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23/11/1995 | CJUE | N°C-360/93

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 23 novembre 1995., Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne., 23/11/1995, C-360/93


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 23 novembre 1995 (1)

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIUSEPPE TESAURO
présentées le 23 novembre 1995 (1)

Affaire C-360/93

Parlement européen
contre
Conseil de l'Union européenne

«Politique commerciale commune – Services»

1. Par le présent recours, le Parlement européen demande l'annulation des décisions 93/323/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, relative à la conclusion de l'accord sous forme de mémorandum d'entente entre la Communauté économique européenne et les États-Unis d'Amérique concernant la passation de marchés publics (2) , et 93/324/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, relative à l'extension du bénéfice des dispositions de la directive 90/531/CEE aux États-Unis d'Amérique (3) .Le Parlement fait valoir à cet égard
qu'à lui seul l'article 113 du traité CE ne saurait constituer la base juridique appropriée pour les actes en question, qui auraient en substance étendu de manière générale aux entreprises américaines le bénéfice de la réglementation communautaire en matière de marchés publics, en particulier en ce qui concerne la fourniture de services. Les deux décisions auraient par conséquent dû être adoptées, de l'avis du Parlement, également sur la base des articles 57, paragraphe 2, dernière phrase, 66 et 100
A, en d'autres termes, selon la procédure de coopération.

2. Il s'agit donc d'établir, en définitive, si la politique commerciale commune comprend l'échange international de services. La signification et la portée de la notion utilisée dans l'article 113, de même que la question de savoir si, et dans quelles limites, le commerce des services en relève, ont été dans une large mesure déjà précisées dans les avis 1/94, relatif à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) (4) , et 2/92, relatif à la participation de la Communauté à la
troisième décision révisée du Conseil de l'OCDE relative au traitement national (5) . Il convient donc de faire application en l'espèce des principes dégagés par la Cour dans ce cadre.

3. Pour bien comprendre les arguments invoqués à l'appui des positions défendues par les parties, il est nécessaire de rappeler brièvement l'objet et le contenu des décisions attaquées par le Parlement.Dans le cadre de la réalisation progressive du marché interne, le Conseil a adopté, le 17 septembre 1990, la directive 90/531/CEE relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (6) (ci-après aussi la directive
secteurs exclus). Comme on le sait, la directive en question est destinée à éliminer les restrictions à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services en ce qui concerne les passations de marchés dans les secteurs considérés, qui, du fait de leur particularité économique et, dans de nombreux États membres, également juridique, étaient exclus du champ d'application des précédentes mesures de libéralisation.En application du principe de la préférence communautaire,
l'article 29 de cette directive prévoit, dans son paragraphe 2, que toute offre présentée pour l'attribution d'un marché de fournitures peut être rejetée lorsque la part des produits originaires des pays tiers excède 50 % de la valeur totale des produits composant cette offre, et impose, au paragraphe 3, de choisir l'offre d'origine communautaire en cas d'équivalence. Toutefois, cette réglementation n'est pas applicable aux produits originaires des pays tiers avec lesquels la Communauté a conclu un
accord assurant un accès comparable et effectif des entreprises communautaires aux marchés de ces pays (article 29, paragraphe 1).Les paragraphes 5 et 6 de cette disposition stipulent ensuite que:5. Aux fins du présent article, pour la détermination de la part des produits originaires des pays tiers prévue au paragraphe 2, ne sont pas pris en compte les pays tiers auxquels le bénéfice des dispositions de la présente directive a été étendu par une décision du Conseil conformément au paragraphe 1.6.
La Commission fera un rapport annuel au Conseil, pour la première fois au cours du deuxième semestre 1991, sur les progrès réalisés dans les négociations multilatérales ou bilatérales concernant l'accès des entreprises de la Communauté aux marchés des pays tiers dans les domaines couverts par la présente directive, sur tout résultat que ces négociations ont permis d'atteindre, ainsi que sur l'application effective de tous les accords qui ont été conclus.Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée
sur proposition de la Commission, peut, à la lumière de ces développements, modifier les dispositions du présent article.

