La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/01/1996 | CJUE | N°C-53/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 janvier 1996., Inasti (Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants) contre Hans Kemmler., 11/01/1996, C-53/95


Avis juridique important

|

61995C0053

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 janvier 1996. - Inasti (Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants) contre Hans Kemmler. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique. - Liberté d

'établissement - Sécurité sociale des travailleurs indépendants exerçant ...

Avis juridique important

|

61995C0053

Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 11 janvier 1996. - Inasti (Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants) contre Hans Kemmler. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique. - Liberté d'établissement - Sécurité sociale des travailleurs indépendants exerçant dans deux Etats membres. - Affaire C-53/95.
Recueil de jurisprudence 1996 page I-00703

Conclusions de l'avocat général

++++

1 Le tribunal du travail de Tournai, en Belgique, a posé à la Cour une question préjudicielle concernant l'interprétation des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des personnes et des services afin de pouvoir juger des faits qui se sont produits avant l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1982, du règlement (CEE) n_ 1390/81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n_ 1408/71 relatif à l'application des
régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (1) (ci-après le: «règlement n_ 1390/81»).

2 Les faits qui sont à l'origine du litige au principal peuvent être résumés de la manière suivante: le défendeur, M. Kemmler, est un avocat allemand qui était à la fois domicilié et exerçait sa profession en Allemagne et qui, dans le même temps, disposait d'une résidence en Belgique où il était inscrit comme avocat au barreau de Bruxelles, ville où il exerçait également sa profession dans une association d'avocats. Il apparaît du dossier que l'Institut national d'assurances sociales pour
travailleurs indépendants (ci-après l': «Inasti»), partie demanderesse au principal, réclame à M. Kemmler le paiement d'une somme de 331 271 BFR à titre de cotisations échues et impayées pour l'année 1981 et les deux premiers trimestres de 1982. Le défendeur refuse de payer ces cotisations en arguant du fait que, pendant la même période, il était affilié au régime allemand obligatoire de la sécurité sociale pour travailleurs indépendants, affiliation dont il rapporte la preuve.

3 Afin de pouvoir résoudre ce litige, le juge national estime nécessaire d'obtenir une réponse à la question suivante:

«Les articles 48, 51, 52 et 59 du traité de Rome doivent-ils être interprétés en ce sens que, avant le 1er juillet 1982, un Etat membre (en l'occurrence la Belgique) ne pouvait pas imposer aux ressortissants d'un autre Etat membre (en l'occurrence l'ex-République fédérale d'Allemagne) qui exerçaient une activité professionnelle indépendante sur son territoire alors qu'ils exerçaient la même activité professionnelle indépendante en ex-République fédérale d'Allemagne où ils étaient domiciliés et
assujettis à la sécurité sociale une obligation de cotisation dans le régime de sécurité sociale belge des travailleurs indépendants, d'autant plus que cette obligation ne pouvait engendrer à leur profit aucune protection sociale supplémentaire?»

4 En résumé, le juge national voudrait savoir si, avant cette date, un Etat membre pouvait obliger un ressortissant d'un autre Etat membre qui exerçait la même activité professionnelle indépendante dans deux Etats membres à cotiser à son régime de sécurité sociale pour travailleurs indépendants, compte tenu du fait qu'il était déjà affilié à un régime de sécurité sociale équivalent dans l'autre Etat membre, où il était domicilié, et que le paiement de cotisations à un deuxième régime de sécurité
sociale ne lui aurait apporté aucune protection supplémentaire.

5 Seule la Commission a présenté des observations dans la présente affaire. Elle fait observer en premier lieu que, conformément à son article 2, le règlement n_ 1390/81 ne crée aucun droit pour les périodes antérieures à son entrée en vigueur le 1er juillet 1982. Les périodes pour lesquelles des cotisations sont réclamées dans le litige au principal étant antérieures à cette date, la Commission estime que ce règlement ne leur est pas applicable et que, pour répondre à la question préjudicielle, il
faut s'en remettre aux dispositions du traité, à savoir en l'espèce l'article 52, puisque M. Kemmler exerçait une activité indépendante aussi bien en Allemagne qu'en Belgique.

6 La Commission ajoute que la Cour s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur l'interprétation de l'article 52 du traité et que cette jurisprudence est pertinente pour trancher la question de l'espèce. Il s'agit en particulier des arrêts Stanton (2) et Wol e.a. (3). Elle propose donc à la Cour de répondre à la juridiction de renvoi que l'article 52 du traité s'oppose à ce qu'un Etat membre impose aux ressortissants d'un autre Etat membre qui exercent une activité professionnelle indépendante sur
son territoire alors qu'ils exercent la même activité professionnelle indépendante dans un autre Etat membre où ils sont domiciliés et assujettis à la sécurité sociale une obligation de cotisation dans le régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants lorsque cette obligation n'engendre aucune protection sociale supplémentaire à leur profit.

