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17/10/1996 | CJUE | N°C-241/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 17 octobre 1996., The Queen contre Intervention Board for Agricultural Produce, ex parte Accrington Beef Co. Ltd e.a.., 17/10/1996, C-241/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 17 octobre 1996 ( *1 )

1.  La High Court, Queen's Bench Division, London, vous saisit de questions préjudicielles portant sur l'appréciation en validité de deux dispositions du règlement (CE) no 214/94 ( 1 ).



Le cadre réglementaire de l'affaire

...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 17 octobre 1996 ( *1 )

1.  La High Court, Queen's Bench Division, London, vous saisit de questions préjudicielles portant sur l'appréciation en validité de deux dispositions du règlement (CE) no 214/94 ( 1 ).

Le cadre réglementaire de l'affaire

2. En application des engagements de la Communauté et dans le contexte de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (ci-après « GATT »), par le règlement (CE) no 130/94 ( 2 ), le Conseil a ouvert, pour 1994, un contingent tarifaire communautaire de 53000 tonnes pour certaines viandes bovines congelées. Il a laissé le soin à la Commission d'en arrêter les modalités d'application selon la procédure définie à l'article 27 du règlement (CEE) no 805/68 ( 3 ), qui implique la consultation
du comité de gestion de la viande bovine.

3. Les produits importés dans la Communauté dans le cadre de ce contingent tarifaire bénéficient d'un droit du tarif douanier commun réduit à 20 % et d'un prélèvement à l'importation de 0 % ( 4 ).

4. Le contingent tarifaire est réparti en deux parts (ci-après désignées respectivement « contingent traditionnel » et « contingent autres opérateurs »):

— 42400 tonnes (soit 80 %) pour les « opérateurs traditionnels » et

— 10600 tonnes (soit 20%) pour les « autres opérateurs » ( 5 ).

5. Les opérateurs traditionnels sont définis à l'article 2, sous a), du règlement no 130/94 comme ceux qui ont procédé, au cours des trois dernières années, à des importations dans la Communauté dans le cadre du contingent tarifaire. Les autres opérateurs sont définis à l'article 2, sous b), du règlement no 130/94 comme ceux qui, pour une quantité minimale et au cours d'une période à déterminer, peuvent prouver leur activité en matière d'échanges avec les pays tiers de viande bovine autre que celle
faisant l'objet du régime d'importation en cause ou d'opérations de trafics de perfectionnement actif ou passif.

6. Aucune disposition n'interdit à un opérateur traditionnel de participer également à la répartition du contingent réservé aux autres opérateurs dans la mesure où il remplirait les conditions d'éligibilité prévues pour ces derniers.

7. Aux termes de l'article 4 du règlement no 130/94, la Commission est chargée d'adopter les modalités d'application dudit règlement en fixant, en particulier, la quantité minimale et la période de référence visée à l'article 2, sous b), du règlement no 130/94.

8. Le règlement no 214/94 de la Commission remplit cet office. Son article 1er, paragraphe 2, détermine les conditions d'éligibilité des autres opérateurs. Ces conditions sont alternatives. Tout candidat doit prouver soit qu'il a importé une quantité de viande bovine au moins égale à 50 tonnes en 1992 et 80 tonnes en 1993, soit qu'il a exporté une quantité de viande bovine au moins égale à 110 tonnes en 1992 et 150 tonnes en 1993, étant précisé que la viande bovine importée ou exportée des pays
tiers ne doit pas faire l'objet de contingents tarifaires.

9. Les paragraphes 3 et 4 de l'article 1er du règlement no 214/94 déterminent respectivement le mode de répartition du contingent traditionnel et du contingent autres opérateurs. Le contingent traditionnel est réparti entre les opérateurs traditionnels au prorata des importations réalisées au cours des années de référence tandis que le contingent autres opérateurs est réparti au prorata des quantités demandées par les opérateurs éligibles. Toutefois, en pratique, les opérateurs éligibles demandent
le montant maximal de 50 tonnes (comme visé à l'article 3, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement no 214/94). Dans ce cas, l'attribution par quantité demandée et l'attribution par demande sont les mêmes ( 6 ).

10. L'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94 énonce que les sociétés issues de la fusion d'entreprises ayant chacune des droits conformément à l'article 1er, paragraphe 1 ( 7 ), bénéficient des mêmes droits que les entreprises dont elles sont issues. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux demandes introduites par les autres opérateurs. Cette précision est apportée par la Commission dans une note d'information adressée le 5 février 1992 à tous les États membres à propos de l'article
correspondant du règlement (CEE) no 3701/91 de la Commission, du 18 décembre 1991, établissant les modalités d'application du régime d'importation prévu par le règlement (CEE) no 3667/91 du Conseil pour la viande bovine congelée relevant du code NC 0202 et les produits relevant du code NC 02062991 ( 8 ).

Les faits

11. La présente affaire oppose vingt-sept sociétés appartenant à la famille Slinger à l'organisme d'intervention agricole britannique, l'« Intervention Board for Agricultural Produce » (ci-après l'« Intervention Board »). Vingt-six d'entre elles sont réunies au sein d'un groupe (ci-après le « groupe Slinger » ou le « groupe »), une seule demeure en dehors du groupe mais sous le contrôle de la famille Slinger.

12. Ces sociétés sont des producteurs de viande, ainsi que des grossistes et négociants en viande établis dans le Lancashire. Dans le contexte du commerce de la viande bovine, le groupe Slinger, dont le chiffre d'affaires annuel en 1993 était d'environ 35 millions de UKL, correspond à une société de taille moyenne.

