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28/03/1996 | CJUE | N°C-246/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 28 mars 1996., Myrianne Coen contre Etat belge., 28/03/1996, C-246/95


Avis juridique important

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61995C0246

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 28 mars 1996. - Myrianne Coen contre Etat belge. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique. - Agent temporaire - Procédure de recrutement - Appel de candidatures auprès des Etats membres - Recours deva

nt les juridictions nationales. - Affaire C-246/95.
Recueil de jurispr...

Avis juridique important

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61995C0246

Conclusions de l'avocat général Fennelly présentées le 28 mars 1996. - Myrianne Coen contre Etat belge. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique. - Agent temporaire - Procédure de recrutement - Appel de candidatures auprès des Etats membres - Recours devant les juridictions nationales. - Affaire C-246/95.
Recueil de jurisprudence 1997 page I-00403

Conclusions de l'avocat général

I - Introduction

1 L'arrêt d'une juridiction nationale est-il susceptible de constituer un fait nouveau de nature à rouvrir les délais permettant à un plaignant de contester, selon les dispositions du statut, une décision de la Commission qu'il n'avait pas contestée dans le délai originaire? Un État membre peut-il soumettre à la Commission une liste de noms de candidats éventuels à un recrutement en qualité d'agents temporaires? Telles sont les questions que le Conseil d'État belge défère à la Cour dans la présente
affaire. La première confine au paradoxe de procédure dans la mesure où la Cour est invitée à se prononcer, par voie préjudicielle, sur la manière dont le Tribunal de première instance devrait trancher ce point dans le cadre d'une éventuelle action future.

II - Faits et procédure

2 En septembre 1993, Mme Myrianne Coen (ci-après la «demanderesse»), fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères belge, a répondu à une annonce insérée par la Commission dans divers journaux nationaux et appelant à des candidatures à des postes de catégorie A dans un certain nombre de domaines. La demanderesse a présenté une candidature le 11 novembre 1993. Bien qu'elle ait fait partie des 42 personnes reçues pour un entretien sur 826 candidats, la demanderesse n'a pas été portée sur la liste
de réserve établie en juin 1994.

3 Dans le cadre de la même procédure de recrutement, la Commission a invité en octobre 1993 les représentations permanentes de chacun des États membres à lui soumettre une liste de trois candidats, de préférence ayant le rang de premier secrétaire d'ambassade ou de conseiller récemment nommé, aux fins d'une nomination comme agents temporaires à la direction générale I A (ci-après la «DG I A»), instituée pour préparer le travail de la Commission dans le domaine des relations politiques extérieures de
la Communauté. Le 24 novembre 1993, le ministre des Affaires étrangères belge a transmis à la représentation permanente, à l'attention de la Commission, une liste de trois noms - dont celui de M. Tanghe.

4 Le 15 décembre 1993, la demanderesse a demandé aux autorités compétentes du ministère des Affaires étrangères de l'inclure sur la liste des candidats recommandés. Sa candidature n'a pas été transmise à la Commission parce qu'elle était intervenue hors délai et que la candidate était d'un grade inférieur au minimum fixé par le ministère pour les candidats recommandés.

5 Le 14 janvier 1994, la demanderesse a engagé une procédure devant le Conseil d'État belge, section d'administration, en vue d'obtenir l'annulation tant de la décision du ministre des Affaires étrangères de proposer trois candidats à une nomination à des postes d'agents temporaires de la DG I A de la Commission que de la décision de ne pas transmettre sa candidature pour les postes en question (ci-après les «décisions contestées»).

6 Les décisions contestées ont été suspendues par arrêt du Conseil d'État du 9 février 1994. La suspension a été levée le 28 mars 1994. Dans son arrêt, le Conseil d'État a estimé que le recours semblait irrecevable, les décisions contestées étant des actes préparatoires qui ne pouvaient être attaqués que dans la mesure où ils s'imposaient à la Commission, ce qui n'était pas le cas.

