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23/11/1995 | CJUE | N°C-209/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 23 novembre 1995., Buralux SA, Satrod SA et Ourry SA contre Conseil de l'Union européenne., 23/11/1995, C-209/94


Avis juridique important

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61994C0209

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 23 novembre 1995. - Buralux SA, Satrod SA et Ourry SA contre Conseil de l'Union européenne. - Pourvoi - Transferts de déchets. - Affaire C-209/94 P
Recueil de jurisprudence 1996 page I-00615

Conclusions de l'avocat

général

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A - Introduction

1 La présente affaire concerne un pour...

Avis juridique important

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61994C0209

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 23 novembre 1995. - Buralux SA, Satrod SA et Ourry SA contre Conseil de l'Union européenne. - Pourvoi - Transferts de déchets. - Affaire C-209/94 P
Recueil de jurisprudence 1996 page I-00615

Conclusions de l'avocat général

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A - Introduction

1 La présente affaire concerne un pourvoi contre une ordonnance du Tribunal de première instance rejetant le recours formé contre le Conseil par trois entreprises de gestion de déchets ménagers. Ces entreprises sont la SA Buralux, la SA Satrod et la SA Ourry, qui assurent ensemble l'élimination, en France, de déchets ménagers provenant d'Allemagne.

2 Aux fins de cette activité, la société Buralux, qui a son siège à Luxembourg, a conclu, à partir de 1989, avec diverses villes et collectivités rurales allemandes, des contrats portant sur la collecte, le transport et la mise en décharge de déchets ménagers. Ces contrats ont, pour la plupart, été conclus pour une durée de cinq ans et prévoyaient une possibilité de renouvellement. La société Ourry était chargée de transporter, ou exporter, les déchets vers la France où ceux-ci étaient entreposés
dans une décharge exploitée par la société Satrod.

3 En août 1992, une décharge illégale de déchets hospitaliers provenant d'Allemagne qui avaient été déclarés comme ordures ménagères a été découverte en France. Le ministre de l'Environnement français a alors interdit, par le décret n_ 92-798, du 18 août 1992, l'importation en France d'ordures ménagères. Ce décret modifie et complète un précédent décret n_ 90-267, du 23 mars 1990, relatif à l'importation, à l'exportation et au transit des déchets générateurs de nuisances. Le nouveau décret ne
prévoit que deux dérogations:

1) Une importation de déchets est possible lorsqu'elle est prévue par un plan d'élimination de déchets.

2) En l'absence d'un tel plan, l'importation est possible en vertu d'un accord conclu entre la France et l'État qui veut exporter le déchet.

Selon les indications des parties requérantes, il n'existe pas d'accord de cette sorte entre la France et l'Allemagne. Par ailleurs, comme il n'existe pratiquement pas non plus de plans d'élimination des déchets, elles estiment qu'on peut partir de l'idée que les importations de déchets en provenance d'Allemagne ne sont plus possibles et que cela signifie qu'elles ne sont plus en mesure d'honorer les contrats qu'elles ont conclus avec des villes et des collectivités rurales allemandes.

4 Le 1er février 1993, le Conseil a adopté un règlement concernant la surveillance et le contrôle des transferts de déchets à l'entrée et à la sortie de la Communauté européenne (1). Ce règlement est notamment fondé sur l'article 130 S du traité CEE. S'agissant des transferts de déchets entre États membres, son article 4, paragraphe 3, sous a), i), prévoit que les États membres peuvent interdire les importations de déchets. Cette disposition est libellée dans les termes suivants:

«Afin de mettre en oeuvre les principes de proximité, de priorité à la valorisation et d'autosuffisance aux niveaux communautaire et national, conformément à la directive 75/442/CEE, les États membres peuvent prendre, conformément au traité, des mesures d'interdiction générale ou partielle ou d'objection systématique concernant les transferts de déchets. Ces mesures sont immédiatement notifiées à la Commission, qui en informe les autres États membres» (2).

5 Aux termes de son article 44, deuxième alinéa, le règlement était applicable 15 mois après la date de sa publication, c'est-à-dire le 6 mai 1994.

6 Le 6 avril 1993, Buralux, Satrod et Ourry ont introduit un recours devant la Cour, lui demandant

- d'annuler l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93;

- de condamner la Communauté à leur verser des dommages et intérêts au titre de la responsabilité non contractuelle. Le montant de la réparation a été chiffré à 22 760 000 écus pour Buralux, à 6 676 000 écus pour Satrod et à 3 166 000 écus pour Ourry.

7 Le Conseil a conclu à ce qu'il plaise à la Cour:

- déclarer irrecevable le recours en annulation;

- subsidiairement rejeter le recours en annulation comme non fondé;

- rejeter la demande de dommages et intérêts comme non fondée.

Le recours a été renvoyé par la Cour devant le Tribunal de première instance.

8 Par son ordonnance du 17 mai 1994, le Tribunal a rejeté les deux chefs de conclusions comme irrecevables. Il a estimé que la demande en annulation était irrecevable, au motif que les requérantes n'étaient pas individuellement concernées. Il a relevé que la réglementation litigieuse visait des catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite et a observé que les requérantes n'étaient donc visées qu'en leur qualité objective d'opérateurs économiques exerçant leur activité dans le
secteur de la gestion et du transport de déchets, au même titre que tout autre opérateur se trouvant dans une situation identique. Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si elles étaient directement concernées. Il a également rejeté comme irrecevable la demande d'indemnisation, retenant que les requérantes n'avaient fourni aucune justification des montants réclamés, que ce soit dans la requête ou dans la réplique. Il a jugé que cela constituait une méconnaissance de l'article
38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qui, tout comme l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, exige que la requête introductive d'instance contienne l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués.

9 C'est contre cette ordonnance que les parties requérantes ont introduit un pourvoi devant la Cour le 15 juillet 1994. Elles concluent à ce qu'il plaise à la Cour:

- annuler l'ordonnance du Tribunal de première instance du 17 mai 1994 en ce qu'elle a déclaré le recours irrecevable tant en ce qui concerne l'annulation qu'en ce qui concerne la responsabilité;

- annuler l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93 du Conseil, du 1er février 1993;

- retenir la responsabilité non contractuelle de la Communauté;

- allouer à titre de dommages et intérêts:

- à la société Buralux, la somme de 22 760 000 écus, - à la société Satrod, la somme de 6 676 000 écus, - à la société Ourry, la somme de 3 166 000 écus.

