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25/04/1996 | CJUE | N°C-170/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 25 avril 1996., Office national de l'emploi contre Calogero Spataro., 25/04/1996, C-170/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 25 avril 1996 ( *1 )

A — Introduction

1. La demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation de Belgique soulève une question d'interprétation de l'article 69, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 1408/71 ( 1 ) (ci-après le « règlement »), qui comporte une disposition spéciale pour la Belgique.



2. En vertu de l'ar...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 25 avril 1996 ( *1 )

A — Introduction

1. La demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation de Belgique soulève une question d'interprétation de l'article 69, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 1408/71 ( 1 ) (ci-après le « règlement »), qui comporte une disposition spéciale pour la Belgique.

2. En vertu de l'article 69, paragraphe 1, du règlement, le chômeur qui séjourne dans un autre État membre à la recherche d'un emploi conserve en principe le droit aux prestations de chômage pendant une période de trois mois. Le paragraphe 2, deuxième phrase, de cette disposition admet, dans des cas exceptionnels, la possibilité de prolonger cette période. Si le chômeur retourne dans l'État compétent au cours de cette période, il continue, en vertu de l'article 69, paragraphe 2, à avoir droit aux
prestations dans cet État. En revanche, selon la même disposition, s'il retourne dans l'État compétent après l'expiration de cette période, il perd ce droit. Dans l'hypothèse du retour après cette période, l'article 69, paragraphe 4, comporte une disposition spéciale pour la Belgique, stipulant que le chômeur doit avoir exercé un emploi en Belgique pendant trois mois au moins pour recouvrer le droit aux prestations.

3. La question qu'il nous faut trancher dans le présent litige est donc celle de savoir si, dans le cas où l'intéressé remplit toutes les conditions auxquelles le droit de l'État membre subordonne l'acquisition du droit aux prestations de chômage, il doit de surcroît satisfaire à la condition d'avoir préalablement exercé un emploi pendant trois mois en vertu de l'article 69, paragraphe 4, du règlement.

4. Le demandeur, défendeur en cassation dans le litige principal, (ci-après le « demandeur ») était bénéficiaire de prestations de chômage en Belgique lorsqu'il s'est rendu le 14 juillet 1985 dans son pays d'origine, l'Italie, pour y chercher un emploi, usant de la possibilité que lui ouvrait l'article 69, paragraphe 1, du règlement, de conserver ses droits aux prestations de chômage. Toutefois, il n'est pas retourné en Belgique le 13 octobre 1985 au plus tard, comme il en avait l'obligation, mais
seulement à la mi-décembre 1985, sans avoir trouvé d'emploi. Le 3 janvier 1986, il a repris un travail en Belgique dans le secteur de la construction. En raison des intempéries, il a été de nouveau mis au chômage le 20 janvier 1986 et a sollicité une allocation de chômage, que l'Office national de l'emploi (ci-après l'« Onem ») lui a refusée sur la base de l'article 69, paragraphe 4, du règlement. Le demandeur a introduit un recours contentieux contre cette décision, et il a d'abord obtenu gain
de cause devant la cour du travail de Liège. Il ressort de l'arrêt qu'elle a rendu que, si le demandeur ne peut pas se prévaloir de l'article 123 ( 2 ) de l'arrêté royal de 1963 (ci-après l'« arrêté royal ») pour obtenir le maintien de sa qualité de bénéficiaire, il remplit cependant toutes les conditions d'admission au bénéfice d'une allocation au sens de l'article 118 de l'arrêté royal, c'est-à-dire au moins 450 journées de travail ou journées assimilées au cours d'une période de référence de
27 mois, de sorte qu'il a droit aux prestations de chômage.

5. L'Onem a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, au motif que le chômeur qui, faisant usage des possibilités ouvertes par l'article 69 du règlement, s'est rendu dans un autre État membre pour y chercher un emploi et dépasse le délai prévu à cet article doit dans tous les cas avoir exercé un emploi pendant au moins trois mois avant de pouvoir de nouveau bénéficier de prestations de chômage en Belgique.