7 La discussion qui a suivi devant le Conseil d'État concernait essentiellement la question de la compétence. L'État belge soutenait que les décisions contestées s'inséraient dans une procédure conduisant à l'adoption d'une décision communautaire; s'agissant de mesures préparatoires qui ne s'imposaient pas à la Commission, elles étaient dépourvues d'effet juridique et le recours devait être jugé irrecevable. La demanderesse soutenait que la présentation à la Commission d'une liste dont son nom était
absent affectait défavorablement et définitivement ses intérêts en l'excluant de la procédure de recrutement. Elle invoquait l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Oleificio Borelli/Commission (1) à l'appui de la thèse selon laquelle il est un principe général du droit communautaire qui exige que des décisions nationales s'intégrant dans un processus de décision communautaire soient soumises au contrôle juridictionnel et que ce principe serait enfreint si le Conseil d'État se déclarait incompétent
pour examiner les décisions contestées, dans la mesure où elle serait alors privée de toute possibilité d'obtenir un contrôle juridictionnel de ces décisions.

8 C'est dans ce contexte que la demanderesse a proposé au Conseil d'État de déférer à la Cour une question sur le point de savoir si la présentation d'une liste de trois candidats par l'État belge était une décision «dont la légalité pourra être examinée par le Tribunal de première instance et la Cour de justice à l'occasion d'un recours en annulation de la décision de la Commission de nommer l'un de ces trois candidats, cette compétence du Tribunal de première instance et de la Cour excluant dès
lors la compétence du Conseil d'État de Belgique de connaître de la légalité de ce choix et de cette présentation».

9 Le 26 octobre 1994, le Conseil d'État et la demanderesse ont été informés de la nomination de M. Tanghe à un emploi d'agent temporaire de la Commission, avec effet au 16 septembre 1994.

10 Dans son rapport au Conseil d'État du 16 novembre 1994, l'auditeur, Mme Debusschere, a émis l'opinion que le Conseil d'État, conformément à la jurisprudence Oleificio Borelli/Commission, était tenu de vérifier la légalité des décisions contestées si elles s'imposaient à la Commission. Comme ce n'était pas le cas, l'auditeur a conclu que le recours était irrecevable en ce qu'il ne visait que des actes préparatoires. Toutefois, eu égard à l'absence de recours contre les décisions du Conseil d'État,
il a aussi conclu que la question proposée par la demanderesse soit déférée à la Cour, en application de l'article 177 du traité.

11 A l'audience du 31 mai 1995, la demanderesse a déclaré que la décision future du Conseil d'État sur son recours était susceptible de constituer un fait nouveau qui entraînerait une réouverture du délai d'introduction, devant le Tribunal de première instance, d'un recours contre la nomination de M. Tanghe.

12 Par arrêt du 14 juin 1995, la sixième chambre du Conseil d'État belge a déféré les questions suivantes à la Cour:

«L'article 173, alinéa 5, du Traité de Rome doit-il être interprété en ce sens que le délai de deux mois qu'il établit pour attaquer une décision de la Commission est susceptible d'être rouvert par l'effet d'une décision rendue par une juridiction d'un État membre, dont il résulterait qu'un acte de cet État serait irrégulier, quand cet acte a pu exercer une influence sur la décision de la Commission à attaquer?»

[Dans l'éventualité d'une réponse affirmative à cette question...]

«La demande de présentation de candidats à des emplois dans l'administration de la Commission des Communautés européennes, formulée au cours d'une réunion des représentants permanents et du secrétaire général de la Commission, et adressée directement aux États membres, sans autre forme de publicité, ou en marge d'une procédure de recrutement annoncée au Journal officiel, est-elle valable, particulièrement au regard des règles qui régissent le recrutement des agents et fonctionnaires de la
Commission?»

III - Observations des parties

13 La demanderesse, le gouvernement belge et la Commission ont présenté des observations. Celles-ci peuvent être résumées ainsi qu'il suit.

14 Selon la demanderesse, la procédure au principal vise à contester le droit pour un État membre de présenter et de soutenir des candidats à une nomination en qualité d'agents de la Commission; si le Conseil d'État devait annuler les décisions contestées, la demanderesse pourrait réclamer des dommages et intérêts par recours séparé devant les juridictions civiles belges. La référence à l'article 173 du traité doit s'entendre comme une référence à l'article 179 du traité ainsi qu'aux articles 90 et
91 du statut, qui régissent la compétence de la Cour en matière de litiges entre les institutions et les personnes auxquelles le statut s'applique, en ce compris les candidats à des postes communautaires. Selon elle, il convient de répondre à la première question qu'un fait nouveau substantiel peut entraîner la réouverture des délais fixés aux articles 90 et 91 du statut et justifier l'examen d'un recours contre une décision qui n'avait pas été contestée dans les délais impartis.

