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10/12/1996 | CJUE | N°C-222/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 10 décembre 1996., Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie., 10/12/1996, C-222/95


Avis juridique important

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61995C0222

Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 10 décembre 1996. - Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services

- Etablissements de crédit - Octroi d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un...

Avis juridique important

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61995C0222

Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 10 décembre 1996. - Société civile immobilière Parodi contre Banque H. Albert de Bary et Cie. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services - Etablissements de crédit - Octroi d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un agrément dans l'Etat membre dans lequel la prestation est fournie. - Affaire C-222/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-03899

Conclusions de l'avocat général

1 Dans la présente affaire préjudicielle, la Cour de cassation française a demandé à la Cour d'interpréter les règles du traité CEE relatives à des prestations de services liées à des mouvements de capitaux.

Les circonstances factuelles et la législation nationale

2 L'affaire tire son origine de ce qu'une banque néerlandaise, H. Albert de Bary et Cie (ci-après «Bary et Cie»), dont le siège social est à Amsterdam et qui bénéficie aux Pays-Bas d'un agrément pour prester des services en matière bancaire, notamment l'octroi de prêts hypothécaires, a consenti le 29 novembre 1984 à la société française Société civile immobilière Parodi (ci-après «Parodi») un prêt hypothécaire de 930 000 DM.

3 Parodi a, le 13 mars 1990, assigné Bary et Cie en nullité du prêt et réclamé la somme de 1 251 390 FF correspondant aux dépenses exposées par Parodi dans le cadre du prêt. A l'appui de sa demande, Parodi a fait valoir que, au moment de la fourniture du prêt, Bary et Cie n'était pas titulaire d'un agrément pour l'exercice d'activités bancaires en France, comme l'exigeait la législation française.

4 Parodi a renvoyé à cet égard à la loi française n_ 84-46 du 24 janvier 1984, relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit (ci-après la «loi française»), qui contient les dispositions suivantes:

«Article 15

Avant d'exercer leur activité, les établissements de crédit doivent obtenir l'agrément délivré par le comité des établissements de crédit...

Le comité des établissements de crédit vérifie si l'entreprise demanderesse satisfait aux obligations prévues aux articles 16 et 17 de la présente loi et l'adéquation de la forme juridique de l'entreprise à l'activité d'établissement de crédit. Il prend en compte le programme d'activités de cette entreprise, les moyens techniques et financiers qu'elle prévoit de mettre en oeuvre ainsi que la qualité des apporteurs de capitaux et, le cas échéant, de leurs garants.

Le comité apprécie également l'aptitude de l'entreprise requérante à réaliser ses objectifs de développement dans des conditions compatibles avec le bon fonctionnement du système bancaire et qui assurent à la clientèle une sécurité satisfaisante.

Le comité peut, en outre, refuser l'agrément si les personnes visées à l'article 17 ne possèdent pas l'honorabilité nécessaire et l'expérience adéquate à leur fonction.

...

Article 16

Les établissements de crédit doivent disposer d'un capital libéré ou d'une dotation versée d'un montant au moins égal à une somme fixée par le comité de la réglementation bancaire.

Tout établissement de crédit doit justifier à tout moment que son actif excède effectivement d'un montant au moins égal au capital minimum le passif dont il est tenu envers les tiers.

Les succursales d'établissements de crédit dont le siège social est à l'étranger sont tenues de justifier d'une dotation employée en France d'un montant au moins égal au capital minimum exigé des établissements de crédit de droit français.

Article 17

La détermination effective de l'orientation de l'activité des établissements de crédit doit être assurée par deux personnes au moins.

Les établissements de crédit dont le siège social est à l'étranger désignent deux personnes au moins auxquelles ils confient la détermination effective de l'activité de leur succursale en France.»

La question préjudicielle

5 Par arrêt du 15 juin 1993, la cour d'appel de Chambéry a rejeté la demande de Parodi. Cette dernière a formé un recours devant la Cour de cassation.

6 Par ordonnance du 13 juin 1995, la Cour de cassation a sursis à statuer et déféré à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Pour la période précédant l'entrée en vigueur de la directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice et modifiant la directive 77/780/CEE (1) [ci-après `la deuxième directive de coordination bancaire'], les articles 59 et 61, paragraphe 2, du traité CEE doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une législation
nationale exigeant un agrément pour prester des services en matière bancaire, notamment pour consentir un prêt hypothécaire, lorsque la banque, établie dans un autre État membre, y bénéficie d'un agrément?»

