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15/02/1996 | CJUE | N°C-107/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 15 février 1996., P. H. Asscher contre Staatssecretaris van Financiën., 15/02/1996, C-107/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 15 février 1996 ( *1 )

1.  Le Hoge Raad der Nederlanden vous invite à apporter une nouvelle touche à ce tableau que vous brossez progressivement de la situation fiscale du contribuable non-résident d'un État membre. La présente affaire se situe dans le prolongement de vos récents arrêts du 14 février 1995, Schumacker ( 1 ), et du 11 août 1995, Wielockx ( 2 ).



La procédure devant le juge national

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 15 février 1996 ( *1 )

1.  Le Hoge Raad der Nederlanden vous invite à apporter une nouvelle touche à ce tableau que vous brossez progressivement de la situation fiscale du contribuable non-résident d'un État membre. La présente affaire se situe dans le prolongement de vos récents arrêts du 14 février 1995, Schumacker ( 1 ), et du 11 août 1995, Wielockx ( 2 ).

La procédure devant le juge national

Légishtion applicable au principal

2. Aux Pays-Bas, la fiscalité directe des personnes physiques est régie par la Wet op de inkomstenbelasting 1964 (loi de 1964 sur l'impôt sur le revenu, ci-après la « loi sur l'impôt sur le revenu ») ( 3 ) et par la Wet op de loonbelasting 1964 (loi de 1964 sur l'impôt sur le salaire, ci-après la « loi sur l'impôt sur le salaire ») ( 4 ).

3. Ces textes ont été modifiés par des lois du 27 avril 1989 ( 5 ) et du 28 décembre 1989 ( 6 ) entrées en application le 1er janvier 1990. En exécution de cette réforme, la perception de l'impôt sur le salaire et celle des cotisations d'assurances générales sont dorénavant combinées, de sorte que la première tranche d'imposition comporte une composante impôt et une composante cotisations sociales. L'assiette d'imposition a été élargie par le fait que les cotisations d'assurances générales ont cessé
d'être déductibles et que d'autres postes déductibles ont également été supprimés. En contrepartie, le taux d'imposition de la première tranche a été réduit pour les résidents et certains non-résidents qui leur sont assimilés, et celui de la troisième tranche l'a été pour l'ensemble des contribuables.

4. L'impôt sur le salaire est un impôt sur le revenu qui est retenu à la source sur la rémunération des salariés.

5. Un directeur détenant une part importante du capital d'une société fermée à responsabilité limitée est, en ce qui concerne sa rémunération, considéré comme un salarié et soumis à l'impôt sur le salaire. Il est également considéré comme un salarié au regard des assurances générales. En revanche, une telle assimilation n'est pas opérée pour l'application des assurances des salariés ( 7 ).

6. Les situations fiscales transfrontalières sont régies par la convention du 19 octobre 1970 entre le gouvernement du royaume de Belgique et le gouvernement du royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et à régler certaines autres questions en matière fiscale ( 8 ) (ci-après la « convention bilatérale »).

7. Par exemple, en application des articles 15, paragraphe 1, et 16, paragraphe 1, de cette convention bilatérale, les rémunérations perçues par une personne résidant en Belgique et qui occupe un emploi salarié aux Pays-Bas ou exerce les fonctions de directeur d'une société anonyme résidente des Pays-Bas sont imposables aux Pays-Bas. Une telle personne est imposée en Belgique, pays de résidence, sur le reste de ses revenus.

8. L'article 20 a, paragraphe 1, de la loi sur l'impôt sur le salaire contient un barème applicable aux travailleurs résidant aux Pays-Bas ou aux travailleurs assimilés à ceux-ci. L'assimilation a lieu lorsque le revenu mondial du travailleur consiste complètement ou presque complètement, c'est-à-dire à concurrence d'au moins 90 %, en salaires imposables aux Pays-Bas. En application de l'article 20 a, paragraphe 3, cette dernière condition est présumée remplie si le revenu de l'intéressé est soumis,
aux Pays-Bas, au prélèvement des cotisations d'assurances générales.

9. Si le travailleur concerné ne réside pas aux Pays-Bas et si son revenu mondial n'est pas constitué exclusivement ou presque exclusivement de revenus imposables aux Pays-Bas, il est redevable de l'impôt sur le salaire calculé selon le barème établi à l'article 20 b.

10. La différence entre le barème de l'article 20 a et celui de l'article 20 b tient uniquement à la première tranche d'imposition. En 1990, les travailleurs relevant de l'article 20 a étaient soumis, sur la première tranche d'imposition, à un taux d'imposition de 13 %, tandis que les travailleurs relevant de l'article 20 b étaient soumis sur la même tranche à un taux d'imposition de 25 %. Antérieurement à l'année 1990, un même taux d'imposition de 14 % était applicable, pour tous les travailleurs,
à la première tranche d'imposition.

11. En 1990, le taux des cotisations d'assurances générales perçues en même temps que l'impôt sur la seule première tranche d'imposition était de 22,10 %.

12. Le salarié cotisant aux assurances générales et imposé sur le salaire aux Pays-Bas devait donc supporter des prélèvements de 13 % et 22,10 %, soit au total 35,10 %.

Faits du litige au principal

13. M. P. H. Asscher, de nationalité néerlandaise, est domicilié en Belgique depuis le mois de mai 1986. Il est directeur d'une société à responsabilité limitée ayant son siège social aux Pays-Bas. En cette qualité, il exerce ses activités aux Pays-Bas. Il est par ailleurs directeur d'une société de droit belge ayant son siège social en Belgique. En cette qualité, il exerce ses activités en Belgique.

14. M. Asscher est imposé en Belgique sur les revenus servis par la société de droit belge. En Belgique également, il est affilié obligatoirement aux assurances sociales du régime des indépendants.

15. Ses revenus aux Pays-Bas représentent moins de 90 % de son revenu mondial. Ils ne donnent pas lieu à perception de cotisations d'assurances générales.

16. Au mois de juin 1990, il a perçu aux Pays-Bas un salaire brut de 16250 HFL, sur lequel a été retenue une somme de 7891,17 HFL en application de l'article 20 b de la loi sur l'impôt sur le salaire.

17. Il a formé une réclamation contre cette retenue auprès de l'inspecteur compétent. Cette réclamation a été rejetée.

18. Il a alors formé un recours contre la décision de rejet devant le Gerechtshof te Amsterdam. Le 13 avril 1992, celui-ci a rejeté le recours.

