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14/11/1995 | CJUE | N°C-41/95

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général La Pergola présentées le 14 novembre 1995., Conseil de l'Union européenne contre Parlement européen., 14/11/1995, C-41/95


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 14 novembre 1995 ( *1 )

Introduction

1. Le présent recours soulève des questions relatives à l'élaboration du budget communautaire et à la répartition des compétences entre les deux institutions constituant l'autorité budgétaire, à savoir le Parlement et le Conseil. La Cour est, en effet, appelée à décider si l'une et l'autre de ces institutions ont, sur les points qui font l'objet du litige, légitimement exercé leurs compétences au cours de la procédure qui s'est c

onclue par la déclaration du président du Parlement constatant l'arrêt
du budget pour...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTONIO LA PERGOLA

présentées le 14 novembre 1995 ( *1 )

Introduction

1. Le présent recours soulève des questions relatives à l'élaboration du budget communautaire et à la répartition des compétences entre les deux institutions constituant l'autorité budgétaire, à savoir le Parlement et le Conseil. La Cour est, en effet, appelée à décider si l'une et l'autre de ces institutions ont, sur les points qui font l'objet du litige, légitimement exercé leurs compétences au cours de la procédure qui s'est conclue par la déclaration du président du Parlement constatant l'arrêt
du budget pour 1995.

Faits de l'espèce

2. Par son recours introduit le 17 février 1995, le Conseil attaque l'acte par lequel le président du Parlement a constaté, le 15 décembre 1994, l'arrêt définitif du budget général de l'Union européenne pour l'exercice 1995 ( 1 ). Le Conseil demande à la Cour, au titre des articles 173 du traité CE et 146 du traité CEEA ( 2 ), d'annuler l'acte attaqué et, par voie de conséquence, de déclarer invalide le budget pour 1995, tout en maintenant les actes d'exécution de ce budget accomplis jusqu'à la date
de l'éventuel arrêt faisant droit au recours.

3. Les faits qui sont à l'origine de la présente affaire peuvent se résumer rapidement comme suit.

Le Parlement a apporté des changements à certaines lignes du budget 1995, approuvé en première lecture par le Conseil. Le Conseil avait considéré les lignes en question comme concernant des dépenses obligatoires (ci-après les « DO »). Le Parlement les a, quant à lui, requalifiées comme dépenses non obligatoires (ci-après les « DNO ») et a jugé bon d'adopter, sur ces points, conformément à l'article 203 du traité, des amendements et non des propositions de modification, lesquelles doivent viser
des DO. Comme nous l'expliquons plus loin, le Conseil a, de son côté, continué à considérer les dépenses en question comme obligatoires et a, en conséquence, traité les changements les concernant, décidés par le Parlement, non comme des amendements, mais, précisément, comme des propositions de modification, toujours en raison de la nature attribuée aux dépenses concernées.

Les lignes budgétaires litigieuses sont au nombre de 131 et relèvent de la sous-section B1 (FEOGA « garantie »), sauf une seule, appartenant à la sous-section B7 (accords internationaux en matière de pêche). Pour chaque ligne budgétaire relative à la sous-section Bl, les changements votés par le Parlement sous forme d'amendements sont assortis de commentaires destinés à justifier le caractère non obligatoire prétendu des dépenses en cause, faisant référence à la « marge discrétionnaire » ou à la
« flexibilité » laissées à la Commission par les « règlements de base » en vue de la gestion de l'action prévue. En ce qui concerne la ligne budgétaire appartenant à la sous-section B7, l'amendement approuvé par le Parlement modifie le commentaire l'accompagnant de manière à prévoir un crédit d'un million d'écus pour les dépenses découlant d'un accord international que la Communauté devait conclure avec la Russie au sujet du financement de la pêche au hareng. Pour les lignes budgétaires qui font
l'objet du présent recours, le Parlement a, dans certains cas, également modifié le montant du crédit figurant dans le projet de budget initialement préparé par le Conseil.

En seconde lecture, le Conseil a rejeté, le 16 novembre 1994, les amendements adoptés par le Parlement en première lecture, en estimant, en ce qui concerne les lignes budgétaires litigieuses, qu'il s'agissait de propositions de modification ayant pour objet des DO, en conformité avec la pratique budgétaire des institutions et la classification définie par la déclaration commune de 1982 ( 3 ).