4. Dans le cadre du GATT et de l'engagement, pris sur la base de l'article 29 de la directive 90/531, de garantir l'accès effectif des entreprises communautaires aux marchés des pays tiers, la Communauté a conclu en 1993 un accord avec les États-Unis, sous forme de mémorandum d'entente, approuvé par la décision du Conseil 93/323 attaquée en l'espèce. En vertu de son article 1 ^ er , cet accord s'applique aux marchés de fournitures, de travaux et autres services passés par les administrations et
autres organismes de droit public des deux parties contractantes, y compris les fournitures et les travaux relatifs au secteur de la production, des transports et de la distribution de l'énergie électrique.L'article 2, paragraphe 1, oblige la Communauté à étendre aux fournisseurs, aux entreprises et aux prestataires de services américains le bénéfice des directives 77/62/CEE (7) , 92/50/CEE (8) et 71/305/CEE (9) , en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics dont la valeur
dépasse les seuils indiqués. Les États-Unis prennent l'engagement analogue d'appliquer aux entreprises européennes les procédures contenues dans le Buy America Act (article 2, paragraphe 2). L'article 2, paragraphe 3, maintient les dérogations à l'application des mesures de libéralisation des marchés précisées par chaque partie au moment de la conclusion, dans le cadre du GATT, de l'accord multilatéral sur les marchés publics de 1979 (10) .En application de l'article 3, paragraphe 1, la Communauté
s'engage à étendre aux produits et aux entreprises américaines sa réglementation en matière de marchés dans les secteurs pris en compte par la directive 90/531 précitée, à l'exclusion des télécommunications ─ secteur pour lequel l'article 5 renvoie à un accord spécifique ultérieur ─, ainsi que les mécanismes destinés à en garantir l'application effective, c'est-à-dire les moyens de recours prévus à cet effet par la directive 92/13/CEE (11) . Une obligation de contenu analogue est instaurée à la
charge des États-Unis (article 3, paragraphe 2).La Communauté et les États-Unis se sont engagés à réaliser une étude conjointe sur l'importance économique des marchés de biens et de services faisant l'objet des mesures de libéralisation, dans le but de définir leur position respective dans le cadre des négociations du GATT pour la révision de l'accord multilatéral de 1979, précité (article 4).L'article 7, paragraphe 1, prévoit, enfin, une date d'entrée en vigueur distincte pour les dispositions de
l'accord relatives aux marchés de services.

5. Il n'est en outre pas inutile de rappeler que, en application de l'article 7, paragraphe 3, la date d'expiration de l'accord est fixée au 30 mai 1995 ou, si elle est antérieure, à la date d'entrée en vigueur du nouveau code relatif aux marchés publics en cours de négociation dans le cadre du GATT. Comme, ainsi qu'on le sait, l'accord plurilatéral sur les marchés publics annexé à l'accord instituant l'Organisation mondiale du commerce (12) entrera en vigueur le 1 ^ er janvier 1996 (article XXIV),
la Communauté et les États-Unis ont conclu au mois de mai de cette année un nouvel accord prorogeant la durée de validité du précédent mémorandum jusqu'à cette date.Or, la décision du Conseil 95/215/CE d'approbation de cet accord (13) est fondée sur les articles 57, paragraphe 2, dernière phrase, 66, 100 A et 113, précisément les bases juridiques qui, de l'avis du Parlement, auraient dû constituer le fondement des décisions attaquées en l'espèce. Il est utile de rappeler, à cet égard, ce
qu'affirment les troisième et quatrième considérants de la décision 95/215:considérant qu'une partie des engagements contenus dans l'accord négocié par la Communauté européenne avec les États-Unis d'Amérique au sujet des marchés publics relève de la compétence exclusive de la Communauté au titre de l'article 113 du traité;considérant en outre que, parmi le reste desdits engagements, certains affectent des règles communautaires arrêtées sur la base de l'article 57 paragraphe 2 et des articles 66 et
100 A du traité.