19. M. Asscher s'est pourvu en cassation contre la décision du Gerechtshof devant le Hoge Raad der Nederlanden.

Questions préjudiríelles

20. Estimant que la solution du litige supposait l'interprétation de l'article 48 du traité CE, le Hoge Raad der Nederlanden, par arrêt du 23 mars 1994, a décidé de surseoir à statuer et de vous poser les cinq questions préjudicielles suivantes:

«1) L'article 48 du traité permet-il à un État membre (l'État de travail) de soumettre le salaire gagné dans cet État auprès d'un employeur qui y est établi à une imposition sur le revenu et sur le salaire sensiblement plus lourde lorsque le travailleur ne réside pas dans l'État de travail, mais dans un autre État membre?

2) En cas de réponse négative à la première question, la différence de traitement est-elle néanmoins autorisée lorsque le revenu mondial du travailleur, calculé selon les normes de l'État de travail, est composé de telle manière qu'il consiste à concurrence de moins de 90 % en revenus pouvant être pris en compte par l'État de travail aux fins de l'impôt sur le revenu dans le cas de non-résidents?

3) Est-il permis de tenir compte, au moyen d'une différence de taux d'imposition telle que celle visée ici, du fait que le travailleur n'est pas soumis, dans l'État de travail, à la perception de cotisations pour les assurances sociales en vigueur dans cet État?

4) Le fait que le travailleur est soumis à la perception de cotisations pour des assurances comparables dans l'État de domicile est-il pertinent à cet égard?

5) Le point de savoir si le travailleur est un ressortissant de l'État de travail change-t-il quelque chose à la réponse aux questions qui précèdent? »

21. A titre liminaire, nous vous proposons d'examiner la question de savoir si une situation comme celle de l'affaire au principal est susceptible de relever de l'article 52 du traité plutôt que de l'article 48. Nous examinerons ensuite les questions posées, en commençant par la dernière.

Sur l'applicabilité de l'article 52 du traité

22. Le juge de renvoi ne vise que l'article 48 du traité, relatif à la Ubre circulation des travailleurs. En effet, en droit fiscal national, la partie demanderesse au principal est considérée comme un salarié.

23. Au regard du traité, la libre circulation des travailleurs constituant l'un des principes fondamentaux de la Communauté, la notion de travailleur au sens de l'article 48 ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits nationaux, mais revêt une portée communautaire ( 9 ).

24. Votre Cour a précisé:

« Cette notion doit être définie selon des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail en considération des droits et devoirs des personnes concernées. Or, la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu'une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous L direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération » ( 10 ).

25. La Commission relève ( 11 ) que vous n'avez pas eu à vous prononcer jusqu'à présent sur le problème de qualification, en droit communautaire, de la situation du directeur actionnaire d'une société. Elle souligne que M. Asscher est le seul actionnaire de la société de droit néerlandais. Elle doute qu'une personne dans cette situation puisse être considérée comme un « travailleur » au sens de l'article 48 du traité. Elle considère que l'article 52 du traité est en définitive applicable.

26. Le royaume des Pays-Bas exprime le souhait ( 12 ) que vous définissiez explicitement la situation d'un directeur de société au regard du droit communautaire. Il n'exclut pas que les activités transfrontalières d'un ressortissant communautaire directeur de société se rattachent davantage à l'article 52 qu'à l'article 48 du traité.

27. Il nous semble que, dans la présente affaire, vous devriez préciser votre définition de la notion communautaire de « travailleur », afin de permettre au juge national, seul compétent à cet effet, de qualifier la situation juridique de la partie demanderesse au principal en considération, d'une part, de votre définition et, d'autre part, des données factuelles et juridiques de l'espèce qui lui est soumise.

28. La subordination d'une partie à l'autre dans la relation d'emploi salarié est l'une des conditions essentielles inhérentes à la notion de « travailleur ». Son absence est de nature à faire considérer comme indépendante une activité exercée à titre onéreux en faveur d'autres opérateurs économiques ou consommateurs. Elle justifie à notre avis que la personne exerçant cette activité relève de l'article 52 du traité et non de l'article 48.

29. Il y a donc lieu de considérer que le dirigeant d'une personne morale à but lucratif, indépendamment de la qualification, en droit national, du rapport juridique existant entre ces deux sujets de droit, doit être considéré comme exerçant une activité indépendante au sens de l'article 52 du traité, même s'il accomplit pendant un certain temps, en faveur de la personne morale, des prestations en contrepartie desquelles il perçoit une rémunération, lorsque, en considération de L répartition légale
ou statutaire des pouvoirs au sein de la personne morale, il n'est sous L direction d'aucune autre personne ni d'aucun organe qu'il ne contrôle lui-même. Il appartient au juge national d'apprécier si un rapport de subordination existe ou non, en considération des données factuelles et juridiques en cause.

30. En l'espèce au principal, la juridiction de renvoi devra donc se livrer à une analyse de la situation qui lui est soumise, au regard du droit national applicable à l'organisation de la société dirigée par M. Asscher, afin de déterminer si celui-ci relève de l'article 48 ou de l'article 52 du traité.

Sur la cinquième question

31. Par cette question, le juge a quo vise en substance à savoir si le ressortissant d'un État membre exerçant une activité économique dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer selon le cas l'article 48 ou 52 du traité à l'égard de son État d'origine au titre de l'activité salariée ou indépendante qu'il exerce par ailleurs dans celui-ci.

32. Cette question pose le problème de ce qu'il est convenu de qualifier de « discrimination à rebours ».

33. Les gouvernements belge, français et néerlandais estiment que la situation de M. Asscher est purement interne dans la mesure où il est ressortissant du royaume des Pays-Bas et exerce une activité professionnelle sur le territoire de cet État.

34. Les gouvernements français et néerlandais invoquent votre arrêt du 26 janvier 1993, Werner ( 13 ), dans lequel vous avez dit pour droit:

« L'article 52 du traité CEE ne fait pas obstacle à ce qu'un État membre frappe ses ressortissants qui exercent leur activité professionnelle sur son territoire et qui y perçoivent la totalité ou presque de leurs revenus ou y possèdent la totalité ou presque de leur patrimoine, d'une charge fiscale plus lourde lorsqu'ils ne résident pas dans cet État que lorsqu'ils y résident. »

35. Il est certain que le droit communautaire ne s'applique pas à des situations purement internes à un Etat membre.

36. Cependant, selon une jurisprudence constante, les ressortissants d'un État membre peuvent invoquer le bénéfice des règles des articles 48 ou 52 du traité relatives à la libre circulation lorsque, par leur comportement, ils se sont eux-mêmes placés dans l'une des situations envisagées par le droit communautaire et « [...] se trouvent, à l'égard de leur État d'origine, dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité » ( 14 ).

