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29/02/1996 | CJUE | N°C-296/93

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République française et Irlande contre Commission des Communautés européennes., 29/02/1996, C-296/93


Avis juridique important

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61993J0296

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 février 1996. - République française et Irlande contre Commission des Communautés européennes. - Organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine - Conditions d'admissibilité à l'intervention. - Affaires jointes

C-296/93 et C-307/93.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-00795

Som...

Avis juridique important

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61993J0296

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 29 février 1996. - République française et Irlande contre Commission des Communautés européennes. - Organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine - Conditions d'admissibilité à l'intervention. - Affaires jointes C-296/93 et C-307/93.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-00795

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Agriculture ° Organisation commune des marchés ° Viande bovine ° Mécanismes d' intervention ° Mesures d' exécution relevant de la compétence de la Commission ° Limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention ° Inclusion

(Traité CEE, art. 43; règlement du Conseil n 805/68, art. 6, § 7, modifié)

2. Agriculture ° Organisation commune des marchés ° Viande bovine ° Mécanismes d' intervention ° Limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention ° Principe de proportionnalité ° Principe de non-discrimination ° Principe de protection de la confiance légitime ° Droit de propriété ° Obligation de motivation ° Violation ° Absence

(Traité CEE, art. 39, § 1, c), 40, § 3, et 190; règlement de la Commission n 685/93)

Sommaire

1. L' article 6, paragraphe 7, cinquième tiret, du règlement n 805/68, modifié, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine, doit être interprété en ce sens que la limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention fait partie des mesures d' exécution que la Commission est habilitée à arrêter selon la procédure dite du comité de gestion prévue à l' article 27 du même règlement.

D' une part, en effet, pareille mesure, bien qu' elle puisse conduire à une réorientation de la production de viande bovine, tend à mettre en oeuvre de manière adéquate le mécanisme d' intervention institué par le Conseil et ne présente pas une importance telle qu' il appartiendrait au Conseil de l' arrêter lui-même selon la procédure prévue par l' article 43 du traité. D' autre part, la reconnaissance d' une telle compétence à la Commission non seulement ne se heurte à aucune disposition du
règlement, mais est seule de nature à donner un effet utile à l' article 6, paragraphe 7, cinquième tiret, précité.

Enfin, le Conseil peut, surtout lorsqu' il recourt à la procédure du comité de gestion qui sauvegarde son pouvoir d' intervention, être amené à conférer de larges pouvoirs d' exécution de la politique agricole commune à la Commission, qui est seule à même de suivre de manière constante et attentive l' évolution des marchés et d' agir avec l' urgence que requièrent certaines situations.

2. Dans le secteur de la viande bovine, la limitation, par le règlement n 685/93, du poids des carcasses admissibles à l' intervention, n' a pas constitué une violation du principe de proportionnalité. En effet, cette mesure, dont le contrôle judiciaire doit s' opérer compte tenu du large pouvoir d' appréciation dont disposent la Commission et le comité de gestion pour apprécier des situations économiques complexes, n' a pas été décidée à la suite d' une erreur manifeste d' appréciation de la
situation du marché en cause, n' est pas inappropriée au regard de l' objectif de réduction de la surproduction de viande bovine qu' elle poursuit et n' a pas été, à tort, préférée à d' autres mesures moins contraignantes mais tout aussi efficaces.

Elle n' est pas non plus intervenue en violation du principe de non-discrimination, car elle s' applique à tous les producteurs de la Communauté, qui doivent, s' agissant d' une mesure poursuivant l' un des objectifs de la politique agricole commune, le maintien de l' équilibre entre la production et les possibilités d' écoulement, en assumer de façon solidaire et égalitaire les conséquences.

Elle ne se heurte pas davantage au principe du respect de la confiance légitime, car les producteurs, qui en tout état de cause ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d' un avantage qu' a pu leur procurer l' organisation commune des marchés, n' avaient pas été antérieurement incités à orienter leur production vers des carcasses lourdes.

On ne saurait par ailleurs y voir une atteinte au droit de propriété, puisque, si elle empêche les producteurs de présenter certaines carcasses à l' intervention, elle ne les empêche nullement de disposer librement de leurs produits.

Elle a, enfin, été décidée dans le respect de l' obligation de motivation, dès lors que les considérants du règlement font clairement apparaître les raisons qui ont amené la Commission à l' introduire.

Parties

Dans les affaires jointes C-296/93 et C-307/93,

République française, représentée par M. Philippe Pouzoulet, puis par Mme Catherine de Salins, sous-directeurs à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. Jean-Louis Falconi, secrétaire des affaires étrangères au même ministère, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade de France, 9, boulevard du Prince Henri,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gérard Rozet, conseiller juridique, et Christopher Docksey, membre du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, représenté par M. John D. Colahan, en qualité d' agent, assisté de Mme Eleanor Sharpston, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

partie intervenante,

et

Irlande, représentée par M. Michael A. Buckley, Chief State Solicitor, en qualité d' agent, assisté de MM. James O' Reilly, SC, et Richard Law Nesbitt, Barrister-at-Law, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade d' Irlande, 28, route d' Arlon,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gérard Rozet, conseiller juridique, Christopher Docksey et Hans Gerald Crossland, membres du service juridique, en qualité d' agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord, représenté par M. John D. Colahan, assisté de Mme Eleanor Sharpston, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l' ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

partie intervenante,

ayant pour objet l' annulation du règlement (CEE) n 685/93 de la Commission, du 24 mars 1993, modifiant le règlement (CEE) n 859/89 relatif aux modalités d' application des mesures générales et des mesures spéciales d' intervention dans le secteur de la viande bovine (JO L 73, p. 9),