6. Quant à l'autre décision attaquée, 93/324, elle étend le bénéfice des dispositions de la directive 90/531 aux offres comprenant des produits originaires des États-Unis, présentées pour la passation d'un marché public de fournitures dans le secteur de l'énergie électrique (article 1 ^ er ), en contrepartie du fait que, à la suite de l'accord conclu avec ce pays, un accès comparable et effectif aux marchés publics avait été accordé aux entreprises communautaires. Il en découle, en particulier,
l'inapplicabilité aux produits américains du principe de la préférence communautaire énoncé à l'article 29 de la directive 90/531 (14) .

7. Il convient de dire à titre préliminaire qu'il n'est pas contesté que les deux conditions auxquelles est subordonnée la légalité d'un recours en annulation du Parlement devant la Cour sont en l'espèce remplies, à savoir que le recours ne tende qu'à la sauvegarde de ses prérogatives et qu'il ne se fonde que sur des moyens tirés de la violation de celles-ci (15) .

8. Cela précisé, les arguments avancés par les parties, en particulier quant à la décision 93/324, en vue de soutenir ou de contester que l'extension du bénéfice de la directive 90/531 à des opérateurs de pays tiers en constitue une modification, ne nous paraissent pas d'une grande utilité pour la solution du litige qui a donné lieu à la présente affaire.A cet égard, le Parlement met en exergue le fait que cette décision n'a pas été adoptée selon la procédure ad hoc que l'article 29, paragraphe 6,
de la directive institue pour la modification de cette seule disposition, afin de tenir compte de l'évolution des négociations destinées à assurer l'accès des entreprises communautaires aux marchés des pays tiers. Cela démontrerait, à son avis, que l'accord conclu avec les États-Unis aurait obligé la Communauté à modifier intégralement la directive secteurs exclus; or, cette modification n'aurait pu avoir lieu que sur la base des fondements juridiques du texte à modifier. Le fait que, d'autre part,
le but de la décision 93/324 ne soit pas de rendre inapplicable le principe de la préférence communautaire aux produits américains serait aussi confirmé par la circonstance que l'article 1 ^ er se réfère au bénéfice de l'ensemble des dispositions de la directive 90/531.

9. De son côté, le Conseil estime qu'il convient de distinguer entre la modification d'un acte communautaire et l'extension de son bénéfice à d'autres sujets que ceux initialement considérés. Or, si, comme dans le cas de la décision 93/324, c'est la seconde hypothèse qui s'applique, l'acte qui étend le domaine d'application d'un régime déterminé, en particulier aux opérateurs de pays tiers, est normalement un acte distinct, avec une finalité et un contenu différents de ceux de l'acte dont il étend
le bénéfice. Il pourra donc être fondé sur une base juridique différente.Le Conseil reconnaît que l'application de cette distinction présente des difficultés dans le cas d'espèce, dans la mesure où les dispositions de la directive secteurs exclus se réfèrent à la fois à l'hypothèse de modification, par rapport à laquelle une base juridique dérivée est créée (article 29, paragraphe 6), et à l'hypothèse de l'extension de leur bénéfice, eu égard à laquelle, aucune base dérivée n'étant prévue, les actes
ne peuvent que se fonder sur les dispositions pertinentes du traité (article 29, paragraphes 1 et 5). Cela dit, il estime que la réponse sur la nature modificative ou extensive de la décision 93/324 n'a aucune incidence sur sa validité. En effet, son but étant essentiellement de rendre inapplicable aux produits américains le principe de la préférence communautaire établi par l'article 29 de la directive 90/531, dès lors que l'on considère la décision comme une modification de la directive, elle
devrait être fondée sur la base dérivée de l'article 29, paragraphe 6; si, par contre, on l'interprète comme une extension du bénéfice de ses dispositions, elle devrait se fonder sur l'article 113. Or, dans les deux cas, la procédure d'adoption serait la même: le Conseil délibère à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission.