Les dispositions communautaires pertinentes

7 Les dispositions suivantes du traité CEE, tel qu'il était rédigé en 1984, importent en l'espèce:

«Chapitre 3

Les services

Article 59

Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont ... supprimées ... à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation.

...

Article 61

...

2. La libération des services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux.

Chapitre 4

Les capitaux

Article 67

1. Les États membres suppriment progressivement entre eux, pendant la période de transition et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les restrictions aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres, ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties, ou sur la localisation du placement.

...

Article 69

Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission ... arrête ... les directives nécessaires à la mise en oeuvre progressive des dispositions de l'article 67».

8 A l'époque pertinente aux fins de la présente affaire, la première directive du Conseil, du 11 mai 1960, pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité (2), telle que modifiée par la deuxième directive du Conseil, du 18 décembre 1962 (3) (ci-après la «première directive sur les mouvements de capitaux») (4), a été, entre autres, adoptée en application des articles 67 et 69 du traité et, pour autant qu'il importe en l'espèce, contient les dispositions suivantes:

«Article 3

1. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 du présent article, les États membres accordent toute autorisation de change requise pour la conclusion ou l'exécution des transactions et pour les transferts entre résidents des États membres, afférents aux mouvements de capitaux énumérés à la liste C de l'annexe I de la présente directive.

2. Si la liberté de ces mouvements de capitaux est de nature à faire obstacle à la réalisation des objectifs de la politique économique d'un État membre, celui-ci peut maintenir ou rétablir des restrictions de change à ces mouvements de capitaux, existant à la date d'entrée en vigueur de la présente directive. Il consulte la Commission sur ce sujet.

...»

La liste C de l'annexe I énumère les mouvements de capitaux visés à l'article 3 et mentionne, entre autres, les «prêts et crédits à moyen et long terme non liés à des transactions commerciales».

Il ressort des notes explicatives concernant cette catégorie et figurant à l'annexe II de la directive, que cette catégorie englobe, entre autres, des prêts et crédits accordés par des non résidents à des résidents, notamment des prêts et crédits à moyen terme (d'un à cinq ans) et à long terme (cinq ans et plus) accordés par des établissements financiers.

La procédure devant la Cour

9 Bary et Cie estime que la loi française entraîne une discrimination des établissements de crédit ayant leur siège social dans un État membre autre que la France, par rapport aux établissements de crédit ayant leur siège social en France. La réponse à la question posée devrait donc être que les dispositions des articles 59 et 61, paragraphe 2, du traité doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une législation nationale telle que la législation française.

10 Le gouvernement belge fait observer que, à l'époque pertinente aux fins de la présente affaire, un État membre avait sans doute la possibilité d'exiger qu'un établissement de crédit déjà agréé dans l'État membre d'origine soit également agréé dans l'État sur le territoire duquel il fournit ses services, mais une telle exigence ne pouvait toutefois être posée que lorsque cela était nécessaire pour protéger le destinataire de la prestation. On ne saurait toutefois considérer comme nécessaire
d'exiger une autorisation en liaison avec l'octroi d'un prêt à une société, en vue de protéger cette dernière. La République française a néanmoins pu faire usage de la dérogation résultant des dispositions combinées de l'article 3, paragraphe 2, et de la liste C de l'annexe I à la première directive sur les mouvements de capitaux aux termes desquelles les États membres sont en droit de maintenir des restrictions à certains mouvements de capitaux, notamment les prêts hypothécaires.

11 Le gouvernement français fait valoir que les règles relatives à la libre prestation des services doivent être entendues en ce sens que, au moment des faits pertinents en l'espèce, lesdites règles ne s'opposaient pas à une législation nationale telle que la législation française, étant donné la nécessité de protéger l'emprunteur également dans le cas d'un prêt hypothécaire, étant entendu d'autre part qu'à l'époque considérée cette protection ne pouvait pas être considérée comme assurée par l'État
d'origine. Le gouvernement français a en outre déclaré, au cours de l'audience, que l'octroi d'un agrément au profit d'un établissement de crédit établi dans un autre État membre, en vue d'exercer des activités de crédit en France n'était pas subordonné à l'établissement d'une succursale en France. La République française avait, à l'époque pertinente, fait usage du droit résultant des dispositions combinées de l'article 3, paragraphe 2, et de l'annexe I, liste C, de la première directive sur les
mouvements de capitaux en vue de maintenir des restrictions applicables, entre autres, aux prêts hypothécaires, raison pour laquelle les règles relatives aux prestations de services ne pouvaient s'appliquer dans la mesure où il y avait de telles restrictions: voir l'article 61, paragraphe 2, du traité.