10 Le Conseil conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- par voie d'ordonnance motivée, rejeter le pourvoi pour ce qui concerne le recours en annulation comme manifestement irrecevable et, pour ce qui concerne le recours en dommages et intérêts, comme manifestement irrecevable ou manifestement non fondé;

- subsidiairement, rejeter le pourvoi comme non fondé;

- plus subsidiairement, rejeter le recours en annulation et en dommages et intérêts comme non fondé et,

- dans les trois cas, condamner les sociétés requérantes aux dépens.

11 Conformément à l'article 120 du règlement de procédure de la Cour, il a été décidé de statuer sur le pourvoi sans phase orale.

B - Analyse

1. Recevabilité

1.1. Recevabilité de la demande en annulation

12 Les requérantes estiment qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance du Tribunal de première instance parce que la portée du règlement litigieux, et surtout de son article 4, paragraphe 3, sous a), i), y est appréciée de manière inexacte.

13 Selon elles, l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93 ne crée pas seulement un cadre pour l'action des États membres, mais prévoit des mesures précises, par exemple l'interdiction des transferts de déchets, dont les conséquences sont si lourdes qu'il ne leur est plus possible de continuer à exercer leur activité antérieure. En d'autres termes, la situation de leurs entreprises serait directement menacée du fait que le règlement confère aux États membres des pouvoirs aussi
larges.

14 Selon les requérantes, les dispositions de l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93 ont également un caractère précis en ce qu'elles visent les entreprises qui s'occupent de transferts de déchets. Les requérantes relèvent qu'aucune distinction entre déchets dangereux et non dangereux n'est établie à cet égard et que l'application de la disposition litigieuse n'est soumise à aucune condition. Selon elles, il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'elles sont
individuellement et directement concernées par la disposition litigieuse.

15 Elles affirment qu'elles sont pratiquement les seules entreprises qui assurent des transports de déchets de l'Allemagne vers la France. Elles précisent ailleurs cette affirmation en indiquant qu'elles sont les seules entreprises avec lesquelles des communes et des collectivités rurales allemandes ont conclu des contrats. Il résulte, selon elles, de cette circonstance que les entreprises concernées par le règlement peuvent être précisément déterminées et sont donc individuellement concernées,
d'autant qu'il s'agit précisément de celles auxquelles le règlement est destiné à s'adresser. Selon les requérantes, il ne fait donc nul doute qu'elles sont assimilables au destinataire d'une décision.

16 Le fait qu'elles sont directement concernées résulte aussi, selon elles, de la circonstance que le règlement n_ 259/93 n'avait pour objet que de confirmer la réglementation française antérieure, contraire au traité, qui interdisait les importations de déchets et qui les concernait directement.

17 Les requérantes reprochent avant tout au Tribunal de ne pas avoir examiné les arguments qu'elles ont avancés sur la base de l'affaire Piraiki-Patraiki/Commission (3). Elles observent que, dans cette affaire, la Cour a affirmé la recevabilité d'un recours en annulation dans une situation comparable.

18 Au contraire, le Conseil soutient que le Tribunal de première instance a eu raison. Il partage l'opinion du Tribunal selon laquelle le règlement litigieux ne définit qu'un cadre pour les mesures des États membres. Selon le Conseil, les requérantes ne peuvent pas être concernées puisque le règlement est uniquement adressé aux États membres, et non à des opérateurs individuels. Le Conseil soutient que, de ce fait, il est exclu, d'emblée, que les sociétés requérantes puissent être individuellement
concernées.

19 Le Conseil estime que l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), constitue une disposition normative à caractère général ayant des effets pour tous les opérateurs économiques, y compris futurs - il argue que cela résulte d'ailleurs de son libellé.

20 Il fait valoir que les requérantes ne peuvent pas être directement concernées, car une décision ultérieure des États membres est nécessaire pour que des effets juridiques puissent être produits à leur égard. Il relève que des effets ne sont susceptibles de se produire à l'égard des entreprises individuelles qu'à partir du moment où les États membres prennent l'une des mesures dont ils ont le choix et ajoute que ceux-ci disposent, à cet égard, d'une large marge de manoeuvre.

21 En ce qui concerne la jurisprudence Piraiki-Patraiki/Commission, précitée, le Conseil est d'avis que le Tribunal de première instance a eu raison de ne pas examiner les arguments qui en ont été tirés. Cette jurisprudence ne lui paraît pas applicable au cas d'espèce. Il relève que, dans l'affaire Piraiki-Patraiki/Commission, la recevabilité n'a été retenue qu'à cause d'une série de particularités qui n'existent pas en l'espèce.

22 Le Conseil conteste en outre que le règlement litigieux n'ait eu pour but que de légitimer a posteriori la législation française contraire au traité. Il affirme que la disposition litigieuse a été proposée par la présidence du Conseil en accord avec la Commission et à la lumière de l'arrêt du 9 juillet 1992 (4). Il s'agissait de donner aux États membres la possibilité de prendre certaines mesures pour des raisons tenant à la protection de l'environnement, notamment des mesures restreignant les
importations de déchets.

23 L'examen de la recevabilité de la demande en annulation doit obligatoirement avoir pour point de départ l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE. Celui-ci dispose que:

«Toute personne physique ou morale peut former, dans les mêmes conditions, un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.»

En d'autres termes, même lorsque - comme en l'espèce - on se trouve en présence d'un règlement, ce règlement peut être attaqué par certaines personnes, si elles sont directement et individuellement concernées.

1.1.1. L'exigence d'être individuellement concerné

24 Une décision prise sous la forme habituelle ne pose aucune difficulté, car elle désigne les destinataires auxquels elle est adressée. La difficulté s'accroît lorsqu'il s'agit d'un règlement formulé en termes généraux et abstraits. Les requérantes soutiennent que, dans le cas qui nous occupe, elles sont individuellement concernées du fait que la mesure litigieuse vise les entreprises opérant dans le secteur des transferts transfrontaliers de déchets. Étant pratiquement les seules entreprises de ce
secteur, ce seraient donc surtout elles que le règlement viserait. Elles estiment aussi être tout particulièrement affectées, en raison du fait que la disposition litigieuse entraîne des conséquences particulièrement graves pour elles, à savoir l'interruption de leur activité antérieure.

25 Pour que les requérantes soient individuellement concernées, il ne suffit pas, selon une jurisprudence constante de la Cour (5), que leurs intérêts soient affectés, qu'il soit possible de déterminer leur nombre ou même leur identité et qu'elles soient les seules auxquelles la mesure litigieuse est applicable, si celle-ci leur est applicable en vertu d'une situation objective de droit ou de fait, qu'elle définit, en relation avec sa finalité. Même si le règlement litigieux est applicable aux
requérantes, il n'en résulte donc pas encore pour autant que celles-ci sont individuellement concernées, surtout si elles ne le sont qu'en leur qualité générale d'importateurs.

