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05/03/1996 | CJUE | N°C-173/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 mars 1996., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 05/03/1996, C-173/94


Avis juridique important

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61994C0173

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 mars 1996. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Libre circulation des personnes - Emplois dans l'administration publique. - Affaire C-173/94.
Recueil de jurispruden

ce 1996 page I-03265

Conclusions de l'avocat général

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1 Dans l...

Avis juridique important

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61994C0173

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 5 mars 1996. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Manquement d'Etat - Libre circulation des personnes - Emplois dans l'administration publique. - Affaire C-173/94.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-03265

Conclusions de l'avocat général

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1 Dans le cadre de son recours en manquement introduit le 22 juin 1994, la Commission vous invite à

- constater que le royaume de Belgique, en maintenant l'exigence d'une condition de nationalité à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres pour l'accès aux emplois de fonctionnaire ou d'employé public relevant des établissements publics de distribution d'eau, de gaz et d'électricité (tels que, par exemple, la Compagnie intercommunale bruxelloise des eaux - ci-après la «CIBE» -, la Vlaamse Maatschappij voor Watervoorziening - Société flamande de distribution des eaux, ci-après
la «VMW» -, l'Unerg, la Sibelgaz, etc.), a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE (1) et des articles 1er et 7 du règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (2),

- condamner le royaume de Belgique aux dépens.

2 Le présent recours doit être rapproché des deux autres dont vous avez à connaître (3).

3 Les trois recours posent essentiellement le problème de l'étendue de la dérogation à la libre circulation des travailleurs admise par l'article 48, paragraphe 4, du traité en ce qui concerne les «emplois dans l'administration publique».

4 Dans le cadre des deux autres procédures, les parties défenderesses s'opposent à la constatation d'un manquement en soutenant notamment que, aux fins de l'application de l'article 48, paragraphe 4, du traité, une analyse par secteurs d'activité entiers doit être exclue au profit d'une analyse emploi par emploi.

5 Le royaume de Belgique, au contraire, admet implicitement l'approche par secteurs proposée par la Commission en tant que développement logique de votre jurisprudence actuelle.

6 Sa position sur le fond nous permettra d'être synthétique dans notre description du cadre juridique du litige (I) comme dans notre appréciation du bien-fondé du recours en manquement (II). Pour de plus amples développements et des références détaillées, nous renverrons à nos conclusions de ce jour dans les deux autres procédures précitées (4).

I - Sur le cadre juridique du litige

7 Après un rappel des dispositions communautaires invoquées par la Commission (A), nous résumerons rapidement votre jurisprudence en la matière (B). Nous décrirons ensuite la situation juridique mise en cause au plan national (C).

A - Les dispositions communautaires

8 L'article 48, paragraphes 1 à 3, du traité consacre le principe de la libre circulation des travailleurs et son corollaire, l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.

9 L'article 48, paragraphe 4, dispose:

«Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'administration publique.»

10 L'article 1er du règlement n_ 1612/68 prévoit en ce qui concerne l'accès à l'emploi:

«1. Tout ressortissant d'un État membre, quel que soit le lieu de sa résidence, a le droit d'accéder à une activité salariée et de l'exercer sur le territoire d'un autre État membre, conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l'emploi des travailleurs nationaux de cet État.

2. Il bénéficie notamment sur le territoire d'un autre État membre de la même priorité que les ressortissants de cet État dans l'accès aux emplois disponibles.»

11 Quant à l'article 7, paragraphes 1 et 2, du même règlement, relatif à l'exercice de l'emploi et à l'égalité de traitement, il énonce:

«1. Le travailleur ressortissant d'un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d'emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement, et de réintégration professionnelle ou de réemploi s'il est tombé en chômage.

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux.»

B - La jurisprudence communautaire

12 Selon votre jurisprudence, la notion d'administration publique relève du droit communautaire et doit faire l'objet d'une interprétation stricte.

13 Une définition simplement organique de cette notion est exclue.

14 Vous avez consacré une définition fonctionnelle des emplois dans l'administration publique en retenant qu'il s'agit d'un ensemble d'emplois qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques.

15 En conséquence, les emplois ne remplissant pas les conditions de votre définition doivent être accessibles aux ressortissants des autres États membres.

C - Le droit national en cause

16 Nous décrirons d'abord la situation juridique à la date de l'avis motivé (1), avant de signaler des modifications réglementaires postérieures (2).

1) Situation à la date de l'avis motivé

17 La distribution d'eau, de gaz et d'électricité est assurée par des personnes morales de droit public, intercommunales (a) ou sociétés de distribution soumises aux pouvoirs publics (b), mais également par des sociétés de droit privé (c).

a) Intercommunales

18 Les intercommunales sont des associations de communes exerçant des activités à caractère commercial.

19 On distingue les intercommunales pures (associations de pouvoirs publics décentralisés) et les intercommunales mixtes (associations de pouvoirs publics décentralisés et de sociétés à capitaux privés).