13. A sa création en 1952, la première société du groupe exerçait des activités de bouchers détaillants, travaillant dans le cadre de contrats de fourniture. Depuis lors, le groupe a diversifié ses activités et étendu sa portée géographique. C'est ainsi qu'aujourd'hui le groupe Slinger est composé d'exploitants d'abattoirs et de bouchers en gros, desservant les boucheries dans tout le Lancashire; il s'est lancé dans le commerce international de la viande et le désossement en sous-traitance, ainsi
que dans la préparation et le traitement de la viande. Le groupe possède actuellement plusieurs usines et entrepôts frigorifiques et il s'est développé à la fin des années 80 grâce à l'acquisition de plusieurs sociétés actives dans la production et le négoce de la viande. Il a étendu le rayon d'action de ses opérations, notamment en s'engageant dans le commerce de viande bovine congelée avec des pays tiers. La plus grande partie de ce commerce consiste en exportations, mais le groupe réalise
aussi des importations. En 1993, le groupe Slinger s'est vu décerner le « Queen's Award for Export ».

14. Parmi les vingt-sept sociétés demanderesses au principal, huit se sont fait enregistrer auprès de l'Intervention Board en qualité d'opérateurs en 1988; les dix-neuf autres ont suivi en 1991.

15. Jusqu'en 1993, ne remplissant pas les conditions d'éligibilité requises, aucune n'a pu bénéficier du contingent GATT. En 1993, treize d'entre elles ont pu bénéficier du contingent réservé aux autres opérateurs.

16. En 1994, ces treize dernières sociétés ont participé au contingent traditionnel dans la mesure où, conformément aux dispositions de l'article 2, sous a), du règlement no 130/94, elles ont procédé à des importations dans la Communauté dans le cadre du contingent tarifaire (en l'espèce contingent autres opérateurs) au cours des trois années précédentes.

17. En 1994, afin d'augmenter leur participation au contingent tarifaire, ces treize entreprises ainsi que les quatorze autres demandent à participer au contingent autres opérateurs.

18. L'Intervention Board n'a pas fait droit à leurs demandes et leur a notifié deux décisions. Dans la première, leur demande de participation au contingent autres opérateurs a été rejetée au motif que les demanderesses au principal n'ont pu rapporter la preuve d'avoir exporté 150 tonnes de viande en 1993. Dans la seconde, la possibilité de se prévaloir des dispositions de l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94 leur a été refusée au motif que cette disposition ne leur donne pas le droit
d'additionner les résultats réalisés par chacune d'entre elles en vue d'être éligibles en qualité d'autres opérateurs.

19. A cet égard, le juge de renvoi précise que, en 1992, trois de ces sociétés ont exporté moins de 110 tonnes, que tel fut également le cas en 1993 pour quatre d'entre elles et qu'ainsi les conditions requises en 1994 pour participer au contingent autres opérateurs n'auraient pas été remplies par ces sept sociétés même si le seuil d'exportation requis n'avait pas été relevé. Les demanderesses au principal l'admettent en précisant que, en les autorisant à se prévaloir de l'article 2, paragraphe 2,
du règlement no 214/94, conformément à la demande antérieurement présentée à l'Intervention Board, le seuil d'éligibilité requis aurait été atteint.

20. Ces sociétés demandent à la High Court of Justice, Queen's Bench Division, London, d'annuler les deux décisions prises par l'Intervention Board et mettent en cause la validité de la base juridique sur laquelle le contingent tarifaire pour l'importation dans la Communauté, en 1994, de certaines viandes bovines congelées et de certains produits de viande bovine congelée, prévu par le règlement no 214/94, a été réparti entre les opérateurs communautaires. En particulier, elles soutiennent que la
fixation par l'article 1er, paragraphe 2, du règlement no 214/94 d'une quantité de 150 tonnes de viande bovine exportée au cours de l'année précédente constitue un excès de pouvoir par rapport aux dispositions du règlement no 130/94 et ne respecte pas divers principes du droit communautaire. En outre, elles prétendent que l'omission de la disposition permettant le cumul des résultats réalisés par différentes sociétés en vue de remplir les conditions d'éligibilité en tant qu'autres opérateurs
violerait le principe de non-discrimination et serait contraire à l'objectif poursuivi par le législateur communautaire.

21. Selon elles, le préjudice qu'elles auraient subi du fait de l'application des dispositions de ces règlements seraient de 200000 UKL.

Les questions préjudicielles

22. Doutant de la réponse à donner aux prétentions des parties, le juge national vous saisit de deux questions préjudicielles ainsi libellées:

« 1) L'article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) no 214/94 de la Commission est-il invalide et contraire au droit communautaire, dans la mesure où il exige des opérateurs souhaitant participer au contingent 1994 visé par cette disposition, sur la base des exportations de viande bovine effectuées antérieurement par eux, qu'ils aient exporté au moins 150 tonnes au cours de l'année précédente, et non plus les 110 tonnes requises en 1993? En particulier, l'article 1er, paragraphe 2, est-il
invalide et contraire au droit communautaire, du fait que la Commission:

a) a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés par le règlement (CE) no 130/94 du Conseil;

b) a violé le principe de proportionnalité;

c) a violé le principe de la confiance légitime;

d) a négligé de motiver de façon adéquate cette disposition, comme le lui impose pourtant l'article 190 du traité CE; et/ou

e) a adopté cette disposition, sans consulter, dans les règles, le comité de gestion de la viande bovine, contrairement à l'article 4 du règlement (CE) no 130/94 et à l'article 27 du règlement (CEE) no 805/68?