6. La Cour de cassation saisie de l'affaire a soumis à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

« Le paragraphe 4 de l'article 69 du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, selon le libellé donné par le règlement (CEE) no 2001/83, doit-il être interprété en ce sens que l'exigence pour le chômeur d'avoir, depuis son retour en Belgique, exercé un emploi pendant trois mois au moins
s'applique lorsque le chômeur ne se prévaut pas de l'article 123 de l'arrêté royal du 20 décembre 1963 pour prétendre avoir conservé son droit aux allocations de chômage, mais qu'il prouve réunir, à la date de sa demande, les conditions de stage pour acquérir le droit à ces allocations? »

7. Au cours de la procédure devant la Cour, l'Onem, demandeur en cassation dans le litige principal, le gouvernement belge, le gouvernement français et la Commission ont présenté des observations. Nous reviendrons sur leurs arguments dans le cadre de l'analyse juridique.

B — Analyse

8. L'interprétation de l'article 69, paragraphe 4, du règlement a déjà donné lieu dans le passé à un arrêt préjudiciel ( 3 ), mais le problème juridique se posait en d'autres termes que dans le cas d'espèce. Il s'agissait en définitive de savoir si l'exercice d'un emploi pendant trois mois, au sens de l'article 69, paragraphe 4, à l'exception de toute autre condition imposée par le droit de l'État membre, permet au chômeur de recouvrer sa qualité de bénéficiaire. L'arrêt Di Conti ne constitue donc
pas un précédent pour la réponse à la question juridique présentement posée.

9. La disposition figurant à l'article 69, paragraphe 4, qui ne s'applique qu'à la Belgique, ne saurait être examinée en faisant totalement abstraction des dispositions du droit belge. La Cour a du reste établi, dans l'arrêt Di Conti, que l'article 69, paragraphe 4, ne peut pas être interprété en faisant abstraction des particularités de la législation belge.

10. Nous pensons que ces particularités revêtent également une importance majeure dans le cas d'espèce. L'article 118 de l'arrêté royal de 1963 ( 4 ) définit les conditions d'acquisition du droit à des prestations de chômage. Il établit, en fonction de tranches d'âge, des périodes minimales d'emploi et des périodes assimilées à l'intérieur de périodes de référence déterminées. Il ressort du dossier, pour ce qui est du demandeur, qu'il doit justifier avoir accompli 450 journées de travail ou journées
assimilées au cours d'une période de 27 mois.

11. Quant à l'article 123 de l'arrêté royal ( 5 ), il définit les conditions du recouvrement du droit aux prestations après certaines périodes d'interruption des prestations. Le travailleur devenu chômeur conserve la qualité du bénéficiaire acquise antérieurement ( 6 ), si son indemnisation n'a pas été interrompue pendant plus de trois ans.

12. Il convient donc de distinguer l'acquisition, le maintien et le recouvrement du droit aux prestations. Ces notions juridiques font du reste l'objet de l'article 67 du règlement.

13. Il s'agit en définitive de déterminer si la condition de l'exercice d'un emploi pendant trois mois, posée par l'article 69, paragraphe 4, du règlement, doit être remplie dans chaque cas où des prestations de chômage sont sollicitées, quelle que soit la base invoquée par l'intéressé pour faire valoir ses droits, dès lors qu'il a fait usage de la possibilité ouverte par l'article 69, paragraphe 1, du règlement et a dépassé le délai établi par cette disposition.

14. L'organisme qui a formé le pourvoi, YOnem, part du principe que l'article 69, paragraphe 4, du règlement institue un régime spécifique facultatif, qui ne s'applique que lorsque l'intéressé en fait la demande, renonçant ainsi à l'application du régime général de l'État membre compétent. Il soutient que la condition de l'exercice préalable d'un emploi pendant trois mois doit être remplie dans chaque cas où l'article 69, paragraphe 1, du règlement est invoqué car, dans le cas contraire, l'article
69, paragraphe 4, du règlement serait vidé de son sens. Les dispositions de l'article 123 de l'arrêté royal sur le maintien de la qualité de bénéficiaire ne peuvent être envisagées indépendamment des conditions d'acquisition de la qualité de bénéficiaire prévues à l'article 118 de l'arrêté royal. Du reste, l'application de l'article 118 et de l'article 123 de l'arrêté royal entraîne fréquemment le même résultat. Ainsi, dans le cas d'espèce, le demandeur aurait pu se prévaloir aussi bien de
l'article 118 que de l'article 123. La distinction entre acquisition et maintien du droit aux prestations serait artificielle en cas d'application de l'article 69, paragraphe 4, car, dans ce cadre, le travailleur a toujours perçu antérieurement des prestations de chômage. La notion de « recouvrement du droit aux prestations » a un caractère général, de sorte que l'on peut admettre que cette condition est toujours remplie dans le cas de l'article 69, paragraphe 4, en raison du droit
antérieurement acquis aux prestations.