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, J.-P. Puissochet, J. C. Moitinho de Almeida (rapporteur), C. Gulmann, et L. Sevón, juges,

avocat général: M. C. O. Lenz,

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l' audience du 4 mai 1995, au cours de laquelle le gouvernement français était représenté par M. Jean-Louis Falconi, le gouvernement irlandais par MM. Dermot Gleeson, SC, Attorney General, James O' Reilly et Richard Law Nesbitt, le gouvernement du Royaume-Uni par M. Stephen Braviner du Treasury Solicitor' s Department et Mme Eleanor Sharpston et la Commission par MM. Gérard Rozet et Christopher Docksey,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 29 juin 1995,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par requêtes enregistrées au greffe de la Cour respectivement le 25 mai 1993 et le 4 juin 1993, la République française et l' Irlande ont, en vertu de l' article 173, premier alinéa, du traité CEE, demandé l' annulation du règlement (CEE) n 685/93 de la Commission, du 24 mars 1993, modifiant le règlement (CEE) n 859/89 relatif aux modalités d' application des mesures générales et des mesures spéciales d' intervention dans le secteur de la viande bovine (JO L 73, p. 9).

2 Par deux ordonnances du 16 juillet 1993, le président de la Cour a rejeté les demandes de sursis à l' exécution du règlement attaqué, introduites par les gouvernements requérants dans les deux affaires au principal en application de l' article 185 du traité CEE.

3 Par ordonnance du 22 mars 1995, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l' arrêt.

4 L' organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine a été établie par le règlement (CEE) n 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24).

5 Aux termes de l' article 5 de ce règlement, tel que modifié en dernier lieu par le règlement (CEE) n 2248/88 du Conseil, du 19 juillet 1988 (JO L 198, p. 24),

"1. Les mesures d' intervention prises pour éviter ou atténuer une baisse importante des prix consistent en:

a) aides au stockage privé,

b) achats effectués par les organismes d' intervention.

2. Les mesures d' intervention visées au paragraphe 1 peuvent être prises pour les gros bovins ainsi que pour les viandes fraîches ou réfrigérées de ces animaux, présentées sous forme de carcasse, demi-carcasse, quartiers compensés, quartiers avant ou quartiers arrière, classés conformément à la grille communautaire de classement prévue par le règlement (CEE) n 1208/81.

3. Le Conseil, statuant sur proposition de la Commission selon la procédure de vote prévue à l' article 43, paragraphe 2 du traité, peut modifier la liste des produits visés au paragraphe 2 pouvant faire l' objet des mesures d' intervention."

6 L' article 6 du même règlement, dans sa version issue du règlement (CEE) n 2066/92 du Conseil, du 30 juin 1992, modifiant le règlement (CEE) n 805/68 et abrogeant le règlement (CEE) n 468/87 établissant les règles générales du régime de prime spéciale en faveur des producteurs de viande bovine ainsi que le règlement (CEE) n 1357/80 instaurant un régime de prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (JO L 215, p. 49), dispose:

"1. Si les conditions prévues au paragraphe 2 sont réunies, l' achat par les organismes d' intervention dans un ou plusieurs États membres ou dans une région d' un État membre d' une ou plusieurs catégories, qualités ou groupes de qualités à déterminer de viandes fraîches ou réfrigérées, relevant des codes NC 0201 10 et 0201 20 11 à 0201 20 59 et originaires de la Communauté, peut être décidé dans le cadre d' adjudications ouvertes en vue d' assurer un soutien raisonnable du marché, compte tenu de
l' évolution saisonnière des abattages.

Ces achats ne peuvent pas dépasser, par an et pour toute la Communauté, les quantités suivantes:

° 750 000 tonnes pour l' année 1993,

° 650 000 tonnes pour l' année 1994,

° 550 000 tonnes pour l' année 1995,

° 400 000 tonnes pour l' année 1996,

° 350 000 tonnes à partir de l' année 1997.

2. Pour chaque qualité ou groupe de qualités pouvant faire l' objet de l' intervention, les adjudications peuvent être ouvertes selon la procédure prévue au paragraphe 7. Lorsque, dans un État membre ou dans une région d' un État membre, les deux conditions suivantes sont simultanément réunies pendant une période de deux semaines consécutives:

° le prix moyen du marché communautaire constaté sur la base de la grille communautaire de classement de carcasses de gros bovins est inférieur à 84 % du prix d' intervention,

° le prix moyen du marché constaté sur la base de ladite grille dans le ou les États membres ou dans des régions d' un État membre est inférieur à 80 % du prix d' intervention.

Le prix d' intervention est fixé avant le début de chaque campagne de commercialisation selon la procédure prévue à l' article 43 paragraphe 2 du traité.

3. La suspension des adjudications pour une ou plusieurs qualités ou un ou plusieurs groupes de qualités est décidée lorsqu' une des deux situations suivantes se présente:

° pendant deux semaines consécutives, les deux conditions visées au paragraphe 2 ne sont plus remplies simultanément,

° les achats à l' intervention ne s' avèrent plus appropriés, compte tenu des critères visés au paragraphe 1.

4. L' intervention est également ouverte si, pendant une période de deux semaines consécutives, le prix moyen du marché communautaire des jeunes animaux mâles non castrés de moins de deux ans ou des animaux mâles castrés, constaté sur la base de la grille communautaire de classement des carcasses de gros bovins, est inférieur à 78 % du prix d' intervention et si, dans un État membre ou des régions d' un État membre, le prix moyen de marché des jeunes animaux mâles non castrés de moins de deux ans ou
des animaux mâles castrés, constaté sur la base de la grille communautaire de classement de carcasses de gros bovins, est inférieur à 60 % du prix d' intervention; dans ce cas, les achats sont réalisés pour les catégories concernées dans les États membres ou régions d' un État membre dont le niveau de prix est inférieur à cette limite.

Pour ces achats, et sans préjudice du paragraphe 5, toutes les offres sont acceptées.