10. Nous ne croyons pas que la solution du litige dépende de l'adoption de l'une ou de l'autre des deux thèses opposées qui, à dire vrai, semblent plutôt créer une sorte de rideau de fumée pour cacher le véritable problème que soulève le recours du Parlement. En effet, la base juridique dérivée visée à l'article 29, paragraphe 6, n'a pas été utilisée pour l'adoption de la décision 93/324, pas plus qu'elle n'aurait pu l'être, étant donné qu'elle est uniquement destinée aux modifications de cette
disposition: manifestement, tel n'est pas le but de la décision litigieuse. D'autre part, la décision par laquelle, en application de l'article 29, paragraphe 5, le Conseil étend à un pays tiers le bénéfice des dispositions de la directive secteurs exclus, à la suite de la conclusion d'un accord qui, conformément au paragraphe 1 du même article, assure dans ce pays un accès comparable des entreprises communautaires aux marchés publics, constitue un acte séparé qui doit être adopté sur la base des
dispositions pertinentes du traité.

11. Le vrai problème qui se pose est, en définitive, d'établir si les deux décisions peuvent légalement être fondées sur le seul article 113 ou si la compétence communautaire doit être (aussi) fondée sur d'autres dispositions du traité.Précisément, le désaccord entre les différentes institutions sur l'extension du domaine d'application de l'article 113 explique le jeu singulier des parties, qui caractérise le présent litige, qui a surgi antérieurement à la demande d'avis précitée sur l'accord OMC.
Comme on le sait, le Parlement et le Conseil, demandeur et défendeur en l'espèce, partagent l'opinion selon laquelle il n'est pas possible de faire rentrer tous les rapports économiques internationaux dans la politique commerciale commune. Si cette dernière doit certainement être envisagée dans une optique large, l'article 113 ne pourrait toutefois, selon cette thèse, constituer le fondement juridique de la conclusion d'accords internationaux dans des matières telles que, par exemple, la libre
circulation des services, au moins dans la mesure où les services en question ne sont pas directement liés à la fourniture de marchandises.Le Conseil tente alors de démontrer que le recours au seul article 113 en l'espèce se justifie dans la mesure où l'objectif principal du mémorandum d'entente conclu avec les États-Unis serait de rendre inapplicable le principe de la préférence communautaire établi à l'article 29, paragraphes 2 et 3, aux offres comprenant des produits américains. Ce serait la
seule disposition de la directive secteurs exclus à l'origine du conflit avec les autorités américaines que l'on voulait résoudre. Les dispositions relatives au commerce des services qu'elle contient auraient en revanche un caractère simplement accessoire, et le renvoi à l'ensemble des directives communautaires en matière de marchés publics aurait pour seul but de préciser le cadre politique dans lequel l'accord se situe.

12. Quant à la Commission, intervenue dans la procédure à l'appui des conclusions du Conseil, elle soutient que l'article 113 constitue la base juridique correcte des décisions attaquées, en partant toutefois d'une thèse opposée. En effet, elle fait valoir que l'évolution du commerce international et l'étroite relation existant désormais entre échange de marchandises et échange de services obligent à inclure les services dans la politique commerciale commune pour ne pas affaiblir la capacité d'agir
de la Communauté à l'égard de ses partenaires commerciaux. Reconnaissant, toutefois, le caractère autonome des dispositions de l'accord avec les États-Unis relatives à la libéralisation de l'accès aux marchés publics des services, la Commission conclut que l'interprétation de l'article 113 qu'elle propose est conforme à la jurisprudence de la Cour tendant à donner un contenu dynamique à la notion de politique commerciale commune.

