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14/03/1996 | CJUE | N°C-76/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 14 mars 1996., Commission des Communautés européennes contre Royale belge SA., 14/03/1996, C-76/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 14 mars 1996 ( *1 )

I — Introduction

1. Le présent litige porte, en substance, sur l'opposabilité de l'exception d'inexécution de la part des sociétés d'assurances défenderesses face à la demande d'exécution que la Commission a formée à propos du contrat qu'elle a conclu avec lesdites sociétés.



II — Les circons...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 14 mars 1996 ( *1 )

I — Introduction

1. Le présent litige porte, en substance, sur l'opposabilité de l'exception d'inexécution de la part des sociétés d'assurances défenderesses face à la demande d'exécution que la Commission a formée à propos du contrat qu'elle a conclu avec lesdites sociétés.

II — Les circonstances de l'affaire

2. Les Communautés européennes ont conclu le 28 janvier 1977 avec les huit compagnies d'assurances défenderesses dans la présente affaire une convention d'assurance (ci-après la « convention ») destinée à couvrir les conséquences pécuniaires découlant pour les Communautés de l'application de l'article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») et des dispositions adoptées en exécution de cet article.

L'article 3.1 de la convention prévoit que la Communauté conviendra avec les assureurs des dispositions d'application touchant les informations sur les accidents et maladies professionnelles, ainsi que leur gestion administrative, pour permettre aux assureurs de suivre l'évolution des cas individuels et de leur faciliter l'exercice éventuel des recours contre les tiers responsables et la constitution des réserves prudentielles prévues par la loi.

L'article 3.3 de la convention ajoute que « les projets de décision pouvant entraîner l'octroi d'une des garanties (frais médicaux — invalidité — décès) sont, selon les dispositions pratiques visées à l'article 3.1, communiqués pour avis aux assureurs avant notification aux intéressés par l'autorité compétente des Communautés ».

L'article 5 de la convention prévoit que les litiges éventuels relatifs à l'exécution de la convention sont, à défaut de règlement amiable, déférés à la Cour de justice des Communautés européennes. Le même article 5 dispose, en outre, que les assureurs renoncent à recourir aux voies de droit sur les litiges de nature médicale, pour autant que la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l'« AIPN ») portant sur la liquidation des droits pécuniaires de l'intéressé soit
conforme à l'avis exprimé par les experts des assureurs ou à l'avis émis par la commission médicale prévue à l'article 23 de la réglementation d'application précitée, et pour autant que l'expert désigné par les assureurs ait fait partie du collège médical composant ladite commission. Si ces conditions sont remplies, les assureurs remboursent aux Communautés le montant total des sommes qu'elles ont versées à la victime ou à ses ayants droits à la suite de la décision précitée de l'AIPN.

L'article 10.2 de la convention désigne la société J. Van Breda & Co. International (ci-après « Van Breda ») comme intermédiaire entre les Communautés et les assureurs.

3. Une lettre du 27 janvier 1989 adressée par Van Breda aux Communautés européennes confirme l'accord intervenu entre les assureurs et les Communautés sur les modalités d'application de la convention à partir du 1er février 1989.

Le point II de la lettre en question dispose que le projet de décision, communiqué préalablement aux assureurs pour avis conformément à l'article 3.3 de la convention, fait l'objet d'un accord ou d'un désaccord de leur part dans le délai le plus court possible. La même lettre précise que les assureurs font de leur mieux pour confirmer leur accord ou leur désaccord sur le projet de décision dans le mois de la transmission dudit projet à l'intermédiaire.

Le point II de la lettre ajoute que si, à l'expiration du délai d'un mois, les assureurs n'ont pas encore pris position sur le projet, ils en communiquent la raison à l'AIPN. Le délai est alors prorogé d'un mois. Si les assureurs ne sont pas encore en mesure de communiquer leur position avant l'expiration du délai prorogé, ils proposent à l'AIPN et à l'intermédiaire l'ouverture d'une procédure de concertation pour fixer les modalités à suivre et un nouveau délai qui ne peut excéder quatre mois.

4. M. L, fonctionnaire de la Commission, a demandé le 26 novembre 1990 que les deux affections qu'il avait contractées lorsqu'il était en service auprès de la Communauté soient reconnues comme maladies professionnelles, conformément au statut. Selon ce fonctionnaire, les deux affections provenaient du fait qu'il avait été exposé à l'amiante dans les locaux du bâtiment de la Commission, appelé le Berlaymont, à Bruxelles.

5. Le docteur Dalem, médecin désigné le 21 juin 1991 par la Commission en accord avec les assureurs et chargé de rendre un avis médical sur la déclaration éventuelle de l'origine professionnelle de la maladie, a demandé une expertise au professeur Bartsch, spécialiste en pneumologie.

Le professeur Bartsch a transmis son expertise le 3 février 1992 en excluant l'origine professionnelle de l'affection. Le docteur Dalem a donc rédigé son propre rapport, conformément à cet avis, le 14 février 1992.

Se fondant sur ces éléments, l'AIPN a notifié le 17 février 1992 à M. L le projet de décision par laquelle elle rejetait sa demande destinée à reconnaître l'origine professionnelle de l'affection. En conséquence, M. L a demandé le 23 février 1992 l'avis de la commission médicale et, le 16 septembre 1992, il a désigné le docteur Cognigni comme membre de ladite commission. Le 8 décembre 1992, l'AIPN a désigné à son tour, sur proposition des assureurs, le professeur Brochard comme membre de la même
commission. Les deux membres ainsi nommés ont désigné, le 29 janvier 1993, le professeur Maltoni comme troisième membre du collège médical.