26 Or, selon le Conseil, tel est précisément le cas en l'espèce. Le Conseil soutient que les requérantes ne sont pas plus concernées que tout autre opérateur économique exerçant ses activités dans le secteur en cause, ou souhaitant en exercer dans ce secteur. Il estime que, dès lors, on ne saurait non plus partir de l'idée que le règlement vise un cercle déterminé de personnes. Il ajoute que le règlement est, en outre, adressé à tous les États membres, de sorte que des entreprises d'autres États
membres pourraient être affectées de la même manière.

27 Pour que les requérantes puissent être considérées comme individuellement concernées, il faut, selon une jurisprudence constante de la Cour (6), que le règlement les atteigne en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire.

28 Selon les requérantes, ce sont surtout les contrats en cours avec des municipalités et des collectivités rurales allemandes qui les caractérisent par rapport à tous les autres opérateurs. Elles ajoutent que ce critère a été admis dans l'arrêt Piraiki-Patraiki/Commission (7).

29 Dans cette affaire, le litige avait trait à l'article 130, paragraphe 1, de l'acte d'adhésion de la République hellénique, disposition qui prévoit qu'un État membre peut demander à être autorisé à adopter des mesures de sauvegarde à l'égard de la République hellénique. C'est ce que la République française avait fait et elle avait alors été autorisée par la Commission à restreindre, pendant une certaine durée, l'importation de filés de coton en provenance de Grèce. Or il existait des entreprises
helléniques qui avaient conclu, avec des clients français, des contrats portant précisément sur la même période et qu'elles ne pouvaient plus honorer. Ce litige soulevait la question de savoir si les entreprises en question étaient individuellement concernées par la décision de la Commission.

30 Sur ce point, la Cour a déclaré qu'il ne suffisait pas que ces entreprises fussent les exportateurs de coton les plus importants. Toutefois, elle a finalement conclu que lesdites entreprises étaient individuellement concernées, en retenant essentiellement comme motif que, dans la prise de sa décision, la Commission aurait dû prendre en considération les répercussions qu'entraîneraient en Grèce les mesures de sauvegarde qu'elle autorisait. En d'autres termes, la Commission avait pris sa décision
au regard des entreprises grecques et en connaissance des contrats antérieurement conclus.

31 Il n'est pas certain que la jurisprudence Piraiki-Patraiki/Commission puisse être purement et simplement transposée au cas d'espèce. Dans cette précédente affaire, il s'agissait de mesures de sauvegarde à l'égard d'un seul État membre, alors que le règlement dont il est question en l'espèce est adressé à tous les États membres et que les mesures prévues peuvent être prises à l'égard de l'ensemble des États membres. A cela s'ajoutait que la Commission était tenue de prendre en considération les
répercussions de sa décision pour l'économie de l'État membre concerné. En l'espèce, le Conseil ne fait que définir le cadre général de mesures prises par les États membres. La situation de départ présente une certaine similitude en ce que, en l'espèce, des entreprises luxembourgeoises ont conclu des contrats qui étaient presque tous encore en vigueur au moment où le règlement est devenu applicable et qui ne pouvaient plus être exécutés. Néanmoins, compte tenu de la situation particulière qui a été
précédemment exposée, il ne nous semble pas que la jurisprudence Piraiki-Patraiki/Commission soit impérativement à transposer au cas d'espèce.

32 De ce fait, nous souhaiterions nous référer également à la jurisprudence Extramet Industrie/Conseil (8). Certes, cette affaire concernait un règlement instituant des droits antidumping, mais la Cour a explicitement souligné que, indépendamment de tous les critères dégagés au sujet de la condition d'être individuellement concerné dans le contentieux du dumping, un requérant peut aussi être individuellement concerné si ses activités économiques dépendent, dans une très large mesure, de ses
importations et s'il est sérieusement affecté par le règlement litigieux. Elle a également relevé à titre de critère, que, dans l'affaire, le requérant était l'importateur le plus important du produit en cause (9).

33 Si l'on se fonde sur ces critères, on peut assurément partir de l'idée que, en raison de certaines qualités qui leur sont particulières, les requérantes sont caractérisées par rapport à toute autre personne concernée. Avec ses partenaires, Buralux est l'importateur le plus important, tout au moins dans le secteur France/Allemagne, et elle est affectée de manière particulièrement sérieuse par le règlement et par l'interdiction d'importation qu'il comporte, car elle ne peut pas exécuter ses
contrats en cours. Ces contrats ont presque tous une durée de validité s'étendant au-delà de la date à partir de laquelle le règlement est devenu applicable. Selon nous, on peut donc affirmer que, en l'espèce, les sociétés requérantes sont individuellement concernées.

34 A titre d'argument supplémentaire, les requérantes font valoir qu'il doit être possible aux opérateurs économiques de protéger leurs intérêts légitimes lorsque leur position sur le marché est substantiellement affectée. Dans ce contexte, elles se réfèrent à l'arrêt Cofaz e.a./Commission (10), lequel concernait un règlement qui accordait aux entreprises plaignantes des garanties procédurales les habilitant à demander à la Commission de constater une infraction aux règles communautaires. La Cour a
jugé que de telles entreprises devaient donc également disposer d'une voie de recours pour la protection de leurs intérêts légitimes.

35 Toutefois, en l'espèce, les entreprises requérantes ne se sont pas vu accorder des garanties qu'elles peuvent ultérieurement faire valoir par la voie d'un recours juridictionnel. Ces considérations ne permettent donc pas de leur ouvrir une possibilité de recours sur le fondement de l'article 173, d'autant qu'elles ne se voient pas privées de ce fait de toute protection juridictionnelle. D'ailleurs, le Conseil signale, à juste titre, qu'elles ont la possibilité d'introduire un recours devant les
juridictions nationales et de soulever la question de la compatibilité de la disposition litigieuse avec le droit communautaire dans le cadre d'un renvoi préjudiciel en vertu de l'article 177 du traité CE.