Les motifs du rejet des amendements proposés par le Parlement, figurant dans le procès-verbal de la session concernée du Conseil, ont été repris dans l'exposé des motifs des résultats de la seconde lecture du budget communautaire effectuée par le Conseil. Ce document a été transmis au Parlement le 16 novembre 1994.

Le président en exercice du Conseil a ultérieurement réaffirmé la position de son institution concernant la classification des lignes budgétaires litigieuses dans une lettre adressée le 2 décembre 1994 au président du Parlement, où il a rappelé la conviction du Conseil selon laquelle les dépenses couvertes par la ligne directrice agricole devaient, conformément à la déclaration commune de 1982 et à l'accord interinstitutionnel de 1993 ( 4 ) (ci-après ľ« AII 93 »), être considérées comme
obligatoires.

Le Conseil a maintenu la position définie ci-dessus lors de la seconde lecture au Parlement. Le président en exercice de l'institution requérante a, en effet, déclaré à l'assemblée, lors de la séance du 13 décembre 1994, que, concernant les lignes budgétaires litigieuses, le Conseil ne pouvait « accepter » que la classification des dépenses concernées comme DO soit modifiée, cela parce que, « dans le cadre des négociations pour l'accord interinstitutionnel », il avait été convenu que seraient
dorénavant classées comme non obligatoires « l'ensemble des dépenses des rubriques 2 et 3 », étant entendu que le classement de toutes les autres — y compris donc celles de la rubrique 1 — devait, par contre, rester inchangé.

Dans le débat parlementaire qui a suivi, des avis divergents ont été formulés en ce qui concerne la classification des dépenses faisant l'objet de l'actuel litige. Le 15 décembre 1994, le Parlement a, malgré tout, adopté une résolution dont le contenu est le suivant: « [le Parlement] approuve dans ces circonstances le maintien en deuxième lecture de tous les amendements considérés par le Conseil comme des ‘modifications’, et qui concernent des lignes pour lesquelles, selon la réglementation en
vigueur, la Commission doit respecter le montant inscrit dans le budget en vertu de son pouvoir discrétionnaire de gestion ».

4. Le 15 décembre 1994, est intervenu le dernier acte de la complexe procédure d'arrêt du budget communautaire.

Au cours du débat à l'assemblée et après le vote approuvant les résolutions du Parlement, le président en exercice du Conseil, M. Haller, a fait la déclaration suivante:

« La position du Conseil en la matière a été exposée au Parlement par lettre du 2 décembre 1994 du Président en exercice du Conseil et par moi-même dans ma déclaration du 13 décembre 1994. Je me vois dès lors dans l'obligation d'indiquer que le Conseil se réserve tous les droits en la matière. Dans le même temps, je voudrais faire observer que le Conseil donne son accord sur le nouveau taux de dépenses non obligatoires sur la base de la position qu'il a définie. »

A l'invitation du président de la commission des budgets du Parlement et après les interventions de quelques autres députés, le président du Parlement a prononcé la déclaration suivante:

« Je constate qu'en dépit des divergences de vues sur certains points, un accord, au sens de l'article 203 du traité CE, a été obtenu avec le Conseil sur un nouveau taux maximum d'augmentation. La procédure budgétaire peut ainsi être close avec succès. »

A la suite de cette déclaration, le président du Parlement a donc procédé à la signature du budget au centre de l'hémicycle, en présence du président en exercice du Conseil, M. Haller, du commissaire Schmidhuber, des rapporteurs et du président de la commission des budgets du Parlement.

Cadre normatif

5. Les règles communautaires en cause dans la présente affaire sont celles contenues dans les paragraphes 4 à 10 de l'article 203 du traité ( 5 ). Ces dispositions concernent, comme on le sait, les compétences des deux institutions quant à l'élaboration du budget, les majorités prescrites et le déroulement de la procédure.