Les quantités achetées conformément au présent paragraphe ne sont pas prises en considération pour l' application des plafonds d' achat visés au paragraphe 1.

5. Ne peuvent être acceptées au titre des régimes d' achats visés aux paragraphes 1 et 4 que les offres égales ou inférieures au prix moyen du marché constaté dans un État membre ou une région d' un État membre et majoré d' un montant à déterminer sur la base de critères objectifs.

6. Pour chaque qualité ou groupe de qualités pouvant faire l' objet de l' intervention, les prix d' achat ainsi que les quantités acceptées à l' intervention sont déterminés dans le cadre des adjudications et peuvent, dans des circonstances particulières, être fixés par État membre ou régions d' un État membre en fonction des prix moyens de marché constatés. Les adjudications doivent assurer l' égalité d' accès de tous les intéressés. Elles sont ouvertes sur la base d' un cahier des charges à
déterminer compte tenu, dans la mesure nécessaire, des structures commerciales.

7. Selon la procédure prévue à l' article 27:

° sont déterminés les catégories, qualités ou groupes de qualités des produits éligibles à l' intervention,

° sont décidées l' ouverture ou la réouverture des adjudications et leur suspension dans le cas visé au paragraphe 3 dernier tiret,

° sont fixés les prix d' achat ainsi que les quantités acceptées à l' intervention,

° est déterminé le montant de la majoration visée au paragraphe 5,

° sont arrêtées les modalités d' application du présent article, et notamment celles visant à éviter une spirale à la baisse des prix de marché,

° sont arrêtées, le cas échéant, les dispositions transitoires nécessaires à l' application du présent régime.

Sont décidées par la Commission:

° l' ouverture des achats visés au paragraphe 4 ainsi que leur suspension dans le cas où une ou plusieurs des conditions prévues par ledit paragraphe ne sont plus remplies,

° la suspension des achats visés au paragraphe 3 premier tiret."

7 Le règlement (CEE) n 859/89 de la Commission, du 29 mars 1989 (JO L 91, p. 5), adopté notamment sur le fondement de l' article 6, paragraphe 7, du règlement n 805/68, précité, arrête les modalités d' application des mesures d' intervention dans le secteur de la viande bovine.

8 L' article 4 de ce règlement détermine les produits admissibles à l' intervention. Cette disposition a été modifiée par le règlement n 685/93 de la Commission, dont l' annulation a été demandée et qui a introduit une limitation graduelle du poids des carcasses pouvant être acceptées à l' intervention. Ainsi, aux termes de l' article 4, paragraphe 2, sous g), du règlement n 859/89, modifié, ne peuvent être achetées que des viandes:

"g) provenant de carcasses dont le poids ne dépasse pas les niveaux suivants:

° 380 kilogrammes à partir de la première adjudication de juillet 1993,

° 360 kilogrammes à partir de la première adjudication de janvier 1994,

° 340 kilogrammes à partir de la première adjudication de juillet 1994".

9 Le règlement n 859/89 a été abrogé par le règlement (CEE) n 2456/93 de la Commission, du 1er septembre 1993, portant modalités d' application du règlement (CEE) n 805/68 du Conseil en ce qui concerne les mesures générales et des mesures spéciales d' intervention dans le secteur de la viande bovine (JO L 225, p. 4). La mesure contestée figure désormais à l' article 4, paragraphe 2, sous h), du règlement n 2456/93.

10 A l' appui de leur recours, les gouvernements français et irlandais invoquent l' incompétence de la Commission à adopter le règlement litigieux et le non-respect des principes de proportionnalité et de la confiance légitime. Le gouvernement irlandais reproche en outre à la Commission d' avoir violé le droit au respect de la propriété, d' avoir commis un détournement de pouvoir et de ne pas avoir respecté les formes substantielles de l' acte.

Sur le moyen tiré de l' incompétence de la Commission

11 Les gouvernements français et irlandais font valoir d' abord que l' article 6, paragraphe 7, du règlement n 805/68, tel que modifié par le règlement n 2066/92, n' habilite pas la Commission à limiter le poids des carcasses pouvant être acceptées à l' intervention et que cette institution a dès lors violé cette disposition.

12 D' une part, l' instauration d' un tel critère n' entrerait pas dans le champ de compétence dont la Commission dispose au titre du premier tiret de l' article 6, paragraphe 7, pour déterminer les "catégories, qualités ou groupes de qualités" de produits pouvant être acceptés à l' intervention. Ainsi, selon les gouvernements requérants, conformément à la grille communautaire de classement des carcasses de gros bovins, établie par le règlement (CEE) n 1208/81 du Conseil, du 28 avril 1981 (JO L 123,
p. 3), et à laquelle se réfère l' article 5, paragraphe 2, du règlement n 805/68, modifié, qui détermine le cadre général des mesures d' intervention, le terme "catégorie" vise le sexe et l' âge de l' animal, alors que la "qualité" de la viande se définit par deux critères, à savoir la conformation de la carcasse et son état d' engraissement. Dès lors, le critère du poids, qui n' est pas retenu par cette grille, ne pourrait être valablement fondé sur le premier tiret de l' article 6, paragraphe 7.
D' autre part, le cinquième tiret du même paragraphe, qui habilite la Commission à arrêter les "modalités d' application" de l' article 6, ne saurait être interprété de manière à remettre en cause les habilitations spécifiques conférées par les autres tirets de ce paragraphe, dont aucun ne prévoit la faculté d' instaurer une limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention.

13 A cet égard, les gouvernements requérants observent que l' interprétation de l' article 6, paragraphe 7, qui est défendue par la Commission et le Royaume-Uni est à ce point favorable aux délégations de compétence en faveur de la Commission qu' elle permettrait à celle-ci de contourner toutes les dispositions adoptées par le Conseil dans le cadre du régime de l' intervention. Par ailleurs, il résulterait de ce que le Conseil a lui-même institué une limitation de poids à l' article 6a du règlement
n 805/68, dans sa version résultant du règlement n 2066/92, qu' une telle mesure reste exceptionnelle et qu' il n' appartient pas à la Commission de l' adopter.