13. Cela explique pourquoi, tout en utilisant dans une large mesure, à l'appui de sa position, les mêmes arguments que la Commission, en particulier dans le but de corroborer sa propre interprétation du contenu des actes attaqués, le Parlement demande, en application de l'article 37, troisième alinéa, du statut de la Cour, que la demande en intervention de la Commission soit déclarée irrecevable dans la mesure où elle est fondée sur des motifs différents de ceux invoqués par le Conseil. Cela
explique également pourquoi ce dernier ne prend pas position sur les arguments de la Commission, en les estimant étrangers à l'objet du recours, et se borne à rappeler à cet allié gênant qu'il a signé, lors de l'adoption des décisions attaquées, une déclaration conjointe avec le Conseil, annexée au procès-verbal de la séance. Par cette déclaration, les deux institutions se déclaraient d'accord pour estimer que, d'une part, les éléments du mémorandum avec les États-Unis relatifs à la fourniture des
services et aux travaux publics étaient accessoires et que, d'autre part, le recours à l'article 113 ne préjugeait pas les positions respectives quant à la possibilité d'utiliser dans le futur cette disposition comme base juridique pour la conclusion d'accords relatifs au commerce des services.

14. L'exception d'irrecevabilité soulevée par le Parlement doit être rejetée. En effet, s'il est indéniable que les arguments invoqués par la Commission en faveur de l'adoption légitime des décisions litigieuses sur la base du seul article 113 sont différents, sinon carrément opposés, à ceux du défendeur, on ne peut toutefois contester que les conclusions de la demande d'intervention de la Commission n'ont, selon les prescriptions de l'article 37 du statut de la Cour, pas d'autre objet que le
soutien des conclusions de l'une des parties. Il ne nous semble pas pertinent à cet égard de rappeler le précédent de l'affaire C-155/91 (16) : à cette occasion, en effet, l'intervention du Parlement avait été déclarée irrecevable uniquement dans la mesure où il avait formulé une conclusion subsidiaire par rapport aux demandes de la requérante, à l'appui de laquelle il était intervenu. Or, tel n'est clairement pas le cas dans la présente espèce.

15. Passant au fond de l'affaire, il nous paraît avant tout difficile de soutenir que l'article 113 constitue la base juridique correcte de l'accord en question ici, dans la mesure où son objet principal aurait été de rendre inapplicable le principe de la préférence communautaire aux produits américains compris dans une offre en vue de l'adjudication d'un marché. A cet égard, en effet, il est utile de rappeler que la Cour a précisé à plusieurs reprises (17) que le choix de la base juridique d'un
acte ne peut pas dépendre de la seule conviction d'une institution quant à l'objectif poursuivi, mais doit se fonder sur des éléments objectifs, susceptibles d'être vérifiés par le juge. A cet égard, l'objectif et le contenu de l'acte revêtent une importance particulière.

16. Or, le préambule du mémorandum d'entente entre la Communauté et les États-Unis (18) précise qu'il entend, à la lumière des engagements déjà pris par les parties dans le cadre de l'accord multilatéral du GATT sur les marchés publics et de l'évolution ultérieure des négociations, anticiper, au niveau bilatéral et sur un plan de réciprocité, d'autres étapes du processus destiné à réaliser l'objectif d'élimination de toute forme de discrimination entre produits et fournisseurs nationaux et
étrangers.A cette fin, l'article 1 ^ er réalise une ouverture des marchés publics des parties contractantes qui ne se limite plus aux seuls achats de produits et à d'éventuels services accessoires à leur fourniture, comme le prévoyait l'accord de 1979, conclu précisément pour cette raison sur la seule base de l'article 113, sans donner lieu à des difficultés particulières. Au contraire, l'engagement de garantir aux entreprises de l'autre partie un accès aux contrats publics aux mêmes conditions que
celles prévues pour les entreprises nationales ─ sous réserve des dérogations rappelées au début de ces observations ─ est étendu aussi à l'exécution de travaux publics et à la fourniture de services.

17. En vertu du renvoi effectué par l'article 2, paragraphe 1, aux dispositions des directives travaux publics et services, et comme précisé dans les annexes au mémorandum (19) , les mesures de libéralisation des marchés publics, dans la mesure où leur valeur dépasse les seuils indiqués, concernent l'exécution et les projets de travaux de construction ou de génie civil, les services informatiques, de comptabilité, de publicité, certains services financiers, etc.Les dispositions relatives aux
services ont donc leur autonomie dans le cadre de l'accord et on ne peut faire valoir, afin de réduire la portée des engagements pris ainsi par la Communauté, l'argument (purement économique et, par ailleurs, non prouvé) selon lequel, en raison de la nature des activités qui font l'objet des mesures de libéralisation, il serait difficilement concevable que des entreprises américaines présentent des offres en réponse à un avis de marché, sans être établies dans la Communauté. Dans cette hypothèse,
cependant, la libre prestation des services leur était déjà garantie par les directives communautaires, pour l'application desquelles l'origine des capitaux des sociétés constituées selon le droit d'un État membre importe peu.

