommes et de poires versaient les mêmes taxes à l'organisme en cause, sans qu'il y ait de relation entre la taxe versée et les bénéfices réalisés, les salariés sont en l'espèce tenus au même travail et reçoivent le même salaire, qu'ils tirent ou non un avantage du transport gratuit: aucune contrepartie qui aurait un lien direct avec le transport offert par l'employeur n'existe.

L'employeur est tenu d'offrir à chacun de ses salariés une possibilité de transport gratuit conformément aux dispositions de la convention collective applicable, mais ceux-ci restent libres de faire usage ou non de cette prestation.

21 Dès lors, il n'est pas possible de considérer une fraction de la prestation de travail du salarié prise individuellement comme étant la contrepartie (évaluée) de la prestation de transport.

22 Notons au surplus qu'aucune évaluation d'une fraction isolée de la prestation de travail, comme constitutive d'une contrepartie de la prestation de transport, n'a été proposée par l'une quelconque des parties au cours de la procédure.

23 En conséquence, dans la mesure où aucune contre-valeur présentant un lien direct avec le service rendu ne peut être isolée, il est a fortiori impossible en l'espèce d'exprimer la contre-valeur «en argent», comme l'exige la jurisprudence précitée, et de lui reconnaître une valeur «subjective» que lui accorderaient les parties.

24 La prestation de transport gratuit offerte par l'employeur à ses salariés ne pouvant se voir reconnaître un caractère «onéreux» au sens de l'article 6, paragraphe 2, de la directive, elle ne relève pas du champ d'application de cette disposition et ne peut être imposable à la taxe sur la valeur ajoutée à ce titre.

25 Il convient donc de répondre par la négative à la première question.

Sur la deuxième question

26 En cas de réponse négative à la première question, la juridiction de renvoi vous demande si les prestations de transport litigieuses entrent dans le champ d'application des opérations taxables au sens de l'article 6, paragraphe 2, de la directive.

27 Cette disposition est ainsi libellée:

«2. Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux:

a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée;

b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise.

Les États membres ont la faculté de déroger aux dispositions de ce paragraphe à condition que cette dérogation ne conduise pas à des distorsions de concurrence.»

28 Conformément à l'article 11 A, paragraphe 1, sous c), de la directive, la base d'imposition pour les opérations visées à l'article 6, paragraphe 2, est constituée «... par le montant des dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services».

29 La formulation de la question préjudicielle semble inviter à opérer une distinction entre «l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise» [article 6, paragraphe 2, sous a)], et les «prestations de services à titre gratuit» [article 6, paragraphe 2, sous b)].

Cependant, cette distinction ne nous paraît pas nécessaire dans les circonstances de l'espèce. Les notions de «besoins privés de l'assujetti ou de son personnel» et de «fins étrangères à son entreprise», communes aux deux variantes, sont seules déterminantes.

30 En effet, et pour schématiser, soit l'on considère que les transports litigieux sont effectués pour les besoins privés du personnel, à des fins étrangères à l'entreprise, soit l'on considère à l'inverse que ces transports répondent aux besoins de l'entreprise, auquel cas ils échappent à toute imposition au titre de l'article 6, paragraphe 2, de la directive.

31 Les deux thèses ont été défendues au cours de la procédure.

32 La demanderesse, tout d'abord, soutient que le transport des salariés sert uniquement et directement les fins de l'entreprise et se situe, dès lors, dans le cadre de l'exercice des relations professionnelles et ne relève pas du domaine «privé» des salariés. Elle fait valoir à cet égard que, si, en principe, les transports relèvent du domaine de la «sphère privée» des employés, la convention collective en application de laquelle ceux-ci sont effectués en l'espèce les aurait fait passer dans le
domaine professionnel. Elle conclut donc à la non-application de l'article 6, paragraphe 2, en l'espèce.

33 Les autres parties estiment en revanche que le transport gratuit des salariés satisfait leurs besoins privés et sert donc des fins étrangères à l'entreprise; l'article 6, paragraphe 2, serait donc applicable.

34 Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission sont d'avis, toutefois, que des circonstances particulières propres à l'espèce au principal sont à prendre en considération, qui justifieraient la non-imposition au titre de l'article 6, paragraphe 2.

35 Nous nous rallions à cette position.

36 Il nous semble difficilement contestable, tout d'abord, que le transport des salariés de leur domicile jusqu'à leur lieu de travail soit une question qui relève, en principe, du domaine de leur vie privée.