2) L'article 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 214/94 de la Commission est-il invalide et contraire au droit communautaire, dans la mesure où il prive les sociétés issues de la fusion d'entreprises ayant chacune des droits fondés sur l'article 1er, paragraphe 2, de la possibilité de cumuler les résultats obtenus antérieurement par chacune d'entre elles? En particulier, l'article 2, paragraphe 2:

a) viole-t-il le principe de non-discrimination, dans la mesure où les sociétés puisant leurs droits dans l'article 1er, paragraphe 1, du règlement peuvent amalgamer et cumuler les résultats obtenus antérieurement pour bénéficier du contingent, alors que cette possibilité n'est pas offerte aux sociétés puisant leurs droits dans l'article 1er, paragraphe 2; et/ou

b) va-t-il à l'encontre de la volonté, affirmée dans le deuxième considérant du règlement (CE) no 130/94 du Conseil, de garantir l'accès continu de tous les opérateurs intéressés de la Communauté au contingent en cause? »

A — Sur la recevabilité de la demande

23. Le Royaume-Uni s'interroge, sans y répondre, sur la recevabilité des questions préjudicielles soumises à votre appréciation en faisant référence à votre arrêt TWD Textilwerke Deggendorf ( 9 ), aux termes duquel vous avez considéré que le principe de sécurité juridique s'oppose à ce qu'un particulier, destinataire d'une décision lui faisant personnellement et directement grief, contre laquelle il n'a pas formé de recours sur le fondement de l'article 173 du traité dans les délais impartis,
conteste la validité de cette décision par le moyen d'une action engagée devant une juridiction nationale ( 10 ).

24. Pour admettre un particulier à se prévaloir des dispositions de l'article 173 du traité contre un règlement communautaire, vous avez jugé de façon constante qu'il doit rapporter la preuve que les dispositions litigieuses du règlement en cause le concernent de manière directe et personnelle et qu'il se trouve dans une situation qui le caractérise par rapport à tout autre opérateur économique ( 11 ).

25. Or, dans l'espèce qui nous occupe aujourd'hui, il ne résulte pas des pièces du dossier que les dispositions litigieuses du règlement no 214/94 constituent une décision déguisée visant personnellement et directement les sociétés du groupe Slinger. Au contraire, ces dispositions s'adressent en des termes abstraits et généraux à des personnes indéterminées, s'appliquent à des situations déterminées objectivement et ne concernent les requérantes au principal qu'en leur qualité objective d'opérateurs
économiques dans le secteur en cause au même titre que tout autre opérateur économique se trouvant dans une situation identique. Ainsi, compte tenu des éléments portés à notre connaissance, nous pensons qu'une action des requérantes au principal fondée sur l'article 173 du traité aurait été déclarée irrecevable ( 12 ).

26. En conséquence, nous estimons que la jurisprudence invoquée n'est pas applicable et que la demande est recevable.

B — Réponse à la première question

27. Par cette question, le juge de renvoi vous invite à vous prononcer sur la validité de l'article 1er, paragraphe 2, du règlement no 214/94 en ce qu'il réserve la partie du contingent tarifaire autres opérateurs aux seuls demandeurs pouvant prouver avoir exporté vers des pays tiers une quantité de viande bovine au moins égale à 110 tonnes en 1992 et à 150 tonnes en 1993.

28. Les demanderesses au principal reprochent à la Commission d'avoir relevé ce seuil de 30 % par rapport au seuil précédemment fixé et ce faisant:

a) d'avoir excédé le pouvoir à elle conféré par le Conseil;

b) de n'avoir pas respecté les formalités substantielles requises (absence de motivation et de consultation du comité de gestion de la viande bovine);

c) d'avoir violé différents principes généraux du droit communautaire (les principes de proportionnalité et de confiance légitime).

Le moyen tiré de l'excès de pouvoir

29. Les demanderesses au principal reprochent à la Commission d'avoir commis un détournement de pouvoir en substituant, dans le règlement no 214/94, des objectifs contraires à ceux régulièrement fixés par le Conseil dans le règlement no 130/94.

30. Selon elles, les objectifs poursuivis par la Commission sont de deux ordres. Il s'agit, d'une part, de limiter le nombre de demandes présentées au titre du contingent tarifaire autres opérateurs afin d'éviter le recours au tirage au sort pourtant prévu par les textes communautaires ( 13 ) et, d'autre part, d'éviter la création de « sociétés fictives », à savoir des sociétés créées dans l'unique but de permettre au groupe auquel elles appartiennent de tirer un maximum d'avantages du système de
répartition de la part du contingent tarifaire réservé aux autres opérateurs.

31. A l'inverse, elles soutiennent que les objectifs initialement poursuivis par le Conseil auraient été de trois ordres. En premier lieu, il se serait agi de répartir le contingent tarifaire communautaire entre opérateurs sérieux. La mission de la Commission consisterait donc à mettre en œuvre des moyens lui permettant de s'assurer du sérieux de l'activité des opérateurs en cause ( 14 ). En second lieu, le Conseil lui-même aurait défini l'opérateur sérieux comme étant celui dont le niveau des
échanges avec les pays tiers est représentatif ( 15 ). Les requérantes au principal en concluent que le relèvement du seuil des exportations vers les pays tiers exigé pour pouvoir prétendre à une part du contingent autres opérateurs serait justifié uniquement si une augmentation significative des quantités de viande bovine exportée de l'Union européenne vers les pays tiers était constatée. Enfin, le Conseil aurait cherché à permettre un accès égal et continu de tous les opérateurs concernés au
contingent tarifaire.

32. Nous ne souscrivons pas à l'analyse opérée par les requérantes au principal.

33. Rappelons que, aux termes de l'article 4 du règlement no 130/94, le Conseil a confié à la Commission le soin de fixer les conditions d'éligibilité requises pour participer au contingent tarifaire réservé aux autres opérateurs [à savoir quantités minimales et période de référence prescrites à l'article 2, sous b), du règlement no 130/94] Cet article a, en outre, précisé que ces modalités devaient être arrêtées selon la procédure prévue à l'article 27 du règlement no 805/68. Il s'agit de la
procédure dite du comité de gestion qui permet au Conseil de réserver sa propre intervention.