15 Quant à la seconde question, la demanderesse soutient que l'indépendance de la fonction publique européenne, principe général essentiel du droit, et l'autonomie du droit communautaire visent à prévenir les ingérences de tout État membre ou de tout autre tiers dans l'action des institutions communautaires. Elle invoque les articles 11 et 27 du statut ainsi que l'affaire Costa (2) et conclut que l'autorité investie du pouvoir de nomination n'était pas en droit de réserver un poste à un
ressortissant de tel ou tel État membre et que la Commission a tenu compte des candidatures présentées par le ministère des Affaires étrangères belge (et nommé l'une des personnes présentées), portant par là atteinte à l'objectivité que devrait nécessairement présenter la décision de nommer des fonctionnaires à la DG I A. Selon elle, les décisions de la Commission ont donc été prises en violation des principes d'autonomie et d'indépendance ainsi que du statut.

16 Le gouvernement belge relève que la demanderesse n'a pas introduit de réclamation dans les conditions prévues par le statut (même si ce point n'a aucune incidence sur la procédure devant le Conseil d'État), que le respect des délais fixés par le traité est d'ordre public et que la réouverture des délais n'est justifiée d'aucune manière.

17 La Commission observe, elle aussi, que la demanderesse n'a introduit ni de réclamation au titre du statut ni de recours devant le Tribunal de première instance aux fins de contester soit la nomination de M. Tanghe soit la décision de la Commission de ne pas la nommer à un poste. Le respect des délais fixés par les articles 90 et 91 du statut est d'ordre public et destiné à garantir que les décisions administratives puissent être considérées comme définitives à l'égard des personnes concernées une
fois le délai de recours expiré. La Commission ajoute que l'arrêt d'une juridiction, que ce soit une juridiction nationale ou la Cour de justice, ne saurait être considéré comme un «fait nouveau» et que rien dans le dossier ne justifierait la réouverture des délais applicables. Elle propose donc de répondre par la négative à la première question.

18 Tout en remarquant que la réponse qu'elle propose pour la première question rendrait sans objet d'examiner la seconde question, la Commission poursuit en éclairant les circonstances de son appel aux pays membres. Il était évident que les services diplomatiques des États membres disposeraient d'un grand nombre de candidats ayant l'expérience nécessaire pour être nommés à des postes temporaires à la DG I A. De plus, dans une lettre à la demanderesse du 22 mars 1994, le directeur général du
personnel et de l'administration de la Commission a déclaré que la présentation de listes nationales de candidats que la requérante contestait devant le Conseil d'État était dépourvue d'incidence tant sur l'examen des très nombreuses candidatures reçues par la Commission que sur les nominations à effectuer. Les listes de candidats transmises par les États membres s'ajoutaient aux candidatures reçues à la suite des annonces parues dans la presse, soit au total 826 candidats, sur lesquels 16 ont été
retenus. La Commission conclut qu'un candidat malheureux qui néglige les voies de recours fournies par le statut et par le traité ne saurait être admis à remédier à cette omission par le biais d'une question préjudicielle soumise en vertu de l'article 177 du traité.

IV - Examen des questions de la juridiction nationale

19 Même si la première question a trait à l'interprétation du cinquième paragraphe de l'article 173 du traité, il est évident que la compétence de la Cour dans le cas d'un litige (éventuellement à venir) entre la demanderesse et la Commission relèverait de l'article 179 du traité, l'article 173 n'étant pas pertinent en l'espèce. Les conditions d'exercice de cette compétence sont définies aux articles 90 à 91 bis du statut, lesquels sont appliqués par analogie au personnel temporaire, conformément à
l'article 73 du régime applicable aux autres agents. Selon une jurisprudence ancienne, «non seulement les personnes qui ont la qualité de fonctionnaire ou agent autre que local, mais aussi celles qui revendiquent ces qualités peuvent attaquer devant la Cour une décision leur faisant grief» (3). Selon l'article 3, paragraphe 1, sous a), de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (4), cette compétence
est exercée en première instance par le Tribunal.