37. Dans l'arrêt du 23 février 1994, Scholz ( 15 ), vous avez énoncé de façon très générale:

« [...] tout ressortissant communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un autre État membre, relève du champ d'application des dispositions [de droit communautaire relatives à la libre circulation des travailleurs]. »

38. Dans l'affaire ayant donné lieu au prononcé de l'arrêt du 26 janvier 1993, précité, M. Werner, dentiste de nationalité allemande établi en Allemagne et ayant acquis ses diplômes et qualifications professionnelles dans cet État, ne faisait que résider dans un autre État membre. Vous n'avez décelé aucun élément d'extranéité dans sa situation, qui aurait été de nature à le faire bénéficier de droits reconnus par le droit communautaire.

39. Dans ses conclusions sous cene affaire, l'avocat général M. Darmon avait souligné ( 16 ):

« Jusqu'aux directives du Conseil du 28 juin 1990 relatives au droit de séjour [...] qui tendent à la généralisation de ce droit, la libre circulation des personnes au sein de la Communauté est déterminée — et délimitée — par le caractère économique du traité. »

40. Ces directives ( 17 ) étant inapplicables ratione temporis dans l'espèce au principal concernant M. Werner, l'avocat général M. Darmon en avait alors déduit ( 18 )

« Il en résulte que la liberté de se déplacer reconnue aux ressortissants communautaires suppose un déplacement en vue d'une aaivité économique.»

41. Nous pensons qu'à l'avenir vous pourriez être amenés à statuer sur des discriminations subies par des ressortissants d'un État membre n'ayant exercé leur liberté de circulation qu'au titre, par exemple, de la directive 90/364 ( 19 ), puisque, à présent, un droit de séjour généralisé est reconnu sous certaines conditions par ce texte de droit communautaire, indépendamment de toute activité économique.

42. Dans le litige au principal concernant M. Asscher, une telle question ne se pose pas.

43. La directive 90/364 n'était pas applicable au mois de juin 1990, date de la retenue sur salaire litigieuse.

44. En toute hypothèse, M. Asscher avait transféré sa résidence en Belgique en 1986 pour y poursuivre l'exercice d'une activité économique dans le cadre d'une société de droit belge constituée antérieurement.

45. Indépendamment du point de savoir si cette activité en Belgique est salariée ou indépendante, le demandeur au principal a ainsi exercé une liberté reconnue par le traité.

46. Le seul fait que, avant le transfert de sa résidence en Belgique, il exerçait déjà une activité dans le cadre de la société de droit belge est indifférent. En effet, la Uberté de circulation consacrée par les articles 48 et 52 du traité couvre tant l'accès à une activité salariée ou non salariée que l'exercice d'une telle activité ( 20 ). Elle englobe en particulier un changement de résidence en relation avec la poursuite d'une activité déjà entreprise, sous réserve d'une fraude à la loi qu'un
État peut légitimement empêcher ( 21 ).

47. M. Asscher se trouve donc, à l'égard de son Etat d'origine, dans une situation assimilable à celle de tous autres sujets bénéficiant des droits et libertés garantis par le traité, au sens de l'arrêt Kraus, précité. Comme ces autres sujets de droit, il ne doit pas faire l'objet de discriminations.

48. Selon nous, il y a donc lieu de répondre à la cinquième question que le ressortissant d'un État membre exerçant une activité économique dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer selon le cas l'article 48 ou 52 du traité à l'égard de son État d'origine au titre de l'activité salariée ou indépendante qu'il exerce par ailleurs dans celui-ci.

49. Dans la suite de nos développements relatifs aux questions posées par le juge a quo et dans les réponses à celles-ci, il y aura lieu de conserver à l'esprit l'assimilation de cette situation particulière d'un ressortissant de l'État membre en cause à celle de tout ressortissant d'un autre État membre qui exercerait une activité salariée ou indépendante sur le territoire de l'État d'imposition.

Sur la première question

50. Par sa première question, considérée à la lumière de nos conclusions ci-dessus relatives à l'applicabilité de l'article 52 du traité, la juridiction de renvoi demande en substance si l'article 48 ou l'article 52 du traité permet à l'État membre dans lequel le ressortissant d'un autre État membre exerce une activité salariée ou indépendante tout en résidant dans son État d'origine ou un autre État membre d'imposer ce ressortissant plus lourdement sur le revenu de cette activité que s'il était
l'un de ses résidents.

51. Du libellé de la deuxième question qui, se référant à une réponse négative à la première, vise ensuite l'hypothèse particulière dans laquelle le ressortissant concerné ne perçoit pas la totalité ou la quasi-totalité de son revenu dans l'État où il exerce son activité, il y a lieu de déduire que la première question vise au contraire, implicitement mais nécessairement, l'hypothèse dans laquelle le ressortissant perçoit la totalité ou la quasi-totalité de son revenu dans cet État.

52. Avant de vous proposer une réponse à la première question ainsi précisée, nous rappellerons la situation du droit positif en matière d'impôts directs.

53. En l'état actuel du droit communautaire, la fiscalité directe ne relève pas en tant que telle de la compétence de la Communauté. L'article 99 du traité attribue expressément au Conseil une compétence d'harmonisation dans le seul domaine de la fiscalité indirecte. Les législations relatives à la fiscalité directe sont susceptibles d'harmonisation, dans le cadre de l'article 100 du traité, à l'unanimité des États membres, lorsqu'elles ont une incidence directe sur l'établissement ou le
fonctionnement du marché commun. En revanche, l'article 100 A, paragraphe 2, exclut les dispositions fiscales du champ de l'harmonisation permise, à la majorité qualifiée, par le paragraphe 1 du même article, aux fins de l'établissement et du fonctionnement du marché intérieur.

54. Il n'en demeure pas moins, ainsi que vous l'avez relevé ( 22 ), que « [...] les États membres doivent exercer leurs compétences retenues dans le respect du droit communautaire ».