15. Le gouvernement belge appuie son argumentation sur la jurisprudence de la Cour. Dans l'arrêt Testa e.a. ( 7 ), la Cour a jugé que l'article 69 du règlement institue un régime autonome dérogeant aux règles du droit interne des États membres, qui doit être interprété de façon uniforme dans tous les États membres. La perte du droit aux prestations prévue à l'article 69, paragraphe 2, du règlement en cas de dépassement injustifié du délai de trois mois ne peut donc être comprise comme un renvoi au
droit de l'État membre, mais comme un cas autonome de perte des droits.

16. De même, l'article 69, paragraphe 4, est une disposition spécifique concernant le recouvrement du droit aux prestations pour les chômeurs qui retournent en Belgique. A la lumière de l'arrêt Testa e.a., l'article 69 ne pouvait être compris qu'en ce sens que le recours à cet article implique la renonciation à l'application du régime général de droit interne, et donc exclut un recours à l'article 123 de l'arrêté royal en cas de dépassement du délai de trois mois. Seuls l'accomplissement d'une
période d'emploi de trois mois et le respect, à la date d'une nouvelle demande, de toutes les conditions requises par l'article 118 de l'arrêté royal pour l'acquisition d'un droit aux prestations de chômage, permettraient l'octroi de prestations en cas de chômage.

17. Le gouvernement belge estime que la Cour n'a toutefois pas suivi cette interprétation dans l'arrêt Di Conti ( 8 ), puisqu'elle a estimé dans cette affaire que le chômeur recouvre ses droits s'il a conservé la qualité de bénéficiaire au sens de l'article 123 de l'arrêté royal et s'il a exercé un emploi pendant trois mois au moins.

18. L'application uniforme de l'article 69 du règlement dans tous les États membres serait ainsi remise en cause, puisque tous les autres États membres pourraient ne pas appliquer leurs règles nationales en matière de recouvrement ou de maintien du droit aux prestations, alors que, en Belgique, sur la base de l'article 69, paragraphe 4, du règlement, les dispositions nationales seraient applicables sous la seule condition de respecter la période d'emploi de trois mois. En Belgique, un chômeur
pourrait pratiquement toujours acquérir un nouveau droit aux prestations en se fondant sur les périodes d'emploi accomplies avant son départ pour l'étranger, sous la seule réserve de l'article 69, paragraphe 4, du règlement, alors que, dans les autres États membres, le chômeur ne pourrait pas se prévaloir d'un droit résiduel aux prestations de chômage, mais pourrait tout au plus bénéficier d'un régime d'assistance.

19. Dans le cas d'espèce, l'intéressé fonde sa demande sur les conditions générales d'acquisition du droit aux prestations prévues à l'article 118 de l'arrêté royal. La Cour semblerait avoir voulu dire, dans l'arrêt Di Conti, que l'article 69, paragraphe 4, du règlement ne s'applique qu'aux cas de recouvrement ou de maintien des droits, et non à leur acquisition. Mais reconnaître au demandeur un droit aux prestations sur la base de l'article 118 de l'arrêté royal irait en définitive à l'encontre de
l'arrêt Di Conti, puisqu'il ne serait même pas tenu d'exercer un emploi pendant trois mois comme le stipule l'article 69, paragraphe 4, du règlement. Dans la mesure où l'article 69, paragraphe 4, du règlement constitue une disposition spéciale, la période d'emploi de trois mois doit en tout état de cause être effectuée en cas de dépassement injustifié du délai de trois mois prévu à l'article 69, paragraphe 1, du règlement, avant qu'un droit aux prestations de chômage puisse être à nouveau
invoqué.

20. Le gouvernement français s'interroge, compte tenu de l'arrêt Pinna II ( 9 ), sur la validité du régime spécial applicable à la Belgique. Le gouvernement français estime que l'organisme belge qui s'est pourvu en cassation se retranche derrière le droit communautaire pour ne pas appliquer la législation nationale plus favorable. L'article 69, paragraphe 4, du règlement est une disposition spéciale qui, comme toute disposition dérogatoire en général, doit être interprétée de manière stricte. Si
l'on suivait l'interprétation proposée par l'Onem, on aboutirait à ce que le droit communautaire oppose un obstacle supplémentaire à la libre circulation des travailleurs, ce qui irait à l'encontre du but de l'article 69 du règlement, et serait en outre contraire aux objectifs poursuivis par le droit communautaire. Le gouvernement français se réfère à cet égard aux arrêts Petroni ( 10 ), Baccini ( 11 ) et Romano ( 12 ) pour faire valoir que le droit communautaire ne saurait entraîner pour le
travailleur la perte des avantages que la seule législation d'un État membre lui assurerait. Enfin, le gouvernement français indique que, dans certains États membres — en partie pour des motifs juridiques ( 13 ), en partie sur la base d'une pratique constante ( 14 ) —, l'article 69, paragraphe 2, du règlement reste en règle générale inappliqué.

