Avis juridique important
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61996C0103
Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 5 décembre 1996. - Directeur général des douanes et droits indirects contre Eridania Beghin-Say SA. - Droit douanier - Régime du perfectionnement actif - Système de compensation à l'équivalent - Sucre de canne et sucre de betterave - Demande de décision préjudicielle: Tribunal d'instance de Lille - France. - Affaire C-103/96.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-01453
Conclusions de l'avocat général
1 Dans la présente affaire, le tribunal d'instance de Lille pose à la Cour de justice trois questions préjudicielles relatives à la validité de l'article 9 du règlement (CEE) n_ 3677/86 du Conseil, du 24 novembre 1986, fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n_ 1999/85 relatif au régime du perfectionnement actif (1).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant l'administration douanière française à la société Eridania Beghin-Say (ci-après «Eridania»). Après avoir obtenu l'autorisation nécessaire de la direction des douanes, Eridania a procédé à l'importation de 11 923 910 kg de sucre brut de canne en provenance de Cuba, qu'elle a soumis au régime du perfectionnement actif, système de la suspension, comme il résulte des déclarations IM5 n_s 257.121 et 257.122, du 22 avril 1991.
3 Postérieurement, Eridania a apuré le régime du perfectionnement actif en utilisant le système de la compensation à l'équivalent, qui permet l'exportation de marchandises communautaires équivalant à celles importées de pays tiers. Concrètement, Eridania a exporté en compensation depuis le port de Dunkerque 11 268 097 kg de sucre blanc, obtenu à partir de sucres bruts de betterave ou de betteraves. Ces opérations apparaissent dans les déclarations d'exportation EX3 n_ 250.097, du 25 avril 1991, EX3
n_ 250.100, du 30 avril 1991, et EX3 n_ 250.153, du 12 juillet 1991.
4 Après diverses vérifications, la direction des douanes a constaté le 11 décembre 1991 que Eridania avait commis une infraction lors de l'apurement du régime du perfectionnement actif en exportant du sucre obtenu à partir de sucre brut de betterave en compensation du sucre brut de canne importé de Cuba. Cette infraction portait sur les 11 268 097 kg de sucre blanc exporté, pour une valeur en douane de 12 845 630 FF, et le montant des droits, taxes et prélèvements éludés par Eridania s'élevait à 38
476 561 FF.
Le directeur général des douanes et droits indirects a en effet considéré que le régime du perfectionnement actif, système de la suspension, n'était pas applicable en l'espèce en raison des dispositions de l'article 9 du règlement n_ 3677/86, puisque le sucre brut de canne et le sucre brut de betterave n'étaient pas inclus dans la même sous-position tarifaire. C'est pourquoi il a assigné le 4 octobre 1994 la société Eridania devant le tribunal d'instance de Lille pour lui réclamer le paiement de 38
476 561 FF au titre des droits, taxes et prélèvements qu'elle n'avait pas payés (2).
5 Comme ce litige mettait en cause la validité de l'article 9 du règlement n_ 3677/86, le tribunal d'instance de Lille a considéré qu'il ne pouvait être tranché qu'après que la Cour de justice eut répondu aux trois questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 9 du règlement n_ 3677/86 du Conseil du 24 novembre 1986 fixant certaines dispositions d'application du règlement n_ 1999/85 est-il valide, alors qu'il subordonne la qualification de marchandises équivalentes à la classification de la marchandise en cause dans la même sous-position tarifaire que la marchandise importée, bien que le règlement de base n_ 1999/85 du 16 juillet 1985 ne prévoie pas une telle condition?
2) L'article 9 du règlement n_ 3677/86 du Conseil du 24 novembre 1986 est-il valide, alors qu'il subordonne la qualification de marchandises équivalentes à la classification de la marchandise en cause dans la même sous-position tarifaire que la marchandise importée, bien qu'une telle condition entraîne des effets disproportionnés pour les opérateurs économiques?
3) L'article 9 du règlement n_ 3677/86 du Conseil du 24 novembre 1986 est-il valide, eu égard aux principes de confiance légitime et de sécurité juridique, alors qu'il subordonne la qualification de marchandises équivalentes à la classification de la marchandise en cause dans la même sous-position tarifaire que la marchandise importée, bien que la combinaison de cet article avec les dispositions du règlement n_ 2658/87 relatif à la nomenclature combinée ait entraîné subitement, à compter du 1er
janvier 1988 et seulement jusqu'au 1er janvier 1992, une impossibilité de recourir au régime de perfectionnement actif avec compensation à l'équivalent entre le sucre de betterave et le sucre de canne?»
6 Avant d'analyser de façon approfondie ces questions préjudicielles en appréciation de validité, j'exposerai sommairement la réglementation applicable au régime douanier du perfectionnement actif.
La réglementation du régime douanier du perfectionnement actif
7 A l'époque des faits litigieux, le régime du perfectionnement actif faisait l'objet d'un texte de base, le règlement (CEE) n_ 1999/85 (3), dont les dispositions d'application sont contenues dans le règlement n_ 3677/86.
8 Ces dispositions font du perfectionnement actif un régime douanier économique destiné à faciliter l'utilisation par les entreprises communautaires de marchandises provenant de pays tiers pour la fabrication et l'élaboration de marchandises destinées à l'exportation. Le régime du perfectionnement actif permet «de ne pas soumettre à des droits de douane des marchandises importées de pays tiers, dès lors qu'elles subissent dans la Communauté certaines opérations d'ouvraison ou de transformation et
qu'elles sont ensuite réexportées en tant que produits compensateurs hors de la Communauté» (4). L'article 1er, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85 prévoit deux formes de perfectionnement actif:
- le système de la suspension, où la marchandise non communautaire n'est pas soumise aux droits à l'importation;
- le système du rembours, qui comporte la mise en libre pratique des marchandises des pays tiers et le remboursement ou la remise des droits à l'importation payés pour ces marchandises si elles sont réexportées hors du territoire douanier de la Communauté sous forme de produits compensateurs.
