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11/07/1996 | CJUE | N°C-221/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 juillet 1996., Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) contre Claude Hervein et Hervillier SA., 11/07/1996, C-221/95


Avis juridique important

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61995C0221

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 juillet 1996. - Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) contre Claude Hervein et Hervillier SA. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Bel

gique. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Détermination de l...

Avis juridique important

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61995C0221

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 juillet 1996. - Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) contre Claude Hervein et Hervillier SA. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Détermination de la législation applicable - Notions d'activité salariée et d'activité non salariée. - Affaire C-221/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-00609

Conclusions de l'avocat général

1 La question préjudicielle sur laquelle la Cour est invitée à se prononcer dans la présente affaire a été posée par le tribunal du travail de Tournai (Belgique) afin de résoudre le litige dont cette juridiction a été saisie et qui oppose l'Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (ci-après l'«Inasti»), d'une part, et M. Hervein et la SA Hervillier, d'autre part.

2 Il ressort de l'exposé des faits, effectué par la juridiction nationale dans le jugement de renvoi, que M. Hervein, qui a la nationalité française et est domicilié en France, a exercé pendant plusieurs années une activité très similaire dans ce pays et en Belgique. Concrètement, il a rempli simultanément les fonctions de président directeur général en France et d'administrateur délégué en Belgique de la SA Établissements Hervillier, ainsi que les fonctions d'administrateur de la SA Laines Anny
Blatt et de la SA Laines Berger du Nord dans les deux États jusqu'au 6 octobre 1986.

3 L'Inasti, partie demanderesse dans le litige au principal, estime que M. Hervein a exercé une activité salariée en France et une activité non salariée en Belgique, raison pour laquelle il considère que M. Hervein est soumis au régime belge de sécurité sociale des travailleurs indépendants et réclame, tant à lui qu'à la SA Hervillier, le paiement des cotisations depuis le 1er juillet 1982, date d'entrée en vigueur du règlement (CEE) n_ 1390/81 (1), qui a étendu aux travailleurs non salariés et à
leur famille le règlement (CEE) n_ 1408/71 (2), jusqu'à ce qu'il démissionne de ses fonctions à la fin de 1986, soit au total 1 588 489 BFR.

4 Les parties défenderesses s'opposent à cette demande et font valoir que, s'il est vrai que la législation française considère les dirigeants de sociétés comme étant assimilés à des travailleurs salariés en ce qui concerne leur affiliation à la sécurité sociale, ils ne perdent pas pour autant leur qualité de travailleurs non salariés et ils doivent être considérés comme tels à partir du moment où ils ne sont pas liés à l'entreprise par un quelconque lien de subordination.

5 La question posée à titre préjudiciel par le tribunal du travail de Tournai afin de résoudre ce litige est rédigée dans les termes suivants:

«L'activité non salariée visée notamment à l'article 14 bis - 2 du règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, vise-t-elle notamment l'activité exercée en qualité de travailleur indépendant par le ressortissant d'un État membre?»

Les dispositions du droit communautaire

6 L'article 1er du règlement n_ 1408/71, dans la version qui résulte du règlement (CEE) n_ 2001/83, dispose ce qui suit:

«...

a) les termes `travailleur salarié' et `travailleur non salarié' désignent, respectivement, toute personne:

i) qui est assurée au titre d'une assurance obligatoire ou facultative continuée contre une ou plusieurs éventualités correspondant aux branches d'un régime de sécurité sociale s'appliquant aux travailleurs salariés ou non salariés;

...»

7 Le titre II du règlement n_ 1408/71, tel qu'il a été complété par le règlement n_ 1390/81 et modifié et mis à jour par le règlement n_ 2001/83 (3), contient un système complet de règles de conflit destinées à déterminer la législation applicable aux personnes entrant dans son champ d'application. Le principe général, qui est exposé à l'article 13, paragraphe 1, est que le travailleur n'est soumis qu'à la législation d'un seul État membre. Selon cette disposition:

«1. Sous réserve de l'article 14 quater, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.»

8 L'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, dont l'interprétation est demandée par la juridiction nationale, se lit comme suit:

«2. La personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur le territoire de cet État membre. Si elle n'exerce pas d'activité sur le territoire de l'État membre où elle réside, elle est soumise à la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle exerce son activité principale. [...]»

9 L'article 14 quater détermine les règles particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre. Selon cette disposition, dans la version en vigueur à l'époque des faits (4):

«1. La personne qui exerce simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre est soumise:

a) sous réserve de la lettre b), à la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle exerce une activité salariée;

b) dans les cas mentionnés à l'annexe VII, à la législation de chacun de ces États membres en ce qui concerne l'activité exercée sur leur territoire.

2. Les modalités d'application du paragraphe 1 sous b) seront fixées dans un règlement à arrêter par le Conseil sur proposition de la Commission.»

10 Selon la disposition de l'article 14 quinquies:

«1. La personne visée ... à l'article 14 quater paragraphe 1 sous a) est traitée, aux fins de l'application de la législation déterminée conformément à ces dispositions, comme si elle exerçait l'ensemble de son activité professionnelle ou de ses activités professionnelles sur le territoire de l'État membre concerné.»

11 L'annexe VII du règlement n_ 1408/71 prévoit, en ce qui concerne la présente affaire:

«[Application de l'article 14 quater paragraphe 1 sous b)]

Cas dans lesquels une personne est soumise simultanément à la législation de deux États membres

1. Exercice d'une activité non salariée en Belgique et d'une activité salariée dans un autre État membre, sauf le Luxembourg. [...]»

12 Des observations écrites ont été déposées dans la procédure préjudicielle par les parties défenderesses au principal, par les gouvernements belge et français, ainsi que par la Commission.

13 M. Hervein et la SA Hervillier exposent que l'activité que M. Hervein a exercée, tant en France qu'en Belgique, pendant la période pour laquelle l'Inasti leur réclame le paiement de cotisations consistait dans une activité non salariée puisque, en exerçant dans tous les cas des fonctions de direction dans différentes sociétés, M. Hervein n'était pas lié par un contrat de travail, étant donné que le lien de subordination, inhérent à un tel contrat, faisait défaut. Ils ajoutent que, bien que la
législation française concernant la sécurité sociale considère les dirigeants de sociétés comme étant assimilés à des travailleurs salariés, aux fins de l'affiliation, la cotisation et la couverture en matière de sécurité sociale, ces personnes ne perdent pas pour autant leur qualité de travailleurs non salariés. Ils estiment dès lors que la situation de M. Hervein entre dans le cas prévu par l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, qui soumet à la législation de l'État membre sur le
territoire duquel elle réside la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, si elle exerce, comme c'est le cas en l'espèce, une partie de son activité sur le territoire de cet État membre, ce qui les amène à considérer que M. Hervein ne doit être soumis qu'à la législation française.

Ils proposent de répondre à la question posée à titre préjudiciel en ce sens que l'activité non salariée, mentionnée à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, vise l'activité exercée en qualité de travailleur indépendant par le ressortissant d'un État membre.

14 Le gouvernement belge souligne dans ses observations que les concepts d'activité salariée et d'activité non salariée ne sont pas définis par le règlement n_ 1408/71, bien qu'ils figurent aux articles 13 et 14 bis du règlement n_ 1408/71 qui déterminent la législation applicable aux différentes catégories de personnes entrant dans le champ d'application de ce règlement. Il estime que, dans l'état actuel du droit communautaire en la matière, le seul critère permettant de déterminer si un
travailleur est un travailleur salarié ou indépendant réside dans le régime de sécurité sociale auquel ce travailleur est affilié dans son pays. En l'espèce, le défendeur a la nationalité française et il reconnaît qu'il est affilié en France au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés. Par conséquent, force est de le considérer comme tel aux fins de l'application du règlement n_ 1408/71.

Le gouvernement belge ajoute encore que, eu égard à la disposition de l'article 1er, sous s), du règlement n_ 1408/71, en vertu duquel «les termes `périodes d'emploi' ou `périodes d'activité non salariée' désignent les périodes définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies, ainsi que toutes périodes assimilées dans la mesure où elles sont reconnues par cette législation comme équivalentes aux périodes d'emploi ou aux périodes d'activité non salariée», il
faut en déduire que ce sont les législations des États membres qui déterminent si une activité est une activité non salariée ou une activité salariée et que rien ne s'oppose à ce que cette activité soit soumise à un régime de sécurité sociale des travailleurs salariés dans un État membre et à un régime des travailleurs indépendants dans un autre État membre.