34. Il apparaît donc que la Commission est compétente pour prendre les mesures en cause — ce qui n'est pas contesté par les requérantes au principal.

35. Ajoutons, par ailleurs, que votre jurisprudence lui reconnaît un large pouvoir d'appréciation dans ce cadre. Vous considérez, en effet, que, « ... dans le cadre de la politique agricole commune ( 16 ), le Conseil peut être amené à conférer à la Commission de larges pouvoirs d'exécution, cette dernière étant la seule à même de suivre de manière constante et attentive l'évolution des marchés agricoles et d'agir avec l'urgence que requiert la situation (voir, notamment, arrêt du 30 octobre 1975,
Rey Soda, 23/75, Rec. p. 1279, point 11). De larges pouvoirs d'exécution sont d'autant plus justifiés en l'espèce qu'ils doivent être exercés selon la procédure dite du comité de gestion qui permet au Conseil de réserver sa propre intervention (arrêt Rey Soda, précité, point 13) » ( 17 ).

36. Il convient néanmoins, en l'espèce, de rechercher si les mesures adoptées par la Commission sont conformes à l'objectif poursuivi par la réglementation.

37. L'objectif poursuivi par le règlement no 130/94 est défini à son deuxième considérant. Il s'agit de « garantir l'accès égal et continu de tous les opérateurs intéressés de la Communauté audit contingent ». Le troisième considérant précise les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif en rappelant que le « régime repose sur l'attribution par la Commission des quantités disponibles entre les opérateurs traditionnels et les opérateurs intéressés par le commerce de la viande bovine; que,
pour s'assurer du sérieux de l'activité de ces derniers opérateurs, il y a lieu, toutefois, de ne prendre en considération que les quantités d'une certaine importance représentatives des échanges avec les pays tiers ». L'objectif rappelé au deuxième considérant du règlement no 214/94 précise également que le moyen mis en oeuvre pour parvenir au but poursuivi consiste à réserver le contingent tarifaire à ceux « pouvant démontrer le sérieux de leur activité et agissant pour des quantités d'une
certaine importance ».

38. Dans l'arrêt Weddel/Commission, précité ( 18 ), vous avez reconnu que l'objectif du régime d'importation de viande bovine dans le cadre du contingent tarifaire GATT est bien de garantir l'accès égal et continu de tous les opérateurs intéressés audit contingent. Vous avez de plus sanctionné des comportements susceptibles de perturber le fonctionnement de ce régime et de remettre en cause l'objectif ainsi poursuivi.

39. Les arguments développés par la Commission doivent être accueillis. En effet, l'attitude de ces opérateurs morcelant artificiellement la structure économique de leur groupe afin de pouvoir prétendre à la part la plus importante possible du contingent autres opérateurs est de nature à perturber le bon fonctionnement du régime, à contourner l'application de la règle prévue à l'article 3 du règlement no 214/94 et à mettre en péril le principe selon lequel tous les opérateurs intéressés doivent
pouvoir accéder également et de façon continue au contingent tarifaire.

40. Contrairement aux affirmations des requérantes au principal, il n'apparaît pas que le Conseil ait souhaité établir un lien entre les montants ou quantités à fixer par la Commission et l'évolution des exportations ou des importations avec les pays tiers. Le troisième considérant du règlement no 130/94 indique seulement que, « ... pour s'assurer du sérieux de l'activité de ces derniers opérateurs (c'est-à-dire autres que traditionnels), il y a lieu ... de ne prendre en considération que les
quantités d'une certaine importance représentatives des échanges avec les pays tiers ». En conséquence, les opérateurs qui ont importé ou exporté de façon significative accéderont au contingent (c'est-à-dire auront le droit d'importer). Le relèvement du seuil d'exportation vers les pays tiers apparaît comme un moyen efficace pour atteindre l'objectif fixé par le Conseil.

41. Par conséquent, il nous faut conclure que le moyen tiré de l'excès ou du détournement de pouvoir doit être écarté.

La violation alléguée du principe de proportionnalité

42. L'objectif poursuivi par le Conseil ayant été rappelé, examinons si la Commission n'est pas allée au-delà de ce qui est approprié et nécessaire à sa réalisation ( 19 ).

43. A cette fin, vous considérez que, « ... s'agissant de l'évaluation d'une situation économique complexe, la Commission et le comité de gestion jouissent d'un large pouvoir d'appréciation. Aussi, en contrôlant la légalité de l'exercice d'une telle compétence, le juge doit se limiter à examiner si elle n'est pas entachée d'une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si cette institution n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation » ( 20 ).

44. Ainsi, votre Cour vérifie s'il n'existe pas d'erreur manifeste dans l'évaluation de la situation du marché en cause, si la Commission a choisi une mesure qui n'est pas manifestement inappropriée aux objectifs poursuivis et si la mesure choisie est nécessaire en vue d'atteindre les objectifs définis.

45. Examinons, tout d'abord, le premier de ces points.

46. Nous avons rappelé que l'objectif poursuivi par le règlement no 130/94 est de garantir un accès égal et continu de tous les opérateurs intéressés de la Communauté au contingent tarifaire.

47. La Commission a assuré cette continuité de l'accès au contingent tarifaire par l'attribution de la plus grande partie du contingent aux opérateurs traditionnels. Pour ces derniers, quel que soit le volume des échanges avec les pays tiers, et pour peu qu'ils prouvent avoir participé au contingent tarifaire durant les trois dernières années, l'attribution d'une partie du contingent leur est assurée. L'égalité de l'accès au contingent tarifaire entre les opérateurs intéressés est garantie par
l'ouverture d'une partie du contingent à de nouveaux opérateurs et par la règle selon laquelle un demandeur ne peut présenter qu'une seule demande ( 21 ).