18. Une fois précisé, donc, que l'accord litigieux a aussi pour objet la prestation de services, bien entendu lorsqu'une telle prestation se fonde sur un contrat de marché, il s'ensuit qu'il ne pouvait pas être conclu sur la base du seul article 113; pour les mêmes motifs, la décision 93/324, par laquelle, à la suite de cet accord, le bénéfice des dispositions de la directive secteurs exclus a été étendu aux entreprises américaines, ne pouvait pas davantage reposer sur cette seule base juridique.A
cet égard, il convient en effet de rappeler ce qu'a précisé la Cour dans son avis 1/94, à savoir que seuls les services qui font l'objet d'une fourniture transfrontalière peuvent relever de la notion de politique commerciale commune. Si, en effet, la situation dans laquelle un service est rendu par un prestataire établi dans un pays déterminé à un bénéficiaire résidant dans un autre pays est fondamentalement analogue à un échange de marchandises, on ne saurait en dire de même pour les autres
modalités de fourniture de services. En particulier, le cas est différent lorsqu'un prestataire de services d'un pays fournit un service grâce à une présence commerciale sur le territoire d'un autre pays, ou par l'intermédiaire de personnes physiques d'un pays sur le territoire d'un autre pays (20) .D'autre part, dans ce même avis 1/94, la Cour a en particulier précisé que il ressort de l'article 3 du traité qui distingue, dans sa lettre b, une politique commerciale commune et, dans sa lettre d, des
mesures relatives à l'entrée et à la circulation des personnes, que le traitement des ressortissants de pays tiers lors du franchissement des frontières extérieures des États membres ne saurait être considéré comme relevant de la politique commerciale commune. De manière plus générale, l'existence dans le traité de chapitres spécifiques consacrés à la libre circulation des personnes, tant physiques que morales, fait apparaître que ces matières ne sont pas englobées dans la politique commerciale
commune (21) .

19. Or, il est évident que les modalités de prestations des services auxquels se réfère l'accord conclu entre la Communauté et les États-Unis en matière de marchés (nous nous contenterons de citer le cas de l'exécution de travaux de génie civil) ne peuvent certainement pas être ramenées à l'hypothèse de la fourniture transfrontalière. Il en résulte que le recours du Parlement doit être accueilli.

20. Le Conseil a demandé, pour le cas où la Cour déciderait d'annuler les décisions attaquées, de préserver les effets déjà produits, appliquant à cette fin les principes affirmés dans l'arrêt dit droit de séjour (22) .A cette occasion, comme on le sait, la Cour avait étendu à l'hypothèse de l'annulation d'une directive la possibilité offerte par l'article 174 du traité de limiter les effets d'un arrêt déclarant invalide un règlement. A cet égard, la Cour a en substance fait valoir que, l'article
174 étant l'expression du principe plus général de la sécurité juridique, on devait pouvoir en faire application en dehors des hypothèses expressément prévues.Or, il nous semble que des motifs de sécurité juridique justifient de faire droit à la demande du Conseil. Compte tenu du fait que certaines entreprises peuvent avoir déjà exercé les droits qui leur sont reconnus sur la base de l'accord litigieux et des décisions qui l'ont mis en oeuvre, que cet accord a en tout état de cause expiré le 30 mai
1995 et que, d'autre part, le Parlement ne s'est pas opposé à la demande, nous estimons qu'il y a lieu de ne pas remettre en cause les effets déjà produits par ces deux décisions.