Il propose de répondre à la juridiction nationale en ce sens que l'activité non salariée, mentionnée à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, vise l'activité exercée en qualité de travailleur indépendant et considérée comme telle par la législation de l'État membre dans lequel il exerce cette activité, et que la manière dont une activité est qualifiée dans un État membre ne doit avoir aucune incidence sur la qualification qui est donnée à cette même activité dans un autre État
membre.

15 Le gouvernement français fait remarquer que la réponse que la Cour donnera à la question telle qu'elle a été posée par la juridiction nationale ne lui sera pas d'un grand secours pour appliquer le droit communautaire en vue de résoudre le litige qui lui est soumis, étant donné que, ajoute-t-il, il ne s'agit pas de vérifier si l'intéressé est un travailleur salarié, mais d'appliquer aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à
l'intérieur de la Communauté les dispositions communautaires pertinentes qui coordonnent les régimes nationaux de sécurité sociale.

A cet égard, il rappelle que l'article 51 du traité CE établit un principe de coordination entre les législations de sécurité sociale des États membres, qui leur laisse une grande liberté pour organiser leurs systèmes de protection sociale, plus concrètement en ce qui concerne le droit ou l'obligation d'affiliation et les conditions d'ouverture du droit aux prestations. Il s'ensuit que les différences entre les régimes des différents États membres subsistent et que les droits des personnes varient
également selon qu'elles sont affiliées dans tel ou tel État.

Dans le cadre de l'analyse de cette affaire, le gouvernement français observe que, à l'instar des personnes qui exercent simultanément sur le territoire de deux ou plusieurs États membres une activité salariée - situation réglée par l'article 14, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71 - ou une activité non salariée - cas prévu par l'article 14 bis, paragraphe 2 -, la personne qui exerce simultanément sur le territoire de deux ou plusieurs États membres une activité salariée et une activité non
salariée est soumise à la législation d'un seul État membre, conformément à la disposition de l'article 14 quater, sous a), à moins qu'il ne s'agisse d'un des cas visés au point b) du même article, lorsque les activités sont exercées dans deux des États mentionnés à l'annexe VII du règlement n_ 1408/71, auquel cas l'intéressé est soumis simultanément à la législation de ces deux États.

Puisque tel est le cas de l'exercice d'une activité non salariée en Belgique et d'une activité salariée dans l'un des autres États membres - à l'exception du Luxembourg -, conformément aux dispositions de droit communautaire applicables, il faut conclure que l'intéressé est soumis simultanément à la législation française de sécurité sociale en tant que travailleur salarié et à la législation belge en tant que travailleur non salarié.

Le gouvernement français propose de répondre à la juridiction nationale que l'activité non salariée, mentionnée notamment à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, vise l'activité exercée par toute personne à laquelle s'applique la définition des termes «travailleur non salarié», figurant à l'article 1er du règlement n_ 1408/71.

16 La Commission attribue une importance essentielle à la distinction entre «activité salariée» et «activité non salariée» aux fins de l'application du titre II du règlement n_ 1408/71. Concrètement, pour savoir lequel des articles du titre II du règlement n_ 1408/71 est applicable à M. Hervein et, partant, à quelle législation de sécurité sociale M. Hervein est soumis, il faut déterminer au préalable s'il exerce ses activités professionnelles comme travailleur salarié ou comme travailleur non
salarié.

Puisque ces deux concepts ne sont pas définis dans le règlement n_ 1408/71, la Commission propose de partir des définitions de «travailleur salarié» et de «travailleur non salarié» qui figurent à l'article 1er de ce règlement, en vertu duquel il faut considérer comme tels les personnes assurées au titre d'un régime de sécurité sociale prévu par la législation d'un État membre qui est applicable, respectivement, aux travailleurs salariés ou aux travailleurs non salariés. La nature des activités
exercées serait donc dénuée de pertinence à cet effet. Selon la Commission, le champ d'application personnel du règlement n_ 1408/71 est déterminé en fonction du régime de sécurité sociale auquel un travailleur est affilié et non en fonction de concepts relevant davantage du droit du travail.

Étant donné que, dans l'état actuel du droit communautaire, il incombe à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale ou à une branche déterminée de ce régime, il faudra tenir compte des dispositions du droit national applicable dans le cas concret.

17 La Commission ajoute que la notion de travailleur au sens de l'article 48 du traité, qui revêt une portée communautaire et doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et devoirs des personnes concernées, ne coïncide pas avec la notion de travailleur suggérée ci-dessus aux fins de l'application du règlement n_ 1408/71. Cela s'explique par le fait que l'article 48 du traité confère des droits d'origine communautaire aux
travailleurs migrants, raison pour laquelle il convient d'adopter une définition communautaire qui permette de déterminer les personnes qui bénéficient de ces droits. L'article 51 du traité, en revanche, prévoit uniquement la coordination des régimes nationaux de sécurité sociale. Pour déterminer les personnes qui peuvent invoquer les dispositions de coordination qui figurent dans le règlement n_ 1408/71, il faudra voir dans chaque cas qui est affilié à ces régimes. C'est donc selon qu'il sera
affilié ou non à un régime de sécurité sociale d'un État membre, applicable aux travailleurs salariés ou non salariés, que le travailleur relèvera ou non du champ d'application personnel du règlement n_ 1408/71.

La Commission conclut ses observations en affirmant que, pour savoir si une activité doit être considérée comme étant une activité salariée ou une activité non salariée, il faudra examiner si l'activité en question est considérée dans l'État membre sur le territoire duquel elle est exercée comme une activité salariée ou bien comme une activité non salariée, pour l'application des règles d'affiliation à ces différents régimes de sécurité sociale. Elle propose de répondre à la juridiction nationale
que, pour l'application de l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, il convient de considérer comme «activités non salariées» les activités qui sont considérées comme telles par la législation en matière de sécurité sociale de l'État membre sur le territoire duquel ces activités sont exercées.

18 Dans l'affaire De Jaeck (5), qui concerne l'interprétation du terme «salarié» aux fins de l'application du titre II du règlement n_ 1408/71, la Commission a été invitée par la Cour à répondre à certaines questions, dont les réponses me paraissent pertinentes pour la solution du présent litige.

En premier lieu, elle a été invitée à préciser si la réponse qu'elle a donnée à la première question revient en substance à interpréter de la même manière les notions de personnes exerçant une activité salariée ou non salariée au sens du titre II du règlement et les définitions de «travailleur salarié» et de «travailleur non salarié» de son article 1er, sous a). En second lieu, la Cour a demandé à la Commission d'illustrer par des exemples la thèse qu'elle avait soutenue, thèse selon laquelle, s'il
fallait s'inspirer du droit du travail pour définir les notions d'activités salariée et non salariée, visées au titre II du règlement n_ 1408/71, il serait impossible, dans certains cas, d'appliquer les règles de conflit à des personnes relevant pourtant du champ d'application personnel du règlement.

19 A propos de la première question, elle affirme que, pour savoir si une personne doit être considérée comme travailleur salarié ou comme travailleur non salarié ou comme quelqu'un qui n'appartient ni à l'une ni à l'autre de ces deux catégories, il faudra s'en remettre aux réponses qui seront données aux questions suivantes: en premier lieu, cette personne relève-t-elle du champ d'application personnel du règlement (titre I)? Dans l'affirmative, quelle est la législation qui lui est applicable
(titre II), cette législation pouvant être distincte de celle qui a servi pour la qualifier de travailleur salarié ou de travailleur non salarié (6)? Enfin, l'intéressé est-il, conformément à cette législation, assuré en qualité de travailleur salarié, ou en qualité de travailleur non salarié, ou bien n'est-il pas assuré du tout (7)?