48. Les chiffres avancés par la Commission quant à la prolifération des demandes (un accroissement d'environ 78 % des demandes entre 1992 et 1993) n'ont pas été contestés, pas plus que l'analyse faite par elle des raisons de cette augmentation. Il ne semble pas que la situation du marché communautaire ait justifié une augmentation importante du nombre d'opérateurs économiques accédant au commerce de la viande bovine congelée. Pareille situation doit donc être jugée comme la création artificielle
d'entreprises en vue de participer au contingent, donc comme un éclatement d'une unité économique importante en petites unités non véritablement autonomes de l'unité principale, créées dans l'unique but d'obtenir une part importante du contingent tarifaire.

49. Il n'est pas davantage contesté que les demanderesses ont adopté la stratégie décrite par la Commission pour obtenir la part la plus importante possible du contingent tarifaire autres opérateurs. La deuxième requête des demanderesses auprès de l'Intervention Board (atteindre le seuil requis grâce à l'opération de fusion) conforte cette analyse si besoin en était. Or, pareil comportement est contraire à l'objectif poursuivi par le Conseil ( 22 ).

50. Force est donc de constater qu'il n'a pas été prouvé que la Commission ait effectué une erreur manifeste dans l'évaluation du marché.

51. Examinons, en second lieu, si, comme le prétendent les demanderesses, la mesure adoptée est manifestement inappropriée au but poursuivi et que le recours au tirage au sort aurait été mieux adapté à la situation du marché.

52. Nous nous rallions à cet égard à la position de la Commission. Le tirage au sort n'aurait abouti qu'à aggraver le phénomène décrié. Il favoriserait l'éclatement d'unités économiques en multiples sociétés, et ce dans le seul but d'obtenir la chance la plus importante possible de participer et d'obtenir une partie de ce contingent.

53. Au contraire, seul le relèvement du seuil dans les proportions adoptées est de nature à apporter une solution adéquate au problème ainsi souligné, et ce conformément à l'objectif poursuivi. La présente affaire illustre parfaitement l'efficacité de cette mesure et également sa nécessité.

54. Il nous faut donc conclure que la mesure prise par la Commission ne viole pas le principe de proportionnalité et que ce moyen doit être rejeté.

La violation alléguée du principe de la confiance légitime

55. Selon les demanderesses, la Commission ne pouvait relever le seuil fixé en matière d'exportation vers les pays tiers de viande bovine en suivant la procédure retenue sans violer la confiance légitime dans laquelle se trouvaient les opérateurs concernés. La Commission aurait dû consulter les opérateurs et les informer en temps utile de la modification de la législation communautaire à intervenir afin de leur permettre de gérer efficacement leur fonds.

56. La Commission, quant à elle, fait valoir que le contingent tarifaire est géré sur une base annuelle. La lecture des règlements nos 214/94 et 130/94 ne pouvaient laisser croire que les critères d'éligibilité demeureraient inchangés. Ces critères sont toujours fixés après la fin de la période de référence pertinente et avant que les demandes ne soient déposées pour l'année en cours, ce afin de déjouer les tentatives de spéculation et de permettre le fonctionnement harmonieux du régime. Il
ressortirait des pièces du dossier et du propre aveu des demanderesses au principal qu'elles ont spéculé en pariant sur l'absence de relèvement des seuils d'exportation. De ce fait, elles ont couru un risque et accepté ce risque. En outre, la Commission fait état de relèvements de ce seuil dans des proportions bien plus importantes. C'est ainsi qu'en 1992 la majoration a été de 120 %.

57. Selon le Royaume-Uni, il serait manifeste que le comportement des demanderesses au principal dans l'organisation de leur activité est marqué par une attitude spéculative et que le groupe Slinger s'est organisé pour pouvoir tirer un maximum d'avantages, ce qui en soi n'est pas illégitime comme n'est pas illégitime l'attitude de la Commission de mettre en œuvre des moyens efficaces pour lutter contre pareils comportements spéculatifs. Le risque inhérent à toute attitude spéculative ne devait
cependant pas être minimisé par le groupe Slinger.

58. Nous pensons que les positions défendues par le Royaume-Uni et la Commission doivent être accueillies.

59. En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, vous estimez que « ... les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d'appréciation des institutions communautaires, et ce spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés dont l'objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique [arrêt du 5
octobre 1994, Crispoltoni e. a., C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 57] » ( 23 ).

60. En outre, vous avez jugé que le principe de confiance légitime ne s'oppose pas à ce qu'une réglementation modifie une situation existante, à condition que l'adoption de pareilles mesures soient prévisibles et annoncées en temps utile ( 24 ).

61. Or, ainsi que la Commission l'a relevé dans ses observations ci-dessus rappelées, tel est bien le cas en l'espèce.

62. L'annonce prématurée et notamment avant la fin de la période de référence de ces nouveaux critères d'éligibilité priverait ladite réglementation de tout effet utile. Le groupe « spéculateur » se contenterait dans une telle hypothèse de redistribuer les certificats d'exportation entre des sociétés spécialement constituées à cette fin avant la fin de la période de référence en prenant soin de se conformer aux nouveaux seuils imposés. Tout opérateur normalement averti et notamment celui qui
participe régulièrement à l'attribution d'une partie du contingent tarifaire connaît parfaitement le mécanisme d'élaboration de cette réglementation. Il ressort tant des écritures ( 25 ) que de l'audience que le groupe Slinger doit être considéré comme un opérateur particulièrement averti et diligent. Non seulement ses dirigeants savaient qu'une modification de seuil pouvait intervenir, mais en plus ils savaient à quel moment celle-ci était susceptible d'intervenir. Ainsi, les demanderesses au
principal ne peuvent valablement prétendre que la Commission aurait violé le principe de confiance légitime à leur égard, et ce d'autant plus que l'attitude adoptée par elles était de nature à fausser le fonctionnement normal du régime mis en place par le Conseil.