9 En définitive, dans le cadre du système de la suspension, le perfectionnement actif permet l'introduction sur le territoire douanier communautaire d'une marchandise non communautaire sans qu'il soit besoin de remplir des formalités de mise en libre pratique et sans payer les droits d'importation, afin que cette marchandise soit soumise à des opérations de perfectionnement puis réexportée hors de la Communauté sous la forme d'un produit compensateur résultant de ces opérations. Comme la marchandise
étrangère ne sera pas intégrée dans les circuits économiques communautaires, il est logique qu'elle soit exonérée du paiement des droits d'importation, pour favoriser sa transformation par une entreprise communautaire dans de meilleures conditions de concurrence, en vue de sa réexportation vers des pays tiers (5).
10 Le perfectionnement actif constitue une exception à la règle générale d'assujettissement des marchandises provenant de pays tiers, qui sont introduites sur le territoire douanier de la Communauté, aux obligations de mise en libre pratique et de paiement des droits d'importation. C'est pourquoi le recours à ce régime douanier, qui est destiné à renforcer la capacité exportatrice des entreprises communautaires, est subordonné à l'octroi d'une autorisation de la part de l'autorité douanière de
l'État membre où seront effectuées les opérations de perfectionnement. Cette autorisation est accordée, aux termes des articles 5 et 6 du règlement n_ 1999/85, si les conditions économiques requises sont réunies, c'est-à-dire si le perfectionnement actif contribue à créer des conditions favorables pour l'exportation des produits compensateurs sans porter préjudice aux principaux intérêts des producteurs communautaires.
Le régime du perfectionnement actif est normalement apuré par l'exportation sous contrôle douanier des produits compensateurs hors du territoire douanier communautaire ou lorsque sont réunies les autres conditions prévues à l'article 18 du règlement n_ 1999/85.
11 Dans le régime douanier du perfectionnement actif, les opérations de perfectionnement sont réalisées sur la marchandise non communautaire en vue de la transformer en un produit compensateur qui sera réexporté. La règle générale est par conséquent celle de la compensation à l'identique. Or, l'article 2, paragraphe 1, du règlement n_ 1999/85 permet à titre exceptionnel d'appliquer le régime de la compensation à l'équivalent en disposant:
«1. Lorsque les conditions prévues au paragraphe 2 sont remplies et sous réserve du paragraphe 4, l'autorité douanière permet que:
a) les produits compensateurs soient obtenus à partir de marchandises équivalentes;
...»
Par marchandises équivalentes, il faut entendre, selon l'article 1er, paragraphe 3, sous d), du règlement n_ 1999/85, «les marchandises communautaires qui sont utilisées, en lieu et place des marchandises d'importation, pour la fabrication des produits compensateurs». Le système de la compensation à l'équivalent permet ainsi la réexportation de marchandises communautaires équivalentes au lieu des produits importés de pays tiers sous le régime du perfectionnement actif. Cette compensation à
l'équivalent constitue une exception destinée à empêcher que les entreprises communautaires ne doivent entretenir des chaînes de production distinctes pour les marchandises non communautaires en vue de leur transformation en produits compensateurs, lorsqu'elles utilisent des produits communautaires similaires. De surcroît, l'article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement permet la compensation à l'équivalent avec réexportation anticipée de la marchandise communautaire.
Comme la compensation à l'équivalent constitue une exception, l'article 2, paragraphe 4, du règlement n_ 1999/85 permet d'adopter des mesures destinées à en interdire ou à en limiter l'utilisation.
12 Pour que les marchandises communautaires puissent être considérées comme équivalant à celles importées sous le régime du perfectionnement actif, l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85 établit qu'elles «... doivent être de la même qualité et posséder les mêmes caractéristiques que les marchandises d'importation».
13 Afin de préciser les conditions du recours à la compensation à l'équivalent, l'article 9 du règlement n_ 3677/86, dont la validité est mise en cause dans la présente affaire, a établi que:
«Sans préjudice de l'article 10, pour qu'il puisse être fait recours à la compensation à l'équivalent ou à l'exportation anticipée, les marchandises équivalentes doivent relever de la même sous-position du tarif douanier commun, présenter la même qualité commerciale et posséder les mêmes caractéristiques techniques que les marchandises d'importation.»
Par conséquent, l'article 9 du règlement n_ 3677/86 précise le contenu de l'article 2, paragraphe 2, du règlement de base sur les deux points suivants: d'une part, il spécifie que, par qualité, il faut entendre la qualité commerciale et par caractéristiques, les caractéristiques techniques et, d'autre part, il indique que les marchandises équivalentes doivent être incluses dans la même sous-position du tarif douanier commun.
14 Le règlement n_ 1999/85 et le règlement n_ 3677/86 sont entrés en vigueur le 1er janvier 1987 et, comme le sucre de canne et le sucre de betterave avaient le même classement douanier (6), la compensation à l'équivalent entre les deux produits était possible dans le cadre du régime du perfectionnement actif. Cependant, cette situation a été modifiée à partir du 1er janvier 1988 à la suite de l'entrée en vigueur d'une nouvelle nomenclature tarifaire et statistique, la nomenclature dite «combinée»,
établie par le règlement (CEE) n_ 2658/87 (7) en application de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification de marchandises, du 14 juin 1983, que la Communauté a approuvée par la décision 87/369/CEE (8). Dans la nomenclature combinée, le sucre de canne et le sucre de betterave occupent deux sous-positions tarifaires différentes (les codes NC 1701 11 10 et NC 1701 12 10 respectivement). Par suite de cette modification du classement douanier, la compensation
à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave a cessé d'être possible dans le cadre du régime du perfectionnement actif.
15 Le règlement n_ 3677/86 a été modifié à diverses reprises avant sa codification par le règlement (CEE) n_ 2228/91 (9), qui est entré en vigueur le 1er octobre 1991. L'article 9 de ce règlement subordonne la compensation à l'équivalent aux mêmes conditions, à savoir le même code NC, la même qualité commerciale et les mêmes caractéristiques techniques. Cependant, l'article 11 indique que la compensation à l'équivalent de certaines marchandises, comme le riz, visées à l'annexe IV est régie par les
dispositions particulières figurant dans cette annexe.