21. A la lumière des observations qui précèdent, nous proposons donc à la Cour:


d'annuler les décisions 93/323/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, relative à la conclusion de l'accord sous forme de mémorandum d'entente entre la Communauté économique européenne et les États-Unis d'Amérique concernant la passation de marchés publics, et 93/324/CEE du Conseil, du 10 mai 1993, relative à l'extension du bénéfice des dispositions de la directive 90/531/CEE aux États-Unis d'Amérique;


de maintenir les effets des décisions en question;


de condamner le Conseil aux dépens du litige, à l'exclusion de ceux de la Commission, qui supportera ses propres dépens.

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1 –
Langue originale: l'italien.

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2 –
JO L 125, p. 1.

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3 –
JO L 125, p. 54.

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4 –
Avis du 15 novembre 1994 (Rec. p. I-5267).

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5 –
Avis du 24 mars 1995 (Rec. p. I-521).

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6 –
JO L 297, p. 1.

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7 –
Directive du Conseil du 21 décembre 1976 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures (JO 1977, L 13, p. 1). Comme on le sait, cette directive a été remplacée, postérieurement à la conclusion de l'accord, par la directive 93/36/CEE du Conseil, du 14 juin 1993, (JO L 199, p. 1) qui, sans modifications, a refondu l'ensemble de la réglementation.

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8 –
Directive du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1).

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9 –
Directive du Conseil du 26 juillet 1971 portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5). Dans le cadre de la refonte générale de la matière, cette directive a été remplacée par la directive 93/37/CEE du Conseil, du 14 juin 1993 (JO L 199, p. 54).

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10 –
Il s'agit de ce qu'on appelle le code du GATT sur les marchés publics. Le texte de l'accord, entré en vigueur le 1 ^ er janvier 1981, figure dans le JO 1980, L 71, p. 44. La liste des services auxquels, dans le cadre communautaire, les dispositions du code du GATT ne s'appliquent pas, est reprise à l'annexe 5 au mémorandum d'entente.

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11 –
Directive du Conseil du 25 février 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 76, p. 14).

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12 –
JO 1994, L 336, p. 273.

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13 –
Décision du Conseil du 29 mai 1995 relative à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et les États-Unis d'Amérique concernant les marchés publics (JO L 134, p. 25).

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14 –
Voir les considérants de la décision.

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15 –
Arrêt du 22 mai 1990, dit Tchernobyl, Parlement/Conseil (C-70/88, Rec. p. I-2041, point 27). Ces conditions sont aujourd'hui expressément fixées par l'article 173, paragraphe 3, tel que modifié par le traité de Maastricht, entré en vigueur à une date postérieure à l'introduction du présent recours.

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16 –
Arrêt du 17 mars 1993, Commission/Conseil ( directive déchets) (Rec. p. I-939, points 22 à 24). Dans cette affaire, en plus du fait qu'il appuyait le recours de la Commission visant à obtenir l'annulation d'une directive, dans la mesure où elle était fondée sur une base juridique incorrecte, le Parlement avait aussi fait valoir l'incompatibilité avec le traité d'un article de cette directive et en avait aussi demandé l'annulation, sans que la question ait été posée dans le recours de la
Commission.

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17 –
Voir, en particulier, arrêt du 11 juin 1991, dit dioxyde de titane, Commission/Conseil (C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10). Pour une confirmation récente de ce principe, voir aussi l'arrêt du 28 juin 1994, Parlement/Conseil (C-187/93, Rec. p. I-2857, point 17).

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18 –
Les premier, deuxième et sixième considérants précisent en particulier que:

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19 –
Voir en particulier les annexes 5 et 6.

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20 –
Avis 1/94, précité, en particulier points 36 à 47.

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21 –
Idem, point 46.

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22 –
Arrêt du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil (C-295/90, Rec. p. I-4193, points 22 à 27).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-360/93
Date de la décision : 23/11/1995
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Politique commerciale commune - Service - Marchés publics.

Droit d'établissement

Politique commerciale

Libre prestation des services

Relations extérieures

Rapprochement des législations

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:399

Source

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