55. Dans le domaine de la fiscalité directe, ils ne peuvent en conséquence adopter des mesures qui auraient pour effet, sans justification, d'entraver la libre circulation des salariés (article 48 du traité) ( 23 ) ou des sujets de droit exerçant une activité indépendante (article 52) ( 24 ).

56. Selon une jurisprudence constante ( 25 ), les règles d'égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité, ou le siège en ce qui concerne les sociétés, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat.

57. Ainsi, une réglementation nationale applicable indépendamment de la nationalité du contribuable concerné mais qui, établissant une différence de traitement fondée sur le critère de la résidence, est défavorable aux non-résidents, risque de jouer principalement au détriment des ressortissants d'autres États membres, dans la mesure où les non-résidents sont le plus souvent des non-nationaux ( 26 ).

58. Dans ces conditions, un traitement plus favorable réservé aux seuls résidents d'un État membre est susceptible de constituer une discrimination indirecte en raison de la nationalité ( 27 ).

59. En vertu d'une jurisprudence constante également, « [...] une discrimination ne peut consister que dans l'application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l'application de la même règle à des situations différentes » ( 28 ).

60. Dans l'arrêt Schumacker, précité, qui concernait l'interprétation de l'article 48 du traité, le litige au principal se rapportait à une législation nationale qui réservait aux résidents, notamment, la prise en compte de leur situation familiale ainsi que la possibilité de déduction de certaines dépenses dans le domaine social.

61. Vous avez dû analyser la situation d'un contribuable salarié non-résident qui, ne percevant pas de revenu significatif dans l'État de sa résidence et tirant l'essentiel de ses ressources imposables d'une activité exercée dans l'État d'emploi, ne peut bénéficier dans l'État de résidence de la prise en compte de sa situation personnelle et familiale.

62. Vous avez jugé qu'« [...] il n'existe entre un tel non-résident et un résident exerçant une activité salariée comparable aucune différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement en ce qui concerne la prise en considération, aux fins de l'imposition, de la situation personnelle et familiale du contribuable » ( 29 ).

63. Vous avez précisé que « [...] la discrimination consiste en ce que la situation personnelle et familiale de ce non-résident n'est prise en compte ni dans l'État de résidence ni dans l'État d'emploi » ( 30 ).

64. Vous avez ainsi estimé que la discrimination résultait de l'application de règles différentes à des situations comparables. La similitude des situations tenait à ce que tant les résidents que les non-résidents étaient imposés en totalité par le même État. La seule différence existant entre les deux catégories de contribuables était le lieu de résidence. Ce critère était insuffisant pour justifier une discrimination.

65. Dans votre arrêt Wielockx, précité ( 31 ), vous avez retenu la même solution en ce qui concerne l'article 52 du traité.

66. A fortiori, cette solution doit valoir également, au regard des articles 48 et 52, lorsque la différence de traitement consiste non pas, négativement, en l'absence de prise en compte de la situation personnelle et familiale à fin d'allégement de la charge fiscale, mais, positivement, en un alourdissement du taux de l'impôt. A l'évidence, aucun élément objectif n'est de nature à justifier qu'un résident et un non-résident tirant leur revenu totalement ou presque exclusivement d'une activité
exercée dans le même État membre soient imposés à des taux différents sur le seul fondement du lieu de la résidence.

67. Il y a donc lieu de répondre à la première question préjudicielle que les articles 48 et 52 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne permettent pas à un État membre d'imposer plus lourdement le ressortissant d'un autre État membre exerçant une activité salariée ou indépendante dans le premier État, tirant son revenu totalement ou presque exclusivement de cette activité, mais résidant dans son État d'origine ou un autre État membre que si, exerçant la même activité, il était
résident de l'État d'imposition. Une telle discrimination indirecte en raison de la nationalité existe, que la différence de traitement consiste en une absence de prise en compte de la situation personnelle ou familiale du contribuable non-résident ou dans l'application d'un taux d'imposition supérieur.

Sur la deuxième question

68. Par cette question, le juge national demande en substance si l'article 48 ou 52 du traité permet à un État membre d'imposer plus lourdement le ressortissant d'un autre État membre que l'un de ses propres ressortissants résidents, lorsque le non-ressortissant, exerçant une activité salariée ou indépendante sur son territoire tout en résidant dans son État d'origine ou un autre État membre, ne tire pas totalement ou presque exclusivement son revenu de ladite activité.

69. La loi néerlandaise fixe un seuil précis de 90 % du revenu mondial, en deçà duquel un traitement différent est réservé aux non-résidents, et au-delà duquel le traitement fiscal est identique pour les résidents et les non-résidents. Dans sa recommandation 94/79/CE, du 21 décembre 1993, relative à l'imposition de certains revenus obtenus par des non-résidents dans un État membre autre que celui de leur résidence ( 32 ), la Commission vise un taux de 75 % du revenu total imposable. Dans l'arrêt
Schumacker, précité, vous avez évité de retenir un taux particulier. Un tel taux aurait été peu approprié à une démarche jurisprudentielle. Surtout, le seuil correspondant à votre analyse dans cette affaire était plutôt celui, variable selon les États, au-delà ou en deçà duquel le revenu est ou n'est pas imposable dans l'État de résidence d'un contribuable qui est par ailleurs contribuable non-résident d'un autre État membre. Pour les mêmes raisons, il nous semble que votre Cour ne devrait pas
viser un taux déterminé dans la présente affaire.

70. Dans l'arrêt Schumacker, avant d'isoler le cas particulier du non-résident percevant la totalité ou la quasi-totalité de ses revenus dans l'État d'emploi, vous avez admis ( 33 ) que, « [...] en matière d'impôts directs, la situation des résidents et celle des non-résidents ne sont, en règle générale, pas comparables ».

71. Votre analyse a été la suivante ( 34 ):

« Le revenu perçu sur le territoire d'un État par un non-résident ne constitue le plus souvent qu'une partie de son revenu global, centralisé au lieu de sa résidence. Par ailleurs, la capacité contributive personnelle du nonrésident, resultant de la prise en compte de l'ensemble de ses revenus et de sa situation personnelle et familiale, peut s'apprécier le plus aisément à l'endroit où il a le centre de ses intérêts personnels et patrimoniaux. Ce lieu correspond en général à la résidence
habituelle de la personne concernée. Aussi le droit fiscal international, et notamment le modèle de convention de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en matière de double imposition, admet-il que c'est en principe à l'État de résidence qu'il incombe d'imposer le contribuable de manière globale, en prenant en considération les éléments inhérents à la situation personnelle et familiale de celui-ci.