En somme, au moment d'appliquer le titre II, il n'est pas encore possible de savoir si le travailleur sera considéré comme travailleur salarié ou comme travailleur non salarié aux fins de l'application des dispositions du règlement. C'est la raison pour laquelle le titre II ne se base pas sur ces notions mais se réfère à la nature des activités exercées, en attendant que la législation qui sera désignée comme législation applicable conformément à ce même titre II permette de se prononcer
définitivement sur ce sujet. Par exemple, il est possible qu'une personne exerce une activité non salariée dans un État membre et que, par application des règles de conflit, elle soit soumise uniquement à la législation de la sécurité sociale d'un autre État membre dans lequel elle exerce une activité salariée, auquel cas elle ne pourra pas être considérée comme travailleur non salarié pour l'application des autres dispositions du règlement.

20 Pour répondre à la deuxième question, la Commission propose les exemples suivants:

1) En premier lieu, elle expose que, selon la législation allemande, les étudiants sont assurés au titre du régime de sécurité sociale des travailleurs salariés. C'est pourquoi, conformément à l'article 1er, sous a), du règlement, ils sont considérés comme des travailleurs et relèvent de son champ d'application personnel. Si, pour appliquer le titre II, il fallait s'inspirer des critères propres au droit du travail, il serait impossible de déterminer s'il s'agit de personnes qui exercent une
activité salariée ou bien de personnes qui exercent une activité non salariée puisqu'ils n'exercent pas la moindre activité économique. Il serait tout aussi impossible de déterminer quelle législation leur serait applicable aux fins du règlement n_ 1408/71 au cours d'un séjour dans un autre État membre.

2) En second lieu, la Commission affirme que, s'il fallait s'en tenir à la définition de la notion de travailleur que la Cour a donnée aux fins de l'application de l'article 48 du traité, une personne qui exerce une activité salariée de courte durée, comme ce serait le cas de l'emploi qu'exerçait M. van Heijningen deux jours par semaine à raison de deux heures par jour, ne pourrait pas davantage être considérée comme quelqu'un qui exerce une activité salariée ni comme quelqu'un qui exerce une
activité non salariée. Dans cette affaire (8), néanmoins, la Cour a dit pour droit qu'une personne relève du champ d'application personnel du règlement n_ 1408/71 si elle réunit les conditions qui sont énoncées à l'article 1er, sous a), en combinaison avec l'article 2, paragraphe 1, indépendamment de la durée qu'elle consacre à l'exercice de son activité professionnelle.

La Commission conclut en affirmant qu'il est préférable d'appliquer le critère qui a été fixé par le droit de la sécurité sociale parce qu'il est constant que, dans le domaine interne, aussi bien la doctrine que la jurisprudence rencontrent de grandes difficultés lorsqu'il s'agit d'établir une distinction entre les travailleurs salariés et les travailleurs non salariés en vue de l'application du droit du travail dans l'ordre juridique interne.

21 Je partage le point de vue du gouvernement français lorsqu'il constate que la réponse que la Cour donnera à la question telle qu'elle a été posée par la juridiction nationale ne lui sera pas d'un grand secours pour appliquer le droit communautaire en vue de résoudre le litige qui lui est soumis. Je me propose dès lors, en premier lieu, de répondre à la question posée à titre préjudiciel et, ensuite, de fournir à la juridiction nationale d'autres éléments d'interprétation qui lui permettront
d'appliquer le droit communautaire à la solution du litige dont elle est saisie.

22 Des termes dans lesquels la question préjudicielle est formulée, je déduis que le juge national demande à la Cour de suppléer à l'absence de définition de la notion d'«activité salariée» dans le règlement n_ 1408/71 et de donner une définition communautaire de ce qu'il y a lieu d'entendre par une telle activité comme elle l'a fait avec des notions telles que la notion de «travailleur», aux fins de l'application de l'article 48 du traité, la notion de «personne qui exerce une activité non
salariée», aux fins de l'application de l'article 52 du traité, ou la notion de «travailleur salarié ou assimilé», aux fins de l'application de la réglementation communautaire de la sécurité sociale.

En ce qui concerne la première de ces notions, il est de jurisprudence constante à la Cour que «... la notion de travailleur revêt une portée communautaire et ne doit pas être interprétée de manière restrictive. Pour être qualifiée de travailleur, une personne doit exercer des activités réelles et effectives, à l'exclusion d'activités tellement réduites qu'elles se présentent comme purement marginales et accessoires. La caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu'une
personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération» (9).

Dans l'arrêt Asscher qu'elle a rendu récemment (10), la Cour a interprété cette définition a contrario sensu et estimé que l'activité que le demandeur au principal, qui exerçait aux Pays-Bas la fonction de directeur d'une société dont il était l'unique actionnaire, situation fort semblable à celle de M. de Jaeck, ne se déroulait pas dans le cadre d'un lien de subordination et que, pour cette raison, le demandeur ne pouvait pas être considéré comme «travailleur» au sens de l'article 48 du traité,
mais bien comme une «personne qui exerce une activité non salariée» au sens de l'article 52 du traité (11).

Quant à la troisième notion, la Cour a dit pour droit dans son arrêt Unger (12) que l'expression «travailleur salarié ou assimilé», utilisée par le règlement n_ 3 (13), n'a de portée que dans le cadre et les limites de la notion de «travailleur» prévue au traité que ce règlement se borne à appliquer; que cette expression, destinée à expliciter la notion de «travailleur» aux fins du règlement n_ 3, a donc, comme cette dernière, une portée communautaire; que, même si, par hypothèse, l'expression
«travailleur salarié ou assimilé» figurait dans la législation de chacun des États membres, elle pourrait ne pas avoir partout un sens et un rôle comparables, de sorte qu'il est impossible d'en fixer le contenu par renvoi aux expressions similaires pouvant figurer dans les législations nationales. Elle a ajouté que la notion de «travailleur salarié ou assimilé» a donc une acception communautaire, visant tous ceux qui, en tant que tels, et dans quelqu'appellation que ce soit, se trouvent couverts par
les différents systèmes nationaux de sécurité sociale. Ce principe, qui a été dégagé par la jurisprudence, a été incorporé au règlement n_ 1408/71, à savoir dans son article 1er, sous a).

23 On comprend le dilemme auquel le tribunal du travail de Tournai est confronté pour appliquer le titre II du règlement n_ 1408/71 et décider laquelle des deux législations possibles, la législation française ou la législation belge, est applicable à M. Hervein. En effet, une partie importante des dispositions du système des règles de conflit de normes que contient le titre II du règlement n_ 1408/71 ont pour objet de déterminer la législation applicable à «la personne qui exerce une activité
salariée» et à «la personne qui exerce une activité non salariée» selon qu'elles exercent ces activités dans un État membre ou dans plusieurs, leur application serait rendue plus facile dans la pratique si l'on pouvait disposer d'une définition de ces deux notions applicable de manière uniforme dans la Communauté.

24 Pour l'heure, le législateur n'a cependant toujours pas donné cette définition puisque, comme je l'ai déjà indiqué, elle ne figure dans aucun des règlements communautaires relatifs à la sécurité sociale des travailleurs migrants. Quant à la jurisprudence de la Cour, si celle-ci a bien indiqué, dans son arrêt Van Poucke (14), que l'activité exercée en qualité de fonctionnaire par une personne relevant du champ d'application du règlement n_ 1408/71 est une activité salariée au sens de son article
14 quater, elle n'a cependant pas défini en termes généraux ce qu'il y a lieu d'entendre par une telle activité. Elle ne l'a pas fait davantage dans son arrêt van Roosmalen (15), dans lequel elle a déclaré que la notion de «travailleurs non salariés» au sens de l'article 1er, sous a), iv), du règlement, qui vise les cas d'affiliation volontaire à un régime de sécurité sociale, s'applique à des personnes qui, en dehors d'un contrat de travail, ou de l'exercice d'une profession indépendante, ou de
l'exploitation indépendante d'une entreprise, exercent ou ont exercé une activité professionnelle dans le cadre de laquelle elles reçoivent des prestations qui leur permettent, en tout ou en partie, de subvenir à leurs besoins, même si ces prestations sont fournies par des tiers bénéficiaires du service d'un prêtre missionnaire.