21. La Commission s'efforce de donner une interprétation cohérente du libellé du règlement et de la jurisprudence à laquelle il a donné lieu. S'appuyant sur l'arrêt Di Conti, elle soutient que l'article 69, paragraphe 4, du règlement s'applique exclusivement aux cas de recouvrement du droit aux prestations. Elle estime donc que l'on ne saurait approuver la thèse de l'Onem — déjà avancée dans l'affaire Di Conti — selon laquelle la période d'emploi de trois mois exigée par l'article 69, paragraphe 4,
du règlement serait une condition supplémentaire de l'acquisition du droit aux prestations. Le délai de trois mois ne joue aucun rôle dans les conditions d'acquisition de ce droit.

22. Pour le reste, la Commission ne discerne aucune contradiction entre les arrêts Testa e.a. et Di Conti. La Cour a certes jugé, dans l'arrêt Testa e.a. ( 15 ), que l'article 69 institue en faveur des travailleurs qui réclament le bénéfice de cette disposition un régime dérogatoire autonome par rapport aux règles du droit interne, quel que soit le régime prévu par la législation nationale pour le maintien et la perte du droit aux prestations ( 16 ). Or, ce régime dérogatoire autonome comporte le
maintien provisoire du droit aux prestations pour le bénéficiaire qui se rend dans un autre État membre pour y chercher un emploi. Mais l'arrêt Testa e.a. ne permet pas de penser que l'article 69 comporte aussi un régime dérogatoire autonome du point de vue des conditions matérielles d'acquisition du droit aux prestations. On ne peut donc pas soutenir que l'article 69, paragraphe 4, du règlement comporte à cet égard des dispositions exhaustives pour la Belgique.

23. Sur la question de la portée de l'article 69, paragraphe 4, du règlement, à la lumière de la jurisprudence intervenue à ce jour, il convient tout d'abord de préciser que, si l'arrêt Testa e.a. porte sur l'article 69 du règlement, et en particulier sur les conséquences de son paragraphe 2, il ne concerne en revanche pas son paragraphe 4. La Cour a jugé, dans l'arrêt Testa e.a., que le travailleur qui retourne dans l'État compétent après l'expiration du délai de trois mois visé à l'article 69,
paragraphe 1, sous c), du règlement ne peut en principe plus, en vertu de l'article 69, paragraphe 2, première phrase, faire valoir un droit aux prestations à l'égard de l'État compétent. Si cette règle peut sembler à première vue apodictique, elle ne trouve cependant pas de fondement dans l'arrêt Testa e.a., car elle vaut, aux termes de l'arrêt, « à moins que le délai précité ne soit prolongé en application de l'article 69, paragraphe 2, deuxième phrase » ( 17 ).

24. Examinant la compatibilité de l'article 69, paragraphe 2, du règlement avec les droits fondamentaux garantis par l'ordre juridique communautaire, la Cour a très clairement instauré un contrôle de proportionnalité, qui ne résulte pas directement du texte du règlement en tant que tel. L'arrêt dispose:

« Enfin, il y a lieu de souligner que l'article 69, paragraphe 2, deuxième phrase, prévoyant, dans des cas exceptionnels, la prolongation du délai de trois mois visé à l'article 69, paragraphe 1, alinéa c), permet d'éviter que l'application de l'article 69, paragraphe 2, ne donne lieu à des résultats disproportionnés. Comme la Cour l'a dit pour droit dans son arrêt du 20 mars 1979 ..., une prolongation dudit délai est admissible, même lorsque la demande de prolongation est introduite après
l'expiration du délai. Si ... les services et institutions compétents des États disposent d'une large marge de discrétion en vue de décider de la prolongation éventuelle du délai prévu par le règlement, ils doivent, dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, tenir compte du prinape de proportionnalité, principe général de droit communautaire. L'application correcte de ce principe dans des cas tels que ceux de l'espèce exige que les services et institutions compétents prennent en
considération, dans chaque cas particulier, L durée du dépassement dans le temps du délai en cause, la raison du retour tardif et L gravité des conséquences juridiques découlant d'un retour tardif» ( 18 ).