36 Les requérantes formulent également de nombreuses observations concernant la tendance générale à l'élargissement des possibilités de recours (droit de recours du Parlement) et le fait qu'une demande de décision à titre préjudiciel au titre de l'article 177 du traité CE doit contenir des indications concernant le cadre factuel du litige. Toutefois, ces observations ne peuvent avoir aucune influence aux fins de la question qui se pose en l'espèce, car la possibilité d'agir dans le cadre du recours
en annulation est essentiellement déterminée par le libellé de l'article 173 du traité CEE. Nous avons déjà analysé en détail l'interprétation qu'il convient de donner de cette disposition et les cas dans lesquels le recours est ouvert aux particuliers.

37 Nous en venons donc à conclure que les requérantes sont individuellement concernées par la disposition litigieuse.

1.1.2. L'exigence d'être directement concerné

38 Les requérantes s'estiment aussi directement concernées par l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93 du fait que le texte de la disposition litigieuse ne subordonne à aucune condition la prise des mesures rigoureuses qu'il prévoit. Elles font valoir que les États membres peuvent très simplement, et sans avoir à se conformer à de quelconques conditions, interdire totalement les importations de déchets. Elles ajoutent qu'il n'est même pas nécessaire d'établir une distinction
entre déchets dangereux et déchets non dangereux. Comme la disposition litigieuse ne met aucun obstacle à l'interdiction des importations de déchets, les requérantes affirment que les États membres n'hésiteront pas à utiliser cette possibilité et estiment que cet aspect conduit, lui aussi, à ce qu'elles soient directement concernées.

39 Les requérantes évoquent, en outre, la disposition de l'article 44, deuxième alinéa, du règlement qui prévoit que celui-ci n'est applicable que quinze mois après la date de sa publication, c'est-à-dire le 6 mai 1994. Elles indiquent que, dès la date de son entrée en vigueur, en février 1993, le règlement a entraîné des conséquences directes pour leurs entreprises. Depuis cette date, les communes allemandes ne se seraient plus orientées vers la France pour l'élimination des déchets, mais auraient
fait appel à des États tiers.

40 Dans le cadre de son argumentation, le Conseil relève qu'il n'est possible d'envisager qu'un requérant soit directement concerné que si la disposition litigieuse entraîne automatiquement des effets sur sa situation, sans qu'une décision ultérieure soit nécessaire. Il estime que tel n'est pas le cas en l'espèce. Il fait valoir que la disposition attaquée du règlement ne produit des effets à l'égard des opérateurs que si l'État membre concerné fait usage de la possibilité qui lui est donnée et
ajoute qu'il faut en outre observer qu'un large pouvoir d'appréciation a été laissé aux États membres à cet égard. Selon le Conseil, il est donc exclu que les requérantes puissent être directement concernées.

41 Dans son ordonnance, le Tribunal de première instance a expressément renoncé à se prononcer sur la question de savoir si les requérantes étaient directement concernées, relevant qu'il n'était plus nécessaire d'examiner cette question après avoir constaté qu'elles n'étaient pas individuellement concernées. Néanmoins, en conclusion, nous examinerons également ce point.

42 En premier lieu, il se pose la question de savoir si les requérantes étaient déjà concernées par la disposition litigieuse au moment de l'introduction du recours, en avril 1993, et s'il existait donc un intérêt à agir, bien que le règlement ne soit devenu applicable que le 6 mai 1994. Comme le règlement est entré en vigueur dès le mois de février 1993, les requérantes devaient avoir la possibilité de l'attaquer dès cette date. Néanmoins, elles ne pouvaient disposer de cette possibilité qu'à la
condition d'être directement concernées. Cette condition serait remplie si, de manière automatique, c'est-à-dire sans qu'une décision ultérieure soit nécessaire, le règlement trouvait application, en mai 1994, sous une forme telle qu'il les concernait directement. Or, c'est précisément ce qui est douteux en l'espèce. En ce que les sociétés requérantes font valoir que le règlement a produit des répercussions directes sur leur situation dès son entrée en vigueur, il y a lieu d'observer que c'est la
réglementation française qui a édicté une interdiction de principe des importations de déchets et qui a, de ce fait, contraint les communes allemandes à se tourner vers d'autres États d'exportation. En outre, cela ne s'est pas produit au moment seulement de l'entrée en vigueur du règlement litigieux, mais dès le 18 août 1992, date de l'entrée en vigueur de la réglementation française.

43 Aux termes de l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), ce sont les États membres qui décident de prendre des mesures «d'interdiction générale ou partielle concernant les transferts de déchets» et qui définissent ces mesures. Même si la disposition litigieuse était annulée par la Cour, cette annulation n'aurait aucun effet direct sur la situation des requérantes. La législation française qui interdit l'importation depuis 1992 continuerait d'exister.

44 Les requérantes font, certes, valoir que le règlement ne sert qu'à conférer a posteriori une légitimité à la réglementation française. Toutefois, cette allégation ne repose que sur des suppositions. Néanmoins, même dans cette hypothèse, les requérantes ne seraient pas à considérer comme directement concernées. Il est exact que la Cour a affirmé qu'un requérant était directement concerné parce que des autorités nationales avaient fait savoir, à l'avance, qu'elles prendraient certaines décisions
dès qu'elles seraient en possession d'une autorisation appropriée des institutions communautaires (11). Il s'agissait, toutefois, d'une décision individuelle demandée par un État membre. En l'espèce, la situation est différente. Il s'agit d'un règlement adressé à tous les États membres - et non à la seule République française. Ce qui importe surtout, c'est que, chronologiquement, la réglementation française existait avant l'adoption du règlement et produisait déjà des effets défavorables pour les
requérantes avant que celui-ci ne soit applicable. En d'autres termes, la République française n'a pas attendu l'adoption du règlement pour agir. Il en résulte que les parties requérantes ne peuvent pas être considérées comme directement concernées.

45 Dès lors, la demande en annulation est irrecevable.

1.2. Recevabilité de la demande d'indemnisation au titre de la responsabilité non contractuelle

46 En vertu des dispositions combinées de l'article 178 et de l'article 215, deuxième alinéa, du traité CE, la Cour est compétente pour statuer sur la réparation des dommages causés par les institutions de la Communauté, en l'espèce le Conseil.

47 Le Tribunal de première instance a rejeté la demande en indemnisation comme étant irrecevable, elle aussi, au motif que ni la requête introductive d'instance ni la réplique ne contenaient de quelconques indications justifiant le montant des indemnités réclamées. Il a jugé cela contraire à l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour, comme à l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal de première instance, qui exigent que la requête
introductive d'instance contienne l'objet du litige et un exposé sommaire des moyens invoqués.