20 La première question déférée par la juridiction nationale est fondée sur la prémisse explicite que «la requérante n'aurait pas intérêt à obtenir du Conseil d'État l'annulation des présentations attaquées, qui ne pourrait lui procurer aucune chance d'obtenir la nomination» si les délais ne pouvaient être rouverts (5). Ce point de vue est confirmé par les termes exprès de l'ordonnance de renvoi où il est dit que la seconde question ne se pose que si la première question appelle une réponse
affirmative. Partant, l'unique objet de la première question déférée est de déterminer si la demanderesse peut demander à la Commission de reconsidérer sa décision de nommer M. Tanghe, et cela malgré l'expiration du délai fixé par le statut.

21 Il est constant en l'espèce que la demanderesse a eu connaissance de la nomination de M. Tanghe le 26 octobre 1994. Cette décision n'a fait l'objet dans les trois mois de sa notification d'aucune réclamation en application de l'article 90, paragraphe 2, du statut, de même que la demanderesse n'a entrepris aucune autre action contre la Commission depuis lors.

22 La demanderesse invoque un certain nombre d'arrêts de la Cour et du Tribunal de première instance attestant que l'apparition de faits nouveaux substantiels est susceptible de justifier le dépôt par une personne lésée d'une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut aux fins d'obtenir que l'institution réexamine une décision qui n'avait pas été contestée dans les délais applicables (6). La première question vise donc le point de savoir si l'arrêt d'une juridiction nationale est
susceptible de constituer un tel «fait nouveau substantiel», lorsque les décisions dont l'annulation est demandée devant la juridiction nationale peuvent avoir influencé la décision de nomination de la Commission.

23 En l'espèce, la Cour est invitée à interpréter un ensemble de règles de procédure qui n'auraient aucune incidence perceptible sur la procédure au principal. En pareil cas, la Cour devrait, selon nous, rechercher à titre préalable si elle est compétente pour répondre à cette question.

24 Il est exact, ainsi que la Cour l'a constaté dans l'affaire Dzodzi, que «dans le cadre de la répartition des fonctions juridictionnelles entre les juridictions nationales et la Cour, prévue par l'article 177, la Cour statue à titre préjudiciel sans qu'elle ait, en principe, à s'interroger sur les circonstances dans lesquelles les juridictions nationales ont été amenées à lui poser les questions et se proposent de faire application de la disposition de droit communautaire qu'elles lui ont demandé
d'interpréter» (7). Poursuivant, la Cour indique toutefois qu'«il n'en irait différemment que dans les hypothèses où soit il apparaîtrait que la procédure de l'article 177 a été détournée de son objet et tend, en réalité, à amener la Cour à statuer par le biais d'un litige construit, soit il serait manifeste que la disposition de droit communautaire soumise à l'interprétation de la Cour ne peut trouver à s'appliquer» (8). De même, la Cour s'est toujours estimée incompétente pour statuer à titre
préjudiciel «s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation du droit communautaire .... demandée par la [juridiction nationale], n'[a] aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal» (9).

25 Il est clair que relève du droit communautaire le point de savoir si un arrêt rendu par une juridiction nationale est susceptible de constituer un fait nouveau de nature à avoir un effet sur l'obligation pour l'institution d'examiner une demande tendant à ce qu'elle reconsidère une décision antérieure affectant la personne lésée. Dans les conditions assez particulières du présent cas, toutefois, nous ne pensons pas que ce fait suffise à lui seul à fonder la compétence de la Cour.