12 La Commission et le gouvernement du Royaume-Uni sont d'avis que les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne s'opposent pas à l'exigence d'un agrément dans l'État sur le territoire duquel la prestation est fournie, sous réserve que cette exigence s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et aux prestataires d'autres États membres, pour autant qu'il y ait des intérêts justifiant l'exigence d'un agrément, que ces éléments ne soient pas déjà pris en compte
par les règles applicables dans l'État d'origine et qu'il ne soit pas possible de parvenir au même résultat avec des mesures moins contraignantes. Au cours de l'audience, la Commission a en outre signalé que ses archives font apparaître que la République française a, dans une certaine mesure, fait usage de la disposition dérogatoire résultant des dispositions combinées de l'article 3, paragraphe 2, et de l'annexe I, liste C, de la première directive sur les mouvements de capitaux, aux termes
desquelles les États membres ont le droit de maintenir des restrictions pour certains mouvements de capitaux, y compris les prêts hypothécaires, de sorte que les mouvements de capitaux dans le cadre de prêts hypothécaires n'étaient pas complètement libérés en France.

Prise de position

13 Le fait, pour une banque, d'accorder un prêt hypothécaire à un emprunteur dans un autre État membre peut être considéré comme une prestation de services liée à un mouvement de capitaux. Selon l'article 61, paragraphe 2, du traité, la libération des services des banques qui sont liés à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération progressive de la circulation des capitaux. La suppression des restrictions frappant les mouvements de capitaux ne résulte pas directement
de l'article 67 du traité, mais procède des directives adoptées par le Conseil au titre de l'article 69 (5).

14 Les dispositions du traité en matière de services ne s'appliquent donc aux services bancaires liés à un mouvement de capitaux que pour autant qu'il y a eu libération des mouvements des capitaux du genre de celui considéré en l'espèce: voir l'arrêt de la Cour du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson (6) (ci-après l' «affaire Svensson»), point 11. Cette affaire avait trait à la compatibilité avec le droit communautaire d'une législation nationale réservant le bénéfice d'une bonification
d'intérêt servie par l'État, à valoir sur les intérêts afférents à un prêt contracté en vue de l'acquisition d'un logement, au seul cas où le prêt avait été contracté auprès d'un établissement de crédit établi sur le territoire de l'État membre en cause. La Cour a examiné en premier lieu si les mouvements de capitaux du type considéré - prêt hypothécaire - étaient libérés. Étant donné que tel était le cas à l'époque considérée, la Cour a été amenée à appliquer aux règles dont il s'agit, qui avaient
trait à une bonification d'intérêt, à valoir sur les intérêts afférents à un prêt hypothécaire, à la fois les règles en matière de services (article 59) et celles en matière de capitaux (article 67).

15 A l'époque pertinente aux fins de la présente affaire, la législation communautaire concernant la libération des mouvements de capitaux était uniquement formée de la première directive sur les mouvements de capitaux. L'article 3, paragraphe 1, de cette directive libère les mouvements de capitaux repris sur la liste C de l'annexe I à la directive en ce sens que les États membres se voient imposer l'obligation de délivrer les autorisations de change nécessaires. La catégorie «octroi et
remboursement de prêts et crédits à moyen et long terme non liés à des transactions commerciales» est mentionnée à la liste C de l'annexe I et relève ainsi de l'article 3. En vertu de l'annexe II, VIII A, cette catégorie comprend, entre autres, l'octroi de prêts et crédits à moyen et long terme (c'est-à-dire d'une durée supérieure à un an) accordés par des établissements financiers. On doit donc supposer que la prestation, par des banques, de prêts à moyen et long terme, y compris l'octroi d'un prêt
hypothécaire, relève de la libération des mouvements de capitaux résultant de l'article 3, paragraphe 1, de la directive. L'article 59 du traité en matière de libre prestation des services s'applique donc à la prestation de tels prêts, conformément à l'article 61, paragraphe 2, du traité.