25 Je partage l'opinion de la Commission qui indique que l'élément décisif pour qu'une personne relève du champ d'application personnel du règlement est son affiliation, dans un État membre, à un régime de sécurité sociale pour travailleurs salariés ou non salariés et que, lorsqu'il s'agit de déterminer si une activité doit être considérée comme une activité salariée ou comme une activité non salariée aux fins de l'application du règlement, il faudra dans chaque cas s'en remettre au statut que lui
confère l'État membre en question lorsqu'il applique sa législation sur la sécurité sociale.

26 Conformément à une jurisprudence constante, «...il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de pareils régimes du moment qu'il n'est pas fait à cet égard de discrimination entre nationaux et ressortissants des autres États membres» (16).

27 Il convient néanmoins de rappeler que, bien que les États membres soient en principe compétents pour déterminer les conditions d'affiliation à leurs régimes nationaux de sécurité sociale, ils cessent de l'être lorsqu'il s'agit de déterminer le champ d'application territorial de leur propre législation dès lors que cette question relève entièrement du droit communautaire. Dans son arrêt Ten Holder (17), la Cour a déclaré que les dispositions du titre II forment un système de règles de conflit dont
le caractère complet a pour effet de soustraire au législateur de chaque État membre le pouvoir de déterminer l'étendue et les conditions d'application de sa législation nationale quant aux personnes qui y sont soumises et au territoire à l'intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets.

28 A la lumière de ces considérations, je propose de répondre à la juridiction nationale que l'activité non salariée, mentionnée à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71, est celle que la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle s'exerce considère comme telle aux fins de l'application de son régime de sécurité sociale.

29 Par conséquent, s'il faut dans chaque cas tenir compte de la qualification d'activité salariée ou d'activité non salariée qui est donnée par la législation de sécurité sociale de l'État membre sur le territoire duquel cette activité est exercée, dans le cas d'espèce, M. Hervein exerce à la fois une activité salariée en France, puisqu'il est affilié dans cet État membre au régime des travailleurs salariés, et une activité non salariée en Belgique, puisque la législation de cet État membre dispose
que, en raison de l'activité qu'il exerce sur le territoire de cet État, il doit être affilié au régime des travailleurs non salariés.

30 Sur cette base, on peut déjà examiner l'application des règles de conflit figurant sous le titre II du règlement n_ 1408/71 et déterminer la législation applicable à M. Hervein. En effet, la situation de M. Hervein entre dans l'hypothèse prévue par l'article 14 quater, qui établit les règles particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre; plus
concrètement, dans le cas prévu par le paragraphe 1, sous b), en vertu duquel, dans les cas mentionnés à l'annexe VII, ces personnes sont soumises à la législation de chacun de ces États membres en ce qui concerne l'activité exercée sur leur territoire, puisque le royaume de Belgique est l'un des pays figurant dans cette annexe.

31 Conformément à cette disposition, M. Hervein est soumis simultanément à la législation française en ce qui concerne l'activité exercée en France, pour laquelle il est affilié au régime des travailleurs salariés de cet État membre, et à la législation belge en ce qui concerne l'activité exercée en Belgique, pour laquelle il est considéré comme affilié au régime des travailleurs non salariés et pour laquelle les cotisations correspondantes lui sont réclamées dans le cadre du litige au principal.
Cela signifie, ni plus ni moins, que, en application de l'article 14 quater, sous b), du règlement n_ 1408/71 et du point 1 de son annexe VII, M. Hervein doit s'affilier et cotiser à des régimes de sécurité sociale dans deux États membres.

32 Ce résultat engendre évidemment une certaine perplexité. En premier lieu, dans l'affaire Nonnenmacher (18), qui remonte à une époque où c'était le règlement n_ 3 qui énonçait les règles communautaires applicables aux travailleurs migrants en matière de sécurité sociale, la Cour avait été interrogée sur le point de savoir si l'application obligatoire de la législation de l'État membre où le travailleur exerçait ses activités professionnelles excluait l'application de la législation de tout autre
État membre, et avait dit pour droit que l'article 12 du règlement précité, qui figurait sous son titre II qui, à l'instar du titre II du règlement n_ 1408/71, contenait les règles de conflit permettant de déterminer la législation applicable aux personnes qui relevaient de son champ d'application, n'interdisait l'application de la législation d'un État membre autre que celui où travaillait l'intéressé que dans la mesure où elle aurait obligé ce dernier à contribuer au financement d'une institution
de sécurité sociale non susceptible de lui apporter un complément d'avantages pour le même risque et la même période. Dans l'arrêt van der Vecht (19), la Cour a également déclaré que l'article 12 du règlement n_ 3 tendait à empêcher toute application cumulative des législations nationales qui auraient pu inutilement augmenter les charges de sécurité sociale tant du travailleur que de l'employeur et qu'il interdisait aux États membres autres que celui sur le territoire duquel le travailleur était
occupé d'appliquer à celui-ci leur législation de sécurité sociale lorsque cette application aurait entraîné pour les travailleurs ou leurs employeurs une augmentation des charges qui n'aurait pas correspondu à un complément de protection sociale.

En deuxième lieu, un travailleur n'était jamais soumis simultanément à la législation sur la sécurité sociale de deux États membres lorsque le règlement n_ 1408/71 n'était encore applicable qu'aux travailleurs salariés et aux membres de leur famille. La disposition qui a instauré cette règle a été introduite par le règlement (CEE) n_ 1390/81, qui est entré en vigueur le 1er juillet 1982 et qui a étendu le champ d'application du règlement n_ 1408/71 aux travailleurs non salariés et aux membres de
leur famille. Selon ce que la Commission admet elle-même dans les observations qu'elle a présentées dans l'affaire De Jaeck (20), la proposition de règlement présentée par le Conseil n'envisageait pas cette possibilité. Cette disposition ne figurait même pas dans la proposition que la Commission a présentée au Conseil. Les modalités d'application de la lettre b), qui, selon l'article 14 quater, paragraphe 2, devaient être fixées dans un règlement à arrêter par le Conseil sur proposition de la
Commission, l'ont été par le règlement n_ 3811/86, qui est entré en vigueur le 1er janvier 1987 (21).

33 Je me demande jusqu'à quel point cette réglementation peut être considérée comme compatible avec les principes, énoncés par les articles 48 et 52 du traité, qui gouvernent la libre circulation des travailleurs et le droit d'établissement, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour. Celle-ci, en effet, a dû se prononcer à diverses reprises sur leur application à des situations de fait très proches de celle qui lui est soumise aujourd'hui, avec toutefois la différence qu'à l'époque où les faits
qui étaient en cause dans ces affaires se sont produits, le règlement n_ 1390/81 n'était pas encore entré en vigueur.

34 Concrètement, dans les arrêts Stanton (22) et Wolf e.a. (23), la Cour s'est prononcée à titre préjudiciel sur des questions qui lui avaient également été déférées par des juridictions belges. La première de ces affaires concernait le cas de M. Stanton, de nationalité britannique, qui exerçait une activité salariée au Royaume-Uni et cotisait à ce titre au régime britannique de sécurité sociale des travailleurs salariés. Il exerçait en même temps les fonctions d'administrateur dans une société
d'assurances belge, filiale de la société britannique qui l'employait. Du fait de cette activité, les autorités belges l'ont affilié d'office à leur régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants. A ce titre, l'Inasti réclamait le paiement de cotisations à M. Stanton, ainsi qu'à la société d'assurances, solidairement tenue. Dans l'affaire Wolf e.a., le demandeur, qui était de nationalité allemande, exerçait en même temps une activité salariée en République fédérale d'Allemagne en qualité
d'ingénieur chimiste et la fonction d'administrateur d'une société ayant son siège social en Belgique. Au titre de cette dernière fonction, l'Inasti lui réclamait, ainsi qu'à l'entreprise belge, le paiement de cotisations au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants.

35 Les intéressés demandaient à être exemptés du paiement de ces cotisations et se fondaient à cet effet sur l'article 12, paragraphe 2, de l'arrêté royal n_ 38, organisant le statut social des travailleurs indépendants. Il résulte de cet article que le travailleur indépendant n'est redevable d'aucune cotisation si les revenus qu'il a perçus en cette qualité n'atteignent pas un plafond déterminé et si, en dehors de cette activité, il exerce habituellement et en ordre principal une autre activité
professionnelle, ce que l'Inasti contestait en faisant valoir que «l'autre activité professionnelle» mentionnée dans cette disposition concerne uniquement des fonctions de travailleur salarié d'un régime belge de sécurité sociale.