26 Premièrement, le seul objet déclaré de la première question déférée est de déterminer si la demanderesse peut obtenir que soit écartée l'expiration du délai de recours contre une décision de nomination prise par la Commission qu'elle reconnaît n'avoir pas contestée en temps utile. Cela ne nous semble pas conforme à l'objet réel de l'article 177 qui est de fournir aux juridictions nationales des décisions sur l'interprétation (et, s'agissant de la législation dérivée, la validité) de dispositions
de droit communautaire que les juridictions nationales doivent alors appliquer aux faits dont elles sont saisies. Si, en général, la Cour est invitée à interpréter des dispositions de droit communautaire susceptibles d'être appliquées aux rapports juridiques entre les parties de l'affaire au principal, elle peut être aussi sollicitée, en application de l'article 177 du traité, de fournir des interprétations de dispositions de droit communautaire tant de procédure (10) que du fond (11), susceptibles
d'affecter la question de la compétence de la juridiction nationale à statuer sur l'affaire dont elle est saisie; en pareil cas, il est possible de dire que la juridiction nationale applique l'interprétation fournie plutôt que les dispositions elles-mêmes. En l'espèce, quelle que soit l'interprétation qui leur est donnée, les dispositions de droit communautaire qui font l'objet de la question ne sont pas susceptibles d'affecter la compétence de la juridiction nationale, et celle-ci n'est donc pas en
mesure d'appliquer l'interprétation de la Cour.

27 Le défaut de compétence de la Cour quant à la première question est illustré par le fait qu'elle ne saurait donner aucune réponse susceptible d'influer sur la validité des décisions contestées. La question de fond portée devant la juridiction belge est de savoir si la participation par l'État belge à la nomination de certains agents temporaires à la Commission était incompatible avec le droit communautaire. Sur ce point, le Conseil d'État a décidé que «la compétence du gouvernement belge pour
procéder à des présentations .... dépend de la régularité de la procédure de nomination dont la Commission a pris l'initiative». Sur la question de la compétence, il a décidé de n'examiner la validité des décisions contestées que «dans l'hypothèse où la requérante aurait la possibilité d'obtenir l'annulation de la nomination de M. Tanghe par le Tribunal de première instance des Communautés européennes».

28 Il est clair, en droit communautaire, que la compétence du Conseil d'État pour statuer sur la validité des décisions contestées n'a aucun rapport avec la recevabilité d'une action que la demanderesse pourrait souhaiter engager à l'encontre de la Commission. Sur la suggestion de la demanderesse, le Conseil d'État semble avoir été guidé, en déférant les présentes questions, par la nécessité d'éviter d'enfreindre ce que l'avocat général M. Darmon décrivait dans l'affaire Oleificio Borelli/Commission
comme «le principe du droit au juge», qu'il définissait ainsi: «un particulier qui s'estime lésé par un acte qui le prive d'un droit ou d'un avantage tiré de la réglementation communautaire doit pouvoir bénéficier d'un recours contre cet acte et bénéficier d'une protection juridique complète» (12). D'après lui, une mesure nationale qui lèse définitivement le demandeur sur le plan juridique doit être susceptible d'être contrôlée sur le plan national.

29 Dans l'arrêt rendu dans cette affaire, la Cour a jugé que, dès lors qu'une mesure nationale «est insérée dans une procédure qui conduit à l'adoption d'une décision communautaire .... il appartient ... aux juridictions nationales de statuer, le cas échéant après renvoi préjudiciel à la Cour, sur la légalité de l'acte national en cause dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de faire grief à des
tiers, et, par conséquent, de considérer comme recevable le recours introduit à cette fin, même si les règles de procédure interne ne le prévoient pas en pareil cas» (13).

30 Il eut été loisible en l'espèce à la juridiction de renvoi de vérifier la conformité des décisions litigieuses au droit communautaire et, notamment, aux dispositions du statut applicables au cas de la demanderesse, et, si cela lui était nécessaire pour rendre son arrêt, de demander à la Cour de se prononcer à titre préjudiciel sur tout point de droit communautaire; tel semble être, en effet, l'objet de la seconde question. Si les parties sont en désaccord sur le point de savoir si le Conseil
d'État est tenu, selon la jurisprudence Oleificio Borelli/Commission, d'exercer sa compétence dans la procédure au principal, il n'y a par ailleurs entre elles aucun litige sur le point de savoir si l'arrêt du Conseil d'État aurait pour effet de rouvrir les délais fixés par le statut; il semble que le Conseil d'État ait soulevé ce point de son propre chef dans l'ordonnance de renvoi. En pareil cas, on ne saurait dire qu'une décision de la Cour sur ce point «répond[e] à un besoin objectif inhérent à
la solution [du] contentieux» porté devant la juridiction de renvoi (14).