25. Si ce considérant ne fournit pas directement d'élément pour l'interprétation de l'article 69, paragraphe 4, du règlement, il montre cependant que le travailleur qui s'est prévalu de l'article 69, paragraphe 1, du règlement ne saurait, même lorsqu'il a dépassé le délai prévu, subir dans sa situation de bénéficiaire un préjudice disproportionné.

26. Dans ce contexte, l'indication apportée par le gouvernement français, selon laquelle en France, comme dans d'autres États membres, les dispositions de l'article 69, paragraphe 2, du règlement restent purement et simplement inappliquées ( 19 ), présente un intérêt particulier.

27. Enfin, si l'arrêt Testa e.a. ne fournit aucune indication sur la portée de l'article 69, paragraphe 4, c'est aussi parce que cette disposition n'était absolument pas pertinente dans ces affaires jointes: l'arrêt portait en effet sur trois demandes préjudicielles provenant d'Allemagne.

28. Il ne fait aucun doute que l'article 69, paragraphe 4, institue un régime dérogatoire pour la Belgique. On ne voit pas pour quelle raison le principe général selon lequel les dispositions dérogatoires doivent en principe être interprétées de façon stricte ne devrait pas s'appliquer. Le libellé de la disposition vise expressément le recouvrement du droit aux prestations, et non pas son maintien ni son acquisition. Nous nous sommes déjà exprimé dans nos conclusions dans l'affaire Di Conti ( 20 )
sur la genèse de cette disposition. Nous avons alors rappelé, comme cela avait été exposé au cours de la procédure, que l'article 69, paragraphe 4, du règlement avait été conçu comme la contrepartie de la générosité du régime belge, qui maintient la qualité de bénéficiaire en règle générale jusqu'à trois ans, même en cas d'interruption du versement des prestations.

29. Cet argument a du reste été retenu dans l'arrêt, qui dispose:

« C'est en contrepartie du maintien au profit des chômeurs de leurs droits aux prestations pendant une période assez longue, sans que, pour autant, ils demeurent à la disposition des services belges de l'emploi, que le paragraphe 4 de l'article 69 leur impose, pour qu'ils bénéficient encore des prestations lorsqu'ils retournent en Belgique, d'occuper à nouveau un emploi pendant au moins trois mois » ( 21 ).

30. Le régime dérogatoire a donc pour finalité de créer, dans le contexte de l'article 123 de l'arrêté royal, un équilibre entre, d'une part, la limitation dans le temps, généralement à trois mois, du maintien du droit aux prestations au titre de l'article 69, paragraphe 1, période pendant laquelle le chômeur est dispensé de se tenir à la disposition des services de l'emploi de l'État compétent et, d'autre part, le délai beaucoup plus long prévu à l'article 123, pendant lequel le bénéficiaire, s'il
ne perçoit aucune prestation, peut cependant recouvrer à tout moment son droit aux prestations ( 22 ).

31. Dans l'arrêt Di Conti ( 23 ), la Cour a rattaché l'applicabilité de l'article 69, paragraphe 4, du règlement uniquement au recouvrement, et non à l'acquisition, du droit aux prestations. Ce principe, qui vaut également dans le cas d'espèce, repose en outre sur l'idée selon laquelle le travailleur ne saurait être placé du fait de l'intervention du droit communautaire dans une situation plus défavorable que celle que créerait l'application du seul droit de l'Etat membre. Toute autre interprétation
aboutirait à entraver la libre circulation des travailleurs et serait donc contraire à l'article 51 du traité CE et aux objectifs déclarés du règlement no 1408/71 ( 24 ).

32. L'argument de l'Onem selon lequel l'application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement aux seuls cas de recouvrement du droit aux prestations, et non pas aux conditions d'acquisition de ce droit, viderait cette disposition de tout sens est inopérant, car on peut parfaitement imaginer des cas dans lesquels le recouvrement du droit aux prestations est possible, alors que les conditions de l'acquisition du droit aux prestations ne sont pas remplies. Par exemple, dans le cas d'une interruption
prolongée du bénéfice des prestations, se situant dans les délais visés à l'article 123 de l'arrêté royal, il est tout à fait possible que les périodes d'emploi exigées pour acquérir le droit aux prestations ne soient pas accomplies pendant la période de référence immédiatement antérieure.