48 Les parties requérantes font valoir, à l'encontre de cette décision, qu'elles ont droit à la réparation du préjudice qui leur a été causé par le comportement du Conseil et indiquent que la réparation est possible même lorsque le préjudice ne peut pas encore être chiffré (lorsqu'il est imminent et prévisible avec une certitude suffisante). Tel était le cas en l'espèce, selon Buralux, Satrod et Ourry. En outre, selon ce qu'elles soutiennent à présent, le préjudice peut aisément être chiffré à
l'aide de toutes les factures qu'elles ont produites et dont la somme permet de déterminer le chiffre d'affaires que Buralux et ses sous-traitants ont atteint et qui a désormais été réduit à zéro. C'est sur la base de ces chiffres que les requérantes disent avoir calculé le préjudice.

49 Le Conseil soutient que les documents produits par les parties requérantes ne suffisent pas pour chiffrer le montant du préjudice. Il argue que la détermination du chiffre d'affaires à l'aide des factures ne constitue qu'un élément (certes important) parmi d'autres, mais qu'il est évident que le chiffre d'affaires ne peut jamais être égal au préjudice subi. Il ajoute qu'aucun des documents produits par les parties requérantes ne fournit d'éléments permettant d'évaluer le montant du préjudice et
que les parties requérantes ont uniquement produit des contrats et des factures, mais sans indiquer la période retenue ou la méthode de calcul appliquée pour déterminer les sommes réclamées. Dans ce contexte, le Conseil rappelle à nouveau que le règlement n'est devenu applicable qu'à partir de 1994.

50 Comme les constatations de fait du Tribunal de première instance s'imposent dans le cadre du pourvoi, on peut partir de l'idée que, à l'exception de quelques factures et contrats, les parties requérantes n'ont produit aucun document permettant de calculer un préjudice éventuel.

51 Il n'est pas nécessaire, non plus, de faire appel à de plus amples développements pour démontrer que quelques factures, sans indication de la période considérée et de la méthode de calcul utilisée, ne suffisent pas pour pouvoir chiffrer un préjudice. A supposer même que le chiffre d'affaires des entreprises puisse être déterminé à l'aide de ces factures, les requérantes auraient dû fournir des explications plus complètes et plus détaillées pour démontrer que le montant du chiffre d'affaires
qu'elles ne réalisent plus correspond au montant du préjudice qui leur a été causé.

52 En ce que les parties requérantes font valoir qu'il est possible d'introduire la demande en indemnisation sans chiffrer immédiatement le préjudice, il y a lieu de relever que cela ne concerne pas la situation de l'espèce. Dans certains cas précis, le requérant n'est pas obligé d'attendre qu'il soit possible de chiffrer le préjudice pour demander une indemnisation. Toutefois, tel n'est pas le cas en l'espèce. La possibilité de principe de chiffrer le préjudice existait. Les parties requérantes ont
d'ailleurs indiqué des montants précis. C'est un calcul détaillé du préjudice qu'elles ont omis de produire. Il n'est donc pas seulement impossible de déterminer s'il y a eu un préjudice correspondant réellement au montant indiqué; à cause de l'insuffisance des indications fournies par les parties requérantes, il est également impossible de chiffrer tout préjudice. C'est pourquoi il y a également lieu de rejeter comme irrecevable la demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité non
contractuelle du Conseil.

53 Il convient donc de constater que c'est à bon droit que le Tribunal de première instance a rejeté comme irrecevables les deux demandes et que le pourvoi des requérantes ne saurait, dès lors, être accueilli.

1.3. La possibilité de rejeter le pourvoi par voie d'ordonnance motivée

54 Le Conseil est d'avis que, pour ce qui concerne la demande en annulation, le pourvoi est à rejeter comme manifestement irrecevable selon la procédure de l'article 119 du règlement de procédure de la Cour, cette demande étant elle-même manifestement irrecevable. En ce qui concerne la demande d'indemnisation, il estime que le pourvoi est à rejeter en application de l'article 119 du règlement de procédure comme manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, cette demande étant manifestement
irrecevable ou manifestement non fondée. A titre subsidiaire, le Conseil conclut à ce que le pourvoi soit rejeté comme non fondé.

55 Cet aspect appelle les observations suivantes: si, comme l'affirme le Conseil, la demande en annulation était manifestement irrecevable, la partie correspondante du pourvoi devrait être rejetée comme manifestement non fondée, et non comme manifestement irrecevable. Il y a irrecevabilité du pourvoi, si les requérantes au pourvoi étaient dépourvues d'emblée du droit de l'introduire (par exemple, si le délai d'introduction du pourvoi était déjà expiré). Or, le Conseil n'a pas présenté d'arguments en
ce sens. En l'espèce, on ne se trouve pas en présence d'une irrecevabilité du pourvoi, mais seulement d'une irrecevabilité des demandes formulées en première instance. Ce qui en résulte, c'est que le pourvoi n'est pas fondé.

56 Pour la même raison, on ne voit pas davantage pourquoi le pourvoi devrait être rejeté comme manifestement irrecevable en ce qui concerne la demande d'indemnisation au titre de la responsabilité non contractuelle.

57 Fondamentalement, nous sommes d'avis que l'application de l'article 119 du règlement de procédure de la Cour ne serait pas appropriée en l'espèce. Les demandes formulées en première instance ne sont pas manifestement irrecevables. Comme on peut le remarquer, il a été nécessaire de procéder à un examen assez long, notamment au regard des affaires Piraiki-Patraiki et Extramet, pour pouvoir constater l'irrecevabilité.

58 Les considérations que le Conseil expose, à titre subsidiaire, sur le bien-fondé du pourvoi ne nous semblent pas très précises non plus. Le Conseil invoque d'abord l'article 51 du protocole sur le statut de la Cour. Cet article stipule qu'un pourvoi ne peut être fondé que sur l'incompétence du Tribunal, sur des irrégularités de procédure devant le Tribunal ou sur la violation du droit communautaire par le Tribunal. Selon le Conseil, le pourvoi ne fait pas clairement ressortir les moyens sur
lesquels les parties requérantes se fondent. Il croit cependant comprendre que celles-ci n'entendent invoquer que la violation du droit communautaire par le Tribunal. Il poursuit en indiquant que, dans ce cas, il résulte de ses observations précédentes que les arguments des parties requérantes concernant la recevabilité de la demande ne sont pas fondés. C'est pourquoi il demande subsidiairement à la Cour de rejeter le pourvoi comme non fondé. Il semble qu'il faille comprendre par là que - dans la
mesure où il n'y a pas à examiner les questions de procédure et de compétence -, une fois que l'on a constaté que les arguments des parties requérantes concernant la recevabilité de leurs conclusions n'étaient pas fondés, il est immédiatement établi que le pourvoi est à rejeter comme non fondé.