20 Le personnel propre des intercommunales est soumis à un statut aligné de facto sur celui des agents de l'État fédéral, lequel prévoit encore l'exigence de la nationalité belge.

21 La tutelle des intercommunales incombe aux gouvernements régionaux.

22 Dans le cas particulier de la CIBE, les articles 6 et 11 du statut du personnel subordonnent le recrutement à une condition de nationalité belge.

b) Sociétés de distribution soumises aux pouvoirs publics

23 Ces sociétés sont celles reprises à la catégorie B de la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d'intérêt public.

24 En vertu de l'article 11, paragraphe 1, de cette loi, les gouvernements régionaux fixent le statut et le cadre de leur personnel.

25 La VMW est soumise à ce régime, en application de l'article 17 du décret du 28 juin 1983 portant création de cet organisme.

26 Une condition de nationalité belge est exigée pour l'accès aux emplois au sein de celui-ci, le statut du personnel étant aligné sur le statut régissant les agents de l'État.

c) Sociétés de distribution privées

27 Dans certains cas, la distribution est assurée par des sociétés de droit privé opérant soit de manière autonome, soit en association avec des intercommunales mixtes. Dans la seconde hypothèse, elles mettent leur personnel à la disposition des intercommunales.

2) Modifications réglementaires postérieures

28 Deux arrêtés royaux du 26 septembre 1994 ont été publiés le 1er octobre 1994 (5), le premier portant réforme de diverses dispositions réglementaires applicables aux agents de l'État, le second fixant les principes généraux du statut administratif et pécuniaire des agents de l'État applicables au personnel des services des gouvernements de Communauté et de Région et des Collèges de la Commission communautaire commune et de la Commission communautaire française ainsi qu'aux personnes morales de
droit public qui en dépendent.

29 Tous deux emportent suppression de la condition de nationalité belge pour l'accès aux emplois ne comportant pas une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État, de la Communauté ou de la Région (6).

30 Selon le gouvernement belge (7), le second arrêté ne s'applique pas aux intercommunales, parce qu'elles ne répondent pas au critère de dépendance organique visé par ce texte.

31 Toutefois, l'État défendeur rappelle que le statut du personnel des intercommunales s'aligne toujours de facto sur celui régissant le personnel de l'État fédéral, lequel (premier arrêté royal du 26 septembre 1994) ne prévoit plus de condition de nationalité.

32 S'agissant des sociétés de distribution d'eau reprises à la catégorie B de la loi du 16 mars 1954, comme la VMW, le gouvernement belge indique qu'elles entrent dans le champ d'application du second arrêté royal du 26 septembre 1994, en tant qu'elles dépendent des gouvernements régionaux. Elles ne devraient donc plus subordonner l'accès à l'emploi à une condition de nationalité belge.

II - Sur l'existence d'un manquement

33 Dans le cadre des deux autres affaires précitées (8), nous énonçons de manière détaillée les raisons pour lesquelles nous estimons que, aux fins de l'application de l'article 48, paragraphe 4, du traité, il peut être procédé à une analyse par secteurs entiers d'activité de l'État, de collectivités publiques ou personnes morales de droit public.

34 Le royaume de Belgique, nous l'avons déjà souligné, ne s'oppose pas à une telle analyse.

35 Comme la Commission, nous pensons que des activités telles que celles de distribution d'eau, de gaz et d'électricité sont éloignées des activités spécifiques de l'administration publique.

36 Il y a donc lieu de considérer que la plupart des emplois des secteurs correspondants ne remplissent pas les conditions de la définition communautaire de l'administration publique. Par suite, ces secteurs relèvent a priori de l'article 48, paragraphes 1 à 3, du traité. Le royaume de Belgique devait en conséquence ouvrir l'accès aux emplois aux travailleurs communautaires, sous la seule réserve d'exceptions positivement énoncées par référence à la définition communautaire de l'administration
publique.

37 L'État défendeur n'a pas contesté (9) que, à la date d'expiration du délai de quatre mois imparti par l'avis motivé du 6 août 1992, une condition de nationalité belge était toujours imposée pour le recrutement du personnel propre d'intercommunales, comme la CIBE, et de sociétés de distribution reprises à la catégorie B de la loi du 16 mars 1954, comme la VMW.

38 Par courrier du 19 janvier 1996, il a justifié d'une décision du conseil d'administration de la CIBE, en date du 20 décembre 1995, portant suppression, dans le statut du personnel de cette compagnie, de la condition de nationalité belge.