16 Le règlement n_ 2228/91 a été modifié par le règlement (CEE) n_ 3709/92 (10) qui, au point 6 de son article 1er, modifie ladite annexe IV dans le sens suivant:
«3. Sucre
Le recours à la compensation à l'équivalent est admis entre le sucre brut de canne relevant du code NC 1701 11 90 et le sucre brut de betterave relevant du code NC 1701 12 90.»
Cette exception, qui est d'application rétroactive à compter du 1er janvier 1992, autorise à nouveau la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave dans le cadre du régime du perfectionnement actif.
17 Cette situation est restée telle quelle après le 1er janvier 1994, date d'entrée en vigueur du code des douanes communautaire (11) et de ses dispositions d'application. En effet, l'article 115 de ce code reprend textuellement les dispositions de l'article 2 du règlement n_ 1999/85 sur la compensation à l'équivalent et, pour sa part, l'article 569 du règlement n_ 2454/93 (12) maintient les trois critères - classement tarifaire, caractéristiques techniques et qualité commerciale - de l'article 9 du
règlement n_ 3677/86, tandis que son annexe 78 permet, à titre exceptionnel et à l'instar du règlement n_ 3709/92, la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et celui de betterave, bien que ces produits ne relèvent pas du même code NC.
Les questions préjudicielles
18 Dans ses trois questions préjudicielles, la juridiction nationale envisage l'incompatibilité de l'article 9 du règlement n_ 3677/86 avec les principes de hiérarchie des normes, de proportionnalité, de confiance légitime et de sécurité juridique, au motif que cette disposition a introduit un critère supplémentaire - l'appartenance à la même sous-position tarifaire - qui n'est pas expressément prévu par le règlement n_ 1999/85 pour la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du
perfectionnement actif.
La première question
19 Par cette question, la juridiction nationale vise à savoir si l'article 9 du règlement n_ 3677/86 est valide en dépit du fait qu'il introduit, pour la compensation à l'équivalent, une condition supplémentaire - à savoir le classement à la même sous-position tarifaire - qui n'apparaît pas à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85. Le tribunal d'instance de Lille estime que cette circonstance pourrait constituer une violation du principe de la hiérarchie des normes entraînant
l'invalidité dudit article 9.
20 Suivant une jurisprudence constante de la Cour, les règlements de base doivent contenir les éléments essentiels de la matière à régler sans qu'il soit nécessaire qu'ils en établissent tous les détails, lesquels peuvent être prévus par les dispositions d'exécution. «Néanmoins, un règlement d'exécution ... doit respecter les éléments essentiels de la matière qui ont été fixés dans le règlement de base ...» (13). De surcroît, «un règlement d'exécution doit également faire l'objet, si possible, d'une
interprétation conforme aux dispositions du règlement de base» (14).
Ces affirmations n'impliquent pas nécessairement l'absence de toute marge de manoeuvre des institutions communautaires lors de l'adoption des normes d'exécution. En effet, les dispositions de mise en application peuvent concrétiser, préciser et développer celles du texte de base, pourvu qu'elles en respectent les éléments et objectifs essentiels (15).
21 En l'espèce, il est incontestable que la relation entre le règlement n_ 1999/85 et le règlement n_ 3677/86 est celle qui existe entre un texte de base et un texte d'application (16). Cette conclusion peut être tirée de façon absolument évidente à partir des éléments suivants:
- conformément à son préambule, le règlement n_ 3677/86 trouve sa base juridique dans le règlement n_ 1999/85;
- le règlement n_ 3677/86 a été adopté en vertu de la procédure prévue à l'article 31 du règlement n_ 1999/85;
- en son article 1er, point 1, le règlement n_ 3677/86 qualifie expressément le règlement n_ 1999/85 de «règlement de base» et, d'après son intitulé même, il contient «certaines dispositions d'application» de ce règlement.
22 Par conséquent, lorsqu'il fixe les conditions de la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du perfectionnement actif, l'article 9 du règlement n_ 3677/86 doit respecter les éléments essentiels prévus à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85 en ce qui concerne les critères applicables pour la détermination de la similitude des marchandises. A cette disposition du règlement n_ 1999/85, l'article 9 apporte deux précisions: d'une part, il indique que, par qualité, il faut
entendre la qualité commerciale et, par caractéristiques, les caractéristiques techniques et, d'autre part, il spécifie que les marchandises équivalentes doivent relever de la même sous-position du tarif douanier commun. La première précision constitue un développement parfaitement valide de la norme du règlement n_ 1999/85 et elle n'est pas discutée dans la présente affaire. Toutefois, en ce qui concerne la deuxième précision introduite par l'article 9, l'appartenance des marchandises à la même
sous-position tarifaire, la question se pose en l'espèce de savoir si elle peut être valablement apportée au règlement n_ 1999/85 ou si, au contraire, elle constitue un critère supplémentaire, imposé par cette disposition pour admettre la compensation à l'équivalent, mais qui n'est pas prévu par l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85.
23 Eridania considère dans ses observations que la condition d'appartenance des marchandises à la même sous-position tarifaire est une condition nouvelle, ajoutée ex nihilo par l'article 9, qui ne saurait être interprétée comme une précision apportée aux critères de la qualité et des caractéristiques des marchandises imposés par le règlement n_ 1999/85 pour admettre la compensation à l'équivalent. De surcroît, le critère du classement tarifaire est, selon Eridania, plus restrictif que les critères
de qualité et de caractéristiques des marchandises, parce que le classement tarifaire est réalisé aux fins de l'application des droits d'importation à la marchandise et pour contrôler les mouvements intracommunautaires de marchandises à des fins statistiques. En revanche, les critères tenant à la qualité et aux caractéristiques des marchandises seraient à caractère économique et, partant, compatibles avec l'objectif du régime du perfectionnement actif.
Le gouvernement français estime également que l'article 9 du règlement n_ 3677/86 est invalide parce qu'il introduit le critère de l'appartenance des marchandises à la même sous-position tarifaire comme condition supplémentaire de celles prévues par le règlement n_ 1999/85 pour la compensation à l'équivalent.