59 Si les arguments du Conseil sur ce point sont effectivement à entendre en ce sens, nous sommes d'avis qu'il y a lieu de se rallier à son opinion et de rejeter le pourvoi comme non fondé (toutefois à titre autre que subsidiaire, puisque le pourvoi ne peut pas être rejeté comme irrecevable, ainsi que nous l'avons démontré aux points 55 et 56).

60 Pour le cas où la Cour ne suivrait pas notre proposition et considérerait les demandes comme recevables, nous examinerons maintenant leur bien-fondé.

2. Bien-fondé

61 Dans le mémoire qu'il a déposé dans le cadre du pourvoi, en dehors de quelques remarques peu nombreuses concernant le bien-fondé de la demande en indemnisation (qui figurent, en fait, dans l'examen de la recevabilité), le Conseil ne présente des observations sur le bien-fondé qu'à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait recevables les demandes au principal.

62 Le Conseil est d'avis que, dans ce cas, la Cour ne devrait pas renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance, mais statuer elle-même en application de l'article 54 de son statut. Il estime que le contenu des mémoires présentés fournit une base suffisante aux fins d'une décision. Il ne développe pas davantage la question du bien-fondé ou non de la demande en indemnisation. Il se contente de renvoyer aux mémoires qu'il a déposés devant le Tribunal de première instance et indique que
ceux-ci contiennent des observations exhaustives sur la question du bien-fondé et qu'il en résulte que la demande en indemnisation est manifestement irrecevable ou manifestement non fondée. En tout état de cause, il ressort de sa seconde conclusion subsidiaire que le Conseil considère les deux demandes comme non fondées.

63 Les parties requérantes, qui considèrent, quant à elles, que les demandes sont fondées, se sont également déclarées en faveur de la solution de ne pas renvoyer l'affaire devant le Tribunal de première instance. Selon nous, la Cour devrait statuer elle-même, au cas où une décision serait nécessaire.

2.1. Bien-fondé de la demande en annulation

64 En ce qui concerne le bien-fondé de la demande en annulation, les parties requérantes invoquent plusieurs moyens.

2.1.1. Violation de formes substantielles

65 En ce que les parties requérantes affirment que la disposition litigieuse est nulle parce qu'insuffisamment motivée, elles invoquent une violation de formes substantielles, ce qui englobe l'article 190 du traité CE. Cet article impose de motiver les règlements, les directives et les décisions. Selon les requérantes, le règlement n_ 259/93 n'est pas suffisamment motivé du fait que sa motivation contient des contradictions. Elles font valoir que, d'une part, il y est indiqué que le transfert
transfrontalier de déchets doit être régi par le droit communautaire, afin de permettre un contrôle suffisant, alors que, d'autre part, le pouvoir des États membres est très fortement augmenté, dès lors que ceux-ci se voient conférer la possibilité d'interdire de façon très générale toute circulation de déchets.

66 Pour le Conseil, la contradiction affirmée par les parties requérantes n'existe pas. Il observe que le dixième considérant du règlement prévoit la possibilité, pour les États membres, d'interdire les transferts de déchets afin de mettre en oeuvre le principe d'autosuffisance.

67 Toutefois, la circonstance que les deux objectifs sont mentionnés dans les considérants du règlement ne garantit pas, d'emblée, une absence de contradiction entre les buts auxquels tendent les considérants eux-mêmes. Néanmoins, pour notre part, nous ne décelons pas, non plus, de contradiction à l'intérieur de la motivation. Même si les États membres se voient conférer la possibilité d'interdire totalement les importations de déchets, il faut prendre en considération le fait qu'ils ne le peuvent
que «conformément au traité». En d'autres termes, ils ne sont pas totalement libres pour ce qui est des formes de réglementations. Le but du Conseil est d'atteindre l'autosuffisance grâce à un réseau d'installations d'élimination des déchets (12). Le contrôle des transferts de déchets par la Communauté n'est nullement en contradiction avec ce but. Tant que l'autosuffisance en matière d'élimination des déchets ne sera pas atteinte et que chaque État membre ne sera pas en mesure d'assurer, sur son
propre territoire, l'élimination des déchets qui y sont produits, il existera des transferts transfrontaliers de déchets. Pour garantir le plus haut niveau possible de protection de l'environnement et de la santé humaine, il faut que ces transferts soient placés sous le contrôle du droit communautaire. Il résulte de ces considérations que le règlement est suffisamment motivé et que sa motivation ne comporte pas de contradictions.

2.1.2. Violation du traité

68 Sur ce point, les parties requérantes soutiennent que les déchets sont à considérer comme des marchandises (même s'il s'agit de marchandises ayant une valeur négative). Elles estiment que, dès lors, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises doivent aussi leur être applicables. Or, il y aurait méconnaissance de ces dispositions en ce que les États membres peuvent désormais fermer leurs frontières aux déchets provenant des États limitrophes par une décision
unilatérale. Selon les requérantes, il ne fallait pas prendre de mesures incompatibles avec le traité pour réaliser les principes de proximité et d'autosuffisance.

69 Dans le cadre de son argumentation, le Conseil a souligné que, dans l'arrêt Commission/Belgique (13), cité par les requérantes, la Cour a également jugé que les déchets étaient des marchandises d'un type particulier pouvant justifier des restrictions à la libre circulation des marchandises. Il fait valoir que, au surplus, la disposition litigieuse ne viole pas le traité, puisqu'elle exige que les mesures prises par les États membres soient conformes au traité.

70 Il résulte de l'arrêt précité, invoqué tant par les requérantes que par le Conseil, que les déchets sont à considérer comme des marchandises et que les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises leur sont donc applicables (14). Toutefois, la disposition litigieuse en l'espèce, à savoir l'article 4, paragraphe 3, sous a), i), du règlement n_ 259/93, donne simplement aux États membres la possibilité de limiter les transferts de déchets «conformément au traité». Il en résulte
qu'une violation du traité du fait de cette disposition n'est pas possible.