La situation du résident est différente, dans la mesure où l'essentiel de ses revenus est normalement centralisé dans l'État de résidence. Par ailleurs cet État dispose généralement de toutes les informations nécessaires pour apprécier la capacité contributive globale du contribuable, compte tenu de sa situation personnelle et familiale. »

72. Vous en avez déduit ( 35 ):

« En conséquence, le fait pour un État membre de ne pas faire bénéficier un non-résident de certains avantages fiscaux qu'il accorde au résident n'est, en règle générale, pas discriminatoire, puisque ces deux catégories de contribuables ne se trouvent pas dans une situation comparable. »

73. Il importe de relever que, dans votre décision, vous n'avez pas consacré la possibilité d'une différence de traitement liée à n'importe quelle différence entre les situations des résidents et des non-résidents. Vous avez visé ( 36 ) une «différence de situation objective de nature à fonder une différence de traitement ».

74. Nous pensons qu'il y aurait lieu d'ajouter que la différence de situation doit être pertinente fiscalement, c'est-à-dire qu'elle doit présenter un lien suffisamment étroit avec le domaine de la fiscalité en cause.

75. En effet, lorsque vous avez admis que la situation personnelle et familiale d'un contribuable non-résident peut ne pas être prise en compte dans l'État d'emploi, c'était parce que cette prise en compte a déjà lieu en principe dans l'État de résidence, en vertu du droit fiscal international, au titre du revenu mondial du contribuable. Cette prise en compte constitue précisément une différence de situation objective et pertinente fiscalement. Dans l'hypothèse considérée, la différence de
traitement a pour objectif, légitime, d'éviter que la situation personnelle et familiale du non-résident ne lui profite deux fois.

76. Il y a cependant lieu d'observer que, dans un cas comme celui des relations entre le royaume des Pays-Bas et le royaume de Belgique, une différence de traitement entre résidents, d'une part, et non-résidents ne percevant pas la totalité ou la quasi-totalité de leurs revenus dans l'autre État, d'autre part, ne paraît pas possible en ce qui concerne la prise en compte de la situation personnelle et familiale. En effet, aux termes de l'article 25, paragraphe 3, de la convention bilatérale qui, sur
ce point, contient une disposition plus favorable que l'article 24 du modèle de convention de l'OCDE, susvisé, « Les personnes physiques résidentes de l'un des États bénéficient dans l'autre État des déductions personnelles, abattements et réductions qui sont accordés par cet autre État à ses propres résidents en raison de leur situation ou de leurs charges de famille ».

77. Selon nous, il devrait donc être répondu à la deuxième question que l'article 48 ou 52 du traité permet en principe à un État membre d'imposer plus lourdement le ressortissant d'un autre État membre que l'un de ses propres ressortissants résidents, lorsque le non-ressortissant, exerçant une activité salariée ou indépendante sur son territoire tout en résidant dans son État d'origine ou un autre État membre, ne tire pas totalement ou presque exclusivement son revenu de ladite activité. Toutefois,
la différence de traitement doit être fondée sur une différence de situation objective et pertinente fiscalement.

Sur les troisième et quatrième questions

78. Par ces questions, qu'il y a lieu d'examiner ensemble, le juge a quo demande en substance si la circonstance que le revenu perçu dans l'État d'imposition par un contribuable non-résident n'est pas soumis, dans cet État, au prélèvement de cotisations d'assurances sociales constitue une différence de situation objective et pertinente fiscalement, de nature à fonder une imposition plus lourde du non-résident.

79. Disons immédiatement qu'une telle circonstance ne nous paraît pas pertinente fiscalement, que le non-résident soit ou non assujetti à des cotisations dans son État de résidence.

80. Nous ne pensons pas que, comme le soutient le gouvernement néerlandais ( 37 ), « un système fiscal adéquat permet de compenser l'exonération de cotisations sociales dont bénéficient certains contribuables et l'influence que cette exonération a sur la capacité contributive ».

81. Nous ne pensons pas que, comme le soutient en des termes très proches le gouvernement français ( 38 ), « cette exonération est compensée dans la réglementation néerlandaise par un taux d'imposition sur les revenus de la première tranche du barème plus élevé pour les non-résidents que pour les résidents » et qu'une telle solution assure « la cohérence du système fiscal néerlandais » au sens de votre arrêt du 28 janvier 1992, Bachmann ( 39 ).

82. En effet, les impôts directs et les cotisations sociales relèvent de deux catégories de charges fondamentalement distinctes, qui n'ont aucun rapport direct entre elles. Le versement de cotisations sociales relève d'un système d'assurance: il donne droit à des prestations déterminées. En revanche, le paiement d'impôts, étranger à un mécanisme d'assurance, ne donne pas droit à des prestations en tant que telles.

83. On perçoit donc mal, a priori, comment l'on pourrait « compenser » des charges de nature différente.

84. Le simple fait que, pour des raisons techniques, un État estime préférable de procéder à une perception combinée de l'impôt direct et des cotisations sociales, sur la base d'une assiette uniforme, ne modifie en rien la situation.

85. Une donnée socioéconomique telle que le taux des charges sociales est prise en compte au même titre que toute autre donnée, par exemple l'importance de la fiscalité indirecte, dans le cadre de la politique économique et fiscale que l'État entend conduire sur son territoire.

86. Le taux des cotisations effectivement prélevées peut ainsi être un élément d'appréciation, tiré d'un autre domaine, qui peut conduire l'État à limiter la pression exercée en matière fiscale, afin d'éviter par ailleurs une augmentation du taux global des prélèvements obligatoires.

87. Lorsque le taux de cotisation est nul au motif que le contribuable paie des cotisations dans un autre État ou bien n'est assuré dans aucun des deux États, il ne peut servir à isoler une catégorie de contribuables et à la soumettre à une pression fiscale plus forte.

88. Quand l'État décide d'imposer davantage une telle catégorie, de deux choses l'une:

— ou bien il porte un préjudice injustifié aux contribuables non-résidents qui acquittent des cotisations sociales dans leur État de résidence,

— ou bien, à l'égard des non-résidents qui, non assurés dans les deux États, ne supporteraient pas de cotisations, il sort des limites de sa souveraineté fiscale en se faisant juge de la capacité contributive globale de ces non-résidents et donc de la progressivité souhaitable de l'impôt supporté par ceux-ci, alors que sur ces points, en vertu du droit fiscal international, ils relèvent en principe de leur État de résidence pour leurs revenus mondiaux.