24 Selon moi, les arguments d'Eridania et du gouvernement français en faveur de l'invalidation de l'article 9 du règlement n_ 3677/86 pour violation du principe de la hiérarchie des normes ne peuvent être retenus. Personnellement, j'estime que cet article 9 précise et concrétise les conditions imposées par le règlement n_ 1999/85 pour la compensation à l'équivalent en respectant les éléments essentiels établis dans ce règlement et sans dépasser la marge de manoeuvre qui est reconnue aux institutions
communautaires pour l'adoption des normes d'exécution. A mon avis, l'article 9 autorise sans aucun doute cette interprétation, qui le rend compatible (17) avec l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85, pour les raisons que j'exposerai après avoir formulé deux observations liminaires.
25 Pour l'analyse relative à l'invalidité éventuelle de l'article 9 du règlement n_ 3677/86, il faut tenir compte du fait que la légalité d'un acte normatif communautaire doit être appréciée en fonction des circonstances existant au moment de son adoption et ne saurait dépendre de faits et circonstances postérieurs à celle-ci (18). En outre, la validité d'une disposition normative communautaire doit être appréciée de façon générale et non pas au vu de ses effets dans un secteur économique déterminé
ou de son incidence sur un groupe réduit d'opérateurs.
En l'espèce, l'indication apportée en premier lieu implique que la validité de l'article 9 en question doit être analysée en fonction des circonstances existant au moment de son adoption et non en fonction des conséquences que la modification de la nomenclature tarifaire réalisée par le règlement n_ 2658/87 a eues sur l'application de ce texte au perfectionnement actif entre le sucre de canne et le sucre de betterave. La seconde indication signifie que la validité de l'article 9 doit être déterminée
au regard de tous les secteurs économiques et non pas par référence à ses effets sur le perfectionnement actif dans le secteur spécifique du sucre.
26 Ces deux observations étant faites, je me concentrerai désormais sur les raisons qui justifient la validité de l'article 9 du règlement n_ 3677/86.
27 En premier lieu, je considère que le critère de l'appartenance à la même sous-position tarifaire précise et développe ceux des caractéristiques techniques et de la qualité commerciale. En effet, le recours à la classification tarifaire permet aux autorités douanières de disposer d'un critère clair, sans équivoque et facile d'application pour déterminer l'équivalence entre la marchandise importée et la marchandise communautaire utilisée dans l'élaboration du produit compensateur, qui est ensuite
réexporté dans le cadre du régime de perfectionnement actif. Il semble logique que le législateur communautaire ait retenu ce critère, car toute nomenclature tarifaire contient une liste de marchandises élaborée principalement en fonction de leurs caractéristiques, de leur composition et de leur destination (19).
En outre, le tarif douanier contient des règles destinées à faciliter le classement des marchandises à la position ou sous-position tarifaire pertinente.
Par conséquent, le recours à la classification tarifaire permet de préciser les critères des caractéristiques et de la qualité des marchandises en vue de faciliter l'application pratique de ces derniers, ce qui s'accorde parfaitement avec l'objectif de l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85, qui vise à éviter tout emploi abusif de la compensation à l'équivalent, en exigeant une identité entre la marchandise importée et la marchandise communautaire équivalente qui est exportée sous forme
de produit compensateur.
28 En second lieu, le régime du perfectionnement actif est une exception à la règle générale de mise en libre pratique et de paiement des droits d'importation, applicable aux marchandises des pays tiers introduites sur le territoire douanier communautaire, tandis que la compensation à l'équivalent constitue pour sa part une exception à la règle générale de la compensation à l'identique, qui est applicable dans le cadre du perfectionnement actif. Cette circonstance justifie sans aucun doute que le
recours à la compensation à l'équivalent soit régi par des critères susceptibles d'en garantir une application stricte. En ce sens, je considère que l'appartenance à la même sous-position tarifaire est, dans la pratique, le seul critère objectif possible pour déterminer si la marchandise communautaire et celle importée possèdent les mêmes caractéristiques techniques et la même qualité commerciale, c'est-à-dire sont suffisamment similaires pour permettre la compensation à l'équivalent. Sans le
recours au classement tarifaire, les autorités douanières seraient confrontées dans chaque cas à d'innombrables difficultés pour déterminer s'il y a ou non équivalence entre la marchandise importée et le produit communautaire.
29 En troisième lieu, l'article 2, paragraphe 4, du règlement n_ 1999/85 permet d'adopter des mesures destinées à interdire ou à limiter la compensation à l'équivalent en suivant la procédure prévue à l'article 31. De même, cette limitation de la compensation à l'équivalent peut résulter d'une autre disposition communautaire. En l'espèce, la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave a cessé d'être possible à la suite de la modification de la nomenclature tarifaire
par le règlement n_ 2658/87.
De surcroît, dès lors que l'article 2, paragraphe 4, du règlement n_ 1999/85 laisse aux institutions communautaires une marge de manoeuvre appréciable pour adopter des normes d'application destinées à interdire ou à limiter la compensation à l'équivalent, la compétence d'exécution de ces institutions doit a fortiori inclure la possibilité de spécifier les critères établis par le règlement n_ 1999/85 pour déterminer l'équivalence entre le produit importé et la marchandise communautaire exportée en
compensation.
30 Enfin, une interprétation systématique et historique permet de conclure que le critère du classement tarifaire a été et est utilisé de façon générale dans la réglementation douanière communautaire pour la détermination de la similitude ou de l'équivalence entre les marchandises.
31 Ainsi, en ce qui concerne l'application des conditions économiques dans le cadre du perfectionnement actif, l'article 5, paragraphe 2, du règlement n_ 3677/86 détermine si les marchandises produites dans la Communauté sont comparables à des marchandises importées en recourant aux mêmes critères que l'article 9, à savoir le classement tarifaire, la qualité commerciale et les caractéristiques techniques. L'article 552 du règlement n_ 2454/93 a à son tour adopté la même solution.