6. Le rapport de la commission médicale, adopté à la majorité de ses membres le 25 février et envoyé à l'AIPN le 1er mars 1994, reconnaît à l'affection contractée par M. L le caractère de maladie professionnelle. Le même rapport constate en outre l'invalidité permanente totale (100 %) et fixe une indemnité de 30 % en raison des cicatrices permanentes et des graves troubles psychologiques liés à l'affection. Le professeur Brochard a néanmoins formulé un avis divergent dans un rapport envoyé le 3 mars
1994. L'AIPN a transmis les deux rapports à Van Breda, respectivement le 10 et le 18 mars 1994.

7. Van Breda a fait savoir à l'AIPN le 23 mars 1994 que les documents transmis étaient à l'étude auprès des assureurs. Par lettre ultérieure du 29 mars, Van Breda a informé l'AIPN que les assureurs entendaient poser d'autres questions aux membres de la commission médicale. Dans la même lettre, Van Breda a signalé avoir insisté auprès des assureurs pour qu'ils fassent connaître le contenu de ces questions le plus rapidement possible. La lettre avertissait les assureurs que, à partir de ce moment,
commençait à courir le délai supplémentaire d'un mois prévu par la convention.

Une lettre ultérieure envoyée par Van Breda le 8 avril 1994 à la partie requérante mentionnait les points sur lesquels les assureurs désiraient interroger de nouveau la commission médicale. Par ailleurs, la lettre faisait état de l'intention des assureurs de nommer un médecin, confrère du docteur Dalem, pour formuler ces questions. Van Breda concluait la lettre en affirmant avoir demandé aux assureurs de transmettre leur questionnaire avant le 29 avril 1994, en respectant les délais prévus par la
convention, pour que l'institution requérante puisse formuler ses questions en conséquence.

Le 15 avril 1994, l'AIPN a informé M. L. que la commission médicale avait constaté l'origine professionnelle de l'affection en lui reconnaissant, à titre définitif, un taux d'invalidité permanente totale de 130 %. La Commission a donc versé à M. L la somme de 25794194 BFR qui lui était due en application de la décision ayant reconnu l'invalidité professionnelle.

8. La Commission a donc écrit à Van Breda le 6 mai 1994 en l'informant qu'elle avait versé l'indemnité en question à M. L, conformément aux conclusions de la commission médicale.

9. Un échange de correspondance a eu lieu à partir de cette date entre la Commission et Van Breda, à la suite duquel les assureurs ont refusé, par lettre du 13 octobre 1994, de payer à la Commission la somme versée par celle-ci à M. L. La position des assureurs était confortée par un avis juridique joint à la lettre de Van Breda et daté du 6 septembre 1994, rendu par un conseiller juridique des assureurs.

10. C'est dans ces circonstances que, par recours déposé le 13 mars 1995, la Commission a attaqué les assureurs devant la Cour en vertu de la clause compromissoire prévue par la convention et a demandé que les parties défenderesses soient condamnées au paiement des sommes déjà liquidées à M. L, des intérêts moratoires sur lesdites sommes à compter du 6 mai 1994 et des dépens.

11. Les parties défenderesses, représentées aux fins du présent litige par la SA Royale belge, ont demandé à ce qu'il plaise à la Cour par mémoire déposé le 22 mai 1995 de rejeter le recours de la Commission comme irrecevable ou, à tout le moins, comme non fondé, et de condamner la partie requérante aux dépens. Les parties défenderesses demandent en outre à titre subsidiaire à ce qu'il plaise à la Cour de dire la demande de la Commission irrecevable ou, à tout le moins, non fondée pour la partie qui
concerne le paiement de l'indemnité excédant 100 %.

III — Les dispositions en cause

12. L'article 73, paragraphes 1 et 2, sous b), du statut dispose que:

«1. Dans les conditions fixées par une réglementation établie d'un commun accord des institutions des Communautés, après avis du comité du statut, le fonctionnaire est couvert, dès le jour de son entrée en service, contre les risques de maladie professionnelle et les risques d'accident...

2. ...

b) en cas d'invalidité permanente totale:

paiement à l'intéressé d'un capital égal à huit fois son traitement de base annuel calculé sur la base des traitements mensuels alloués pour les douze mois précédant l'accident ».

13. La réglementation relative à la couverture des risques d'accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes, adoptée en exécution de l'article 73, paragraphe 1, du statut, prévoit ce qui suit:

Article 12:

«1. En cas d'invalidité permanente totale du fonctionnaire résultant d'un accident ou d'une maladie professionnelle, le capital prévu à l'article 73 paragraphe 2 point b) du statut lui est versé.

2. En cas d'invalidité permanente partielle du fonctionnaire résultant d'un accident ou d'une maladie professionnelle, le capital déterminé en fonction des taux prévus au barème d'invalidité figurant en annexe lui est versé. »

Article 14:

« Sur avis des médecins-conseils visés à l'article 19 ou de la commission médicale visée à l'article 23, une indemnité est accordée au fonctionnaire pour toute lésion ou défiguration permanente qui, tout en n'affectant pas sa capacité de travail, constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne et crée un préjudice réel à ses relations sociales.