37 En effet, c'est le salarié qui choisit la localisation de son domicile, le cas échéant, en considération de son lieu de travail, qui détermine la longueur du parcours de l'un à l'autre, et la nature du moyen de transport qu'il est libre de choisir pour ce trajet. L'employeur n'intervient en aucune façon dans ces considérations, l'obligation du salarié à son égard étant simplement de se présenter sur son lieu de travail, à l'heure convenue. C'est à ce dernier de prendre ses dispositions afin de se
rendre sur ce lieu, le choix de la façon dont il y procède lui revenant en propre. En conséquence, dans des circonstances normales, le transport d'un salarié de son domicile à son lieu de travail sert un «besoin privé du personnel», effectué à des «fins étrangères à l'entreprise». Que ce transport puisse être organisé par l'employeur, qui met à la disposition de ceux de ses salariés qui le souhaitent, la possibilité d'un transport groupé gratuit, ne change rien à ces considérations.

38 Dès lors, et en principe, le transport gratuit de salariés assuré par un employeur au moyen d'un véhicule affecté à l'entreprise doit être considéré comme imposable à la taxe sur la valeur ajoutée, au titre de son assimilation à une prestation de services effectuée à titre onéreux, conformément aux dispositions de l'article 6, paragraphe 2, de la directive.

39 Cette soumission de principe est conforme à l'objectif poursuivi par cette disposition, qui «... entend éviter la non-imposition d'un bien d'entreprise utilisé à des fins privées...» (18).

40 Cependant, nous pensons qu'il faut admettre, titre d'exception, en raison de circonstances particulières, liées en l'espèce à la nature de l'activité de l'entreprise, que le transport offert par l'employeur peut être considéré comme assuré à des fins qui ne sont pas étrangères à l'entreprise.

41 Le propre d'une entreprise de construction est que les salariés sont affectés, non pas de façon définitive sur un lieu de travail préalablement convenu avec l'employeur, mais, en fonction des besoins de la clientèle de l'entreprise, sur des chantiers localisés de façon variable. Cette affectation peut changer d'un jour à l'autre, voire au cours d'une même journée. Le salarié doit pouvoir être mobilisé sur simple appel de l'employeur. C'est là une particularité propre aux salariés du secteur de la
construction en l'espèce par rapport aux employés tenus d'effectuer leur prestation de travail sur un lieu préalablement fixé, comme dans les locaux de l'entreprise qui les emploie. Ainsi, la longueur du trajet séparant le domicile de l'employé de son lieu de travail échappe à son choix et à son contrôle.

42 Les lieux d'affectation des salariés concernés sont le plus souvent difficilement accessibles par les moyens traditionnels, parce qu'il s'agit de chantiers, qui peuvent être situés par exemple dans des zones industrielles ou en dehors de toute périphérie urbaine.

43 Par ailleurs, et en considération du fait que, selon leur affectation, les chantiers sur lesquels ils doivent travailler peuvent se trouver éloignés de leur domicile, les horaires de travail des employés du secteur de la construction peuvent amener ces derniers à devoir se lever particulièrement tôt le matin afin de leur permettre de couvrir en temps utile la distance les séparant de leur lieu de travail.

44 Dans de telles circonstances, laisser aux seuls salariés le soin du choix de leur mode de transport de leur domicile jusqu'à leur lieu de travail peut comporter pour l'employeur une part de risque préjudiciable à la bonne activité de son entreprise. On peut concevoir en effet que les autres moyens de transport, plus traditionnels, tels que les transports en commun, s'avèrent inadaptés ou même se trouvent inexistants dans ces circonstances.

45 Dès lors, l'organisation par l'employeur du transport de ses salariés de leur domicile jusqu'à leurs lieux d'affectation peut, dans certaines circonstances particulières, comme c'est le cas en l'espèce, répondre aux exigences impératives du bon fonctionnement de l'activité de l'entreprise. S'il ne peut être contesté que les employés tirent un avantage de cette organisation ainsi mise à leur disposition, celui-ci apparaît accessoire par rapport aux besoins de l'entreprise en considération desquels
l'organisation de transports groupés gratuits a été mise en place.

46 Le fait qu'une convention collective ait d'ailleurs prévu expressément de tels transports, s'il n'est pas déterminant, tend néanmoins à confirmer que le secteur de la construction relève d'une activité dont les particularités sont à prendre en considération.$

47 Nous estimons en conséquence, en réponse à la deuxième question, que, si, en principe, le transport de salariés de leur domicile jusqu'à leur lieu de travail au moyen d'un véhicule appartenant à l'employeur doit être considéré comme satisfaisant des besoins privés de ces salariés et être à ce titre imposable au titre de l'article 6, paragraphe 2, de la directive, il n'en va pas de même lorsque, en raison de circonstances particulières, propres par exemple à la nature de l'activité de
l'entreprise, ces prestations de transport répondent à des fins qui ne sont pas étrangères à l'entreprise. Dans cette dernière hypothèse, l'on se trouve hors du champ d'application de l'article 6, paragraphe 2, et l'opération n'est pas imposable.