36 Dans ces deux arrêts, la Cour rappelle que «l'article 52, premier alinéa, du traité prescrit la suppression des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre et qu'en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, il s'agit d'une norme de droit communautaire directement applicable». Elle ajoute que la liberté d'établissement ne se limite pas au droit de créer un seul établissement à l'intérieur de la Communauté, mais
comporte la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d'un centre d'activité sur le territoire de celle-ci et que «ces considérations sont tout aussi valables pour un salarié, établi dans un État membre, qui désire accomplir, en outre, un travail indépendant dans un autre État membre» (24).

Dans les deux arrêts, la Cour considère que «... l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul État membre». Elle ajoute que «la
réglementation d'un État membre qui exonère d'une cotisation au régime des travailleurs indépendants les personnes qui exercent à titre principal une activité salariée dans cet État membre, mais refuse cette exonération aux personnes qui exercent à titre principal une activité salariée dans un autre État membre, a pour effet de défavoriser l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire de cet État membre. Les articles 48 et 52 du traité s'opposent donc à une telle réglementation». Compte
tenu, en outre, du fait que la disposition nationale litigieuse n'offre aucune protection sociale complémentaire aux intéressés, lesquels sont affiliés au régime de sécurité sociale et de pension de l'État membre où ils exercent leur activité salariée principale, la Cour conclut que «la gêne apportée à l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire d'un seul État membre ne peut donc, en tout état de cause, trouver de ce chef aucune justification» (25).

37 Dans l'arrêt Kemmler (26) qu'elle a rendu à une date plus récente, la Cour a répondu à une question qui lui avait été posée à titre préjudiciel par la même juridiction nationale que celle qui connaît du litige entre, d'une part, l'Inasti, et, d'autre part, M. Hervein et la SA Hervillier. Dans cette procédure, l'Inasti réclamait à M. Kemmler pour l'année 1981 et le premier semestre de 1982, le paiement de cotisations au régime belge de la sécurité sociale des travailleurs indépendants. De même que
dans les affaires Stanton et Wolf e.a., il s'agissait de cotisations pour des périodes antérieures à l'entrée en vigueur du règlement n_ 1390/81. M. Kemmler exerçait la profession d'avocat à Francfort et à Bruxelles et il refusait de payer ces cotisations au motif qu'il était déjà assujetti à la sécurité sociale allemande pour travailleurs indépendants et que l'affiliation à la sécurité sociale belge ne lui aurait apporté aucune protection sociale supplémentaire. Il était domicilié en Allemagne et
avait résidé en Belgique pendant une partie de la période pour laquelle le paiement des cotisations lui était réclamé.

38 Puisque le règlement n_ 1390/81 n'était pas davantage applicable au litige qui opposait l'Inasti à M. Kemmler, la question posée devait être résolue en appliquant exclusivement l'article 52 du traité, relatif au droit d'établissement, étant donné que M. Kemmler avait un établissement stable et permanent dans les deux États membres.

39 Suivant un même raisonnement que dans les arrêts Stanton et Wolf e.a., la Cour a abouti dans l'affaire Kemmler à la même conclusion: «La réglementation d'un État membre qui oblige à cotiser au régime des travailleurs indépendants les personnes qui exercent déjà une activité indépendante dans un autre État membre, où elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale, a pour effet de défavoriser l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire de cet État membre.
L'article 52 du traité s'oppose donc à une telle réglementation à moins qu'elle ne trouve une justification appropriée.» A cet égard, la réglementation qui obligeait M. Kemmler à s'affilier et à cotiser au régime belge des travailleurs indépendants ne lui offrait pas davantage de protection sociale supplémentaire qu'elle n'en offrait à M. Stanton et à M. Wolf. Par conséquent, la Cour a ajouté que «... la gêne apportée à l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire d'un seul État membre
ne peut donc, en tout état de cause, trouver de ce chef aucune justification» et elle a répondu au tribunal du travail de Tournai que «l'article 52 du traité CE s'oppose à ce qu'un État membre oblige à cotiser au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants les personnes qui exercent déjà une activité indépendante dans un autre État membre où elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale, alors que cette obligation n'entraînerait à leur profit aucune protection
sociale complémentaire» (27).

40 Tant le Conseil que la Commission ont été invités, dans l'affaire De Jaeck (28), à présenter leurs observations sur la compatibilité de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71 avec les articles 48 à 52 du traité, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, en particulier l'arrêt Kemmler (29). Ces observations me paraissent également pertinentes pour la solution de la présente affaire.

41 Le Conseil affirme, en premier lieu, qu'il dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que l'article 51 du traité lui attribue et que, compte tenu de ce pouvoir, le contrôle que la Cour exerce sur les décisions politiques qu'il adopte dans l'exercice de ses responsabilités propres doit être un contrôle à caractère général et se limiter à vérifier l'adéquation entre la mesure et l'objectif qu'elle poursuit (30). Il rappelle en deuxième lieu que la Cour a
considéré, dans l'arrêt Triches (31), qu'aucune des dispositions du traité ne porte atteinte à la liberté reconnue au Conseil par l'article 51 de choisir à cet effet toute modalité objectivement justifiée, même si les dispositions prises n'aboutissent pas à l'élimination de tout risque d'inégalité entre travailleurs due aux disparités des régimes nationaux en cause. Le Conseil ajoute que l'exception que l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71 fait au principe énoncé à
l'article 13, selon lequel les personnes auxquelles le règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre, ne saurait être contraire aux articles 48 à 52: pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que cette exception ait entraîné des effets secondaires involontaires ou soulevé des problèmes d'application qui auraient lésé les travailleurs migrants par rapport à leurs concurrents nationaux. Or il n'est pas établi que l'application de cette disposition ait soulevé un
quelconque problème au sein de la Commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants.

Il rappelle ensuite que, dans l'arrêt Kemmler (32), la Cour a dit que les exceptions à la libre circulation des travailleurs sont admissibles lorsqu'elles sont fondées sur une «justification appropriée» ou lorsqu'elles offrent une «protection sociale complémentaire». En ce qui concerne la justification, il allègue que l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), vise à éviter que des personnes qui exercent simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de deux
États membres ne doivent verser des cotisations moins élevées que les personnes qui exercent les deux types d'activités sur le territoire d'un seul État membre. Si cela était possible, la conséquence en serait non seulement qu'ils bénéficieraient d'un avantage injustifié par rapport à leurs concurrents dont les activités ne sont pas réparties entre deux États membres, mais aussi que le fait d'exercer, tant de manière frauduleuse que de manière légale, une activité salariée en dehors de l'État membre
concerné entraînerait un début involontaire d'harmonisation indirecte des systèmes de sécurité sociale des États membres visés à l'annexe VII du règlement, ce qui serait contraire au traité et pourrait, à la longue, porter préjudice aux régimes de sécurité sociale de ces États en aggravant leur situation financière. En ce qui concerne la protection sociale complémentaire, il observe que, dans un certain nombre de cas, la double cotisation, calculée sur les revenus obtenus dans l'État membre
concerné, peut correspondre à une protection sociale complémentaire dans le domaine des pensions et des allocations familiales.

42 Dans sa réponse à cette question de la Cour, la Commission confirme que la règle énoncée à l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), ne figurait pas dans la proposition qu'elle avait présentée au Conseil et qu'elle est le fruit d'un amendement opéré par le Conseil lui-même. Elle souligne que cette disposition visait à éviter que des personnes qui exercent simultanément une activité salariée dans un État membre (par exemple la France) et une activité non salariée dans un des États membres
énumérés à l'annexe VII (par exemple la Belgique) n'échappent au paiement des cotisations sociales qu'elles devraient acquitter dans l'État sur le territoire duquel elles exercent la deuxième activité si elles exerçaient leurs activités dans cet État, ce qui les mettrait dans une situation plus avantageuse que celle de leurs concurrents exerçant les deux activités dans cet État. La Commission s'en remet à la sagesse de la Cour qui appréciera si l'exception que l'article 14 quater, paragraphe 1, sous
b), fait au principe de l'unicité de la législation applicable au travailleur est compatible avec les articles 48 à 52 du traité.