Cette indemnité est déterminée par analogie avec les taux prévus aux barèmes d'invalidité visés à l'article 12. Lorsque les dommages esthétiques sont inhérents à une lésion anatomo-fonctionnelle, une augmentation appropriée de ces taux est accordée. »

Le dernier alinéa du barème des taux d'invalidité figurant en annexe à la réglementation prévoit:

« L'indemnité totale résultant de plusieurs invalidités provenant du même accident s'obtient par addition, sans pouvoir dépasser ni le capital intégral assuré pour l'invalidité permanente ou totale, ni la somme partielle assurée pour la perte totale ou la perte complète de l'usage du membre ou de l'organe lésé. »

Article 19:

« Les décisions relatives à la reconnaissance de l'origine accidentelle d'un événement, y compris son attribution aux risques résultant soit du travail, soit de la vie privée, ou à la reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie ainsi qu'à la fixation du degré d'invalidité permanente, sont prises par l'autorité investie du pouvoir de nomination suivant la procédure prévue à l'article 21:

— sur la base des conclusions émises par le ou les médecins désignés par les institutions

et

— si le fonctionnaire le requiert, après consultation de la commission médicale prévue à l'article 23. »

Article 21:

« Avant de prendre une décision en vertu de l'article 19, l'autorité investie du pouvoir de nomination notifie au fonctionnaire ou à ses ayants droit le projet de décision, accompagné des conclusions du ou des médecins désignés par l'institution... ».

Article 23:

« 1. La commission médicale est composée de trois médecins désignés:

— le premier, par l'autorité investie du pouvoir de nomination,

— le deuxième, par le fonctionnaire ou ses ayants droit,

— le troisième, du commun accord des deux médecins ainsi désignés.

...

Au terme de ses travaux, la commission médicale consigne ses conclusions dans un rapport qui est adressé à l'autorité investie du pouvoir de nomination et au fonctionnaire ou à ses ayants droit.

...»

Article 25:

«La reconnaissance d'une invalidité permanente totale ou partielle, en application de l'article 73 du statut et de la présente réglementation, ne préjuge en aucune façon de l'application de l'article 78 du statut et réciproquement. »

IV — Examen du litige

14. Les problèmes déférés à l'examen de la Cour sont au nombre de deux. Il s'agit en premier lieu de déterminer si la partie requérante a adopté, comme l'estiment les sociétés d'assurances, le comportement illicite consistant à violer les clauses contractuelles qui lui imposaient de consulter les sociétés d'assurances avant d'adopter la mesure attaquée. Le deuxième aspect du litige concerne l'irrégularité de cette mesure soulevée par les parties défenderesses pour défaut de motivation.

Avant d'aborder le fond du litige déféré à la Cour, faisons observer que, d'après les défenderesses, les demandes de la requérante sont irrecevables. Cette exception d'irrecevabilité doit être rejetée: elle n'est en effet pas motivée et le dossier de l'affaire ne comporte aucun élément permettant de la justifier.

Violation prétendue de la procédure prévue par la convention

15. S'agissant du premier aspect de la question, les parties défenderesses font valoir sur le fond que la commission n'a pas observé les règles prévues par la convention et la lettre du 27 janvier 1989. La Commission, disent-elles, a notifié à l'intéressé la décision reconnaissant le caractère professionnel de l'invalidité le 15 avril 1994, c'est-à-dire avant d'avoir reçu les observations des assureurs, qui devaient être présentées le 29 avril 1994 au plus tard. Les parties défenderesses affirment
avoir informé la requérante, par l'intermédiaire de Van Breda, de leur intention de poser des questions supplémentaires au collège médical. Ayant notifié la décision précitée le 15 avril 1994 et versé en conséquence l'indemnité revenant à l'intéressé, la requérante aurait donc, par son comportement, empêché la poursuite de la procédure définie dans la convention, privant les parties défenderesses de la possibilité de saisir le collège médical des questions supplémentaires qu'elles proposaient.
Les assureurs soulèvent dès lors l'exception non adimpleti contractus à l'égard de la requérante.

16. La requérante rétorque que l'article 5 de la convention contient une disposition spécifique dérogeant à la procédure prévue de façon générale par l'article 3 de ladite convention. Elle allègue qu'il ressort de l'économie générale de la convention que l'AIPN ne peut pas remettre en cause les conclusions de la commission médicale, qui seraient donc considérées comme définitives. Du reste, d'après la jurisprudence du Tribunal de première instance sur ce point, le réexamen des résultats de
l'expertise médicale ne peut être justifié qu'en présence d'un fait nouveau, qui ferait défaut en l'occurrence.

La requérante fait par ailleurs valoir qu'elle a dûment transmis aux assureurs toutes les informations nécessaires, précisant en droit que le régime des rapports entre l'AIPN et les assureurs est distinct de celui gouvernant les rapports entre l'AIPN et les fonctionnaires. En l'espèce, la Commission était tenue de verser à l'intéressé l'indemnité d'invalidité professionnelle qui lui revenait en qualité de fonctionnaire. L'exécution de cette obligation de la requérante ne portait toutefois pas
préjudice au déroulement ultérieur de la procédure, définie dans la sphère distincte du régime conventionnel des rapports avec les assureurs. Quoi qu'il en soit, même si la requérante avait été tenue de respecter les règles de la convention — et plus précisément, pour ce qui nous importe, l'article 3 —, la sanction éventuelle à laquelle elle s'exposerait en raison du non-respect de ces dispositions est, d'après la loi nationale belge qui régit la présente affaire, celle de la réparation du
préjudice subi par l'assureur. Les parties défenderesses n'auraient cependant pas démontré qu'elles ont subi le moindre préjudice en raison du comportement de la requérante et elles ne pourraient donc pas refuser d'exécuter leurs obligations contractuelles.

Telles sont les thèses opposées des parties.