32 D'autre part, dans la réglementation du perfectionnement actif antérieure au règlement n_ 1999/85, l'article 24 de la directive 69/73/CEE (20) permettait la compensation à l'équivalent avec des produits compensateurs provenant du traitement de «marchandises d'espèces, de qualité et de caractéristiques techniques identiques». Pour sa part, l'article 2, paragraphe 2, de la directive 75/349/CEE (21) disposait que «les marchandises de compensation doivent relever de la même sous-position tarifaire,
être de la même qualité commerciale et posséder les mêmes caractéristiques techniques que les marchandises d'importation».
La réglementation du perfectionnement actif postérieure au règlement n_ 1999/85 continue de se référer au critère du classement tarifaire. C'est le cas de l'article 10 du règlement n_ 2228/91 et de l'article 569 du règlement n_ 2454/93, qui assurent la mise en oeuvre de l'article 115 du code des douanes communautaire, dont les termes coïncident avec ceux de l'article 2 du règlement n_ 1999/85.
33 Le critère du classement tarifaire a été et est utilisé également dans le cadre du régime du perfectionnement passif, qui se rapporte à la situation inverse de celle du perfectionnement actif. Le régime du perfectionnement passif permet d'exporter temporairement des marchandises communautaires pour les soumettre à des opérations de perfectionnement avant de mettre en libre pratique, en exonération totale ou partielle des droits d'importation, les produits résultant de ces opérations (22). Dans le
perfectionnement passif, la règle est celle de la compensation à l'identique, puisque le produit compensateur réimporté est obtenu grâce aux opérations de perfectionnement subies par la marchandise communautaire temporairement exportée hors de la Communauté. Or, la réglementation communautaire permet exceptionnellement la compensation à l'équivalent dans le cadre du système des échanges standard. Dans cette hypothèse, le produit compensateur est remplacé par une marchandise importée d'un pays tiers,
dénommée «produit de substitution». Pour que cet échange standard soit faisable, l'article 19 du règlement (CEE) n_ 2473/86 (23) et, postérieurement, l'article 155 du code des douanes communautaire ont prévu que la marchandise communautaire exportée temporairement et le produit de substitution «doivent relever du même classement tarifaire, être de la même qualité commerciale et posséder les mêmes caractéristiques techniques».
34 Comme on peut le voir, le critère du classement tarifaire est directement mentionné dans les normes de base qui ont réglementé le système des échanges standard dans le cadre du régime du perfectionnement passif. Il ne fait aucun doute que cette technique législative est plus appropriée que celle utilisée dans le cadre du perfectionnement actif et qu'elle évite de soulever des questions comme celles posées par la juridiction nationale dans la présente affaire. Cela dit, cette inclusion du critère
du classement tarifaire dans les normes de base régissant le perfectionnement passif confirme que la formulation à l'article 9 du règlement n_ 3677/86 des critères pour accepter la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du perfectionnement actif est compatible avec les dispositions de l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85, puisque la similitude entre les deux régimes douaniers économiques justifie le recours à des critères identiques pour déterminer l'équivalence entre
marchandises communautaires et marchandises importées. Dans le cadre du perfectionnement actif, le législateur communautaire a choisi d'inclure dans la norme de base une définition lapidaire des critères nécessaires pour la compensation à l'équivalent, qu'il a ensuite concrétisés et développés à l'article 9 du règlement n_ 1999/85, alors que, pour le perfectionnement passif, ces critères ont été établis entièrement dans les normes de base.
35 Partant des considérations ci-dessus, j'estime que l'article 9 du règlement n_ 3677/86 est valide et compatible avec l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85, dans la mesure où le recours au critère du classement tarifaire pour appliquer la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du perfectionnement actif constitue une précision et un développement des critères prévus par cette disposition.
La deuxième question
36 Par cette question préjudicielle, la juridiction nationale vise à savoir si l'article 9 du règlement n_ 3677/86 est contraire au principe de proportionnalité dans la mesure où il subordonne l'acceptation de la compensation à l'équivalent au critère du classement tarifaire.
37 Comme j'ai considéré que cette norme est conforme à l'article 2, paragraphe 2, du règlement n_ 1999/85, la compatibilité avec le principe de proportionnalité affecterait également la disposition du règlement de base qui lui sert de fondement, dans la mesure où c'est elle qui rend possible le recours au classement tarifaire comme critère pour accepter la compensation à l'équivalent. Partant, le problème sous-jacent à cette question de l'organe juridictionnel national est la compatibilité de ce
critère avec le principe de proportionnalité.
38 Eridania considère dans ses observations que le critère du classement tarifaire des marchandises ne permet pas d'éviter les abus dans l'utilisation du régime du perfectionnement actif, qui est destiné à favoriser les exportations des entreprises communautaires. Selon elle, le critère du classement tarifaire est purement administratif, statistique et non économique, et son application a imposé des sacrifices disproportionnés aux industries communautaires transformatrices du sucre en portant
atteinte à leur compétitivité sur le marché mondial. En toute hypothèse, Eridania estime que le principe de proportionnalité impose d'attribuer au critère du classement tarifaire un caractère indicatif, c'est-à-dire de condition suffisante, mais non nécessaire, de la compensation à l'équivalent.
39 Le gouvernement français estime également que le critère du classement tarifaire ne respecte pas le principe de proportionnalité parce qu'il ne serait pas approprié à l'objectif poursuivi par le régime du perfectionnement actif, qui est de promouvoir les exportations des entreprises communautaires lorsque certaines conditions économiques nécessaires sont remplies de manière à ne pas porter atteinte aux intérêts essentiels des producteurs communautaires. Le gouvernement français expose en détail
les raisons pour lesquelles il estime que le critère du classement tarifaire a empêché le perfectionnement actif entre le sucre de canne et le sucre de betterave sans qu'il y ait pour cela aucune raison économique découlant des exigences de la politique agricole commune ou de la politique commerciale de la Communauté.
40 Selon nous, ces arguments d'Eridania et du gouvernement français ne peuvent être retenus.
41 Selon la jurisprudence de la Cour, «le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu'un choix s'offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés
ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés» (24). Lorsque le législateur communautaire dispose d'une faculté d'appréciation, seul le caractère manifestement inapproprié d'une mesure, par rapport à l'objectif poursuivi par l'institution communautaire, peut affecter la légalité de ladite mesure (25).