16 La juridiction de renvoi a uniquement sollicité de la Cour l'interprétation des règles contenues aux articles 59 et 61, paragraphe 2, et on peut dès lors soutenir qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur le point de savoir si les faits de la cause doivent en outre être appréciés sur le fondement de l'article 67 du traité, concernant les mouvements de capitaux. Dans l'affaire Svensson, précédemment évoquée, la Cour s'est référée à la fois à l'article 59 et à l'article 67 - lequel était en
l'espèce visé dans la question préjudicielle - et elle a interprété ces dispositions de la même façon. Une telle citation en parallèle nous paraît cohérente avec le fait que l'article 61, paragraphe 2, prévoit une libération de ces services se réalisant «en harmonie avec» la libération progressive de la circulation des capitaux. En dépit de ce que la juridiction de renvoi se réfère uniquement aux règles en matière de services, nous estimons qu'il serait plus conforme à la logique de se référer, dans
l'arrêt que la Cour est appelée à rendre en l'espèce, également aux règles relatives aux mouvements de capitaux.

17 A l'époque pertinente aux fins de la présente affaire, le rapprochement des législations des États membres concernant les services en cause n'était pas, en l'état, de nature à entraîner l'obligation d'apprécier une situation en fonction de telles règles harmonisées et non en fonction des règles générales du traité contenues aux articles 59 et 67 en matière de libre circulation des services liés aux mouvements de capitaux. Une telle harmonisation ne s'est produite qu'après la mise en oeuvre de la
deuxième directive de coordination bancaire à une époque largement postérieure au moment pertinent au regard de la présente affaire.

18 Pour ce qui est du contenu précis de l'interdiction visée à l'article 59, concernant les restrictions à la libre prestation des services, la Cour a, dans un arrêt du 25 juillet 1991 (7), constaté ce qui suit:

«... l'article 59 du traité exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services analogues.»

19 L'exigence d'un agrément aux fins de l'exercice d'une activité de crédit, telle qu'elle est contenue dans la loi française, est de nature, selon nous, à empêcher ou à rendre plus difficile des prêts consentis à des emprunteurs en France par des établissements de crédit régulièrement établis dans d'autres États membres. Une règle nationale telle que la règle française doit donc, selon nous, être considérée comme impliquant une restriction au libre échange des services liés aux mouvements de
capitaux (8).

20 Cela ne signifie pas pour autant qu'une règle telle que la règle française soit incompatible avec le traité. Il résulte en effet d'une jurisprudence constante de la Cour (9) que,

«compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité des exigences spécifiques imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles régissant ces types d'activités. Toutefois, la libre prestation des services en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et incombant à toute personne ou entreprise exerçant une
activité sur le territoire dudit État, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi.

...

Toutefois, cette mesure [consistant à exiger un agrément/une autorisation] dépasserait le but poursuivi au cas où les exigences auxquelles la délivrance d'une autorisation se trouve subordonnée feraient double emploi avec les justifications et garanties exigées dans l'État d'établissement. Le respect du principe de la libre prestation des services exige, d'une part, que l'État membre destinataire de la prestation ne fasse dans l'examen des demandes d'autorisation et dans l'octroi de celles-ci aucune
distinction en raison de la nationalité ou du lieu d'établissement du prestataire et, d'autre part, qu'il tienne compte des justifications et garanties déjà présentées par le prestataire pour l'exercice de son activité dans l'État membre d'établissement» (10).

21 La Cour a repris ce principe dans une série d'arrêts concernant le secteur des assurances (les affaires dites de «coassurance») (11), dans lesquels elle a déclaré que,

«compte tenu de la nature particulière de certaines prestations de services, on ne saurait considérer comme incompatibles avec le traité des exigences spécifiques imposées au prestataire, qui seraient motivées par l'application de règles régissant ces types d'activités. Toutefois, la libre prestation des services, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant une
activité sur le territoire de l'État destinataire, dans la mesure où cet intérêt n'est pas sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi. En outre, lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles professionnelles et d'assurer la protection des intérêts qui constitue l'objectif de celles-ci».

22 L'intérêt afférent à la protection des consommateurs, mentionné par le gouvernement français, doit sans nul doute être considéré comme important et de nature, selon une jurisprudence constante de la Cour, à justifier certaines restrictions à la libre prestation des services (12). On peut sans doute définir de manière générale les consommateurs comme des personnes physiques qui agissent dans un but pouvant être considéré comme étranger à leurs activités commerciales ou professionnelles (13). Mais
le droit des États membres de restreindre la libre prestation des services liés aux mouvements de capitaux en vue de protéger la partie faible du contrat ne saurait être limité à des personnes couvertes par cette étroite définition, mais doit également pouvoir prétendre à protéger d'autres personnes qui, tels les emprunteurs, peuvent être exposées à des conditions contractuelles déraisonnables.