17. Le premier moyen opposé par les parties défenderesses à la demande de paiement formée par la Commission porte, précisément, sur l'erreur de procédure présumée qui minerait dans son fondement la prétention de la requérante.

18. Il importe de s'interroger, pour éclairer la question et en organiser correctement l'examen, sur la façon dont les dispositions à appliquer s'inscrivent dans l'ordre communautaire et sur les comportements auxquels seraient tenues respectivement la requérante et les parties défenderesses en vertu de ces dispositions.

Les articles 73 et suivants du statut des fonctionnaires des Communautés européennes contiennent les dispositions pertinentes aux fins du présent litige. Ces dispositions figurent au chapitre 2, intitulé « Sécurité sociale », du titre V et se rattachent à l'article 15 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés européennes (ci-après le « PPI »). Cet article dispose que: « Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, fixe le régime des prestations sociales
applicables aux fonctionnaires et aux autres agents des Communautés ». Cette disposition répond donc à l'exigence spécifique de protection des fonctionnaires dans le domaine de la sécurité sociale et elle a ainsi une valeur et une application distinctes du régime prévu par le statut en ce qui concerne le rapport d'emploi entre les Communautés et les fonctionnaires, en vertu de l'article 24, paragraphe 1, du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés européennes
(ci-après le « traité de fusion »). L'article 24, paragraphe 1, deuxième alinéa, prévoit en effet que: « Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, arrête, sur proposition de la Commission et après consultation des autres institutions intéressées, le statut des fonctionnaires des Communautés européennes et le régime applicable aux autres agents de ces Communautés ». Dans le domaine où il est appelé à déployer ses effets, l'article 15 du PPI institue une réserve de compétence spéciale pour
légiférer à propos du traitement des fonctionnaires. On pourrait la qualifier de véritable réserve de compétence renforcée parce qu'elle s'accompagne du vote unanime du Conseil, à la différence du critère de la majorité qualifiée, prévu pour les autres aspects du statut des fonctionnaires. Cette réserve procédurale s'explique en raison de l'importance particulière que revêtent les intérêts faisant l'objet de la protection. La matière couverte par l'article 15 est soustraite, au niveau national,
à la libre disposition des parties dans le domaine des rapports d'emploi et, par sa nature, elle est réservée à la sphère de la loi et des dispositions, dirons-nous, d'ordre public. Le PPI sanctionne en effet, pour ce qui nous importe en l'espèce, les droits sociaux inaliénables et fondamentaux du fonctionnaire: ces droits sont aussi régis dans l'ordre communautaire par des dispositions imperatives qui déploient par ailleurs leurs effets dans plusieurs secteurs du système. Il suffit de rappeler
l'article 13 du protocole en question qui soumet la rémunération du fonctionnaire à un impôt communautaire mais l'exonère, par compensation, des impôts de nature équivalente qui sont normalement perçus en vertu du droit national.

Si l'on examine la nature des droits subjectifs en cause et des dispositions qui les protègent, il apparaît tout de suite clairement comment et pourquoi l'article 15 du PPI connaît un autre champ d'application, différent et plus large de celui attribué à l'article 24 du traité de fusion. Parallèlement à ce que prévoit l'article 13 du PPI en matière d'impôt communautaire, l'article 15 s'applique, outre aux institutions proprement dites de la Communauté, à un groupe d'organismes tels que
l'Institut monétaire européen, la future Banque centrale européenne, la Banque européenne d'investissement et le Fonds européen d'investissement ( 1 ), qui font partie de la Communauté à part entière mais ne sont pas soumis à la réglementation du travail définie par le statut sur la base de l'article 24 du traité de fusion. En définitive, les dispositions figurant au chapitre 2, sous le titre V du statut, constituent des normes qui, dictées par le Conseil en sa qualité de législateur de la
Communauté, n'envisagent pas les institutions individuellement en tant qu'employeurs, c'est-à-dire comme cocontractants du fonctionnaire dans le cadre du rapport d'emploi public. Ces dispositions reconnaissent en revanche aux institutions les caractères d'une administration publique occupant, au sens de la réglementation en question, la position d'impartialité et d'extranéité propre à l'organe qui doit appliquer des dispositions imperatives et veiller aux intérêts qu'elles protègent.

19. Examinons les conséquences qui découlent des éléments exposés ci-dessus pour la situation des parties dans la présente procédure. Les dispositions précitées fixent la voie procédurale conduisant à la mesure qui constate l'invalidité professionnelle. Cette procédure administrative implique le fonctionnaire, l'AIPN et le médecin, ou le collège médical, qui fait office d'expert. Il s'agit de dispositions qui confèrent des droits sociaux à l'intéressé en vertu de la réserve de compétence prévue en
la matière en faveur du législateur, et qui sont adoptées par un règlement du Conseil ou selon les modalités qu'il autorise. Le régime ainsi arrêté ne tolère l'intervention d'aucun tiers qui puisse, sans être habilité par ledit régime, influencer le parcours procédural qui est réservé par le règlement aux personnes que nous avons identifiées et à aucune autre. On ne saurait admettre non plus que des stipulations contractuelles interfèrent sur le respect et l'application du règlement et des
dispositions d'application qui y sont liées, en allongeant les délais ou en dénaturant les modalités de formation de l'acte administratif, ou encore en imposant au bénéficiaire potentiel des charges et prestations supplémentaires qui ne sont pas expressément visées en droit.