42 Les critères établis à l'article 9 du règlement n_ 3677/86 visent à garantir une application stricte de l'exception constituée par la compensation à l'équivalent au sein du régime du perfectionnement actif. Cette compensation n'est possible qu'en présence d'un degré élevé de similitude entre la marchandise importée et la marchandise communautaire exportée sous forme de produit compensateur. Cette condition d'équivalence vise à conjuguer deux intérêts opposés:
- d'une part, le désir des entreprises communautaires exportatrices d'assouplir au maximum leurs processus de production, sans être tenues par l'obligation de compensation à l'identique;
- d'autre part, les intérêts des producteurs communautaires, qui ne doivent pas être lésés de façon draconienne par l'importation de marchandises non communautaires sous le régime du perfectionnement actif.
43 Pour établir un équilibre adéquat entre ces deux intérêts opposés, il faut utiliser des critères objectifs et faciles à appliquer. En ce sens, je considère que le critère du classement tarifaire est approprié et conforme aux objectifs poursuivis par le régime du perfectionnement actif. En outre, nul n'a démontré l'existence d'un critère alternatif qui permettrait d'atteindre un degré similaire de précision dans l'application de la compensation à l'équivalent. L'identité de sous-position tarifaire
constitue ainsi une condition nécessaire pour la compensation à l'équivalent, mais non suffisante, car les marchandises doivent en outre présenter les mêmes caractéristiques techniques et la même qualité commerciale.
En toute hypothèse, le critère du classement tarifaire ne saurait être considéré comme manifestement inadéquat pour atteindre les objectifs poursuivis par le système de la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du perfectionnement actif et, par conséquent, le législateur communautaire peut imposer le recours à ce critère dans le cadre du pouvoir d'appréciation correspondant à ses responsabilités politiques, sans porter atteinte au principe de proportionnalité.
44 Cette conclusion n'est pas altérée par le fait que, comme la Commission le dit dans ses observations, un groupe déterminé d'opérateurs économiques, en l'occurrence les entreprises communautaires exportatrices de sucre, a été affecté de façon particulière au cours d'une période déterminée par l'utilisation du critère du classement tarifaire. Comme la Cour l'a signalé dans sa jurisprudence (26), l'obligation qu'ont les institutions communautaires de veiller à ce que les charges imposées aux
opérateurs économiques ne dépassent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis ne peut être mesurée par rapport à la situation particulière d'un groupe déterminé d'opérateurs. L'impact que l'application du critère du classement tarifaire a eu pendant un certain temps sur les intérêts des entreprises communautaires exportatrices de sucre ne peut pas non plus être considéré comme discriminatoire.
45 C'est pourquoi j'estime que le critère du classement tarifaire, établi à l'article 9 du règlement n_ 3677/86 en ce qui concerne la compensation à l'équivalent, n'est pas contraire au principe de proportionnalité.
La troisième question
46 Par la troisième question, la juridiction nationale veut savoir si, avec le critère du classement tarifaire, l'article 9 du règlement n_ 3677/86 a enfreint les principes de confiance légitime et de sécurité juridique en rendant impossible le recours à la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave à partir du 1er janvier 1988 jusqu'au 1er janvier 1992.
47 A propos du principe de la confiance légitime, la Cour a considéré dans sa jurisprudence qu'il fait partie des principes fondamentaux de la Communauté. Cela dit, les agents économiques ne peuvent nourrir une confiance légitime dans le maintien d'une situation existante, qui peut être modifiée dans le cadre de la faculté d'appréciation des institutions communautaires (27). En ce qui concerne la réglementation agricole, la Cour a signalé à plusieurs reprises que les agents économiques ne peuvent
invoquer un droit acquis au maintien d'un avantage dont ils ont bénéficié à un moment donné grâce à la mise en place de l'organisation commune des marchés (28).
48 Selon moi, l'impossibilité de compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave, telle qu'elle résulte du critère du classement tarifaire établi à l'article 9 du règlement n_ 3677/86 et de la modification de la nomenclature tarifaire réalisée par le règlement n_ 2658/87, ne constitue pas une violation du principe de confiance légitime. Ni la réglementation communautaire ni le comportement des institutions communautaires ne laissaient croire aux opérateurs que la
compensation à l'équivalent entre le sucre de betterave et le sucre de canne serait maintenue indéfiniment. Le fait que cette compensation était possible jusqu'au 31 décembre 1987 ne leur permettait pas d'escompter qu'elle le resterait après cette date. La compensation à l'équivalent constitue une exception à la règle générale de la compensation à l'identique dans le cadre du perfectionnement actif et la confiance légitime ne peut que difficilement être invoquée pour le maintien de situations
exceptionnelles. En outre, la confiance légitime ne peut pas non plus être invoquée en faveur du maintien d'une situation exceptionnelle au motif que celle-ci a été rétablie ultérieurement par un acte normatif communautaire, comme cela a été le cas en l'espèce avec le règlement n_ 3709/92, qui a réintroduit à partir du 1er janvier 1992 la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave. Cette circonstance ne permet pas aux opérateurs d'invoquer le principe de la
confiance légitime pour revendiquer un droit acquis au maintien de cet avantage.
49 D'autre part, l'application du critère du classement tarifaire permettait à tout opérateur économique prudent et avisé de prévoir que la modification de la nomenclature douanière empêcherait la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave si les deux produits étaient classés à des sous-positions différentes. Partant, ces opérateurs ne peuvent invoquer une violation de leur confiance légitime du fait que cette éventualité s'est produite (29).
50 Quant au principe de sécurité juridique, qui fait partie de l'ordre juridique communautaire, il exige, selon la Cour, qu'une réglementation imposant des charges au contribuable soit claire et précise, afin qu'il puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations et prendre les mesures opportunes, et afin que les juges puissent en assurer le respect (30).