43 Je ne peux pas accepter les arguments du Conseil et je me fonde en cela sur l'exposé des motifs du règlement n_ 1390/81, dans le deuxième considérant duquel on peut lire que: «... la libre circulation des personnes, qui est un des fondements de la Communauté, ne se limite pas aux seuls travailleurs salariés, mais concerne également les travailleurs non salariés dans le cadre du droit d'établissement et de la libre prestation de services». Dans le troisième considérant, on lit que: «... la
coordination des régimes de sécurité sociale applicables aux travailleurs non salariés est nécessaire pour réaliser l'un des objectifs de la Communauté» et, dans le cinquième, que: «... en matière de sécurité sociale, l'application des seules législations nationales ne permet pas de garantir aux travailleurs non salariés qui se déplacent dans la Communauté une protection suffisante» et que: «afin de donner à la liberté d'établissement et de prestation de services son plein effet, il y a lieu de
procéder à la coordination des régimes de sécurité sociale applicables aux travailleurs non salariés».

44 Toutefois, il est facile de vérifier qu'avec l'entrée en vigueur de la réglementation communautaire visant à coordonner les régimes de sécurité sociale des États membres applicables aux travailleurs non salariés, la situation des personnes qui exercent une activité non salariée en Belgique et une activité salariée dans un autre État membre - à l'exception du Luxembourg -, pour donner un exemple des différentes possibilités figurant à l'annexe VII du règlement n_ 1408/71, est pire qu'elle ne
l'était avant lorsque seules les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes pouvaient être appliquées. En effet, MM. Stanton, Wolf et Kemmler n'étaient tenus de s'affilier et de cotiser qu'à un seul régime de sécurité sociale, alors que M. Hervein est obligé, par application de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 1408/71, de s'affilier et de cotiser tant au régime français des travailleurs salariés qu'au régime belge des travailleurs non salariés au
titre de l'activité exercée sur chaque territoire.

45 La différence entre la situation de MM. Stanton, Wolf et Kemmler, d'une part, et celle de M. Hervein, d'autre part, réside dans le fait que, pour les premiers, l'obligation de s'affilier à un deuxième régime de sécurité sociale dans un État membre, alors qu'ils étaient déjà affiliés dans un autre État membre, résultait de l'application d'une législation nationale, en l'occurrence la législation belge, alors que, dans le cas de M. Hervein, cette même obligation lui est imposée par la
réglementation communautaire.

46 Dès lors que la Cour a considéré que les articles 48 et 52 du traité s'opposent à ce qu'une réglementation d'un État membre impose l'obligation de cotiser au régime des travailleurs indépendants aux personnes exerçant déjà une activité salariée ou non salariée dans un autre État membre, dans lequel elles sont domiciliées et affiliées à un régime de sécurité sociale national, parce qu'une telle réglementation aurait pour effet de défavoriser l'exercice d'activités professionnelles hors du
territoire de cet État membre, je pense qu'il faut à plus forte raison conclure que les articles 48 et 52 s'opposent à ce que ce même effet découle de l'application d'un règlement du Conseil.

47 Il me reste à ajouter à cet égard que, dans les arrêts Stanton, Wolf e.a. et Kemmler, la Cour semble envisager la possibilité que le fait d'entraver l'exercice d'activités professionnelles hors du territoire d'un seul État membre puisse se justifier dans le cas où la réglementation nationale offre une quelconque protection sociale complémentaire. Cependant, eu égard aux dispositions des articles 48 et 52 du traité, qui visent à faciliter l'exercice d'activités professionnelles sur tout le
territoire de la Communauté, et à la hiérarchie des normes, qui leur assure la primauté, rien ne justifie que, lorsque le Conseil a fait usage de sa compétence législative, il ait placé les ressortissants communautaires dans une situation défavorable dans le cas où ils souhaitent étendre leurs activités sur le territoire de certains autres États membres.

48 Je pense que c'est cet argument qui pèse le plus lourd dans l'appréciation de la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 48 et 52 du traité. Ce n'est toutefois pas le seul. A l'époque où les faits se sont produits, six États sur les dix qui composaient la Communauté étaient mentionnés à l'annexe VII du règlement n_ 1408/71 (33). Dans les cas de la Belgique, du Danemark (pour les résidents), de la France, de la Grèce et de l'Italie, la personne qui exerçait une activité non
salariée dans un de ces États et une activité salariée dans un autre était soumise à la législation de deux États membres. Pour l'Allemagne, cela se limitait à l'exercice d'une activité non salariée dans le secteur de l'agriculture. Le Conseil affirme que cette réglementation visait à éviter que des personnes exerçant simultanément une activité salariée et une activité non salariée dans deux États membres ne versent des cotisations moins élevées que les personnes exerçant les deux activités dans un
seul État membre, ce qui leur permettrait de bénéficier d'un avantage injustifié par rapport à leurs concurrents dont les activités ne sont pas réparties entre deux États membres. Je vais à présent m'employer, à partir de l'exemple de M. Hervein, à analyser si l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), permet d'atteindre cet objectif.

49 Comme je l'ai dit au début de mes conclusions, M. Hervein a exercé pendant plusieurs années une activité très similaire en France, pays dans lequel il réside, et en Belgique; concrètement, il a exercé simultanément les fonctions de président directeur général et d'administrateur délégué dans différentes sociétés anonymes. M. Hervein entre dans le champ d'application du règlement n_ 1408/71, puisque son affiliation au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés en France est établie. En
Belgique, l'exercice d'une activité de cette nature oblige l'intéressé à s'affilier à un régime des travailleurs non salariés.

Si le juge national, dont c'est le rôle, applique le titre II du règlement pour déterminer quelle est la législation à laquelle M. Hervein est soumis, Il constatera que sa situation constitue un des cas prévus par l'article 14 quater. En l'absence du paragraphe 1, sous b), de cet article et de l'annexe VII, déjà citée à plusieurs reprises, M. Hervein serait uniquement soumis à la législation française de sécurité sociale, en vertu de laquelle il serait considéré comme un travailleur salarié et
traité comme s'il exerçait toutes ses activités en France. La même solution prévaudrait si, au lieu d'exercer une activité non salariée en Belgique, il l'exerçait en Allemagne, à condition qu'il ne s'agisse pas d'une activité agricole, ou au Danemark, à condition qu'il ne réside pas dans ce pays, ou au Royaume-Uni ou en Irlande, pour donner quelques exemples supplémentaires. En revanche, sa situation serait comparativement moins bonne s'il se proposait d'exercer cette activité non salariée en
Belgique, comme je l'ai déjà démontré, en Italie ou en Grèce, puisqu'il est soumis simultanément à la législation de deux États membres, ce qui comporte la double obligation d'affiliation et de cotisation, bien que ce soit uniquement pour l'activité exercée sur chaque territoire.

50 L'argument du Conseil selon lequel, si la disposition litigieuse n'existait pas, les personnes se trouvant dans la situation de M. Hervein jouiraient d'une position privilégiée par rapport à leurs concurrents qui exercent toutes leurs activités dans un même État membre, du fait qu'elles paieraient des cotisations moins élevées, ne peut pas être accepté pour différentes raisons: en premier lieu, parce que j'estime que c'est précisément pour éviter ce résultat que l'article 14 quinquies, paragraphe
1, dispose que la personne qui exerce simultanément une activité salariée dans un État membre et une autre activité, non salariée, dans un autre État et qui est soumise à la législation du premier État, est traitée comme si elle exerçait l'ensemble de son activité professionnelle dans cet État; et, en deuxième lieu, parce que les cotisations sont calculées de manière très différente d'un État membre à l'autre, ce qui fait qu'il est assez risqué d'affirmer d'entrée de jeu que l'affiliation dans un
seul État membre aurait dans tous les cas pour effet que les cotisations versées soient moins élevées.