63. Ce moyen doit dès lors être écarté.

L'absence de motivation suffisante

64. Les demanderesses estiment que la Commission a manqué à l'obligation de motiver qui lui incombe en vertu de l'article 190 du traité.

65. Cependant, vous considérez invariablement que l'« ... on ne saurait exiger que la motivation des règlements spécifie les différents éléments de fait ou de droit, parfois très nombreux et complexes, qui font l'objet des règlements, dès lors que ceux-ci rentrent dans le cadre systématique de l'ensemble dont ils font partie » ( 26 ) et qu'il suffit pour satisfaire aux exigences de l'article 190 du traité que la motivation soit « ... adaptée à la nature de l'acte en cause. Elle doit faire apparaître
d'une façon claire et non équivoque le raisonnement de l'institution, auteur de l'acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d'exercer son contrôle » ( 27 ).

66. En l'espèce, tel est le cas du règlement no 214/94 en ce qui concerne la justification du relèvement du seuil à l'exportation litigieux. Entre autres, ce règlement se réfère expressément au règlement no 130/94 qui énonce l'objectif du régime et les principes généraux sur la base desquels le contingent tarifaire doit être géré. C'est ainsi que le deuxième considérant du règlement no 214/94 souligne la nécessité d'assurer une transition harmonieuse entre le régime fondé sur la gestion nationale et
le régime de la gestion communautaire tout en tenant compte des éléments particuliers du commerce des produits en cause; de même y est-il précisé que l'accès à la deuxième tranche est réservé aux opérateurs pouvant démontrer le sérieux de leur activité et agissant pour des quantités d'une certaine importance. Quant au cinquième considérant dudit règlement, il fait état de la nécessité d'une gestion efficace et de la lutte contre les pratiques frauduleuses. Dès lors, il nous faut conclure que les
raisons qui ont amené la Commission à modifier les critères d'éligibilité requis pour les opérateurs désirant obtenir une part de la deuxième tranche du contingent tarifaire communautaire en cause ont été énoncées clairement et sans équivoque.

67. Le moyen tiré de l'absence de motivation suffisante doit être dès lors écarté.

La consultation du comité de gestion de la viande bovine

68. Les demanderesses soutiennent que le règlement no 214/94 n'a pas été adopté dans le respect de la procédure prévue par le Conseil puisque selon elles la consultation du comité de gestion fut organisée tardivement.

69. Le Royaume-Uni et la Commission contestent cet argument comme non fondé, selon eux, dans la mesure où les demanderesses reconnaissent par ailleurs que cette consultation a eu lieu et que le résultat est conforme au septième considérant du règlement no 214/94.

70. Il nous semble que ce moyen doit effectivement être écarté.

71. Le règlement no 805/68 ne fixe pas le respect de délais particuliers entre le jour de la saisine du comité de gestion et le jour où ce dernier doit rendre son avis. Son article 27, paragraphe 2, précise seulement qu'il émet son avis en fonction du délai que le président du comité lui impartit.

72. Vous avez eu l'occasion de vous prononcer sur la mission, les pouvoirs et la portée des décisions prises par la Commission dans le cadre de la procédure dite du comité de gestion.

73. Ainsi, dans un arrêt Köster et Berodt ( 28 ), vous avez défini la mission du comité de gestion comme celle « ... de donner des avis sur le projet des mesures envisagées par la Commission » ( 29 ), « ... d'assurer une consultation permanente afin d'orienter la Commission dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par le Conseil et de permettre à celui-ci de substituer son action à celle de la Commission » ( 30 ), mais en aucune façon le comité de gestion ne peut « ... prendre une décision
aux lieu et place de la Commission ou du Conseil » ( 31 ). Vous avez précisé que la Commission « ... peut arrêter des mesures immédiatement applicables, quel que soit l'avis du comité de gestion » ( 32 ) et que la seule obligation lui incombant est, « ... en cas d'avis non conforme de ce comité, ... celle de communiquer au Conseil les mesures prises » ( 33 ). Vous en avez conclu que, « ... dès lors, sans fausser la structure communautaire et l'équilibre institutionnel, le mécanisme du comité de
gestion permet au Conseil d'attribuer à la Commission un pouvoir d'exécution d'une étendue appréciable, sous réserve d'évoquer éventuellement la décision » ( 34 ).

74. De plus, de l'étude des arrêts de votre Cour sur la portée que vous reconnaissez aux avis rendus par le comité de gestion, il ressort que celle-ci est tout à fait limitée.

75. Ainsi, vous avez refusé à des requérantes la possibilité, pour contester la légalité d'un règlement de la Commission, de se prévaloir d'une divergence entre les dispositions prises et les documents préparatoires, reflétant les propositions dont le comité de gestion était saisi ( 35 ) en jugeant que l'« On ne saurait, en effet, élever les indications contenues dans des documents préparatoires au rang d'une règle de droit qui permettrait de censurer la décision prise, en fin de compte, par la
Commission en délibération avec le comité de gestion. Les déductions que les requérantes ont tirées de la comparaison entre les propositions originairement soumises au comité de gestion, en ce qui concerne le prix minimal de la matière première et les frais de transformation, en vue d'établir le montant de leur dommage, doivent donc être écartées ».

76. De même, dans un arrêt du 14 décembre 1978 ( 36 ), avez-vous jugé que l'absence d'un avis du comité de gestion n'affecte en rien la validité des mesures prises par la Commission puisque, selon vos propres termes, « ... ce n'est que dans le cas où la Commission arrête des mesures non conformes à l'avis émis par le comité qu'il y a lieu de communiquer ces mesures au Conseil; que, dès lors, l'absence d'un avis du comité n'affecte en rien la validité des mesures prises par la Commission ».