14 Les gouvernements français et irlandais font valoir ensuite que, en toute hypothèse, les modalités d' application de l' article 6 arrêtées par la Commission doivent respecter la liste des produits visés à l' article 5, paragraphe 2, du règlement n 805/68, qui peuvent faire l' objet d' achats à l' intervention. En effet, conformément au paragraphe 3 de cette disposition, seul le Conseil est habilité à modifier cette liste. Or, par le règlement attaqué, la Commission y aurait inséré un critère
supplémentaire limitant le poids des carcasses admissibles et, par conséquent, l' aurait modifiée.

15 Enfin, selon le gouvernement irlandais, la Commission a également agi en violation de l' article 155 du traité CEE. En introduisant la condition litigieuse, la Commission aurait excédé ses compétences et négligé ainsi de veiller, comme l' exige le premier tiret de cette disposition, à l' application correcte de la réglementation du Conseil applicable en la matière. La Commission aurait également négligé d' exercer les compétences que le Conseil lui a conférées pour l' exécution des règles qu' il
a établies, contrairement aux exigences du quatrième tiret de l' article 155 du traité.

16 Cette argumentation ne saurait être retenue.

17 Conformément à l' article 6, paragraphe 7, du règlement n 805/68 modifié, la Commission est chargée d' arrêter, selon la procédure dite du comité de gestion décrite à l' article 27 de ce règlement, les mesures nécessaires à la mise en oeuvre du mécanisme d' intervention qui fait l' objet de cet article. Tandis que les quatre premiers tirets du paragraphe 7 prévoient des actions spécifiques, les deux tirets suivants délèguent, en des termes généraux, à la Commission les pouvoirs qui s' avèrent
nécessaires pour atteindre les objectifs qui y sont mentionnés, notamment celui d' "éviter une spirale à la baisse des prix du marché".

18 Une mesure de limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention ne saurait être considérée comme un élément essentiel de la matière à régler de sorte qu' elle devrait être arrêtée par le Conseil, selon la procédure de l' article 43 du traité CEE (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 1970, Koester, 25/70, Rec. p. 1161, point 6). En effet, bien qu' une telle mesure puisse conduire à une réorientation de la production de viande bovine, elle tend à mettre en oeuvre de manière adéquate
le mécanisme d' intervention institué par le Conseil en vue de faire face au déséquilibre structurel qui, comme le relève le premier considérant du règlement n 2066/92, existe entre l' offre et la demande sur le marché communautaire de la viande bovine.

19 Une interprétation de l' article 6, paragraphe 7, cinquième tiret, du règlement n 805/68 modifié en ce sens qu' il autorise la Commission à adopter une mesure de limitation du poids des carcasses pouvant être admises à l' intervention est en outre compatible avec les autres dispositions de ce règlement. En effet, le fait que le Conseil a fixé à son article 5 la liste des produits susceptibles de faire l' objet, en principe, de mesures d' intervention n' empêche pas la Commission de choisir sur
cette liste, comme elle l' a fait en l' espèce, les produits qui sont effectivement admissibles à l' intervention. Une telle faculté d' exclure certains produits de la liste des achats à l' intervention est d' ailleurs expressément prévue à l' article 6, paragraphe 7, premier tiret, du règlement n 805/68, modifié.

20 Quant à l' argument tiré de l' article 6a, paragraphe 2, du règlement n 805/68, il y a lieu d' observer que, selon son libellé même ("Par dérogation à l' article 5, paragraphe 2 ..."), cette disposition, contrairement à celle mise en cause dans le présent recours, déroge à la liste susvisée. En effet, l' article 6a concerne des mesures spéciales d' intervention qui ont trait à certaines viandes provenant de bovins mâles de 150 à 200 kg de poids carcasse, alors que, conformément à l' article 5,
paragraphe 2, seuls les "gros bovins" sont admis à l' intervention. L' article 6a ne saurait donc être utilement invoqué pour étayer la thèse selon laquelle seul le Conseil serait compétent pour prendre des mesures excluant de l' intervention des carcasses en fonction de leur poids.

21 Par ailleurs, si la Commission n' était habilitée à adopter au titre de l' article 6, paragraphe 7, cinquième tiret, du règlement n 805/68 modifié que des mesures qui sont déjà autorisées par d' autres dispositions, cette habilitation serait privée de l' essentiel de son effet utile dans la poursuite de l' objectif consistant à éviter une spirale à la baisse des prix du marché. Cette conclusion s' impose d' autant plus que, comme il sera démontré lors de l' examen du moyen tiré de la violation du
principe de proportionnalité, la Commission pouvait, sans commettre une erreur manifeste d' appréciation, estimer qu' aucune mesure moins contraignante n' était à sa disposition afin d' éviter pareille spirale à la baisse des prix du marché.

22 Enfin, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la politique agricole commune, le Conseil peut être amené à conférer à la Commission de larges pouvoirs d' exécution, cette dernière étant la seule à même de suivre de manière constante et attentive l' évolution des marchés agricoles et d' agir avec l' urgence que requiert la situation (voir, notamment, arrêt du 30 octobre 1975, Rey Soda, 23/75, Rec. p. 1279, point 11). De larges pouvoirs d' exécution sont d' autant plus justifiés en l' espèce
qu' ils doivent être exercés selon la procédure dite du comité de gestion qui permet au Conseil de réserver sa propre intervention (arrêt Rey Soda, précité, point 13).

23 Dès lors que la Commission pouvait valablement adopter la mesure litigieuse, elle n' a pas non plus méconnu l' article 155 du traité.