71 Le traité CE prévoit d'ailleurs lui-même des restrictions à la libre circulation des marchandises. Dans l'affaire Commission/Belgique, la Cour a ainsi expressément jugé que des restrictions à la libre circulation des déchets étaient justifiées par «des exigences impératives tenant à la protection de l'environnement». Elle a conclu à une absence de discrimination, en dépit du fait que les mesures dont il s'agissait, dans cette affaire, n'étaient dirigées que contre les déchets provenant d'autres
États membres. Retenant que le principe de la correction, par priorité, à la source, des atteintes à l'environnement impliquait de traiter différemment les déchets selon le lieu de leur production, la Cour a jugé qu'il n'était pas discriminatoire de prendre des mesures frappant les déchets provenant d'autres États membres, déchets qui n'étaient donc pas éliminés au lieu de leur production (15). La disposition litigieuse ne constitue donc pas une violation du traité.

2.1.3. Violation du principe de proportionnalité

72 Les requérantes soutiennent que, par la disposition litigieuse, le Conseil a violé le principe de proportionnalité. Elles estiment que les inconvénients qui en résultent pour elles (faillite) sont disproportionnés et excèdent le risque normal des opérateurs économiques. Selon elles, le Conseil aurait pu prévoir une mesure plus modérée, par exemple la notification préalable des transferts envisagés.

73 Le Conseil observe que la règle litigieuse ne constitue qu'un complément aux très nombreuses règles qui existaient antérieurement dans le domaine de l'élimination des déchets. Au surplus, il estime avoir fait le nécessaire pour qu'elle ne soit pas disproportionnée et soutient que c'est le gouvernement français qui est responsable des préjudices intervenus en l'espèce, et non le Conseil.

74 Pour l'examen de la proportionnalité, il convient d'établir une distinction entre le caractère approprié de la mesure litigieuse et sa nécessité. Aucune des parties ne conteste le caractère approprié. Il en va différemment de la nécessité. A cet égard, les parties requérantes soutiennent que le Conseil pouvait également prévoir un moyen plus modéré, à savoir la notification préalable des transferts envisagés. Toutefois, cette mesure ne serait pas appropriée pour atteindre l'objectif
d'autosuffisance. Les transferts continueraient à avoir lieu.

75 En réponse à l'argument des parties requérantes consistant à faire valoir qu'elles sont affectées par la disposition litigieuse dans une mesure excédant le risque normal d'un opérateur économique, le Conseil signale, à juste titre, que cette disproportion est imputable à la législation française. La disposition litigieuse en l'espèce prévoit simplement que les États membres peuvent prendre des mesures d'interdiction générale ou partielle concernant les transferts de déchets. Les États membres
disposent ainsi de plusieurs possibilités d'action. Dès lors, le choix de celle qu'ils retiennent leur appartient, de même que l'appréciation de ses conséquences au regard du principe de proportionnalité. En outre, ils sont tenus de définir les mesures qu'ils prennent conformément au traité. L'article 4, paragraphe 3, sous a, i, ne permet donc pas de prendre une mesure disproportionnée. Enfin, nous voudrions également rappeler que le règlement n'est entré en application que quinze mois après son
entrée en vigueur et qu'il laissait ainsi aux entreprises concernées la possibilité de s'adapter aux changements de situation. La disposition litigieuse n'apparaît donc pas disproportionnée.

2.1.4. Protection de la confiance légitime

76 Sur ce point, les parties requérantes font valoir qu'un particulier est fondé à espérer que l'administration communautaire ne prendra pas de mesures contraires au principe de la libre circulation des marchandises. Elles ajoutent que l'on doit, en outre, pouvoir espérer que la Communauté ne modifiera pas sa position en matière de protection de l'environnement.

77 Le Conseil avait répondu à ces arguments que la disposition litigieuse n'était pas encore applicable et laissait suffisamment de temps (quinze mois) aux intéressés pour s'adapter au changement de situation.

78 Eu égard à l'argumentation des parties requérantes, il y a d'abord lieu d'affirmer que, comme nous l'avons précédemment montré, la Communauté n'a pas pris une mesure contraire au principe de la libre circulation des marchandises. Outre le délai d'adaptation suffisant, que le Conseil a également évoqué, un autre élément est à mentionner sur ce point. Le Conseil avait déjà fixé l'objectif de l'autosuffisance en matière d'élimination des déchets à l'article 5, paragraphe 1, de la directive
75/442/CEE, relative aux déchets, dans la version de 1991 (16). Cela signifie que, depuis cette date, il fallait s'attendre à ce que les transferts transfrontaliers de déchets fassent l'objet de restrictions croissantes et à ce que leur élimination s'effectue davantage à la source. Dès lors, les parties requérantes ne sauraient faire valoir qu'elles pouvaient légitimement espérer que la Communauté ne modifierait pas sa position en matière de protection de l'environnement et que les importations de
déchets ménagers resteraient possibles. D'abord, comme nous venons de le montrer, la Communauté n'a pas attendu 1993 pour modifier sa position en matière d'environnement; ensuite, les requérantes ne pouvaient pas s'attendre à ce que les transferts de déchets continuent à être possibles dans la même mesure qu'auparavant. Il en résulte que l'existence d'une confiance légitime des requérantes fait défaut.

2.1.5. Détournement de pouvoir

79 Seul un très petit nombre des éléments que les requérantes ont invoqués dans ce contexte concernent réellement la notion de détournement de pouvoir. Il y a détournement de pouvoir lorsque l'acte considéré est destiné à un but autre que celui indiqué, c'est-à-dire lorsque l'acte tend à un but illicite de son auteur.

80 A la lumière de cette définition, le seul argument pertinent présenté par les requérantes est celui qui tend à démontrer que, par le règlement litigieux, le Conseil a uniquement voulu servir les intérêts d'un État membre, à savoir la France, et légitimer a posteriori le décret français illicite, au lieu d'introduire une réglementation générale en matière d'élimination des déchets.

81 Le Conseil observe que la disposition litigieuse a été proposée par la présidence du Conseil en accord avec la Commission, et à la lumière de l'arrêt déjà cité de la Cour dans l'affaire Commission/Belgique, pour assurer aux États membres la possibilité de prendre, pour des raisons de protection de l'environnement, des mesures restreignant la libre circulation des marchandises. Le Conseil ajoute que le règlement est, en outre, adressé à tous les États membres et ne peut donc en aucun cas avoir
pour effet de confirmer rétroactivement une mesure nationale.

82 Il y a lieu de se rallier à l'opinion du Conseil, d'autant que les parties requérantes n'avancent que des suppositions lorsqu'elles arguent que, par le règlement litigieux, le Conseil entendait uniquement légitimer la réglementation française antérieure. Une telle légitimation a posteriori ne serait d'ailleurs pas possible. Un règlement ne peut pas légitimer, pour la période antérieure à son adoption, une réglementation nationale antérieure. C'est de cette période qu'il s'agit en l'espèce, car
les effets défavorables subis par les parties requérantes résultaient de l'interdiction française d'importation, qui avait été édictée dès 1992. Le détournement de pouvoir fait donc défaut.