39 Au cours de la procédure orale, il a admis que cette décision devait encore faire l'objet d'une publication.

40 Par ailleurs, en ce qui concerne la Région flamande, il a précisé que la VMW avait soumis au gouvernement flamand un projet de statut de son personnel conforme à l'article 48 du traité et que l'approbation de ce projet devait intervenir à la fin du mois de février 1996. S'agissant des intercommunales pures ou mixtes de la même région, il a reconnu que les statuts du personnel de deux sociétés contenaient encore une condition de nationalité discriminatoire.

41 Enfin, décrivant la situation de la Région wallonne, le royaume de Belgique a admis au cours de l'audience que les statuts d'une quinzaine d'intercommunales contenaient encore une condition de nationalité.

42 Les deux arrêtés royaux du 26 septembre 1994, publiés environ 22 mois après l'expiration du délai fixé par l'avis motivé, ne sont pas pertinents par rapport à la date d'appréciation de l'existence d'un manquement. De surcroît, selon les indications de la partie défenderesse elle-même, ils n'ont pas permis à ce jour la suppression généralisée de la condition de nationalité litigieuse.

43 Le manquement reproché par la Commission doit donc être constaté du chef de la condition de nationalité belge opposée aux ressortissants des autres États membres pour l'accès aux emplois au sein du personnel propre des personnes morales de droit public chargées de la distribution d'eau, de gaz et d'électricité, puisque ces personnes morales sont soumises aux pouvoirs publics.

44 En revanche, il ne peut en être de même en ce qui concerne d'autres sociétés visées par la Commission.

45 A cet égard, le royaume de Belgique affirme que:

- la société anonyme Powerfin (ex-Unerg) est une société purement privée sur laquelle les pouvoirs publics n'exercent aucune autorité organique;

- Sibelgaz est une intercommunale mixte dont le personnel est mis à disposition par des sociétés privées, sur lesquelles, pareillement, les pouvoirs publics n'exercent aucune autorité;

- il n'existe aucune norme nationale, régionale ou locale qui imposerait à des sociétés privées une condition de nationalité belge.

46 Alors que la charge de la preuve lui incombe sur ce point, la Commission n'établit pas, d'une part, que Powerfin est une personne morale de droit public ou une société de droit privé à laquelle les pouvoirs publics imposeraient une condition de nationalité et, d'autre part, que Sibelgaz emploierait un personnel propre dans des conditions discriminatoires en ce qui concerne la nationalité ou imposerait une condition de nationalité aux sociétés privées mettant du personnel à sa disposition. Elle
n'établit pas davantage l'existence d'une norme nationale, régionale ou locale qui imposerait à des sociétés privées une condition de nationalité belge.

47 En l'état du dossier, le manquement ne saurait donc être retenu en ce qui concerne des personnes morales telles que Powerfin et Sibelgaz.

Conclusion

48 En conséquence, nous concluons à ce qu'il plaise à votre Cour déclarer et arrêter:

«1) En ne limitant pas l'exigence d'une condition de nationalité belge à l'égard des travailleurs ressortissants des autres États membres pour l'accès aux seuls emplois comportant une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'État ou des autres collectivités publiques, au sein du personnel propre des personnes morales de droit public du secteur de distribution d'eau, de gaz et d'électricité,
le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du traité CEE et des articles 1er et 7 du règlement (CEE) n_ 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté.

2) Le royaume de Belgique est condamné aux dépens.»

(1) - La requête vise à juste titre l'article 48 du traité CEE et non CE, puisque les avis motivés sont antérieurs au 1er novembre 1993, date d'entrée en application du traité sur l'Union européenne, et que l'existence d'un manquement aux obligations découlant de l'article 48 doit en principe s'apprécier à l'époque desdits avis motivés. La différence de libellé n'est ici que formelle, dans la mesure où l'article 48 n'a pas été modifié. Une telle différence pourrait en revanche être associée à des
conséquences au fond si le texte visé par la requête avait été modifié.

(2) - JO L 257, p. 2.

(3) - Voir nos conclusions séparées de ce jour dans les affaires Commission/Luxembourg (C-473/93) et Commission/Grèce (C-290/94).

(4) - Note 3.

(5) - Moniteur belge, respectivement p. 25027 et 24948.

(6) - Voir respectivement articles 5, sous a), point 1, et 1er, paragraphe 3, point 1, de ces deux arrêtés.

(7) - Mémoire en duplique, p. 2.

(8) - Note 3.

(9) - Mémoire en défense, p. 1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-173/94
Date de la décision : 05/03/1996
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'Etat - Libre circulation des personnes - Emplois dans l'administration publique.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Jann

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:81

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