51 L'article 9 du règlement n_ 3677/86, qui établit le critère du classement tarifaire, est conforme, selon moi, aux exigences du principe de sécurité juridique, puisqu'il permet aux opérateurs économiques de savoir si la compensation à l'équivalent entre deux marchandises est possible ou non dans le cadre du régime du perfectionnement actif. La modification de la nomenclature tarifaire peut changer le résultat obtenu avec l'application du critère du classement tarifaire, mais cela n'implique pas,
contrairement à ce qu'affirme Eridania, que les conditions de la compensation à l'équivalent soient modifiées de manière ambiguë et confuse. Qui plus est, les opérateurs économiques ont su très à l'avance qu'il allait se produire à partir du 1er janvier 1988 une modification dans la nomenclature du tarif douanier commun par suite de l'application de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, du 14 juin 1983, que la Communauté a approuvée
par la décision 87/369.
52 L'adoption du règlement n_ 3709/92, qui permet à titre exceptionnel la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave à partir du 1er janvier 1992, n'est pas non plus contraire aux exigences du principe de sécurité juridique, car elle reflète en termes clairs et précis un choix du législateur communautaire.
53 Par conséquent, en établissant le critère du classement tarifaire pour la compensation à l'équivalent, l'article 9 du règlement n_ 3677/86 n'enfreint pas le principe de protection de la confiance légitime ni celui de la sécurité juridique.
Observation finale
54 Les raisonnements ci-dessus montrent que la présente affaire n'a révélé aucun élément susceptible d'affecter la validité de l'article 9 du règlement n_ 3677/86.
55 Cependant, force est pour moi de reconnaître que l'interdiction du recours à la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betteraves pendant la période du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1992 ne paraît pas très logique si l'on considère que cette compensation était possible auparavant et qu'elle l'est redevenue depuis. Cette circonstance ressortit dans une large mesure à un fonctionnement inadéquat du processus législatif communautaire, puisque la modification nécessaire
de la réglementation du régime du perfectionnement actif n'a pas été faite au moment opportun, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de la nouvelle nomenclature tarifaire établie par le règlement n_ 2658/87.
56 La modification législative a eu lieu en 1992, avec l'adoption du règlement n_ 3709/92, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1993, mais dont les dispositions relatives à l'autorisation de la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave ont été appliquées rétroactivement à partir du 1er janvier 1992. En dépit du sixième considérant du règlement n_ 3709/92, il ne semble pas que, comme le gouvernement français l'a indiqué, l'instauration d'un nouveau régime
d'approvisionnement des raffineries communautaires en sucres bruts ait été le motif pour établir une exception permettant la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave. Je suis enclin à penser que cette modification a été introduite lorsque les institutions communautaires ont été informées du problème que la nouvelle nomenclature tarifaire posait aux entreprises sucrières de la Communauté.
57 Dans ses observations orales, le gouvernement français a laissé entendre que la situation des entreprises sucrières affectées par l'impossibilité de recourir à la compensation à l'équivalent entre 1988 et 1992 pouvait être résolue par la constatation de l'invalidité du règlement n_ 3709/92, parce que celui-ci n'a admis la rétroactivité de l'autorisation de la compensation à l'équivalent que pour 1992, alors qu'il aurait dû la prévoir dès 1988. Outre le fait que, dans le présent litige, la
juridiction nationale ne met pas en cause la validité de ce règlement, la thèse du gouvernement français paraît complètement dépourvue de fondement.
58 Dans leurs observations, le gouvernement français et Eridania ont fait valoir également que l'interdiction de la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave constituait une violation du droit fondamental au libre exercice d'une activité professionnelle, tel qu'il est consacré par la jurisprudence de la Cour de justice (31). Cet argument me paraît totalement dépourvu de fondement, parce que l'impossibilité d'utiliser pendant une certaine période une exception
légale - la compensation à l'équivalent - à la règle générale de la compensation à l'identique, qui s'applique dans le cadre du régime du perfectionnement actif, ne peut constituer une intervention démesurée et intolérable qui affecterait l'essence même du libre exercice de l'activité professionnelle des entreprises sucrières.
59 Après avoir ainsi posé les bases de la solution aux questions préjudicielles, il ne faut pas méconnaître les graves conséquences que pourrait avoir pour l'entreprise Eridania la décision qui sera prise, le jour venu, par le tribunal d'instance de Lille. Toutefois, dans le cadre de l'ordre juridique communautaire, la Cour de justice ne dispose d'aucun mécanisme qui lui permettrait d'éliminer les effets résultant, pour les entreprises sucrières, du retard et du fonctionnement inadéquat de la
procédure législative communautaire. La Cour de justice devrait dépasser les limites qui, sur un plan général, définissent l'exercice de sa fonction juridictionnelle et, notamment, restreignent la portée de la réponse préjudicielle aux termes sur la base desquels le juge national a posé sa question, pour modifier les conséquences, plus ou moins pertinentes, des actes normatifs adoptés par le législateur communautaire dans le cadre de son pouvoir d'appréciation en ce qui concerne le régime du
perfectionnement actif. Dans une communauté de droit, il est indispensable que chacun des pouvoirs exerce sa fonction et assume ses responsabilités sans perturber l'action des autres pouvoirs. En toute hypothèse, dans le cadre des possibilités qui lui sont offertes par son ordre juridique et en respectant toujours la nécessaire uniformité qu'exige l'application du droit communautaire, la juridiction de renvoi pourra nuancer, si les circonstances propres à la procédure le permettent, la portée de la
norme communautaire sur la validité de laquelle la Cour de justice se prononcera.
Conclusion
60 En conclusion des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de justice de répondre aux questions posées par le tribunal d'instance de Lille dans les termes suivants:
«1) L'article 9 du règlement (CEE) n_ 3677/86 du Conseil, du 24 novembre 1986, fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n_ 1999/85 relatif au régime du perfectionnement actif, est valide et compatible avec l'article 2, paragraphe 2, du règlement (CEE) n_ 1999/85 du Conseil, du 16 juillet 1985, car le recours au critère du classement tarifaire pour appliquer la compensation à l'équivalent dans le cadre du régime du perfectionnement actif précise et développe simplement les
critères prévus par cette dernière disposition.