Or, la procédure fixée entre les parties par la convention et la lettre du 27 janvier 1989 comporterait un allongement notable des délais d'adoption de la décision définitive par l'AIPN, annihilant ainsi les droits que le statut confère au fonctionnaire ( 2 ).

Quelles conclusions doit-on tirer de cette considération? Les clauses de la convention et de la lettre du 27 janvier 1989 imposant à la Communauté d'adopter des comportements qui ne sont pas conformes à la procédure fixée par le statut interfèrent indûment sur l'application de ce dernier corps de règles. Les clauses contractuelles précitées, dans la mesure où elles sont incompatibles avec les dispositions procédurales fixées par le statut pour protéger les droits des fonctionnaires en cause dans
la présente affaire, doivent être considérées comme inapplicables au cas d'espèce. Ces stipulations ne sont donc pas susceptibles d'être invoquées par les parties pour faire valoir des prétentions ou soulever des exceptions devant la Cour.

Le critère que nous estimons devoir adopter ne méconnaît pas, d'autre part, la situation des assureurs tiers qui jouissent en effet d'une protection adéquate, soit parce que le membre de la commission médicale, désigné par l'AIPN conformément au statut, est nommé, au sens de la convention, de commun accord entre l'AIPN et les assureurs ( 3 ), soit en raison de la faculté qui est reconnue aux assureurs de façon générale, ainsi que dans le cas présent, de soulever des exceptions dans le cadre des
rapports contractuels avec l'AIPN quant à la validité de l'acte administratif octroyant l'indemnité garantie, et de refuser, sur cette base, l'exécution de la prestation contractuelle qui leur incombe.

20. Dès lors que l'on accueille le point de vue que nous avons avancé, il importe de rejeter le premier moyen présenté par les parties défenderesses. Qu'il nous soit néanmoins permis d'ajouter que les raisons invoquées à l'appui de leurs thèses ne sont même pas justifiées en fait. Une simple remarque nous vient à l'esprit à cette fin. Les parties sont convenues du délai dans lequel les assureurs auraient dû préciser les questions qu'ils souhaitaient poser pour obtenir les indications supplémentaires
de la commission médicale sur l'origine professionnelle litigieuse de l'invalidité. Le délai en question venait à expiration le 29 avril 1994. A ce moment, la requérante ne connaissait toutefois pas les questions que les assureurs entendaient formuler après avoir pris contact avec leur conseiller médical. La lettre de Van Breda du 8 avril se référait explicitement à un questionnaire que les assureurs auraient précisément dû faire parvenir eux-mêmes pour le 29 avril. Eu égard aux circonstances,
la requérante n'était donc pas en mesure de s'adresser de nouveau à la commission médicale, et ce en raison du comportement négligent adopté par les parties défenderesses.

Par ailleurs, l'abstention des parties défenderesses n'est certainement pas due au fait qu'elles savaient que l'indemnité d'invalidité professionnelle avait été accordée. Les pièces du dossier révèlent en réalité qu'elles ne l'ont appris que le 19 mai 1994 par le biais de la lettre que la requérante a adressée à Van Breda le 6 mai. La requérante n'a, du reste, jamais été saisie d'aucune question de ce type.

21. De même, la thèse des assureurs, selon laquelle la notification de la décision de l'AIPN à M. L les aurait privés de la possibilité d'adresser à la commission médicale les questions qu'ils entendaient lui poser, ne peut pas être accueillie non plus. Comme nous l'avons indiqué, la procédure statutaire se situe sur un plan différent de celui du régime des relations entre la Communauté et les assureurs, ces relations faisant l'objet de dispositions contractuelles. Laissons de côté le fait qu'à la
date limite du 29 avril 1994 les questions que les assureurs voulaient adresser à la commission médicale n'étaient pas encore parvenues, pas plus qu'elles n'ont été transmises par la suite. Les questions auraient pu être posées en ayant pour résultat éventuel de faire ressortir de façon manifeste les contradictions ou illogismes prétendus de la motivation du rapport établi par la commission médicale, même après la notification de la décision à M. L. En effet, les assureurs auraient néanmoins pu
bénéficier de ces précisions dans le cadre de leurs relations contractuelles avec la Communauté. Si tel n'a pas été le cas, c'est donc toujours parce qu'ils ont péché par omission. Cette raison a aussi pour conséquence que les exceptions soulevées par les parties défenderesses sont dépourvues de fondement.

22. Arrivé à cette conclusion, nous pouvons nous abstenir d'examiner la question débattue entre la requérante et les parties défenderesses, qui porte sur le point de savoir si, dans le cas présent, il importe d'appliquer la règle procédurale prévue à l'article 3 de la convention ou bien celle fixée par l'article 5 de la même convention, qui y dérogerait. Admettons que le cas qui nous est soumis relève de la disposition plus restrictive des deux clauses, à savoir celle de l'article 3. Partons aussi
du principe, à titre d'hypothèse, qu'appliquer cette dernière règle n'est contraire à aucune des obligations énoncées dans le statut quant à l'adoption de la mesure administrative sollicitée par le fonctionnaire.

Le comportement adopté par la Commission, qui est examiné en l'espèce, s'avérerait néanmoins conforme, pour les raisons que nous avons exposées, aux prescriptions procédurales convenues entre les parties. Peu importe donc de savoir laquelle des deux dispositions régit le cas d'espèce dans l'affaire portée devant la Cour.

23. Il n'y a même pas lieu d'examiner quels effets découleraient de l'inexécution du contrat par la requérante, c'est-à-dire de voir si l'exception soulevée est destinée à paralyser la demande de paiement (exceptio non adimpleti contractus) ou si elle est seulement limitée, en revanche, à faire valoir l'exécution incorrecte (exceptio non rite adimpleti contractus). Il n'y a pas inexécution dans le chef de la requérante et les parties défenderesses ne peuvent donc pas en exciper, à aucun égard.