2.1.6. Principe de subsidiarité

83 Les requérantes soutiennent que l'adoption du règlement litigieux a été effectuée en méconnaissance du principe de subsidiarité et, plus particulièrement, qu'il n'a été tenu compte ni de l'ensemble des critères de protection de l'environnement ni de la situation des États membres pour déterminer s'il valait mieux réglementer la matière au niveau des États membres ou au niveau de la Communauté.

84 Le Conseil répond à cet argument que seul le principe de subsidiarité de l'article 130 R, paragraphe 4, du traité peut être visé ici et que celui-ci ne constitue pas une règle de droit supérieure assurant la protection des particuliers au sens de la jurisprudence de la Cour.

85 Si l'on approfondit quelque peu l'examen des arguments des requérantes, on constate que, en réalité, celles-ci n'invoquent pas une violation du principe de subsidiarité, mais qu'elles se contentent de l'affirmer sans fournir le moindre élément à l'appui de leur affirmation. En ce que les requérantes soutiennent que, lors de l'adoption du règlement, le problème de savoir s'il valait mieux régler la question au niveau des États membres ou au niveau de la Communauté n'a pas été examiné, elles ne
font que formuler une affirmation. Elles ne fournissent aucun élément en ce sens. Elles ne soutiennent pas, non plus, qu'il aurait mieux valu que la matière soit réglementée au niveau des États membres; au contraire, elles soulignent à plusieurs reprises que les États membres ne doivent pas se voir attribuer un pouvoir trop large en matière de restriction des transferts de déchets. En d'autres termes, les requérantes sont d'avis qu'il s'agit d'une matière qui doit être réglée au niveau de la
Communauté. Or, c'est précisément ce qu'a fait le Conseil. Même si, en l'espèce, une certaine marge de manoeuvre a été laissée aux États membres, on se trouve néanmoins en présence d'une réglementation communautaire. Elle a été adoptée par la Communauté; elle est destinée à l'ensemble des États membres; elle édicte des règles et des exigences uniformes pour tous les États membres. En outre, les mesures prises par les États membres doivent être conformes au traité. Il ne fait donc nul doute que le
domaine des transferts de déchets est réglementé au niveau communautaire. En ce que les parties requérantes font valoir qu'une compétence trop large a été conférée aux États membres dans ce domaine, il s'agit d'un argument qui peut, à la rigueur, être examiné sous l'angle de la violation du traité, qui a déjà été examinée précédemment. En tout cas, en invoquant cet argument, les requérantes n'invoquent pas une violation du principe de subsidiarité.

86 Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la demande en annulation au titre de l'article 173 du traité CE n'est pas fondée.

2.2. Bien-fondé de la demande d'indemnisation au titre de la responsabilité non contractuelle

87 Aucun comportement fautif du Conseil, dans l'adoption du règlement litigieux, n'ayant été démontré, la demande d'indemnisation n'est pas fondée, elle non plus. Son défaut de fondement résulte aussi d'une absence de lien de causalité entre l'adoption du règlement et le préjudice incontestablement subi par les parties requérantes (ce qui correspond d'ailleurs à l'argumentation du Conseil).

Dépens

88 En application de l'article 122, premier alinéa, de son règlement de procédure, la Cour statue sur les dépens lorsque le pourvoi est rejeté. Tel étant le cas en l'espèce, elle a donc lieu de statuer sur les dépens. Il résulte de l'article 118 du règlement de procédure que l'article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure est applicable à la procédure du pourvoi. Ledit article 69, paragraphe 2, premier alinéa, prévoit que la partie qui succombe est condamnée aux dépens. Le
pourvoi des requérantes étant à rejeter, il y a lieu de les condamner aux dépens.

C - Conclusion

89 Nous proposons donc

1) de rejeter le pourvoi comme non fondé;

2) de condamner les requérantes aux dépens.

(1) - Règlement (CEE) n_ 259/93 du Conseil, du 1er février 1993 (JO L 30, p. 1).

(2) - Directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO L 194, p. 39), modifiée par la directive 91/156/CEE, du 18 mars 1991 (JO L 78, p. 32).

(3) - Arrêt du 17 janvier 1985 (11/82, Rec. p. 207).

(4) - Commission/Belgique (C-2/90, Rec. p. I-4431).

(5) - Arrêts du 24 février 1987, Deutz und Geldermann/Conseil (26/86, Rec. p. 941, 951, point 8); du 29 janvier 1985, Binderer/Commission (147/83, Rec. p. 257, 271, point 13); du 6 octobre 1982, Alusuisse/Conseil et Commission (307/81, Rec. p. 3463, 3472 et suiv., point 11); du 30 septembre 1982, Roquette Frères/Conseil (242/81, Rec. p. 3213, 3230, point 7); du 14 juillet 1983, Spijker/Commission (231/82, Rec. p. 2559, 2566, points 9 et suiv.), et du 18 mai 1994, Codorniu/Conseil (C-309/89, Rec. p.
I-1853, I-1885 et suiv., points 18 et suiv.).

(6) - Arrêt Piraiki-Patraiki/Commission précité, point 11; arrêt Spijker/Commission, précité, point 8; arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197, 238); arrêt Deutz und Geldermann/Conseil, précité, point 9, et arrêt Cordoniu, précité, point 20.

(7) - Arrêt précité, voir note 3.

(8) - Arrêt du 16 mai 1991 (C-358/89, Rec. p. I-2501).

(9) - Arrêt Extramet Industrie/Conseil, précité, points 16 et 17.

(10) - Arrêt du 28 janvier 1986 (169/84, Rec. p. 391, 414, point 23).

(11) - Arrêt du 23 novembre 1971, Bock/Commission (62/70, Rec. p. 897, 908, points 7 et 8).

(12) - Septième considérant du règlement n_ 259/93.

(13) - Arrêt précité, points 30 et 32 (note 4).

(14) - Arrêt Commission/Belgique, précité, point 28.

(15) - Arrêt Commission/Belgique, précité, points 30, 32, 34 et 36.

(16) - JO L 194, (voir note 2).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-209/94
Date de la décision : 23/11/1995
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en responsabilité, Recours en annulation

Analyses

Pourvoi - Transferts de déchets.

Déchets

Environnement

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Buralux SA, Satrod SA et Ourry SA
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:404

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