24 Le moyen tiré de l' incompétence de la Commission et de la violation de l' article 6, paragraphe 7, du règlement n 805/68 doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité

25 Tout d' abord, le gouvernement français fait valoir que la mesure litigieuse repose sur plusieurs erreurs manifestes d' appréciation.

26 Ainsi, selon ce gouvernement, une limitation générale du poids des carcasses admissibles à l' intervention présuppose que ce sont les animaux lourds qui encombrent l' intervention, ce qui ne serait nullement prouvé. En effet, contrairement aux affirmations de la Commission, les producteurs d' animaux à petite carcasse pourraient également produire pour l' intervention. Par ailleurs, la Commission n' aurait pas démontré qu' un alourdissement des carcasses risque de déclencher une spirale à la
baisse des prix et que la mesure litigieuse peut y remédier.

27 A cela, le gouvernement français ajoute que la mesure en cause n' est pas apte à réaliser les objectifs poursuivis par la réforme de la politique agricole commune, opérée par le règlement n 2066/92. En effet, cette réforme se traduirait essentiellement par une diminution du prix d' intervention, compensée par l' octroi d' un certain nombre de primes et, afin d' éviter l' accroissement de la production, par un encouragement de la production extensive qui favorise l' élevage de races à viande dont
la carcasse est plus lourde que celle des races à orientation laitière.

28 Ensuite, selon les gouvernements français et irlandais, le règlement litigieux a méconnu le principe de proportionnalité en ce que d' autres moyens moins contraignants existent pour réaliser l' objectif de limitation de la quantité maximale annuelle d' achats de viande. Ces mesures pourraient consister notamment dans l' application de coefficients de réduction (article 11, paragraphe 3, du règlement n 859/89), dans la diminution des prix d' achat à l' intervention, lesquels sont fixés par la
Commission (article 6, paragraphe 7, troisième tiret, du règlement n 805/68 modifié) ou dans l' exclusion de certaines qualités ou catégories de carcasses du régime des achats à l' intervention (article 6, paragraphe 7, premier tiret, du règlement n 805/68 modifié).

29 Enfin, le gouvernement irlandais soutient que la limitation à 340 kg des carcasses pouvant bénéficier de l' intervention douze mois seulement après que ces mesures ont été décidées aura pour effet d' écarter 61 % des boeufs irlandais des achats à l' intervention, ce qui constitue également une violation manifeste du principe de proportionnalité.

30 Selon la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 1994, Crispoltoni e.a., C-133/93, C-300/93 et C-362/93, Rec. p. I-4863, point 41), le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu' un choix s' offre
entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés.

31 Il résulte également de la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 20 octobre 1977, Roquette Frères, 29/77, Rec. p. 1835, points 19 et 20) que, s' agissant de l' évaluation d' une situation économique complexe, la Commission et le comité de gestion jouissent d' un large pouvoir d' appréciation. Ainsi, en contrôlant la légalité de l' exercice d' une telle compétence, le juge doit se limiter à examiner si elle n' est pas entachée d' une erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou
si cette institution n' a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d' appréciation.

32 Dans ces conditions, il convient de vérifier tout d' abord si la Commission n' a pas commis une erreur manifeste dans l' évaluation de la situation du marché en cause.

33 Ainsi qu' il ressort du deuxième considérant du règlement n 685/93, la Commission estime que la surproduction sur le marché de la viande bovine est due en grande partie à l' alourdissement des carcasses bovines rendu possible notamment par le progrès génétique. Dans la mesure où, souvent, ces carcasses plus lourdes ne sont pas recherchées par le marché, les producteurs, confrontés à une baisse des prix sur le marché libre, sont encouragés à produire une viande destinée directement aux organismes
d' intervention.

34 Comme M. l' avocat général l' a démontré aux points 87 à 91 de ses conclusions, la Commission a pu estimer, sans commettre une erreur manifeste d' appréciation, que la demande des carcasses lourdes sur le marché est plus faible que celle des carcasses légères et qu' une partie des carcasses lourdes est directement destinée à l' intervention. Il en est de même de l' affirmation de la Commission selon laquelle l' abattage est souvent délibérément différé par les producteurs en attendant une hausse
des prix du marché ou en vue de vendre la viande aux organismes d' intervention. Enfin, la Commission n' a pas commis d' erreur manifeste en estimant que, même dans un système d' élevage extensif, tel que celui de l' Irlande, où la croissance des animaux est ralentie par rapport au régime d' élevage intensif, ces producteurs pourraient, en vue d' écouler la viande sur le marché libre, ou bien abattre les animaux plus tôt afin de limiter leur poids, ou bien élever des races qui arriveraient plus tôt
à maturité.

35 Il y a lieu de vérifier ensuite si la Commission a choisi une mesure qui n' est pas manifestement inappropriée aux objectifs poursuivis.

36 En ce qui concerne les objectifs poursuivis par la mesure litigieuse, il ressort des considérants du règlement en cause que cette mesure vise à réduire la surproduction de viande bovine en vue de limiter les achats à l' intervention conformément à l' article 6, paragraphe 1, du règlement n 805/68 modifié. Ainsi que la Commission l' a souligné dans le cadre des présents recours, par la mesure querellée, elle cherche également à donner un signal aux producteurs de carcasses lourdes afin qu' ils
abattent plus tôt les jeunes boeufs et qu' à long terme il réorientent leur élevage vers des races plus légères.

37 Force est de constater que la limitation du poids des carcasses admissibles à l' intervention, instituée par le règlement n 685/93, n' apparaît pas manifestement inappropriée à ces objectifs.