Le prétendu défaut de motivation

24. Le second moyen avancé par les parties défenderesses en réponse aux demandes de la requérante concerne la régularité du rapport adopté par la commission médicale et la nature même du litige. La requérante demande le remboursement de ce qu'elle a déjà versé à M. L et des frais accessoires en alléguant que les parties défenderesses ne peuvent pas légitimement soulever d'exception sur la prétendue irrégularité matérielle du rapport de la commission médicale. L'article 5, paragraphe 2, de la
convention exclurait en effet la possibilité pour les assureurs de soulever, dans le litige, des questions d'ordre médical quand, comme c'est le cas en l'espèce, la décision de l'AIPN est conforme à l'avis émis par la commission médicale, pour autant qu'un membre nommé par l'AIPN sur désignation des assureurs eux-mêmes fasse partie de ce collège.

Les parties défenderesses estiment pour leur part que la question qu'elles ont proposée n'est pas médicale, mais purement juridique, et concerne la méconnaissance des règles que la requérante aurait été tenue d'observer (les procédures définies dans la convention et la lettre du 27 janvier 1989 ainsi que l'irrégularité du rapport adopté par la commission médicale). Les parties défenderesses contestent ce rapport pour défaut de motivation, dans la mesure où il ne fournit pas suffisamment
d'arguments à l'appui des conclusions qui y sont adoptées, il contredit les précédents rapports médicaux sur le cas en question et il ne contient aucune référence aux indices sur lesquels s'est fondée la commission médicale pour fixer un taux d'invalidité permanente de 100 %.

25. Le second moyen soulevé par les parties défenderesses à titre d'exception porte donc sur la légalité du rapport établi par la commission médicale. Ce rapport est adopté par un acte administratif communautaire. Il faut donc se demander si la Cour est compétente pour connaître, à titre incident, de la légalité d'un tel acte dans le cours d'un litige dont elle est saisie sur la base de l'article 181 du traité et qui porte sur des questions de droit privé. Si cette question appelle une réponse
affirmative, il s'agit ensuite de déterminer quels sont les effets de l'arrêt prononcé dans l'exercice de cette compétence quant à la validité de l'acte administratif attaqué et de voir si l'arrêt ainsi rendu a un effet contraignant absolu ou relatif.

Or, selon nous, il appartient certainement à la Cour de connaître, par voie incidente, d'une mesure administrative communautaire dans le cours d'un litige dont elle est saisie au titre de l'article 181 du traité. La règle fondamentale énoncée à l'article 177 va dans ce sens, qui vise le renvoi préjudiciel à la Cour pour trancher une question soulevée sur la « validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté », dont elle est saisie par la juridiction nationale
compétente. L'article 181 et la clause compromissoire qui est fondée sur cette disposition dérogent à la règle générale fixée par l'article 183 en matière de compétence, déplaçant le siège naturel du débat qui est ainsi déféré au juge communautaire. Il serait alors illogique que celui-ci soit saisi de l'affaire en disposant de pouvoirs d'interprétation moins larges que n'en aurait eu le juge national si le litige avait été porté devant lui.

En second lieu, il importe de ne pas oublier que, aux fins examinées en l'occurrence, l'ordre communautaire répartit les compétences entre la Cour de justice et le Tribunal de première instance. La compétence dont dispose la Cour lorsqu'elle se prononce par voie incidente dans ces cas est évidemment distincte de celle qui reviendrait au Tribunal de première instance. Il en va différemment de la procédure engagée au titre de l'article 181 devant la Cour et de l'éventuel recours en annulation qui
serait formé à l'égard du même acte devant le Tribunal.

Il s'agit de deux formes distinctes de contrôle de la légalité de la mesure attaquée, ce qui explique quelles sont les limites des effets de l'arrêt prononcé par la Cour sur la validité de l'acte administratif au titre de l'article 181. Lorsque la Cour est saisie par voie incidente de l'acte attaqué pour lui permettre de trancher un litige en matière civile, son arrêt n'a force de chose jugée qu'entre les parties à la procédure engagée sur la base de l'article 181. S'il n'en était pas ainsi, on
porterait atteinte au principe en vertu duquel c'est au Tribunal et à la Cour qu'il appartient de trancher de telles questions au terme d'un arrêt ayant un effet absolu, cette dernière intervenant sur pourvoi de l'arrêt rendu par le juge communautaire de première instance ( 4 ), de sorte que l'on mettrait en péril le droit à un double degré de juridiction. Ajoutons que si l'on adoptait une solution différente, on porterait aussi atteinte à la disposition de l'article 173 qui s'oppose à ce qu'une
action soit intentée lorsque le délai péremptoire de deux mois est venu à échéance ( 5 ). Ce qui précède est aussi confirmé, sur le plan législatif, par la disposition de l'article 184 du traité qui, telle qu'elle est interprétée par la jurisprudence de la Cour, ne serait toutefois pas applicable en l'espèce. Cette disposition permet en effet d'exciper de l'illégalité d'un acte de portée générale durant une procédure pendante devant le juge communautaire.

L'acte administratif communautaire, éventuellement sanctionné par la décision incidente, ne doit donc être considéré comme illégal que pour les rapports que les parties ont invoqués au litige devant la Cour. La mesure conserve sa validité et son efficacité pleines et entières pour ce qui concerne en revanche l'éventail de ses autres destinataires.