Sur la troisième question

48 Par cette question, le Bundesfinanzhof vous demande, dans l'hypothèse où une réponse affirmative serait apportée à la deuxième question, d'évaluer l'incidence du fait que les transports litigieux puissent être confiés à un salarié de l'entreprise, au moyen de son véhicule privé.

49 En considération de la réponse que nous vous proposons d'apporter à la deuxième question, la troisième devrait rester, en l'espèce, sans réponse.

50 Cependant, si les circonstances ne justifiaient pas que les transports litigieux soient considérés comme opérés à des fins qui ne sont pas étrangères à l'entreprise, la troisième question ne devrait selon nous pas recevoir un traitement différent de la précédente. Un salarié qui se voit confier l'accomplissement d'une activité par l'assujetti, au sens de la directive, n'agit pas d'une façon indépendante au sens de l'article 4, paragraphe 1, de celle-ci: la prestation de transport assurée par un
salarié devrait être considérée comme assimilée à une prestation de transport effectuée par l'entrepreneur assujetti, puisqu'elle est effectuée pour le compte de ce dernier.

Conclusion

51 Pour ces considérations, nous vous proposons de répondre de la façon suivante aux questions soumises par le Bundesfinanzhof:

«1) L'article 2, point 1, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme, doit être interprété en ce sens qu'un employeur qui assure le transport de ses salariés depuis leur domicile jusqu'à leur lieu de travail, à titre gratuit et sans lien concret avec la prestation de travail ni avec le salaire, n'effectue pas
une prestation de services `à titre onéreux' au sens de cette disposition.

2) L'article 6, paragraphe 2, de la directive précitée doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à l'hypothèse d'un transport gratuit de salariés par leur employeur entre leur domicile et leur lieu de travail, dans la mesure où celui-ci satisfait en principe des besoins privés du personnel et sert donc des fins étrangères à l'entreprise. Cette disposition ne trouve cependant pas à s'appliquer lorsque, comme en l'espèce, en raison de la particularité de l'activité de l'entreprise, la
prestation de transport n'est pas effectuée à des fins étrangères à l'entreprise et satisfait aux besoins de celle-ci.

3) La réponse donnée sous 2), première phrase, vaut également lorsque l'employeur ne transporte pas les salariés dans ses propres véhicules, mais confie cette tâche à des tiers (et, dans le cas d'espèce, à l'un de ses salariés).»

(1) - Sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

(2) - Article 1er, paragraphe 1, n_ 1, deuxième phrase, sous b), de l'Umsatzsteuergesetz de 1980 (loi relative à la taxe sur le chiffre d'affaires de 1980 - ci-après l'«UStG 1980»).

(3) - V R 30/84 et V R 114/83 (BFHE 153, 155, 162, BStBl II 1988, 643, 651).

(4) - La juridiction de renvoi signale (point II.1 de l'ordonnance de renvoi) que, par ces arrêts, le Bundesfinanzhof a opéré un revirement de jurisprudence. Alors qu'auparavant était isolée une fraction fictive de la prestation de travail du salarié comme constitutive d'une contrepartie de la prestation de transport fournie par l'employeur, cette juridiction considère dorénavant qu'il est impossible de déterminer la valeur de cette contrepartie constituée par une fraction fictive du travail du
salarié.

(5) - Page 9 de la traduction française de l'ordonnance de renvoi.

(6) - Souligné par nous.

(7) - 154/80, Rec. p. 445 (points 12 et 13).

(8) - Deuxième directive 67/228/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Structure et modalités d'application du système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 1967, 71, p. 1303).

(9) - 102/86, Rec. p. 1443.

(10) - C-16/93, Rec. p. I-743.

(11) - Point 14.

(12) - Point 12.

(13) - Point 13.

(14) - Voir, en ce sens, le point 14 des conclusions de l'avocat général M. Lenz sous l'arrêt Tolsma, précité.

(15) - Arrêts précités, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (point 12), Apple and Pear Development Council (point 11), et Naturally Yours Cosmetics (point 11).

(16) - Arrêts précités, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (point 13), et Naturally Yours Cosmetics (point 16).

(17) - Arrêts précités, Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats (points 13 et 14), et Naturally Yours Cosmetics (point 16).

(18) - Arrêt du 25 mai 1993, Mohsche (C-193/91, Rec. p. I-2615, point 8). Voir également l'arrêt du 27 juin 1989, Kühne (50/88, Rec. p. 1925, point 8).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-258/95
Date de la décision : 16/01/1997
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof - Allemagne.

Sixième directive TVA - Prestation de services effectuée à titre onéreux - Notion - Transport de travailleurs effectué par l'employeur.

Fiscalité

Taxe sur la valeur ajoutée


Parties
Demandeurs : Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG
Défendeurs : Finanzamt Neustadt.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Sevón

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1997:19

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