38 En effet, comme M. l' avocat général l' a démontré aux points 93 à 96 de ses conclusions, cette mesure est apte à réduire la quantité globale de viande vendue à l' intervention, sans pour autant entraîner, comme l' affirme le gouvernement irlandais, une chute des prix de la viande bovine qui serait due à la mise sur le marché des carcasses qui ne sont plus admissibles à l' intervention.

39 La mesure litigieuse est également apte à réaliser l' objectif consistant à réorienter la production vers des carcasses bovines légères dont la demande sur le marché est plus grande et à inciter les producteurs à n' élever des bovins lourds que lorsqu' il existe sur le marché une demande en ce sens.

40 Enfin, en estimant que la mesure litigieuse s' avère nécessaire en vue d' atteindre les objectifs susvisés, la Commission n' a pas non plus commis d' erreur manifeste.

41 S' agissant, en premier lieu, de la faculté, prévue à l' article 11, paragraphe 3, du règlement n 859/89, puis par l' article 13, paragraphe 3, du règlement n 2456/93, précité, de réduire les quantités adjugées par l' application d' un coefficient de réduction, il est constant que le recours à cette mesure a pour conséquence que les producteurs augmentent à l' avance les quantités offertes à l' intervention, de sorte que ces coefficients ont pu atteindre en 1992 des niveaux de 90 à 95 %. Certes,
la Commission peut augmenter le montant de la garantie exigée des producteurs par l' article 10 du règlement n 859/89, devenu l' article 12 du règlement n 2456/93, lorsqu' ils soumettent leur offre. Toutefois, ainsi que le Royaume-Uni l' a observé avec raison, l' exigence d' un dépôt de garanties de plus en plus élevées dans le but de prévenir le gonflement par anticipation des quantités offertes touche surtout les petits producteurs, sans pour autant constituer un moyen suffisant afin de réaliser
la limitation des achats à l' intervention prescrite par l' article 6, paragraphe 1, du règlement n 805/68 modifié tout en évitant une spirale à la baisse des prix du marché.

42 S' agissant, en deuxième lieu, de la faculté, pour la Commission, de diminuer progressivement les prix d' achat à l' intervention en vue de dissuader les apports à l' intervention, cette institution a pu estimer, sans commettre une erreur manifeste d' appréciation, que cette mesure entraîne nécessairement, en cas d' apports massifs à l' intervention, une chute importante des prix du marché de la viande bovine.

43 S' agissant, en troisième lieu, de la faculté, qui est prévue à l' article 6, paragraphe 7, premier tiret, du règlement n 805/68 modifié, d' exclure de l' intervention certaines catégories et qualités de viande bovine, il suffit de constater qu' il n' a pas été établi que ses effets seraient manifestement moins contraignants que ceux résultant de l' application de la mesure attaquée.

44 A cela, il convient d' ajouter que la limitation du poids des carcasses contestée ne s' applique ni aux mesures d' intervention dites du filet de sécurité, instituées par l' article 6, paragraphe 4, du règlement n 805/68 modifié, ni au régime d' aides au stockage privé dont les règles générales ont été fixées par le règlement (CEE) n 989/68 du Conseil, du 15 juillet 1968 (JO L 169, p. 10), de sorte que ces mesures permettent, le cas échéant, d' atténuer les conséquences néfastes qui pourraient
résulter pour les producteurs concernés de l' application du règlement attaqué.

45 Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité doit être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination

46 Le gouvernement français fait valoir que 68 % du total des carcasses bovines produites en France seraient éliminées en limitant à 340 kg le poids des carcasses admissibles à l' intervention, alors que d' autres États seraient beaucoup moins touchés. Pareille mesure générale de limitation du poids des carcasses serait dès lors discriminatoire vis-à-vis d' États comme la France où sont produits de nombreux animaux lourds de race allaitante et où une part très importante de la production serait
ainsi éliminée de fait par rapport à des États dont le cheptel compte essentiellement des races moins lourdes à orientation laitière. Une telle discrimination serait d' ailleurs expressément interdite par l' article 6, paragraphe 6, deuxième phrase, du règlement n 805/68, dans sa version résultant du règlement n 2066/92, aux termes duquel "Les adjudications doivent assurer l' égalité d' accès de tous les intéressés".

47 Le gouvernement irlandais, pour sa part, estime que l' application de la limitation critiquée exclurait 61 % de la production irlandaise de viande bovine du bénéfice de l' intervention.

48 Selon ce gouvernement, la circonstance que, pour une modification apportée au règlement n 859/89, la Commission a tenu compte des difficultés rencontrées par d' autres États, notamment le royaume de Danemark, fait ressortir encore davantage la nature discriminatoire du traitement appliqué à l' Irlande. Ainsi, l' article 1er du règlement (CEE) n 3891/92 de la Commission, du 29 décembre 1992 (JO L 391, p. 57), qui a modifié l' article 4 du règlement n 859/89 de manière à exclure de l' intervention
la viande provenant de jeunes taureaux, comporte des mesures transitoires visant la production des États où, comme au Danemark, la catégorie antérieurement admise des jeunes taureaux représente plus de 60 % de l' ensemble des abattages de bovins mâles au cours de l' année précédant l' introduction de la modification en cause. En revanche, en l' espèce, la Commission n' a pas prévu de mesures transitoires en faveur de l' Irlande lui permettant de supporter la limitation de poids qui exclura de l'
intervention environ 148 000 tonnes de viande bovine, alors que, dans le cas du Danemark, l' exclusion ne concernait que 25 000 tonnes de viande bovine.

49 Selon la jurisprudence constante de la Cour, l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40, paragraphe 3, du traité CEE n' est qu' une expression spécifique du principe général d' égalité en droit communautaire, qui veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu' un tel traitement soit objectivement justifié (voir, notamment, arrêt du 29 juin 1995, SCAC, C-56/94,
Rec. p. I-1769, point 27).