23 Parodi n'est pas une personne physique, mais une société immobilière dont le statut n'apparaît pas de façon précise au vu du dossier. A l'audience devant la Cour, le gouvernement français a signalé qu'il existe en France de nombreuses formes de sociétés immobilières; une famille a, par exemple, la possibilité de fonder ce type de société aux fins de la construction d'une habitation pour les membres de cette famille. Les personnes qui dirigent de telles entreprises de famille ne se distinguent pas
nécessairement, selon nous, de consommateurs ordinaires et l'on ne peut pas d'emblée prêter à ces personnes un savoir-faire tel qu'elles seraient en mesure de maîtriser les conditions de crédit.

24 De même, la Cour ne dispose que de bien peu d'informations quant à la finalité précise qui sous-tend l'agrément requis par la législation française, notamment la pratique suivie par les autorités concernées vis-à-vis des banques établies dans d'autres États membres. Relevons toutefois que les règles françaises en matière d'autorisation d'exercice d'une activité bancaire ne semblent pas prévoir de règles spécialement destinées à protéger les consommateurs et les emprunteurs, mais paraissent plutôt
envisager différents aspects du principe connu sous le nom de «principe prudentiel», visant à garantir la solvabilité des banques vis-à-vis des épargnants. On est en droit de supposer que ces aspects ont également été pris en compte par les autorités compétentes des Pays-Bas au moment où elles ont délivré un agrément à Bary et Cie aux fins de l'exercice d'une activité bancaire dans ce pays.

25 Même si les quelques indications fragmentaires dont nous disposons pourraient donner à penser que le fait pour les autorités françaises d'exiger un agrément est contraire aux articles 59 et 67 du traité, nous estimons que l'on doit laisser au juge national le soin de vérifier si l'on se trouvait en présence d'un intérêt si impérieux, sous l'angle de la protection due à Parodi, que le gouvernement français était fondé en droit communautaire à exiger que Bary et Cie soit titulaire d'un agrément
l'autorisant à exercer des activités bancaires en France aux fins de consentir un prêt hypothécaire à Parodi, et plus particulièrement la question de savoir dans quelle mesure le contrôle exercé en vertu de la législation française était déjà assuré par le contrôle exercé en vertu de la législation néerlandaise. Nous estimons donc qu'il y a lieu de répondre à la question dans le sens proposé par la Commission et le gouvernement du Royaume-Uni.

26 Le gouvernement français a, au cours de l'audience, signalé que la République française avait fait usage, à l'époque pertinente, de la dérogation ouverte à l'article 3, paragraphe 2, de la première directive sur les mouvements de capitaux et maintenu des restrictions de change en ce qui concerne les prêts en devises dont la contre-valeur dépassait 50 millions de FF. La Commission a confirmé qu'il semble de même résulter de ses archives que la République française avait fait usage de la
possibilité de maintenir des restrictions de change.

Dans la mesure où la République française a régulièrement maintenu certaines restrictions aux mouvements de capitaux, il résulte de l'interprétation susvisée de l'article 61, paragraphe 2, du traité que l'exigence française d'agrément n'implique aucune violation des dispositions du traité en matière de libre circulation des services bancaires liés à des mouvements de capitaux: voir à cet égard l'arrêt du 21 septembre 1988, Van Eycke (14).

Si l'on prend pour base les informations fournies par le gouvernement français concernant les plafonds applicables aux restrictions de change, cette question devient sans importance aux fins de la résolution du cas concret, les montants du prêt étant en l'espèce bien moins élevés. Nous estimons cependant que la Cour doit laisser le soin à la juridiction nationale de statuer sur le point de savoir dans quelle mesure la République française avait régulièrement maintenu des restrictions de change
conformément à l'article 3, paragraphe 2, de la première directive sur les mouvements de capitaux. La Cour n'a pas eu l'occasion de parcourir les dispositions et les documents pertinents, qui n'ont pas été versés devant la Cour, et il s'agit en réalité sur ce point d'une question d'interprétation du droit national et de l'application concrète d'une règle de droit.