31 Les raisons de la première question nous paraissent hypothétiques à un double titre et semblent reposer sur un argument dont la conclusion ramène à la prémisse. Premièrement, la question participe de la prémisse que, à quelque date future, la demanderesse engagera une action devant le Tribunal aux fins d'obtenir l'annulation de la décision de la Commission de nommer M. Tanghe. Incidemment, cette hypothèse suppose en outre qu'elle aura alors introduit auprès de la Commission au titre de l'article
90, paragraphe 2, du statut, une réclamation restée infructueuse. Deuxièmement, il faut supposer que, à cette date, elle aura eu gain de cause dans son recours devant le Conseil d'État belge. Or, cette dernière hypothèse suppose à son tour qu'elle aura obtenu une réponse dans le sens qu'elle préconisait aux deux questions déférées.

32 Le Conseil d'État fait donc dépendre l'issue de l'affaire au principal des effets de son arrêt, non encore rendu, sur l'application de dispositions de droit communautaire qui ne peuvent être invoquées que si cet arrêt est favorable au demandeur. La jurisprudence de la Cour indique clairement qu'elle ne peut fournir des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques ou sur des questions qui n'aideraient pas la juridiction nationale à résoudre le cas dont elle est saisie (15).
Selon nous, cette jurisprudence s'applique à la présente affaire.

33 Le caractère tout à fait hypothétique, voire construit, de cette question ressort en outre du fait que, si la Cour devait lui apporter une réponse dans le cadre de la présente demande préjudicielle, elle empiéterait sur la compétence du Tribunal pour trancher le même point en première instance dans un éventuel litige futur entre la Commission et la demanderesse. En pareil cas, le Tribunal pourrait examiner tout motif dûment présenté à lui et tendant à contester la validité de la décision de
nomination prise par la Commission. Au nombre de ces moyens pourrait figurer l'allégation que la participation des États membres à la procédure de sélection des candidats est contraire au statut ou à tout principe général de droit communautaire, et que, partant, la validité de la décision de la Commission s'en est trouvée viciée; la question de la participation des États membres à la procédure de nomination, qui n'est pas expressément prévue dans le statut, est manifestement très différente de celle
de la validité quant au fond de mesures, prises par un État membre, qui s'insèrent dans une procédure particulière de décisions communautaires, ainsi que c'était le cas dans l'affaire Oleificio Borelli/Commission. La validité des nominations de fonctionnaires par les institutions communautaires, et, a fortiori, la possibilité d'attaquer ultérieurement pareilles nominations, sont des questions qui relèvent de la compétence du Tribunal, juridiction désignée pour assurer cette fonction confiée à la
Cour de justice par les traités. Selon nous, il conviendrait que la Cour de justice n'anticipe pas sur la décision que le Tribunal prendrait dans une éventuelle action future.

34 Il est exact que la juridiction de renvoi a estimé que, du point de vue du droit national, la réponse de la Cour à cette question aura une incidence sur l'intérêt de la demanderesse à obtenir l'annulation des décisions litigieuses et que la détermination de l'intérêt qu'un demandeur peut avoir à l'annulation de pareilles décisions relève du droit national. A cet égard, il convient de citer le passage suivant de l'arrêt rendu par la Cour dans la seconde affaire Foglia:

«Si la Cour doit pouvoir s'en remettre de la façon la plus large à l'appréciation du juge national en ce qui concerne la nécessité des questions qui lui sont adressées, elle doit être mise en mesure de porter toute appréciation inhérente à l'accomplissement de sa propre fonction, notamment en vue de vérifier ... sa propre compétence. Elle ne peut donc ... rester indifférente à l'égard des appréciations portées par les juridictions des États membres dans les cas exceptionnels où celles-ci pourraient
avoir une incidence sur le fonctionnement régulier de la procédure prévue par l'article 177» (16).

35 Il nous semble qu'il y a justement pareil cas exceptionnel lorsque l'appréciation par la juridiction de renvoi de la pertinence de la question soumise à la Cour est incompatible, pour les raisons exposées ci-dessus, avec le rôle que l'article 177 attribue à cette dernière. Nous ajoutons que, ainsi que la Cour l'a aussi relevé dans l'affaire Foglia, «une déclaration d'incompétence dans une telle hypothèse ne porte en rien atteinte aux prérogatives du juge national mais permet d'éviter
l'utilisation de la procédure de l'article 177 à des fins autres que celles qui lui sont propres» (17).