7 Le règlement n_ 1390/81 a étendu aux travailleurs indépendants le champ d'application de certains principes qui figuraient dans le règlement (CEE) n_ 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (4) (ci-après le: «règlement n_ 1408/71»), principes qui, jusqu'à cette date, n'étaient applicables qu'aux seuls travailleurs repris dans le titre du
règlement. Au nombre de ceux-ci figure le principe selon lequel, en matière de sécurité sociale, le travailleur ne pourra être soumis qu'à la législation d'un seul Etat membre.

8 La situation concrète de M. Kemmler est décrite à l'article 14 bis, paragraphe 2, du règlement n_ 1408/71 dans sa version modifiée. Aux termes de cette disposition,

«La personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel elle réside, si elle exerce une partie de son activité sur le territoire de cet Etat membre [...]».

9 Or, conformément aux dispositions de son article 2, le règlement n_ 1390/81 ne crée aucun droit pour les périodes antérieures à son entrée en vigueur. Etant donné que cette entrée en vigueur a eu lieu le 1er juillet 1982, c'est-à-dire à une date postérieure à la période pour laquelle l'Inasti réclame des cotisations, les dispositions du règlement ne sont pas applicables au litige au principal qui, pour cette même raison, devra être tranché exclusivement sur la base des dispositions du traité.

10 Eu égard à la description des faits qui nous a été donnée par le juge de renvoi, j'estime, à l'instar de la Commission, que la situation de M. Kemmler n'est pas régie par les articles 48 et 51 du traité, qui ont trait à la libre circulation des travailleurs, ni par l'article 59, qui concerne la libre prestation des services, mais qu'elle relève du champ d'application de l'article 52 qui reconnaît le droit d'établissement dans les termes suivants:

«Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont progressivement supprimées au cours de la période de transition. Cette suppression progressive s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre.

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.»

11 Dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire Klopp (5), la Cour a déjà dit pour droit que «la liberté d'établissement ne se limite pas au droit de créer un seul établissement à l'intérieur de la Communauté [...] (mais) comporte également la faculté de créer et de maintenir, dans le respect des règles professionnelles, plus d'un centre d'activité sur le territoire de la Communauté».

12 En 1988, la Cour a rendu les arrêts Stanton (6) et Wolf e.a. (7). Les faits qui avaient suscité les questions préjudicielles que des juridictions belges avaient posées à la Cour dans ces affaires ressemblaient très fort aux faits de la présente espèce. Il s'y agissait de l'application, dans tous les cas, de la même disposition que celle qui est en cause en l'espèce, à savoir l'article 3, paragraphe 1, de l'arrêté royal n_ 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs
indépendants. Aux termes de cette disposition, toute personne physique qui exerce en Belgique une activité professionnelle en dehors d'un contrat de travail devra cotiser au régime de la sécurité sociale. Ce qui, en définitive, crée l'obligation de cotiser, c'est l'activité professionnelle exercée et non la résidence du travailleur.

13 Dans les deux affaires précitées, les autorités belges exigeaient le paiement de cotisations de sécurité sociale au régime des travailleurs indépendants d'un citoyen britannique et de deux citoyens allemands qui exerçaient à la fois une activité salariée dans leur pays d'origine et une activité d'administrateur de sociétés belges au titre de laquelle ils étaient considérés comme des travailleurs indépendants en Belgique. Les périodes pour lesquelles les cotisations étaient réclamées étaient donc
antérieures à l'entrée en vigueur du règlement n_ 1390/81. La seule différence entre ces deux affaires et le cas de M. Kemmler réside dans le fait que l'activité que ce dernier exerçait dans l'autre Etat membre, à savoir son pays d'origine, l'Allemagne, était elle aussi une activité indépendante.

14 Pour répondre à la question préjudicielle, j'examinerai, en premier lieu, le point de savoir si la législation nationale est conforme au principe de l'égalité de traitement des ressortissants des autres Etats membres que l'article 52, deuxième alinéa, du traité institue en ce qui concerne l'accès aux activités non salariées et à leur exercice et, en second lieu, j'examinerai le point de savoir si cette législation nationale peut comporter une restriction à la liberté d'établissement. En cas de
réponse affirmative, je me demanderai si cette restriction doit être considérée comme justifiée.

15 En ce qui concerne, tout d'abord, le principe de l'égalité de traitement, je crois que, à l'instar de ce qui s'est passé dans les affaires Stanton et Wolf e.a., cette règle nationale s'applique indistinctement à tout travailleur indépendant qui exerce une activité professionnelle en Belgique et n'instaure aucune discrimination, fût-elle indirecte, qui serait fondée sur la nationalité. D'une part, en effet, l'obligation de cotiser prend naissance du simple fait de l'exercice d'une activité
indépendante dans ce pays et, d'autre part, une disposition de cette nature n'est en rien susceptible d'affecter uniquement ou principalement les ressortissants d'autres Etats membres.

16 En deuxième lieu, comme la Cour l'a rappelé dans les arrêts Stanton (8) et Wolf e.a. (9), «l'article 52, premier alinéa, du traité prescrit la suppression des restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre [...] en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour, il s'agit d'une norme de droit communautaire directement applicable». La Cour en a déduit que le respect de cette norme s'impose donc aux Etats membres, même si, en
l'absence de réglementation communautaire sur le statut social des travailleurs indépendants, ce qui était le cas à l'époque des affaires Stanton et Wolf e.a. et qui l'est également dans la situation de M. Kemmler, les Etats membres demeurent compétents pour légiférer en la matière.