Conclusion

27 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question posée comme suit:

«L'article 61, paragraphe 2, du traité CEE, lu ensemble avec les dispositions combinées de l'article 3, paragraphe 1, et de l'annexe I, liste C, de la première directive du Conseil du 11 mai 1960 pour la mise en oeuvre de l'article 67 du traité, modifiée par la deuxième directive du Conseil du 18 décembre 1962, doit être interprété en ce sens que les articles 59 et 67 du traité en matière de libre prestation des services liés à des mouvements de capitaux, étaient, antérieurement à l'entrée en
vigueur de la directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE, applicables à l'octroi, par des établissements financiers, de prêts et crédits à moyen et long terme, pour autant que l'État membre en cause n'avait pas instauré de restrictions de change pour de tels prêts et crédits en
application de l'article 3, paragraphe 2, de la directive citée en premier lieu.

Les dispositions des articles 59 et 67 du traité CEE doivent être interprétées en ce sens qu'elles s'opposent à une législation nationale d'un État membre n'autorisant une banque établie dans un autre État membre - où elle bénéficie d'un agrément aux fins de l'exercice d'activités de banque - à octroyer des prêts et crédits à moyen et long terme à des emprunteurs établis ou résidant sur son territoire qu'à la condition d'avoir obtenu préalablement un agrément pour exercer son activité en tant
qu'établissement de crédit sur son territoire, sauf si cet agrément

- s'impose à toute personne ou à toute société exerçant une telle activité sur le territoire de l'État d'accueil,

- est justifié par des raisons liées à l'intérêt général, qui ne sont pas prises en considération en vertu des dispositions auxquelles le prestataire de services est soumis dans l'État membre d'établissement et

- est objectivement nécessaire pour assurer le respect des règles applicables dans le secteur considéré et pour protéger les intérêts que ces règles ont pour but de sauvegarder, étant entendu que le même résultat ne pourrait pas être obtenu par des règles moins contraignantes.»

(1) - JO L 386, p. 1.

(2) - JO 1960, 43, p. 921.

(3) - JO 1963, 9, p. 62

(4) - On doit du reste signaler qu'étaient également en vigueur la directive 73/183/CEE du Conseil, du 28 juin 1973, concernant la suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services en matière d'activités non salariées des banques et autres établissements financiers (JO L 194, p. 1), et la première directive 77/780/CEE du Conseil, du 12 décembre 1977, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant
l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice (JO L 322, p. 30). La première citée n'harmonisait pas les législations des États membres en ce qui concerne l'accès à l'octroi des prêts hypothécaires, alors que la seconde avait uniquement trait à la question de l'établissement.

(5) - Voir arrêt du 11 novembre 1981, Casati (203/80, Rec. p. 2595, points 8 à 13).

(6) - C-484/93, Rec. p. I-3955.

(7) - Säger (C-76/90, Rec. p. I-4221).

(8) - Voir à cet égard arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen (33/74, Rec. p. 1299).

(9) - Arrêt du 17 décembre 1981, Webb (279/80, Rec. p. 3305, point 17).

(10) - Voir arrêt Webb, précité, point 20.

(11) - Arrêts du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755, point 27); Commission/Danemark (252/83, Rec. p. 3713); Commission/France (220/83, Rec. p. 3663), et Commission/Irlande (206/84, Rec. p. 3817).

(12) - Voir notamment arrêt du 24 mars 1994, Schindler (C-275/92, Rec. p. I-1039, point 58).

(13) - Voir, par exemple, l'article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 87/102/CEE (ultérieure) du Conseil, du 22 décembre 1986, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation (JO 1987, L 42, p. 48), modifiée par la directive 90/88/CEE du Conseil, du 22 février 1990 (JO L 61, p. 14). Cette directive ne s'oppose pas au reste à ce que les États membres étendent le champ d'application des règles
de la directive de manière à ce qu'elle s'applique également à des personnes n'ayant pas la qualité de consommateurs.

(14) - 267/86, Rec. p. 4769.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-222/95
Date de la décision : 10/12/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Libre circulation des capitaux - Libre prestation des services - Etablissements de crédit - Octroi d'un prêt hypothécaire - Exigence d'un agrément dans l'Etat membre dans lequel la prestation est fournie.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Société civile immobilière Parodi
Défendeurs : Banque H. Albert de Bary et Cie.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Ragnemalm

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:481

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