36 A la lumière de ce qui précède, nous estimons que la Cour n'est pas compétente pour répondre à la première question.

37 Si la Cour ne souhaitait pas suivre cette analyse de sa compétence dans la présente affaire, nous proposerions de répondre par la négative à la première question du Conseil d'État. La demanderesse conteste ici deux décisions des autorités nationales qui, selon elle, ont constitué des actes préparatoires à la nomination de M. Tanghe par la Commission et l'ont invalidée, et cela dans le but exclusif de contester cette nomination. Si l'on devait considérer que la décision d'une juridiction nationale
constitue pareil fait nouveau, la demanderesse aurait la faculté d'éluder les délais fixés par le statut dont l'application, conformément à la jurisprudence établie de la Cour, est d'ordre public (18). Au surplus, ainsi que la Commission le relève, les faits pertinents dans le litige, encore hypothétique, entre la demanderesse et la Commission étaient connus de la première depuis au moins le 26 octobre 1994 et n'ont évolué d'aucune manière ensuite. Si la Cour a reconnu qu'«un arrêt portant
annulation d'un acte administratif ... peut constituer un fait nouveau ... à l'égard des personnes concernées directement par l'acte annulé» (19), il est clair que les juridictions nationales n'ont pas le pouvoir d'annuler des mesures prises par les institutions communautaires.

38 Les questions de principe qui se posent en l'espèce sont identiques sur un certain nombre de points importants à celles soulevées dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf (20). Dans cette affaire, la partie demanderesse contestait devant la juridiction nationale, pour défaut de conformité au traité, des mesures nationales mettant en oeuvre une décision de la Commission constatant l'incompatibilité avec le marché commun de certaines aides accordées à la demanderesse par les autorités allemandes
et ordonnant leur recouvrement. Elle n'avait pu contester cette décision au titre de l'article 173 du traité. La Cour a jugé ce qui suit:

«En effet, admettre que, dans de telles circonstances, l'intéressé puisse s'opposer, devant la juridiction nationale, à l'exécution de la décision en se fondant sur l'illégalité de celle-ci reviendrait à lui reconnaître la faculté de contourner le caractère définitif que revêt à son égard la décision après l'expiration des délais de recours» (21).

39 Dans la procédure au principal dans la présente affaire, ce que conteste en l'espèce la demanderesse, ce n'est pas la mise en oeuvre d'une décision de la Commission, mais des actes des autorités nationales antérieurs à son adoption, dont il est prétendu qu'ils ont influé sur la teneur de la décision et, partant, en ont affecté la validité. De même que la partie demanderesse dans l'affaire TWD Textilwerke Deggendorf, la partie demanderesse dans la présente affaire tente d'utiliser une procédure
nationale aux fins d'éluder les conséquences de l'expiration du délai pour l'engagement d'une action directe, alors que la recevabilité de pareille action n'était pas douteuse dans son principe. En pareil cas, nous ne pensons pas qu'il devrait être permis à un demandeur de contester indirectement la conformité au droit communautaire de décisions qu'il n'a pas contestées directement.

40 La juridiction de renvoi a déclaré explicitement que la seconde question ne se pose que si la réponse à la première question est affirmative. Compte tenu de notre proposition de réponse à cette première question, et conformément à la suggestion expresse de la juridiction de renvoi, nous recommandons à la Cour de ne pas répondre à la seconde question.

41 Au cas où la Cour jugerait néanmoins devoir répondre à la seconde question, nous estimons que, en invitant subsidiairement les États membres à présenter des candidatures dans le cadre d'une procédure générale de recrutement, la Commission n'a pas enfreint les dispositions applicables du droit communautaire. Notamment, la demanderesse n'a pas démontré de violation de l'article 11 du statut, qui s'applique par analogie au personnel temporaire en vertu de l'article 11 du régime applicable aux autres
agents. Elle n'a pas montré non plus de quelle manière l'article 27 du statut, sur lequel elle a particulièrement insisté, pourrait s'appliquer au personnel temporaire, ou comment les dispositions équivalentes du régime applicable aux autres agents, et notamment l'article 12, paragraphe 1, auraient été violées.