50 Ainsi qu' il a déjà été relevé ci-dessus, la limitation du poids des carcasses susceptibles de faire l' objet d' achats à l' intervention, en ce qu' elle tend à assurer la stabilité du marché de la viande bovine, poursuit l' un des objectifs de la politique agricole commune visé à l' article 39, paragraphe 1, sous c), du traité CEE. Or, dans la poursuite de cet objectif, tous les producteurs communautaires doivent, quel que soit l' État membre dans lequel ils sont établis, assumer, de façon
solidaire et égalitaire, les conséquences des décisions que les institutions communautaires sont appelées à prendre dans le cadre de leurs compétences pour réagir au risque d' un déséquilibre qui peut apparaître sur le marché entre la production et les possibilités d' écoulement (voir en ce sens, notamment, arrêts du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 29, et Crispoltoni e.a., précité, point 52).

51 Quant à l' argument selon lequel, dans un cas semblable à celui qui fait l' objet de la présente procédure, le royaume de Danemark aurait bénéficié d' un traitement de faveur, il ne saurait pas non plus être retenu. En effet, contrairement au règlement n 3891/92, qui vise à exclure du mécanisme d' intervention une qualité déterminée de produits relevant de la liste de l' article 5 du règlement n 805/68, le règlement n 685/93 n' exclut aucune catégorie de produits du bénéfice des achats à l'
intervention, mais oblige les producteurs concernés à adapter le poids de certaines d' entre elles. En tout état de cause, la réglementation contestée prévoit, à l' instar du règlement n 3891/92, des mesures transitoires destinées, comme le rappelle son deuxième considérant, à permettre à ces producteurs d' adapter progressivement leur production.

52 Enfin, s' agissant de l' article 6, paragraphe 6, du règlement n 805/68 modifié, qui garantit l' égalité d' accès de tous les intéressés dès qu' une adjudication est ouverte, il ne concerne pas la détermination préalable des carcasses pouvant être admises à l' intervention.

53 Par conséquent, le moyen tiré de la violation du principe de non-discrimination doit également être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du principe de la confiance légitime

54 Selon le gouvernement irlandais, la mesure litigieuse méconnaît également le principe de la confiance légitime. En effet, les producteurs irlandais de viande bovine pouvaient légitimement s' attendre à ce que le régime des achats à l' intervention continue à s' appliquer aux carcasses lourdes, dans la mesure où le règlement n 2066/92, qui a profondément modifié les régimes de primes dans le secteur de la viande bovine, a introduit des dispositions spéciales visant précisément à encourager l'
élevage de races lourdes.

55 Le gouvernement irlandais ajoute qu' une réforme brutale, telle que celle mise en oeuvre par le règlement attaqué, qui est susceptible d' être interprétée par les producteurs comme exigeant qu' ils produisent des bêtes d' un type différent, n' est en tout cas admissible que si elle est introduite dans le respect de leurs droits, ce qui n' est pas le cas en l' espèce.

56 Le gouvernement irlandais précise à cet égard que la composition du cheptel national a évolué. Ainsi serait-on passé de races traditionnelles à des races continentales afin de satisfaire davantage le goût et les exigences commerciales des clients continentaux. La diminution du nombre des vaches laitières, à la suite notamment de l' instauration de nouveaux prélèvements communautaires sur le lait et de la fixation d' un plafond pour la production communautaire de lait, se serait accompagnée d' une
progression du nombre des vaches allaitantes qui sont accouplées, en majorité, à des taureaux continentaux et dont un quart sont issues elles-mêmes de croisements avec ces taureaux. Le passage de bêtes à maturation précoce à des bêtes de type continental et l' amélioration concomitante de la productivité et de la qualité se seraient inévitablement accompagnés d' un accroissement du poids moyen des carcasses.

57 L' argumentation du gouvernement irlandais ne saurait être admise.

58 Il convient de relever d' emblée que, comme M. l' avocat général l' a relevé avec raison aux points 133 et 138 de ses conclusions, aucune disposition de la réglementation communautaire dans les secteurs de la viande bovine et de la production laitière ne peut être interprétée en ce sens que la Commission aurait incité les producteurs de viande bovine à produire au-delà des besoins du marché libre, alors que l' objectif principal des réglementations en cause consiste précisément à mettre un terme
au déséquilibre important entre la demande et l' offre sur les marchés en cause.

59 Il y a lieu d' observer ensuite que, si le respect de la confiance légitime s' inscrit parmi les principes fondamentaux de la Communauté, les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d' une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d' appréciation des institutions communautaires, et ce spécialement dans un domaine comme celui des organisations communes des marchés, dont l' objet comporte une constante adaptation en
fonction des variations de la situation économique (voir, notamment, arrêt Crispoltoni e.a., précité, point 57). Ainsi, les opérateurs économiques ne sauraient invoquer un droit acquis au maintien d' un avantage, résultant pour eux de la mise en place de l' organisation commune des marchés, et dont ils ont bénéficié à un moment donné (même arrêt, point 58).

60 En l' espèce, les producteurs de viande bovine ne sauraient dès lors être fondés à se prévaloir d' une confiance légitime dans le maintien du mécanisme des achats à l' intervention.

61 Il en va d' autant plus ainsi que le règlement litigieux a prévu une limitation graduelle du poids de la viande admissible à l' intervention afin notamment, comme le souligne son deuxième considérant, de permettre aux opérateurs concernés d' adapter progressivement leur production.

62 Le moyen tiré de la violation du principe de la confiance légitime doit dès lors être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation du droit au respect de la propriété

63 Le gouvernement irlandais estime que le règlement litigieux méconnaît le droit au respect de la propriété en ce que les producteurs de viande bovine concernés par la limitation en cause seraient privés des fruits de leur travail.