77. En l'espèce, le comité a non seulement été consulté, mais a de plus rendu un avis conforme. Il nous faut donc conclure que la mesure litigieuse ne saurait être invalidée.

C — Réponse à la seconde question

78. Par sa seconde question, le juge de renvoi vous invite à vous prononcer sur la validité de l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94 de la Commission dans la mesure où il prive les sociétés issues de la fusion d'entreprises ayant chacune des droits fondés sur l'article 1er, paragraphe 2, de la possibilité de cumuler les résultats obtenus antérieurement par chacune d'entre elles.

79. Selon les demanderesses au principal, la Commission, en les privant de cette possibilité offerte aux sociétés puisant leurs droits dans l'article 1er, paragraphe 1, du règlement no 214/94, aurait violé le principe de non-discrimination et contrevenu à l'objectif poursuivi par le législateur communautaire tel qu'affirmé dans le deuxième considérant du règlement no 130/94, à savoir celui de garantir l'accès continu de tous les opérateurs intéressés de la Communauté au contingent en cause.

80. Le Royaume-Uni et la Commission observent que la réponse à cette question n'est pas pertinente, eu égard à la situation factuelle dont a à connaître le juge de renvoi. En effet, selon eux, l'article 1er, paragraphe 1, du règlement no 214/94 ne s'applique pas au cadre factuel exposé par la décision de renvoi. Les demanderesses se plaignent de ne pas avoir pu accéder au contingent autres opérateurs et mettent en cause une des règles fixant les conditions d'éligibilité. Or, la disposition
litigieuse précise une des modalités de répartition du contingent tarifaire opérateurs traditionnels. Elle règle donc des situations se trouvant en amont de celles des demanderesses et ne serait aucunement utile à la solution de leur litige.

La violation alléguée du principe de non-discrimination

81. Disons-le sans détour, nous ne pensons pas que le principe de non-discrimination ait été violé en l'espèce. L'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94 est une disposition particulière dont la finalité est de préciser une modalité pratique de répartition du contingent réservé aux opérateurs traditionnels. En effet, ce texte prévoit, rappelons-le: « Les sociétés issues de la fusion d'entreprises ayant chacune des droits, conformément à l'article 1er, paragraphe 1, bénéficient des mêmes
droits que les entreprises dont elles sont issues » ( 37 ).

82. Il est clair que, dans l'hypothèse factuelle qui est la nôtre, la situation des entreprises, parties au litige au principal, est tout autre. Aucune d'entre elles ne remplit les conditions d'éligibilité lui ouvrant droit à une partie du contingent tarifaire, et ce à quelque titre que ce soit ( 38 ).

83. Or, aux termes d'une jurisprudence constante vous considérez que « ... l'interdiction de discrimination énoncée à l'article 40, paragraphe 3, du traité CEE n'est qu'une expression spécifique du principe général d'égalité en droit communautaire, qui veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié (voir notamment, arrêt du 29 juin
1995, SC AC, C-56/94, Rec. p. I-1769, point 27) » ( 39 ).

84. N'étant pas placées dans une situation comparable à celle prévue par l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94, elles ne peuvent dès lors prétendre valablement avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire en se voyant appliquer une règle différente.

85. Le moyen tiré d'une quelconque discrimination est de ce fait inopérant.

Le non-respect de l'objectif poursuivi par le Conseil dans son règlement no 130/94

86. Selon les demanderesses au principal, la Commission n'aurait pas garanti l'accès égal et continu de tous les opérateurs intéressés au contingent GATT en les privant de la possibilité de cumuler les résultats obtenus antérieurement par chacune d'entre elles.

87. Nous pensons, contrairement à la position développée par les requérantes au principal, que l'omission d'une disposition réglementaire leur permettant de cumuler les résultats obtenus antérieurement pour bénéficier du contingent n'est pas contraire à l'objectif poursuivi par le législateur communautaire. S'agissant de l'objectif poursuivi, nous vous renvoyons à nos développements antérieurs ( 40 ).

88. Selon nous, faire droit à la demande des requérantes au principal serait contraire à l'objectif poursuivi pas le législateur communautaire. En effet, les suivre dans leur raisonnement reviendrait à favoriser la prolifération de sociétés non sérieuses (pour reprendre la terminologie utilisée par la Commission), ce d'autant plus que la possibilité de faire jouer la fusion en cas de « mauvais calcul » dans la répartition des certificats d'exportation entre ce type de sociétés serait admise. Or,
nous avons justement rappelé que pareille situation est contraire à l'objectif poursuivi par le Conseil ( 41 ). Le calcul opéré par ce type d'opérateur « spéculateur » est parfaitement illustré dans cette affaire.

89. Toutefois, il est vrai que la règle contenue à l'article 2, paragraphe 2, du règlement no 214/94 ne s'applique qu'aux opérateurs traditionnels. Selon nous, des raisons objectives expliquent cette différence apparente de traitement. Dans la mesure où les règles commandant la répartition du contingent sont distinctes selon que la situation envisagée est celle d'un opérateur participant à la répartition du contingent traditionnel ou celle d'un opérateur participant à la répartition du contingent
autres opérateurs, la précision contenue à cet article s'avérait nécessaire. En effet, comme le souligne la Commission ( 42 ), « La disposition équivalente à l'article 2, paragraphe 2, en ce qui concerne les autres opérateurs, serait, en fait, une disposition relative à la fusion de deux sociétés qui étaient déjà éligibles en tant que autres opérateurs pendant l'exercice contingentaire en cours. Dans le contexte de la gestion de ce contingent, une possibilité de cette nature ne revêt aucun
intérêt pratique, puisque toute répartition subséquente aurait lieu par référence non pas aux résultats obtenus antérieurement, mais par référence à la demande ultérieure faite par la société issue de la fusion. En revanche, dans le cas d'importateurs traditionnels où le fait de la fusion peut avoir des effets juridiques jusqu'à quatre ans plus tard, la situation prévue par l'article 2, paragraphe 2, peut se produire et revêt, par conséquent, un réel intérêt pratique, du moins du point de vue de
la clarté administrative. Telle est la raison pour laquelle le règlement no 214/94 contient une disposition explicite concernant cette question dans le cas de l'importateur traditionnel, mais non pas dans le cas d'autres opérateurs ».