33. L'argument, également avancé par le gouvernement belge, selon lequel l'application de l'article 118 et de l'article 123 de l'arrêté royal conduirait en définitive fréquemment au même résultat n'est donc pas de nature à effacer la différence entre l'acquisition du droit aux prestations et le recouvrement de ce droit.

34. Le libellé, la genèse, la finalité de la disposition concernée, ainsi que sa fonction dans l'économie d'ensemble de la réglementation plaident en faveur de l'application de l'article 69, paragraphe 4, du règlement aux seuls cas de recouvrement du droit aux prestations.

C — Conclusion

35. En conclusion de cette analyse, nous vous suggérons de répondre à la question préjudicielle de la façon suivante:

« L'article 69, paragraphe 4, du règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) no 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, doit être interprété en ce sens que l'exigence selon laquelle le chômeur doit avoir exercé un emploi pendant trois mois au moins après son
retour en Belgique ne s'applique que lorsque le chômeur prétend recouvrer son droit aux prestations, mais ne s'applique pas aux modalités d'acquisition du droit prévues par le droit de l'État membre. »

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( *1 ) Langue originale: l'allemand.

( 1 ) Règlement du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salaries, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CEE) no 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6).

( 2 ) Nous reviendrons ci-après sur la teneur de cette disposition: voir point 11.

( 3 ) Arrêt du 10 mai 1990, Di Conti (C-163/89, Rec. p. I-1829).

( 4 ) Devenu l'article 30 dans la nouvelle rédaction de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.

( 5 ) Devenu l'article 42 dans la nouvelle rédacrion de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.

( 6 ) Article 123, paragraphe 1, premier alinéa.

( 7 ) Arrêt du 19 juin 1980 (41/79, 121/79 et 796/79, Rec. p. 1979).

( 8 ) Précité (note 3).

( 9 ) Arrêt du 15 janvier 1986 (41/84, Rec. p. 1).

( 10 ) Arrêt du 21 octobre 1975 (24/75, Rec. p. 1149).

( 11 ) Arrêt du 23 mars 1982 (79/81, Rec. p. 1063).

( 12 ) Arrêt du 4 juin 1985 (58/84, Rec. p. 1679).

( 13 ) Voir le point G, sous 9, introduit par le règlement (CEE) no 2332/89 du Conseil, du 18 juillet 1989QO L 224, p. 1) dans l'annexe VI du règlement no 1408/71 pour l'Irlande:

« Un chômeur qui retourne en Irlande après l'expiration de la période de trois mois pendant laquelle il a continué à bénéficier des prestations en vertu de la législation de l'Irlande en application de l'article 69, paragraphe 1, du règlement peut prétendre aux prestations de chômage, nonobstant l'article 69, paragra-{)he 2, s'il satisfait aux conditions fixées par ladite légisation »,

et le point L, sous 16, pour le Royaume-Uni:

« Un chômeur qui retourne au Royaume-Uni après l'expiration de la période de trois mois pendant laquelle il a continué à bénéficier de prestations en vertu de ta législation du Royaume-Uni en application de l'article 69, paragraphe 1, du règlement peut prétendre aux prestations de chômage, nonobstant l'article 69, paragraphe 2, s'il satisfait aux conditions fixées par ladite législation. »

( 14 ) La France, par exemple.

( 15 ) Selon l'argumentation présentée par la Commission à l'audience.

( 16 ) Voir à cet égard l'arrêt Tesu e.a., précité (note 7), point 5.

( 17 ) Dispositif de l'arrêt Tesu e.a., précité (note 7).

( 18 ) Voir l'arrêt Testa e.a-, précité (note 7), point 21. C'est nous qui soulignons.

( 19 ) Voir le point 20 ci-dessus.

( 20 ) Conclusions du 7 mars 1990 dans l'affaire Di Conti (arrêt précité, Rec. p. I-1835).

( 21 ) Point 16 de l'arrêt Di Conti, précité (note 3).

( 22 ) Voir point 15 de l'arrêt Di Conti, précité (note 3).

( 23 ) Voir points 12 et 17.

( 24 ) Voir par exemple le cinquième considérant du règlement.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-170/95
Date de la décision : 25/04/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - Belgique.

Sécurité sociale - Prestations de chômage - Article 69, paragraphe 4, du règlement nº 1408/71.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Office national de l'emploi
Défendeurs : Calogero Spataro.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:166

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