2) Le critère du classement tarifaire, établi à l'article 9 du règlement n_ 3677/86 pour la compensation à l'équivalent, est compatible avec le principe de proportionnalité et n'entraîne aucun effet disproportionné pour les opérateurs économiques.
3) En établissant le critère du classement tarifaire, l'article 9 du règlement n_ 3677/86 n'a pas enfreint les principes de confiance légitime et de sécurité juridique, et ce même si la modification de la nomenclature tarifaire apportée par le règlement (CEE) n_ 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun, a fait obstacle à la compensation à l'équivalent entre le sucre de canne et le sucre de betterave pendant la période du
1er janvier 1988 au 1er janvier 1992.»
(1) - JO L 351, p. 1.
(2) - L'administration des douanes françaises a accusé d'infractions similaires la Société générale sucrière, qu'elle a également assignée en paiement des mêmes droits, taxes et prélèvements. Cette décision de l'administration douanière a été annulée pour vice de forme par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 septembre 1996.
(3) - Règlement du Conseil du 16 juillet 1985 relatif au régime du perfectionnement actif (JO L 188, p. 1).
(4) - Arrêt du 29 juin 1995, Temic Telefunken (C-437/93, Rec. p. I-1687, point 19).
(5) - Pour une analyse détaillée du régime du perfectionnement actif voir, entre autres, Baumann, U.: «Le régime douanier du perfectionnement actif», Revue du marché commun, 1984, n_ 280, p. 406; Berr, C.-J, et Tremeau, H.: Le droit douanier, Economica, Paris, 1992; Durand, J.-F.: «Régimes douaniers économiques. Régimes de transformation à l'importation», Juris-classeur Europe, fascicule 542, 1995.
(6) - Les deux produits appartenaient à la même sous-position tarifaire, selon le classement établi par le règlement (CEE) n_ 950/68 du Conseil, du 28 juin 1968, relatif au tarif douanier commun (JO L 172, p. 1).
(7) - Règlement du Conseil du 23 juillet 1987 relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1).
(8) - Décision du Conseil du 7 avril 1987 concernant la conclusion de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, ainsi que de son protocole d'amendement (JO L 198, p. 1).
(9) - Règlement de la Commission du 26 juin 1991 fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n_ 1999/85 (JO L 210, p. 1).
(10) - Règlement de la Commission du 21 décembre 1992 (JO L 378, p. 6).
(11) - Règlement (CEE) n_ 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1).
(12) - Règlement (CEE) n_ 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d'application du règlement (CEE) n_ 2913/92 (JO L 253, p. 1).
(13) - Arrêts du 16 juin 1987, Romkes (46/86, Rec. p. 2671, point 16); du 10 mai 1995, Parlement/Conseil (C-417/93, Rec. p. I-1185, point 30), et du 13 juillet 1995, Parlement/Commission (C-156/93, Rec. p. I-2019, point 18).
(14) - Arrêts du 24 juin 1993, Dr. Tretter (C-90/92, Rec. p. I-3569, point 11), et du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne (C-61/94, non encore publié au Recueil, point 52).
(15) - Voir les arrêts du 30 octobre 1975, Rey Soda (23/75, Rec. p. 1279, points 10 à 14), et du 27 septembre 1979, Eridania et Società italiana per l'industria degli zuccheri (230/78, Rec. p. 2749, points 7 et 8).
(16) - Point 7 des conclusions prononcées par l'avocat général M. Van Gerven dans l'affaire TVU, qui a fait l'objet de l'arrêt du 11 février 1993 (C-291/91, Rec. p. I-579).
(17) - La jurisprudence communautaire donne la préférence à l'interprétation des normes d'exécution qui les rend compatibles avec les normes de base. Je renvoie aux arrêts précités à la note 13.
(18) - Voir, entre autres, l'arrêt du 7 février 1973, Schroeder (40/72, Rec. p. 125, point 14), ainsi que l'arrêt du 13 juin 1972, Compagnie d'approvisionnement, de transport et de crédit et Grands Moulins de Paris/Commission (9/71 et 11/71, Rec. p. 391, au point 39).
(19) - Berr, C.-J., et Tremeau, H.: op. cit., p. 119.
(20) - Directive du Conseil du 4 mars 1969 concernant l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives au régime du perfectionnement actif (JO L 58, p. 1).
(21) - Directive de la Commission du 26 mai 1975 relative aux modalités de la compensation à l'équivalent et de l'exportation anticipée dans le cadre du régime de perfectionnement actif (JO L 156, p. 25).
(22) - Voir Durand, J.-F.: «Régimes douaniers économiques. Régimes de transformation à l'exportation», Juris-classeur Europe, fascicule 543, 1995.
(23) - Règlement du Conseil du 24 juillet 1986 relatif au régime du perfectionnement passif et au système des échanges standard (JO L 212, p. 1).
(24) - Arrêts du 29 février 1996, France et Irlande/Commission (C-296/93 et C-307/93, Rec. p. I-795, point 30), et du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a. (C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 41).
(25) - Arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, point 90), et du 13 novembre 1990, Fedesa e.a. (C-331/88, Rec. p. I-4023, point 14).
(26) - Arrêts du 24 octobre 1973, Balkan (5/73, Rec. p. 1091, point 22), et du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission (154/78, 205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, point 118).
(27) - Voir, entre autres, les arrêts du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil (C-353/92, Rec. p. I-3411), et du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission (C-350/88, Rec. p. I-395).
(28) - Arrêts précités, Crispoltoni e.a., point 58, et Delacre e.a./Commission, point 34.
(29) - Arrêts du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Van Dijk/Commission (265/85, Rec. p. 1155, point 44), et Delacre e.a./Commission, précité, point 37.
(30) - Arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand Frères et Garancini (169/80, Rec. p. 1931); du 21 mai 1988, Commission/Italie (257/86, Rec. p. 3249, point 12), et du 22 février 1989, Commission/France et Royaume-Uni (92/87 et 93/87, Rec. p. 405, point 22).
(31) - Voir, entre autres, les arrêts du 11 juillet 1989, Schräder (265/87, Rec. p. 2237, point 15), et du 13 juillet 1989, Wachauf (5/88, Rec. p. 2609, point 18).