Conclusion

90. Pour les raisons précédemment exposées, nous vous proposons de répondre comme suit aux questions déférées par la juridiction de renvoi:

« L'examen des articles 1er, paragraphe 2, et 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 214/94 de la Commission, du 31 janvier 1994, portant modalités d'application du règlement (CE) no 130/94 du Conseil en ce qui concerne le régime d'importation de la viande bovine congelée relevant du code NC 0202 et des produits relevant du code NC 02062991, à la lumière des motifs de l'ordonnance de renvoi, n'a pas révélé l'existence d'éléments de nature à affecter leur validité. »

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( *1 ) Langue originale: le français.

( 1 ) Règlement de la Commission du 31 janvier 1994 portant modalités d'application du règlement (CE) no 130/94 du Conseil en ce qui concerne le régime d'importation de la viande bovine congelée relevant du code NC 0202 et des produits relevant du code NC 02062991 (JO L 27, p. 46).

( 2 ) Règlement du Conseil du 24 janvier 1994 portant ouverture et mode de gestion d'un contingent tarifaire communautaire f)Our la viande bovine congelée relevant du code NC 0202 et es produits relevant du code NC 02062991 (1994) (JO L 22, p. 3).

( 3 ) Règlement du Conseil du 27 juin 1968 portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24).

( 4 ) Article 1er, paragraphe 3, du règlement no 130/94.

( 5 ) Article 2, sous a) et b), du règlement no 130/94.

( 6 ) Observations de la Commission, point 16.

( 7 ) C'est-à-dire ceux réservés aux opérateurs traditionnels.

( 8 ) JO L 350, p. 34.

( 9 ) Arrêt du 9 mars 1994, dit « TWD » (C-188/92, Rcc. p. I-833).

( 10 ) Points 25 et 26.

( 11 ) Voir, notamment, arrêts du 6 novembre 1990, Wcddcl/ Commission (C-354/87, Rcc. p. I-3847, points 18 à 23), et du 18 mai 1994, Codorniu/Conscil (C-309/89, Rcc. p. I-1853, points 19 à 22).

( 12 ) Arrêts du 14 décembre 1962, Confédération nationale des producteurs de fruits et légumes e. a. /Conseil (16/62 et 17/62, Rcc. p. 901, 917), et du 15 juin 1993, Abertal e. a./Commission (C-213/91, Rcc. p. I-3177, points 19 et 20).

( 13 ) Article 4, point 2, deuxième alinéa, du règlement no 214/94.

( 14 ) Troisième considérant du règlement no 130/94.

( 15 ) Ibidem.

( 16 ) En l'espèce, il s'agissait également de l'organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine.

( 17 ) Arrêt du 29 février 1996, France et Irlande/Commission (C-296/93 et C-307/93, Rec. p. I-795, point 22).

( 18 ) Point 35.

( 19 ) Arrêt France et Irlande/Commission, précité, point 30.

( 20 ) Ibidem, point 31.

( 21 ) Article 3 du règlement no 214/94.

( 22 ) Voir point 39 de nos conclusions.

( 23 ) Arrêt France et Irlande/Commission, précité, point 59.

( 24 ) Voir, par exemple, un arrêt du 11 juillet 1991, Crispoltoni (C-368/89, Rec. p. I-3695, point 21).

( 25 ) Voir, notamment, points 29, 30 et 34 des observations des requérantes au principal.

( 26 ) Surtout en matière agricole, voir notamment les arrêts du 7 juillet 1988, Mokscl(55/87, Rec. p. 3845, point 23), et du 22 janvier 1986, Eridania c. a. (250/84, Rec. p. 117, point 38).

( 27 ) En dernier lieu, arrêt France et Irlande/Commission, précité, point 72.

( 28 ) Arrêt du 17 décembre 1970 (25/70, Rec. p. 1161).

( 29 ) Ibidem, attendu 9, quatrième alinéa.

( 30 ) Ibidem, septième alinéa.

( 31 ) Ibidem, huitième alinéa.

( 32 ) Ibidem, cinquième alinéa.

( 33 ) Ibidem, sixième alinéa.

( 34 ) Ibidem, neuvième alinéa.

( 35 ) Arrêt du 19 septembre 1985, Astcris c. a./Commission (194/83 à 206/83, Rec. p. 2815, point 17).

( 36 ) Arrêt Schouten (35/78, Rcc. p. 2543, attendus 44 à 46).

( 37 ) Souligné par nous.

( 38 ) Ordonnance de renvoi, point 13.

( 39 ) Voir, notamment, l'arrêt France et Irlande/Commission, précité, point 49.

( 40 ) Point 37 de nos conclusions.

( 41 ) Voir point 39 de nos conclusions.

( 42 ) Observations de la Commission, point 36.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-241/95
Date de la décision : 17/10/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice, Queen's Bench Division - Royaume-Uni.

Viande bovine congelée - Régime commun des importations - Contingent tarifaire communautaire - Nouveaux opérateurs.

Politique commerciale

Relations extérieures

Contingents - pays tiers


Parties
Demandeurs : The Queen
Défendeurs : Intervention Board for Agricultural Produce, ex parte Accrington Beef Co. Ltd e.a..

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:390

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