89. Relevons que, en l'espèce au principal, l'article 24, paragraphe 2, point 1, de la convention bilatérale confie précisément au royaume de Belgique l'appréciation de la progressivité globale de l'impôt en lui réservant le droit de tenir compte, pour fixer le taux de ses impôts, des revenus qui, perçus et imposables aux Pays-Bas, sont exemptés d'impôt en Belgique en vertu de ladite convention.

90. En toute hypothèse, une situation comme celle soumise au juge de renvoi ne relève nullement de la justification admise dans l'arrêt Bachmann, précité.

91. Dans l'affaire Bachmann, la déduction des cotisations versées à des sociétés établies en Belgique entraînait positivement une perte de recettes fiscales, laquelle était compensée ensuite par l'imposition, en Belgique, des sommes versées par ces sociétés. Par ailleurs, les sommes déduites en amont et celles imposées en aval se rapportaient à un même contrat.

92. Dans la présente affaire, aucune déduction de cotisations n'a été opérée aux Pays-Bas par les non-résidents concernés, ni avant ni après le 1er janvier 1990. Il n'existe donc aucune perte de recettes fiscales en relation directe avec des cotisations. Quant au taux d'imposition plus élevé, il n'est pas appliqué à des sommes versées en contrepartie des cotisations, mais sur le revenu professionnel du contribuable.

93. Le gouvernement néerlandais fait valoir ( 40 ) que, depuis le 1erjanvier 1990, les résidents ne peuvent plus déduire de leur revenu imposable le montant des cotisations sociales acquittées. Comme les non-résidents qui ne sont pas assurés aux Pays-Bas ne pouvaient pas, déjà avant cette date, déduire des cotisations, ils se seraient trouvés sans raison dans une position relativement plus favorable, consécutive à un abaissement du taux d'imposition.

94. Cette affirmation nous semble inexacte.

95. Au plan fiscal, l'application de taux d'impôt identiques aux résidents et aux non-résidents ne contribue pas à favoriser les non-résidents, mais plus simplement à assurer l'égalité fiscale de cette catégorie et de celle des résidents.

96. L'égalité de traitement à préserver n'est pas celle des situations, favorables ou défavorables, à des moments différents dans le temps, d'une même catégorie de sujets de droit, mais l'égalité, à un moment donné, de plusieurs catégories de sujets de droit se trouvant dans des situations comparables.

97. Or, avant 1990, la première tranche de revenus était soumise au même taux de 14 % pour les non-résidents comme pour les résidents, dans le respect de l'égalité de traitement. La différence de situation existant alors en amont de l'application du taux d'imposition, et tenant à la déductibilité des cotisations versées par les résidents et à l'impossibilité de déduire des cotisations par hypothèse non versées par les non-résidents, était sans relation avec le taux appliqué ensuite, identique pour
les deux catégories. Elle n'était liée, fort logiquement, qu'à l'acquittement effectif ou à l'exemption de cotisations sociales.

98. Postérieurement à 1990, aucun élément nouveau n'est de nature à justifier que les non-résidents soient subitement soumis à un taux de 25 % et les résidents à un taux de 13 % seulement.

99. Il y a lieu au contraire de souligner que, selon le royaume des Pays-Bas lui-même ( 41 ), si les résidents ne peuvent plus déduire leurs cotisations sociales et voient donc augmenter leur revenu imposable et donc l'impôt qui le grève, « il n'y a cependant pas eu en fait d'augmentation de la fiscalité », « grâce à une diminution intégrale des charges fiscales et sociales ».

100. Il apparaît ainsi qu'une réforme neutre fiscalement pour les résidents a été l'occasion de l'institution d'une différence de taux d'imposition de 12 % entre résidents et non-résidents, au détriment de ces derniers.

101. Il apparaît également que, pour éviter que certains non-résidents bénéficient d'une réduction de 1 % du taux applicable avant 1990, on les a soumis à un taux supérieur de 12 % à celui appliqué aux résidents.

102. Lorsque le gouvernement néerlandais indique ( 42 )« [...] qu'il est nécessaire d'éviter [...] que la pression fiscale subie par les non-résidents, qui [...] ne doivent pas [...] verser de cotisations sociales, ne soit nettement plus légère que la pression fiscale subie par les résidents », il opère sans doute une confusion entre, d'une part, la pression fiscale au sens strict et, d'autre part, la pression résultant, d'une manière plus large au plan économique, de l'ensemble des prélèvements
obligatoires, en particulier sociaux et fiscaux, existant dans un État.

103. Or, à taux d'imposition égal, la pression fiscale demeure égale, indépendamment du point de savoir si un contribuable donné est ou non assujetti par ailleurs à des cotisations sociales.

104. Le royaume des Pays-Bas affirme ( 43 ) que, depuis le 1er janvier 1990, les résidents tout comme les non-résidents ont droit à la déduction de base, correspondant à la partie du revenu exonérée d'impôt et de cotisations sociales. Selon lui, cela peut avoir pour conséquence que les non-résidents profitent deux fois d'une tranche de revenus exonérée d'impôts, dans l'État de résidence et dans l'État d'emploi, alors que, aux termes de l'article 24, paragraphe 3, du modèle de convention de l'OCDE
(tel que mis à jour au 1er septembre 1992), l'État d'emploi n'est pas obligé d'accorder aux non-résidents les déductions personnelles, abattements et réductions d'impôts en fonction de la situation ou des charges de famille qu'il accorde à ses propres résidents. La fixation du taux de 25 % applicable aux non-résidents ne pourrait être envisagée de manière isolée et abstraction faite de cette circonstance.

105. Cette argumentation ne devrait pas être retenue.

106. En effet, à supposer que les non-résidents bénéficient effectivement d'une déduction de base dans chacun des deux États, ce sera en vertu d'un choix conventionnel de ceux-ci. Dans les relations entre le royaume de Belgique et le royaume des Pays-Bas, le modèle de convention de l'OCDE ne s'applique que dans la mesure où ses dispositions ont été reprises par la convention effectivement conclue. Or, la convention bilatérale ne contient pas de disposition dispensant chacune des parties
contractantes d'accorder aux non-résidents les déductions personnelles, abattements et réductions d'impôts accordés aux résidents. Au contraire, l'article 25, paragraphe 3, précité, dispose expressément que les résidents d'un État bénéficient dans l'autre État de tels déductions, abattements et réductions.