Cet argument du Conseil me paraît encore moins convaincant au vu des modifications introduites dans le règlement n_ 1408/71 par le règlement n_ 3811/86. En effet, à partir de son entrée en vigueur le 1er janvier 1987, bien que la personne qui exerce simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre reste soumise, dans les cas mentionnés à l'annexe VII, à la législation de chacun de ces États, le texte ne fait
nullement apparaître si elle l'est uniquement au titre de l'activité qu'elle exerce sur chaque territoire, étant donné que cette précision a été supprimée dans les deux tirets qui composent le point b) de l'article 14 quater. En outre, selon le nouveau paragraphe 2 de l'article 14 quinquies, la personne se trouvant dans cette situation est traitée, aux fins de la fixation du taux de cotisation à charge des travailleurs non salariés au titre de la législation de l'État membre sur le territoire duquel
elle exerce son activité non salariée, comme si elle exerçait son activité salariée sur le territoire de cet État membre: lors de l'application de la législation nationale, pareille disposition peut avoir pour effet aussi bien de réduire le taux de cotisation que de l'augmenter.

51 Le Conseil affirme également que cette disposition trouve sa raison d'être dans le souci d'éviter que ceux qui, simplement en traversant la frontière, cherchent une activité salariée dans un autre État membre n'échappent à la cotisation obligatoire à un régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés, par exemple le régime belge. Je suis disposé à croire que c'est effectivement pour cela que le Conseil a amendé le texte de la Commission à l'époque, mais, ainsi que je l'ai déjà démontré
précédemment, cette disposition a pour effet d'entraver l'exercice d'activités professionnelles en dehors du territoire d'un État membre.

Je tiens à ajouter qu'une personne résidant en Belgique, où elle exerce une activité salariée et une activité non salariée, se trouvera peut-être dans une situation semblable si elle reste dans cet État ou, par application de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), si elle transfère sa résidence en France afin d'y exercer une activité salariée tout en continuant d'exercer son activité non salariée en Belgique. Or, cette situation est très différente de celle de la personne qui réside, par
exemple, en Allemagne où elle exerce une activité salariée et qui exerce en même temps une activité non salariée au Danemark ou dans un des autres États membres qui ne figurent pas sur la liste de l'annexe VII.

52 Force est donc de conclure que, même si cette disposition peut, dans certains cas, avoir pour conséquence que l'intéressé bénéficie d'une protection supplémentaire en matière de droits à pension ou conserve les droits à l'allocation de décès qu'il a acquis au titre de la législation de chacun des États, elle a également pour effet, outre celui d'entraver l'exercice d'activités professionnelles dans différents États membres, d'accentuer les disparités qui découlent déjà des législations nationales
elles-mêmes et de créer une inégalité de traitement entre les ressortissants des États membres selon le lieu où ils entendent exercer leurs activités.

53 Il découle de ce qui précède que l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), et l'annexe VII du règlement n_ 1408/71 doivent être déclarés invalides dans la mesure où ils disposent que la personne qui exerce simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un des États membres figurant dans cette annexe est soumise à la législation de chacun de ces États membres.

54 Le fait que la juridiction nationale ait posé une question préjudicielle en vue d'obtenir une interprétation d'une disposition réglementaire n'empêche pas la Cour d'en examiner la validité. Le principe que la Cour a énoncé dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Schwarze (34), revêt à cet égard une importance capitale: «il résulte du libellé des questions posées ... que [le juge a quo] entend moins obtenir l'interprétation du traité ou d'un acte pris par les institutions ... que faire
statuer, à titre préjudiciel, sur la validité d'un acte, en vertu de la compétence attribuée à la Cour à cette fin par l'article 177, premier alinéa, b)»; dans des cas de ce genre, «il appartient à la Cour d'éclairer immédiatement ladite juridiction sans l'obliger à un formalisme purement dilatoire incompatible avec la nature propre des mécanismes institués par l'article 177; ... si une telle rigueur formaliste est concevable en des procédures contentieuses diligentées entre parties dont les droits
réciproques doivent obéir à des règles strictes, il ne saurait en être ainsi dans le cadre très particulier de la coopération judiciaire instituée par l'article 177 par laquelle juridiction nationale et Cour de justice ... sont appelées à contribuer directement ... à l'élaboration d'une décision» (35).

55 Dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire Weiser, l'avocat général M. Darmon s'est également prononcé sur ce sujet: «... il appartient à la Cour de vérifier la validité d'une disposition réglementaire, alors même que la question préjudicielle n'y invite pas, dès lors que la Cour envisage d'interpréter cette disposition dans un sens susceptible de la faire regarder comme invalide» (36).

56 C'est précisément cela que la Cour a fait au fil des ans. Par exemple, dans l'affaire Strehl (37), dans laquelle une juridiction belge avait sollicité l'interprétation de l'article 46, paragraphe 3, du règlement n_ 1408/71 et de la décision n_ 91 de la commission administrative pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, la Cour a examiné la légalité de ces dispositions à titre préliminaire et elle les a déclarées incompatibles avec l'article 51 du traité CE; dans l'affaire Roquette
Frères (38), la Cour a déclaré que six des questions d'interprétation posées à titre préjudiciel par la juridiction nationale requéraient également, de façon indirecte, une appréciation de la validité de certaines dispositions réglementaires qu'elle a examinées ensuite et qu'elle a déclarées invalides; dans l'affaire Roviello (39), dans laquelle la juridiction nationale avait posé trois questions préjudicielles sur l'interprétation du point 15 de la section C de l'annexe VI du règlement n_ 1408/71,
la Cour a commencé par interpréter cette disposition, pour la déclarer ensuite invalide; dans l'affaire Weiser aussi (40), dans laquelle une juridiction française avait posé une question préjudicielle sur l'interprétation de l'article 11, paragraphe 2, de l'annexe VII du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, la Cour a déclaré dans son arrêt que cette disposition était invalide.

Il en est allé de même dans les affaires Lenoir (41), Paris (42) et Trend-Moden Textilhandels (43), dans lesquelles la Cour a examiné d'office la validité des dispositions de droit communautaire dont l'interprétation lui avait été demandée par le juge national, sans trouver aucun élément susceptible d'affecter cette validité.

57 En ce qui concerne les conséquences de l'invalidité de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), et de l'annexe VII du règlement n_ 1408/71, la Cour a déjà dit pour droit que, «lorsque d'impérieuses considérations le justifient, l'article 174, deuxième alinéa, réserve à la Cour un pouvoir d'appréciation pour déterminer concrètement, dans chaque cas particulier, les effets d'un acte réglementaire déclaré nul qui doivent être maintenus» (44).

Étant donné, d'une part, que les arrêts Stanton, Wolf e.a. et Kemmler (45), dans lesquels la Cour a donné l'interprétation des articles 48 et 52 du traité CE sur laquelle cette déclaration d'invalidité est fondée, ont été rendus en 1988, pour les deux premiers, et en 1996, pour le dernier, et étant donné, d'autre part, que les faits en cause dans les litiges principaux remontaient dans tous les cas à des époques antérieures à l'entrée en vigueur du règlement n_ 1390/81 - qui est celui qui a
introduit tant l'article 14 quater que l'annexe VII dans le règlement n_ 1408/71 -, il faut, dans le présent cas d'espèce, tenir exceptionnellement compte du fait que les États membres qui ont imposé, à partir de l'entrée en vigueur de cette disposition communautaire le 1er juillet 1982, l'obligation de s'affilier à leurs régimes de sécurité sociale des travailleurs indépendants à des personnes qui étaient déjà affiliées à un régime de travailleurs salariés dans un autre État membre ont pu se
tromper sur l'étendue exacte de leurs obligations en matière de libre circulation des personnes.

58 Dans ces conditions, je propose à la Cour de déclarer, comme elle l'a fait dans l'arrêt Pinna (46), que d'impérieuses considérations de sécurité juridique susceptibles d'affecter tous les intérêts en jeu, tant publics que privés, empêchent en principe de mettre en cause l'affiliation et les cotisations dues par application de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), pour des périodes antérieures à l'arrêt qui déclare cette disposition invalide, sous réserve du cas des travailleurs ou de leurs
ayants droit qui, avant cette date, ont engagé une action en justice ou introduit une réclamation selon le droit national applicable.

Conclusion

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre dans les termes suivants à la question qui lui a été posée à titre préjudiciel par le tribunal du travail de Tournai:

«L'activité non salariée, visée à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version consolidée du règlement (CEE) n_ 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, est celle qui est considérée comme telle, aux fins de l'application de son régime de sécurité
sociale, par la législation de l'État membre sur le territoire duquel cette activité est exercée.»