64 Il suffit de relever, à cet égard, que la mesure attaquée ne comporte aucune restriction à l' usage du droit de propriété garanti par l' ordre juridique communautaire. En effet, elle a pour seul effet que les intéressés ne peuvent plus compter sur les achats à l' intervention pour assurer l' écoulement de la viande provenant des carcasses qui sont visées par le règlement n 685/93 et qui n' a pas pu être vendue sur le marché libre, sans empêcher aucunement ces producteurs de disposer librement de
leurs produits.

65 Le moyen tiré de la violation du droit au respect de la propriété doit donc être rejeté.

Sur le moyen tiré d' un détournement de pouvoir

66 Le gouvernement irlandais fait encore valoir que la Commission a commis un détournement des pouvoirs que lui confère l' article 6, paragraphe 7, du règlement n 805/68 modifié.

67 Selon la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêt du 13 juillet 1995, Parlement/Commission, C-156/93, Rec. p. I-2019, point 31), constitue un détournement de pouvoir l' adoption, par une institution communautaire, d' un acte dans le but exclusif ou, tout au moins, déterminant d' atteindre des fins autres que celles excipées ou d' éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l' espèce.

68 En ce qui concerne l' identité entre le but poursuivi et le but excipé, il convient de constater que le gouvernement irlandais n' a fourni aucun élément de nature à établir que la Commission a poursuivi des fins autres que celles excipées.

69 Quant à l' exigence de ne pas éluder une procédure spécialement prévue, il résulte des points 17 à 22 du présent arrêt que la Commission a pu valablement adopter le règlement litigieux selon la procédure dite du comité de gestion, prévue à l' article 27 du règlement n 805/68 et à laquelle renvoie l' article 6, paragraphe 7, de ce règlement.

70 Le moyen tiré d' un détournement de pouvoir doit dès lors être rejeté.

Sur le moyen tiré de la violation des formes substantielles

71 Selon le gouvernement irlandais, le règlement litigieux est insuffisamment motivé. D' abord, contrairement à ce qu' énonce le premier considérant, la mesure litigieuse ne serait pas nécessaire pour permettre à la Commission de maintenir les ventes à l' intervention en deçà des plafonds arrêtés par le Conseil. Ensuite, il serait inexact d' affirmer au deuxième considérant que la surproduction de viande bovine est, pour une grande part, la conséquence de l' alourdissement des carcasses dû au
progrès génétique, que l' intervention publique encouragerait la production de carcasses plus lourdes, que les carcasses les plus lourdes ne sont pas recherchées sur le marché et que cette production est destinée à l' intervention publique. Selon ce même gouvernement, toujours contrairement à ce qu' énonce le deuxième considérant, la limitation querellée n' est pas suffisamment progressive, ne garantit pas la protection de la confiance légitime et ne permet pas aux producteurs d' adapter
graduellement leur production.

72 Il est de jurisprudence constante (voir, notamment, arrêt du 9 novembre 1995, Atlanta, C-466/93, non encore publié au Recueil, point 16) que la motivation exigée par l' article 190 du traité CEE doit être adaptée à la nature de l' acte en cause. Elle doit faire apparaître d' une façon claire et non équivoque le raisonnement de l' institution, auteur de l' acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d' exercer son contrôle.

73 Or, s' agissant du règlement n 685/93, il y a lieu de constater que les considérants font clairement apparaître les raisons qui ont amené la Commission à adopter la mesure litigieuse.

74 Ainsi, le premier considérant part de la constatation que le secteur de la viande bovine reste caractérisé par un déséquilibre important entre l' offre et la demande qui se traduit par des apports massifs à l' intervention publique. De ce fait, la limitation progressive des achats visés à l' article 6, paragraphe 1, du règlement n 805/68 modifié ne pourrait être atteinte au moyen de la procédure d' adjudication que par le recours à des coefficients de réduction des offres de plus en plus élevés
ou par la diminution progressive des prix d' achat. Selon la Commission, une telle évolution risque d' entraîner une spirale à la baisse des prix de marché, préjudiciable aux producteurs de viande bovine.

75 Au deuxième considérant, la Commission explique que l' expérience des dernières années a démontré que la surproduction résulte pour une grande part de l' alourdissement des carcasses bovines rendu possible notamment par le progrès génétique. Souvent, ces carcasses plus lourdes ne sont pas recherchées par le marché et cette évolution encourage finalement une production destinée à l' intervention publique. La Commission estime dès lors qu' il paraît opportun de limiter le poids des carcasses
pouvant être acceptées à l' intervention, limitation qui doit être graduelle afin de respecter la confiance légitime des producteurs et de leur permettre d' adapter progressivement leur production.

76 Quant aux arguments tirés de prétendues erreurs d' appréciation contenues dans les considérants, il suffit de rappeler la jurisprudence selon laquelle de telles questions ne relèvent pas du moyen relatif à la violation des formes substantielles mais du fond (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1972, BASF/Commission, 49/69, Rec. p. 713, point 14) et qu' elles ont été examinées dans le cadre des moyens pris de la violation des principes de proportionnalité et de la confiance légitime.

77 Le moyen tiré de la violation des formes substantielles doit donc également être rejeté.

78 Aucun des moyens avancés par les gouvernements français et irlandais n' ayant pu être retenu, il y a lieu de rejeter les deux recours dans leur ensemble.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

79 Aux termes de l' article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s' il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu en ce sens et la République française et l' Irlande ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé. En application du paragraphe 4, premier alinéa, de ce même article, le Royaume-Uni, qui est intervenu aux litiges, supportera ses propres dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) Les recours sont rejetés.

2) La République française et l' Irlande sont condamnées aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure en référé.

3) Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d' Irlande du Nord supportera ses propres dépens.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-296/93
Date de la décision : 29/02/1996
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine - Conditions d'admissibilité à l'intervention.

Agriculture et Pêche

Viande bovine


Parties
Demandeurs : République française et Irlande
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Moitinho de Almeida

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:65

Source

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