107. Le gouvernement néerlandais précise ( 44 ) que, en fixant à 25 % le taux applicable aux non-résidents, il a également tenu compte du taux d'imposition en vigueur dans les pays limitrophes, qui serait en général plus élevé que le taux d'imposition appliqué aux résidents néerlandais, de sorte que la capacité contributive des non-résidents serait relativement plus élevée que celle des résidents.

108. Une telle analyse n'est pas fondée.

109. Comme nous l'avons déjà souligné ( 45 ), il n'appartient pas à un État membre d'apprécier, aux lieu et place d'un autre État membre, la capacité contributive globale de résidents de celui-ci, à l'occasion de l'imposition d'une partie de leur revenu perçu sur le territoire du premier État.

110. Si un État estime que le taux appliqué par un État limitrophe est approprié, et s'il souhaite s'en inspirer, il ne peut le faire qu'à l'égard de l'ensemble de ses contribuables et non pas de manière sélective.

111. Le royaume des Pays-Bas fait valoir enfin ( 46 ) que, si le taux applicable aux non-résidents non assurés avait été le même que le taux applicable aux résidents, ce taux bas aurait pu avoir un « effet d'aspiration ». Les non-résidents auraient pu être tentés d'acquérir une partie de leurs revenus aux Pays-Bas uniquement en raison du régime fiscal plus favorable.

112. Cet argument semble illustrer la crainte de ce que l'on pourrait appeler curieusement une invasion fiscale.

113. Il n'emporte pas notre conviction.

114. En premier lieu, il est difficile d'imaginer un effet d'aspiration résultant de l'abaissement de 1 % du taux de 14 % applicable à la première tranche jusqu'en 1989.

115. En second lieu et surtout, nous ne percevons pas le préjudice fiscal que subirait un État confronté à un tel phénomène.

116. Habituellement, un État entend se prémunir contre une évasion fiscale. Un contribuable organise sa situation pour la soumettre à la fiscalité, par hypothèse plus clémente, d'un État autre que celui qui devrait l'imposer. Le préjudice de l'État « victime de l'évasion » est évident: il correspond à une perte de recettes fiscales.

117. En revanche, l'État auquel le contribuable a soumis délibérément sa situation, loin de subir un préjudice, bénéficie d'une rentrée fiscale qu'il n'aurait normalement pas pu comptabiliser.

118. Notons que, dans l'arrêt Commission/France, précité ( 47 ), vous avez estimé que l'article 52 du traité ne permet pas de déroger au principe fondamental de la liberté d'établissement même pour des raisons tirées d'un risque d'évasion fiscale ( 48 ).

119. En définitive, aucun des arguments analysés ne permet de justifier une différence de traitement au titre de la cohérence du système fiscal, critère retenu par l'arrêt Bachmann, précité. Aucun ne relève des « raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique » visées par les articles 48, paragraphe 3, et 56, paragraphe 1, du traité.

120. Si le moindre doute subsistait, il devrait être levé à la lumière de certaines observations de la partie demanderesse au principal et de la Commission. A juste titre, celles-ci relèvent ( 49 ) en effet que la discrimination apparaît nettement si l'on compare la situation d'un non-résident imposé au taux de 25 % à celle d'un contribuable résidant aux Pays-Bas qui bénéficie du taux inférieur de 13 % même s'il ne perçoit pas totalement ou presque exclusivement son revenu imposable dans cet État et
n'y acquitte pas de cotisations sociales.

121. En conclusion, il y a lieu de considérer qu'une différence de traitement comme celle en cause au principal constitue une discrimination indirecte en raison de la nationalité.

122. Selon nous, il devrait donc être répondu aux troisième et quatrième questions que la circonstance que le revenu perçu dans l'État d'imposition par un contribuable non-résident n'est pas soumis, dans cet État, au prélèvement de cotisations d'assurances sociales ne constitue pas une différence de situation objective et pertinente fiscalement, de nature à fonder une imposition plus lourde du non-résident.

Conclusion

123. Nous vous proposons donc de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Hoge Raad der Nederlanden:

«1) Le dirigeant d'une personne morale à but lucratif, indépendamment de la qualification, en droit national, du rapport juridique existant entre ces deux sujets de droit, doit être considéré comme exerçant une activité indépendante au sens de l'article 52 du traité CE, même s'il accomplit pendant un certain temps, en faveur de la personne morale, des prestations en contrepartie desquelles il perçoit une rémunération, lorsque, en considération de la répartition légale ou statutaire des pouvoirs
au sein de la personne morale, il n'est sous la direction d'aucune autre personne ni d'aucun organe qu'il ne contrôle lui-même. Il appartient au juge national d'apprécier si un rapport de subordination existe ou non, au regard des données factuelles et juridiques en cause.

2) Le ressortissant d'un État membre exerçant une activité économique dans un autre État membre, où il réside, peut invoquer selon le cas l'article 48 ou 52 du traité à l'égard de son État d'origine au titre de l'activité salariée ou indépendante qu'il exerce par ailleurs dans celui-ci.

3) Les articles 48 et 52 du traité doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne permettent pas à un État membre d'imposer plus lourdement le ressortissant d'un autre État membre exerçant une activité salariée ou indépendante dans le premier État, tirant son revenu totalement ou presque exclusivement de cette activité, mais résidant dans son État d'origine ou un autre État membre que si, exerçant la même activité, il était résident de l'État d'imposition. Une telle discrimination indirecte en
raison de la nationalité existe, que la différence de traitement consiste en une absence de prise en compte de la situation personnelle ou familiale du contribuable non-résident ou dans l'application d'un taux d'imposition supérieur.

4) L'article 48 ou 52 du traité permet en principe à un État membre d'imposer plus lourdement le ressortissant d'un autre État membre que l'un de ses propres ressortissants résidents, lorsque le non-ressortissant, exerçant une activité salariée ou indépendante sur son territoire tout en résidant dans son État d'origine ou un autre État membre, ne tire pas totalement ou presque exclusivement son revenu de ladite activité. Toutefois, la différence de traitement doit être fondée sur une différence
de situation objective et pertinente fiscalement.