26. Cela étant dit, le premier argument présenté par les assureurs dans le présent moyen est écarté. La distinction entre litiges d'ordre médical et litiges d'ordre juridique, telle qu'elle est prévue par l'article 5 de la convention, qui tient compte de la jurisprudence dégagée sur ce point par la Cour et le Tribunal ( 6 ), ne trouve donc pas à s'appliquer en pratique au comportement reproché en l'espèce à la Commission parce qu'elle n'a pas observé les dispositions prévues par la convention et la
lettre du 27 janvier 1989. On a vu en effet ci-dessus que le non-respect de ces dispositions n'est pas imputable à la Commission, ni en fait ni en droit.

27. Il faut de la même façon déclarer non fondé l'autre moyen proposé par les parties défenderesses qui, en négligeant la distinction entre les deux types de litiges qui est fixée par l'article 5 de la convention et est reprise de la jurisprudence, demandent en substance à la Cour de réexaminer l'avis émis par la commission médicale, dont elles soutiennent qu'il n'est pas adéquatement motivé. Comme la Cour et le Tribunal l'ont déjà précisé dans leur jurisprudence citée ci-dessus, le défaut de
motivation ou son caractère illogique ne peuvent être sanctionnés que dans l'hypothèse où la mesure s'avérerait contradictoire ou inadaptée pour établir le lien entre l'affection et l'invalidité professionnelle. Dans le cas présent, le rapport rendu par la commission médicale n'est pas affecté des vices extrêmes que sont l'absence de motivation ou le caractère illogique et il ne peut pas être considéré comme irrégulier. Ce rapport est en effet entièrement motivé et il justifie, par six points
explicatifs différents, les conclusions auxquelles est parvenue la commission médicale.

28. Vient ensuite la remarque faite par les parties défenderesses pour soutenir que la commission médicale n'a tenu compte ni de l'avis rendu précédemment par le docteur Dalem et le professeur Bartsch ni des conclusions divergentes tirées par le professeur Brochard à la suite de l'avis adopté par le collège médical. Ce grief consiste en définitive à soulever de nouveau, par d'autres termes, la question du défaut de motivation. Comme l'a précisé la jurisprudence de la Cour et du Tribunal ( 7 ), il
appartient à la commission médicale de décider, si elle le juge opportun, de se référer aux précédents avis médicaux. Pour ce qui nous importe en l'espèce, le rapport adopté par la commission médicale s'avère suffisamment motivé et la présence du professeur Brochard dans le collège des experts a pour effet de conforter la thèse selon laquelle l'avis, adopté comme nous l'avons dit à la majorité, tenait indubitablement compte des opinions différentes avancées à l'égard du cas présent par le
professeur Brochard et, avant lui, par le docteur Dalem et le professeur Bartsch.

29. Les parties défenderesses abordent en dernier lieu le problème de la détermination du taux d'invalidité, fixé par la commission médicale à 100 %. Elles soutiennent que la commission médicale n'a pas justifié en droit cette fixation du taux d'invalidité. Pour sa part, la requérante fait observer que l'invalidité totale avait déjà été établie: le recours à la procédure prévue par l'article 73 du statut avait pour seul but de déterminer l'origine professionnelle de l'affection.

Les observations de la requérante sont fondées. Lorsqu'on recourt à la procédure prévue par l'article 73 du statut, l'AIPN peut, si elle le décide, utiliser des éléments d'appréciation déjà définis dans le cadre de la procédure visant à déterminer l'invalidité au titre de l'article 78. La prétendue indépendance des deux procédures qu'invoquent les parties défenderesses a des effets qui, selon nous, sont tout à fait différents de ce qu'elles affirment. La commission médicale n'est pas obligée,
mais simplement habilitée, à tenir compte et à considérer comme définitives les conclusions sur lesquelles a débouché l'autre procédure, en utilisant, en vertu de son pouvoir d'appréciation discrétionnaire, des informations et des décisions qui peuvent résulter de cette procédure. C'est ainsi, selon nous, qu'il faut entendre la disposition de l'article 25 et la réglementation ( 8 ).

Nous souhaiterions ajouter une autre remarque. Ni l'article 73, paragraphe 2, sous b), du statut ni l'article 12, paragraphe 1, des dispositions d'application ne se réfèrent, en matière d'invalidité totale, aux taux fixés dans le barème annexé aux dispositions précitées. D'après les dispositions statutaires, les taux d'invalidité sont en revanche utilisés pour déterminer le taux d'invalidité partiel. Dans le cas qui concerne M. L, il s'agissait d'une invalidité totale et il ne fallait pas tenir
compte des taux prévus dans le barème.

30. A titre subsidiaire, les parties défenderesses opposent à la demande de la requérante que l'indemnité a été fixée au-delà de la limite de 100 % qui est le maximum autorisé, comme cela ressortirait du dernier paragraphe du barème précité. La requérante fait pour sa part valoir que l'indemnité d'invalidité au titre de l'article 12 est indépendante de celle fixée au titre de l'article 14 de la réglementation d'application. La fixation de l'indemnité totale à 130 % serait ainsi autorisée par la
réglementation en vigueur.

Le point litigieux en l'espèce doit selon nous être tranché en déterminant la signification exacte du dernier paragraphe du barème. Ce paragraphe se réfère explicitement au cumul possible d'invalidités mais il est muet pour ce qui est des indemnités dues en application de l'article 14 ( 9 ). Il s'ensuit que, d'après la volonté du législateur, les deux indemnités conservent leur propre indépendance et peuvent faire l'objet d'un cumul, même si leur montant global dépasse le seuil des 100 %. Les
deux indemnités peuvent se cumuler parce qu'elles ont des fonctions différentes qui ne sont pas incompatibles, étant donné qu'elles sont destinées à compenser des lésions de nature différente.