17 Il convient aussi de rappeler que «l'ensemble des dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent ainsi à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur l'ensemble du territoire de la Communauté et s'opposent à une réglementation nationale qui pourrait défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent étendre leurs activités hors du territoire d'un seul Etat membre» (10).

18 Il ne fait aucun doute, compte tenu de cette jurisprudence, qu'une réglementation d'un Etat membre telle que celle qui a été décrite, qui impose l'obligation de cotiser à son régime des travailleurs indépendants à quiconque exerce une activité économique indépendante sur son territoire, sans prévoir la possibilité d'exonérer du paiement de cette cotisation une personne qui exerce également une activité indépendante dans un autre Etat membre lorsqu'elle cotise déjà à un régime de sécurité sociale
équivalent dans cet autre Etat membre, a des effets dommageables pour ceux qui, à l'instar de M. Kemmler, étendent leurs activités professionnelles en dehors du territoire de ce dernier Etat membre.

19 Or, comme chacun sait, «[...] la libre circulation des personnes, en tant que principe fondamental du traité, ne peut être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général et s'appliquant à toute personne ou entreprise exerçant lesdites activités sur le territoire de l'Etat en question, dans la mesure où cet intérêt n'est pas déjà sauvegardé par des règles auxquelles le ressortissant communautaire est soumis dans l'Etat membre où il est établi» (11). Il s'agit donc de vérifier
si, dans le cas de M. Kemmler, qui cotisait déjà en Allemagne, il existe des raisons impérieuses résultant de l'intérêt général qui justifieraient l'obligation de cotiser en Belgique également.

20 A supposer qu'il existe, dans le chef d'un Etat membre, un intérêt général à ce que les travailleurs qui exercent une activité indépendante sur son territoire soient affiliés à son régime de sécurité sociale, je crois que cet intérêt devrait consister à éviter que ces personnes se trouvent dépourvues de couverture lorsque certains risques déterminés se réalisent. Etant donné qu'au cours de la même période, M. Kemmler était déjà assuré dans un autre Etat membre en application d'un régime de
sécurité sociale équivalent, il conviendrait de dire que l'application de la réglementation belge n'est pas justifiée par des raisons d'intérêt général dans son cas.

21 J'aimerais ajouter qu'appliquer la disposition nationale controversée au demandeur au principal entraînerait pour lui une charge fiscale dans la mesure où l'affiliation à un deuxième régime n'engendrerait à son profit aucune protection sociale supplémentaire.

22 Il résulte des conclusions qui précèdent que, dans la mesure où elle rend plus onéreux l'exercice d'activités professionnelles à l'extérieur du territoire d'un seul Etat membre, l'application d'une réglementation nationale, telle que celle qui a été décrite, à un ressortissant d'un autre Etat membre qui se trouve dans une situation telle que celle de M. Kemmler dresse un obstacle injustifié à la liberté d'établissement et qu'elle est en conséquence incompatible avec l'article 52 du traité.

Conclusion

23 Conformément aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre de la manière suivante à la question préjudicielle que le tribunal du travail de Tournai lui a déférée:

«L'article 52 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce qu'un Etat membre oblige un ressortissant d'un autre Etat membre, qui exerce simultanément la même activité indépendante dans deux Etats, à cotiser à son régime de sécurité sociale pour travailleurs indépendants lorsque l'intéressé démontre qu'au cours de la même période, il était affilié à un régime de sécurité sociale équivalent dans l'autre Etat membre, dans lequel il était domicilié, et que le paiement de cotisations
à un deuxième régime de sécurité sociale n'engendre à son profit aucune protection sociale supplémentaire».

(1) - JO L 143, p. 1.

(2) - Arrêt du 7 juillet 1988 (143/87, Rec. p. 3877).

(3) - Arrêt du 7 juillet 1988 (154/87 et 155/87, Rec. p. 3897).

(4) - JO L 149, p. 2.

(5) - Arrêt du 12 juillet 1984 (107/83, Rec. p. 2971, point 19).

(6) - Voir la note 2, ci-dessus.

(7) - Voir la note 3, ci-dessus.

(8) - Voir la note 2, ci-dessus, point 10.

(9) - Voir la note 3, ci-dessus, point 10.

(10) - Voir les arrêts Stanton et Wolf e.a., déjà cités aux notes 2 et 3 ci-dessus, point 13.

(11) - Arrêt du 20 mai 1992, Ramrath (C-106/91, Rec. p. I-3351, point 29).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-53/95
Date de la décision : 11/01/1996
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique.

Liberté d'établissement - Sécurité sociale des travailleurs indépendants exerçant dans deux Etats membres.

Sécurité sociale des travailleurs migrants

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Inasti (Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants)
Défendeurs : Hans Kemmler.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Rapporteur ?: Puissochet

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1996:5

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award