A la lumière du raisonnement qui précède, je propose en outre à la Cour de dire pour droit que:

«1) L'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), et l'annexe VII du règlement n_ 1408/71 doivent être déclarés invalides dans la mesure où ils disposent que la personne qui exerce simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre est soumise à la législation de chacun des ces États.

2) Cette invalidité ne peut être invoquée pour mettre en cause l'affiliation et les cotisations dues, par application de la disposition déclarée invalide, pour des périodes antérieures au prononcé de l'arrêt qui déclare l'invalidité, sous réserve du cas des travailleurs ou de leurs ayants droit qui, avant cette date, ont engagé une action en justice ou introduit une réclamation selon le droit national applicable».

(1) - Règlement du Conseil du 12 mai 1981 étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n_ 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 143, p. 1).

(2) - Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 149, p. 2).

(3) - Règlement du Conseil du 2 juin 1983 portant modification et mise à jour du règlement (CEE) n_ 1408/71 et du règlement (CEE) n_ 574/72 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n_ 1408/71 (JO L 230, p. 6).

(4) - Le règlement (CEE) n_ 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986, modifiant le règlement (CEE) n_ 1408/71 et le règlement (CEE) n_ 574/72 (JO L 355, p. 5), qui est applicable à partir du 1er janvier 1987, a modifié la rédaction de cet article dans le but de le compléter pour qu'il règle également l'exercice de deux ou plusieurs activités salariées et non salariées sur le territoire de deux ou plusieurs États membres.

(5) - C-340/94, encore pendante devant la Cour.

(6) - C'est ce qui s'est passé dans l'affaire Zinnecker que la Cour a tranchée par son arrêt du 13 octobre 1993 (C-121/92, Rec. p. I-5023). L'intéressé, qui était un citoyen allemand, résidait en Allemagne et exerçait une activité non salariée dans cet État membre la moitié du temps environ et aux Pays-Bas pour l'autre moitié, devait, conformément à la législation néerlandaise, être considéré comme relevant du champ d'application personnel du règlement (titre I), mais la législation qui lui était
applicable était celle de l'État membre dans lequel il résidait (article 14 bis du titre II).

(7) - Dans l'arrêt Zinnecker qui est cité à la note précédente, la Cour a abouti à la conclusion que l'intéressé n'était assuré ni dans l'un ni dans l'autre État membre dès lors que la législation allemande prévoyait uniquement une assurance volontaire pour les personnes qui se trouvaient dans cette situation et que M. Zinnecker avait choisi de ne pas souscrire une telle assurance.

(8) - Arrêt du 3 mai 1990, Kits van Heijningen (C-2/89, Rec. p. I-1755).

(9) - Arrêts du 26 février 1992, Bernini (C-3/90, Rec. p. I-1071, point 14), et du 21 juin 1988, Brown (197/86, Rec. p. 3205, point 21).

(10) - Arrêt du 27 juin 1996, (C-107/94, Rec. p. I-3089, point 26).

(11) - Souligné par moi.

(12) - Arrêt du 19 mars 1964, (75/63, Rec. p. 347, en particulier p. 363).

(13) - Règlement n_ 3 du Conseil de la CEE concernant la sécurité sociale des travailleurs migrants (JO 1958, 30, p. 561).

(14) - Arrêt du 24 mars 1994, (C-71/93, Rec. p. I-1101). M. Van Poucke exerçait une double activité professionnelle: il était médecin militaire en Belgique et médecin indépendant aux Pays-Bas. Il avait été contraint de cotiser à l'organisme belge de la sécurité sociale des travailleurs indépendants du fait qu'il exerçait simultanément une activité salariée en Belgique et une activité non salariée aux Pays-Bas. Il demeurait, du fait de cette dernière activité, soumis à la législation belge
correspondante dans les mêmes conditions que s'il avait exercé cette activité non salariée en Belgique, et cela en application de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous a), et de l'article 14 quinquies du règlement n_ 1408/71.

(15) - Arrêt du 23 octobre 1986, (300/84, Rec. p. 3097). Il s'agissait également d'appliquer la législation néerlandaise. Le point I de l'annexe I du règlement n_ 1408/71 dispose, en ce qui concerne les Pays-Bas, qu'«est considérée comme travailleur non salarié, au sens de l'article 1er, point a) ii), du règlement, la personne qui exerce une activité ou une profession en dehors d'un contrat de travail».

(16) - Arrêt du 25 février 1986, De Jong (254/84, Rec. p. 671, point 13). Voir également les arrêts du 12 juillet 1979, Brunori (266/78, Rec. p. 2705, point 6); du 24 avril 1980, Coonan (110/79, Rec. p. 1445, point 12); du 23 septembre 1982, Koks (275/81, Rec. p. 3013, point 9), et Kuijpers (276/81, Rec. p. 3027, point 14); du 24 septembre 1987, De Rijke (43/86, Rec. p. 3611, point 12); du 18 mai 1989, Hartmann Troiani (368/87, Rec. p. 1333, point 21), et du 20 octobre 1993, Baglieri (C-297/92, Rec.
p. I-5211, point 13).

(17) - Arrêt du 12 juin 1986, (302/84, Rec. p. 1821, point 21).

(18) - Arrêt du 9 juin 1964 (92/63, Rec. p. 557, en particulier p. 574).

(19) - Arrêt du 5 décembre 1967 (19/67, Rec. p. 445, en particulier p. 457).

(20) - Citée à la note 5 ci-dessus.

(21) - Cité à la note 4 ci-dessus. Avec la modification, l'article 14 quater a reçu un nouveau libellé et il n'y a plus de paragraphe 2.

(22) - Arrêt du 7 juillet 1988 (143/87, Rec. p. 3877).

(23) - Arrêt du 7 juillet 1988 (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897).

(24) - Cités dans les notes 22 et 23 ci-dessus, points 10 à 12.

(25) - Ibidem, points 13 à 15.

(26) - Arrêt du 15 février 1996 (C-53/95, Rec. p. I-703).

(27) - Ibidem, points 12 à 14.

(28) - Citée à la note 5 ci-dessus.

(29) - Cité à la note 26 ci-dessus.

(30) - Le Conseil cite à cet égard l'arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 89 à 91), dans le domaine de la politique agricole commune.

(31) - Arrêt du 13 juillet 1976, (19/76, Rec. p. 1243, point 18).

(32) - Cité dans la note 29 ci-dessus, points 12 et 13.

(33) - Avec l'adhésion du royaume d'Espagne et de la République portugaise, la liste a été allongée de ces deux États. La même chose s'est produite avec l'adhésion de la république d'Autriche, de la république de Finlande et du royaume de Suède.

(34) - Arrêt du 1er décembre 1965 (16/65, Rec. p. 1081).

(35) - Citation extraite des conclusions de l'avocat général M. Mancini dans l'affaire Roviello (arrêt du 7 juin 1988, 20/85, p. 2805, en particulier p. 2826).

(36) - Arrêt du 14 juin 1990, (C-37/89, Rec. p. I-2395, en particulier p. I-2411).

(37) - Arrêt du 3 février 1977 (62/76, Rec. p. 211, point 10).

(38) - Arrêt du 15 octobre 1980 (145/79, Rec. p. 2917, point 6).

(39) - Arrêt cité à la note 35 ci-dessus.

(40) - Arrêt cité dans la note 36 ci-dessus.

(41) - Arrêt du 27 septembre 1988 (313/86, Rec. p. 5391).

(42) - Arrêt du 13 décembre 1989 (C-204/88, Rec. p. 4361).

(43) - Arrêt du 7 mars 1990 (C-117/88, Rec. p. I-631).

(44) - Arrêts du 27 février 1985, Société des produits de maïs (112/83, Rec. p. 719, point 18), et du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1, point 26).

(45) - Cités dans les notes 22, 23 et 26 ci-dessus.

(46) - Cité dans le note 44 ci-dessus.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-221/95
Date de la décision : 11/07/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Détermination de la législation applicable - Notions d'activité salariée et d'activité non salariée.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti)
Défendeurs : Claude Hervein et Hervillier SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:301

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