C'est précisément pour cette raison que le dernier paragraphe du barème précité mentionne uniquement l'hypothèse d'un cumul de plusieurs taux d'invalidité partiels. De plus, le paragraphe en cause se réfère uniquement au cas prévu par l'article 73, paragraphe 2, sous c), du statut et à la disposition correspondante contenue à l'article 12, paragraphe 2, de la réglementation d'application y afférente. Or, le cas présent relève en revanche du champ d'application de l'article 73, paragraphe 2, sous
b), du statut et de l'article 12, paragraphe 1, de la réglementation.

Il faut de plus considérer comme fondés les arguments de la Commission sur la violation manifeste du principe d'égalité; on violerait ce principe si un fonctionnaire, frappé d'une invalidité totale et de lésions auxquelles pourrait correspondre une indemnité supplémentaire à calculer en application des dispositions de l'article 14 de la réglementation, devait en fait être traité de la même façon qu'un fonctionnaire frappé exclusivement d'invalidité totale.

31. Pour les raisons exposées ci-dessus, il faut rejeter dans leur ensemble les exceptions soulevées par les parties défenderesses face à la demande de paiement formée par la requérante et portant sur les sommes qu'elle a versées à M. L et reconnaître à la Commission le droit de recevoir les sommes prévues en vertu de la convention.

32. Il importe à ce stade de trancher la question accessoire relative aux intérêts. Au sens de l'article 1153 du code civil belge, ceux-ci doivent être calculés sur la somme ainsi due, au taux légal qu'il faut déterminer d'après cette législation et à partir de la date à laquelle Van Breda a reçu la lettre du 6 mai 1994 de la Commission. Conformément à la jurisprudence de la Cour ( 10 ), cette lettre constitue la mise en demeure exigée au sens de l'article 1153.

V — Sur les dépens

33. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Nous proposons par conséquent de condamner les parties défenderesses aux dépens.

VI — Conclusions

34. Eu égard aux considérations émises ci-dessus, nous proposons à la Cour de:

— condamner les parties défenderesses au paiement de la somme de 25794194 BFR;

— condamner aussi les parties défenderesses au paiement des intérêts moratoires, à calculer au taux légal belge, à compter de la date à laquelle Van Breda a reçu la lettre datée du 6 mai 1994 de la Commission;

— condamner les parties défenderesses aux dépens.

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( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) Le PPI s'applique à ces organismes en vertu de dispositions de renvoi expresses: il s'agit, pour l'IME, de l'article 21 de son statut, pour la BCE, de l'article 40 de son statut, pour la BEI, de l'article 22 du PPI et de l'article 28 du traité de fusion et, pour le FEI, de l'article 30, paragraphe 5, des statuts de la BEI.

( 2 ) Comme l'a précisé la Cour dans les arrêts qu'elle a rendus le 2 octobre 1979, B/Commission (152/77, Ree. p. 2819); le 21 mai 1981, Morbclli/Commission (156/80, Rec. p. 1357), et le 14 juillet 1981, Suss/Commission (186/80, Rec. p. 2041), un retard indu dans le paiement de l'indemnité duc au fonctionnaire en vertu du statut fait naître le droit au paiement des intérêts moratoires.

( 3 ) Voir, à cet égard, l'arrêt rendu par la Cour le 19 janvier 1988, Biedcrmann/Cour des comptes (2/87, Rec. p. 143).

( 4 ) Exception faite, naturellement, des cas dans lesquels le Tribunal se dessaisit en faveur de la Cour, conformément à l'article 47 du statut de la Cour de justice.

( 5 ) Ou le délai fixé par les articles 90 et 91 du statut dans le cas d'actes relevant du champ d'application de l'article 179 du traité.

( 6 ) Arrêts Morbclli/Commission, précité, Suss/Commission, précité, Bicdcrmann/Cour des comptes, précité, et arrêts rendus par le Tribunal le 27 février 1992, Plug/Commission (T-l 65/89, Ree. p. II-367), et le 23 mars 1993, Gill/Commission (T-43/89 RV, Rec. p. II-303).

( 7 ) Voir les arrêts, précités, rendus par la Cour dans l'affaire Bicdcrmann/Cour des comptes et par le Tribunal dans l'affaire Gill/Commission.

( 8 ) Les arrêts rendus par la Cour le 15 janvier 1981, B/Parlcmcnt (731/79, Ree. p. 107), et le 12 janvier 1983, K/Conscil (257/81, Ree. p. 1), vont aussi dans ce sens.

( 9 ) La Cour s'est par ailleurs déjà prononcée en faveur de la possibilité de cumul des prestations prévues par l'article 73 et par l'article 78 du statut dans l'arrêt B/Parlcment, précité. Le Tribunal a tranché dans le même sens dans l'arrêt Plug/Commission, précité.

( 10 ) Voir, à cet égard, l'arrêt rendu le 1er juin 1995, Hcidcmij Advics/Parlemcnt (C-42/94, Ree. p. I-1417).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-76/95
Date de la décision : 14/03/1996
Type d'affaire : Clause compromissoire

Analyses

Fonctionnaires - Assurance accidents et maladies professionnelles.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royale belge SA.

Composition du Tribunal
Avocat général : La Pergola
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:106

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