V - Conclusion

42 A la lumière de ce qui précède, nous recommandons à la Cour de répondre ce qui suit aux questions présentées par le Conseil d'État belge:

La Cour n'est pas compétente dans le cadre de la procédure de l'article 177 pour juger si la décision d'une juridiction d'un État membre est susceptible d'entraîner la réouverture du délai pour un éventuel recours futur destiné à contester la validité d'une décision de la Commission de nommer un agent temporaire, dès lors que la juridiction nationale fait dépendre sa décision d'une interprétation de dispositions du droit communautaire qui ne sont pas susceptibles d'affecter sa compétence, et alors
que la juridiction nationale n'est pas en mesure, pour cette raison, d'appliquer cette interprétation.

(1) - Arrêt du 3 décembre 1992 (C-97/91, Rec. p. I-6313).

(2) - Arrêt du 15 juillet 1964 (6/64, Rec. p. 1141).

(3) - Arrêt du 13 juillet 1989, Alexis e.a./Commission (286/83, Rec. p. 2445, point 9).

(4) - JO L 319, p. 1; corrigenda, JO 1989, L 241, p. 4.

(5) - Ainsi qu'il est dit au point 14 des présentes conclusions, la demanderesse a fait mention d'un intérêt différent à obtenir l'annulation des décisions attaquées dans ses observations à la Cour, à savoir la possibilité de réclamer des dommages et intérêts.

(6) - Arrêts du 12 juillet 1973, Tontodonati/Commission (28/72, Rec. p. 779); du 18 juin 1981, Blasig/Commission (173/80, Rec. p. 1649); du 1er décembre 1983, Blomefield/Commission (190/82, Rec. p. 3981); du 30 mai 1984, Aschermann e.a./Commission (326/82, Rec. p. 2253); du 26 septembre 1985, Valentini/Commission (231/84, Rec. p. 3027), et du 28 avril 1994, Cucchiara e.a./Commission (T-35/93, RecFP p. I-A-127 et II-413).

(7) - Arrêt du 18 octobre 1990, (C-297/88 et C-197/89, Rec. p. I-3763, point 39).

(8) - Arrêt précité note 7, point 40.

(9) - Arrêt du 11 juillet 1991, Crispoltoni (C-368/89, Rec. p. I-3695, point 11).

(10) - Arrêts du 27 mai 1981, Essevi et Salengo [142/80 et 143/80, Rec. p. 1413, points 13 à 18 (article 169 du traité)], et du 14 décembre 1982, Waterkeyn e.a. [314/81, 315/81, 316/81 et 83/82, Rec. p. 4337, points 13 à 16 (article 171 du traité)].

(11) - Arrêt du 22 mars 1990, Le Pen [C-201/89, Rec. p. I-1183, points 8 à 11 (article 1er du protocole de 1965 sur les privilèges et immunités, ainsi que les articles 178 et 183 du traité)].

(12) - Affaire précitée note 1, point 31 des conclusions.

(13) - Ibidem, points 10 et 13 de l'arrêt.

(14) - Arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (C-244/80, Rec. p. 3045, point 18).

(15) - Arrêts du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C-343/90, Rec. p. I-4673, point 17); Meilicke (C-83/91, Rec. p. I-4871, point 25), et du 9 février 1995, Leclerc-Siplec (C-412/93, Rec. p. I-179, point 12).

(16) - Arrêt précité note 14, point 19.

(17) - Ibidem, point 18.

(18) - Voir, par exemple, l'arrêt du 12 juillet 1984, Moussis/Commission (227/83, Rec. p. 3133, point 12).

(19) - Arrêt du 8 mars 1988, Brown/Cour de justice (125/87, Rec. p. 1619, point 13).

(20) - Arrêt du 9 mars 1994 (C-188/92, Rec. p. I-833).

(21) - Ibidem, point 18 de l'arrêt; voir aussi les points 13 à 26 des conclusions de l'avocat général M. Jacobs dans la même affaire.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-246/95
Date de la décision : 28/03/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.

Agent temporaire - Procédure de recrutement - Appel de candidatures auprès des Etats membres - Recours devant les juridictions nationales.

Dispositions institutionnelles

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Myrianne Coen
Défendeurs : Etat belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Fennelly
Rapporteur ?: Schintgen

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:154

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