5) La circonstance que le revenu perçu dans l'État d'imposition par un contribuable non-résident n'est pas soumis, dans cet État, au prélèvement de cotisations d'assurances sociales ne constitue pas une différence de situation objective et pertinente fiscalement, de nature à fonder une imposition plus lourde du non-résident. »

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( *1 ) Langue originale: le (rançais.

( 1 ) C-279/93, Rec. p. I-225.

( 2 ) C-80/94, Rec. p. I-2493.

( 3 ) Loi du 16 décembre 1964, Staatsblad 519 et —version telle que modifiée depuis lors — Staatsblad 1990, 103.

( 4 ) Loi du 18 décembre 1964, Staatsblad 521 et —version telle que modifiée depuis lors — Staatsblad 1990, 104.

( 5 ) Staatsblad 122, 123 et 129.

( 6 ) Staatsblad Hi.

( 7 ) Voir état de la jurisprudence nationale décrit aux observations écrites de la Commission (point 5).

( 8 ) Moniteur belge du 25 septembre 1971.

( 9 ) Arrêts du 23 mars 1982, Levin (53/81, Rec. p. 1035), et du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (66/85, Rec. p. 2121, point 16).

( 10 ) Arrêt Lawrie-Blum, précité (point 17, souligné par nous).

( 11 ) Point 20 de ses observations écrites.

( 12 ) Point 28 de ses observations écrites.

( 13 ) C-112/91, Rec. p. I-429.

( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 7 février 1979, Knoors (115/78, Rec. p. 399, attendu 24), et du 31 mars 1993, Kraus (C-19/92, Rec. p. I-1663, point 15).

( 15 ) C-419/92, Rec. p. I-505, point 9.

( 16 ) Point 30.

( 17 ) Directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour (JO L 180, p. 26); directive 90/365/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des travailleurs salariés et non salariés ayant cessé leur activité professionnelle (JO L 180, p. 28); directive 90/366/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 180, p. 30), annulée, pour choix erroné de la base juridique, par arrêt de la Cour du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil
(C-295/90, Rec. p. I-4193), maintenue en vigueur quant à ses effets jusqu'à l'entrée en vigueur d'une directive adoptée sur la base juridique appropriée, puis remplacée par ta directive 93/96/CEE du Conseil, du 29 octobre 1993, relative au droit de séjour des étudiants (JO L 317, p. 59).

( 18 ) Point 30.

( 19 ) Précitée à la note 17.

( 20 ) Voir le cinquième considérant et le titre II du règlement (CEE) no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif a la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), ainsi que l'arride 52, second alinéa, du traité.

( 21 ) Arrêt Knoors, précité (point 25).

( 22 ) Voir, notamment, arrêt du 4 octobre 1991, Commission/Royaume-Uni (C-246/89, Rec. p. I-4585, point 12), et arrêt Schumacker, précité (point 21).

( 23 ) Arrêt du 8 mai 1990, Biehl (C-175/88, Rec. p. I-1779, point 12).

( 24 ) Arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France (270/83, Rec. p. 273), et du 13 juillet 1993, Commerzbank (C-330/91, Rec. p. I-4017).

( 25 ) Voir, en particulier, arrêt du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, attendu 11), et arrêt Commerzbank, précité (point 14).

( 26 ) Arrêts Biehl, précité (point 14), et Schumacker, également précité (point 28).

( 27 ) Arrêt Schumacker, précité (point 29).

( 28 ) Ibidem, point 30.

( 29 ) Ibidem, point 37.

( 30 ) Ibidem, point 38.

( 31 ) Points 20 et 21.

( 32 ) JO 1994, L 39, p. 22.

( 33 ) Point 31. Affirmation reprise, dans le cadre de l'article 52 du traité, par l'arrêt Wielockx, précité (point 18).

( 34 ) Points 32 et 33.

( 35 ) Point M. Affirmation reprise en substance, dans le cadre de l'article 52 du traité, par l'arrêt Wielockx (point 19).

( 36 ) Point 37, souligné par nous.

( 37 ) Point 13 de ses observations écrites.

( 38 ) Point 4, cinquième alinéa, de ses observations écrites.

( 39 ) C-204/90, Rec. p. I-249. Dans le dispositif de cet arrêt, vous avez admis, à titre de justification d'une différence de traitement entre résidents et non-résidents, qu'un État membre, pour « garantir la cohérence du régime fiscal applicable », peut subordonner la déductibilité de cotisations d'assurance contre la maladie et l'invalidité ou contre la vieillesse et le décès à la condition que ces cotisations soient versées dans cet Eut. Vous aviez au préalable souligné (point 21) qu'il existait
« [...] un lien entre la déductibilité des cotisations et l'imposition des sommes dues par les assureurs en exécution des contrats d'assurance », et vous en aviez déduit (point 22): « Il s'ensuit que, dans un tel régime fiscal, la perte de recettes qui résulte de la déduction des cotisations d'assurance [...] du revenu total imposable est compensée par l'imposition des pensions, rentes ou capitaux dus par les assureurs. Dans les cas où la déduction de telles cotisations n'a pas été obtenue, ces
sommes sont exemptées de l'impôt. »

( 40 ) Pointti de ses observations écrites.

( 41 ) Ibidem.

( 42 ) Ibidem, point 12.

( 43 ) Point 14 de ses observations écrites.

( 44 ) Ibidem, point 15.

( 45 ) Au point 88 ci-dessus.

( 46 ) Point 16 de ses observations écrites.

( 47 ) Point 25.

( 48 ) Affirmation qui nous paraît poser, dans ce domaine particulier de la fiscalité, un problème de délimitation par rapport à la réserve de la fraude à la loi visée dans votre arrêt Knoors, précité, en ce qui concerne la question de la discrimination à rebours (voir point 46 ci-dessus, dernière phrase).

( 49 ) Respectivement point 4.3.2, sous g), troisième alinéa in fine, et point 27 de leurs observations écrites.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-107/94
Date de la décision : 15/02/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Hoge Raad - Pays-Bas.

Article 52 du traité CE - Obligation d'égalité de traitement - Imposition sur le revenu des non-résidents.

Libre circulation des travailleurs

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : P. H. Asscher
Défendeurs : Staatssecretaris van Financiën.

Composition du Tribunal
Avocat général : Léger
Rapporteur ?: Wathelet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:52

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