Recevabilité

6. La Parlement excipe, à titre préliminaire, de l'irrecevabilité du recours dans la mesure où la Cour est invitée à déclarer le budget 1995 invalide. Cette demande serait irrecevable, parce qu'elle est inutile, étant donné que, selon la partie défenderesse, dans l'éventualité où la Cour rendrait une décision annulant l'acte du président du Parlement constatant l'arrêt du budget, cette décision impliquerait, de toute manière, que le budget lui-même devienne caduc.

Le Conseil réplique que, s'il a demandé que le budget soit déclaré invalide, c'est exclusivement comme une conséquence directe et naturelle de l'annulation de l'acte du président du Parlement, et que, dès lors, il ne comprend pas la raison — la « portée », comme il dit — de l'exception d'irrecevabilité soulevée par le Parlement.

7. Sur ce point, on trouve, selon nous, une réponse claire dans la jurisprudence de la Cour. Nous y faisons référence, pour autant que besoin en soit en ce lieu, uniquement pour rappeler qu'il a été établi que « l'annulation de l'acte du président du Parlement a pour effet de priver le budget ... de sa validité » ( 6 ). Cela étant, il n'y a pas lieu que la Cour, comme elle l'a indiqué dans cette affaire, statue « sur les conclusions du Conseil tendant » — comme c'est le cas en l'espèce — « à
l'annulation totale [du] budget ».

Il a ainsi été reconnu que, si la demande principale, visant à obtenir que l'acte du président du Parlement constatant l'arrêt du budget soit déclaré invalide, est accueillie, cette décision consacre implicitement l'invalidité du budget dans son intégralité. Cela implique, selon nous, que, si le Conseil, comme c'est le cas en l'espèce, demande aussi, par son recours dirigé contre l'acte présidentiel, que le budget soit déclaré invalide, cette demande n'est pas irrecevable: elle ne l'est pas,
parce qu'elle n'est pas autonome, mais nécessairement accessoire à celle formulée à titre principal, dont personne ne met en doute la recevabilité. Étant donné que l'annulation du budget découle inévitablement de celle de l'acte présidentiel, il faudra considérer que la demande visant à obtenir que la Cour confirme cet effet indirect est satisfaite dans l'éventualité où l'arrêt accueillerait la demande principale. Du reste, si l'exception d'irrecevabilité, dans les termes où elle est soulevée par
le Parlement, était accueillie par la Cour et si, d'autre part, l'acte présidentiel attaqué était jugé invalide et annulé, une telle décision aurait, elle aussi, pour effet de priver le budget tout entier de sa validité. On ne voit donc pas quel est l'intérêt pratique de l'exception soulevée. Il ne vaut guère la peine d'ajouter que, s'agissant d'une demande accessoire, elle devrait nécessairement être considérée comme rejetée dans l'hypothèse inverse, à savoir si la Cour décidait que le recours
du Conseil n'est pas fondé.

Fond

Arguments des parties

8. Venons-en au fond du recours. L'acte du président constatant l'arrêt du budget est attaqué par le Conseil dans la mesure où, selon lui, ce budget n'aurait pas été régulièrement élaboré. D'après la partie requérante, le Parlement aurait, en excédant ses attributions, modifié des prévisions budgétaires se référant à des DO, pour lesquelles il ne dispose pas du droit d'amendement, mais uniquement du pouvoir de proposer des modifications, qui exigent l'approbation du Conseil, approbation qui n'a pas
été donnée en l'espèce.

9. Plus précisément, le grief du Conseil est double. Le Parlement aurait violé tant les règles attribuant au Conseil ses compétences en matière de DO que les accords interinstitutionnels qui, en conformité avec ces règles et en exécution de celles-ci, auraient concrètement classé comme obligatoires les dépenses afférentes aux lignes budgétaires litigieuses: la violation prétendue des dispositions de ces accords impliquerait, en outre, un manquement à l'obligation qu'ont les institutions de se
comporter loyalement.

10. A ces remarques, le Parlement objecte, en tout premier lieu, que, en seconde lecture, il lui appartient de reclasser, de façon définitive, comme non obligatoires les dépenses dont la nature est diversement interprétée par les deux branches de l'autorité budgétaire.

Quant au grief concernant la violation de l'Ail 93, le Parlement affirme que cet accord classe comme DNO les dépenses relatives aux lignes budgétaires prévues dans les rubriques 2 et 3, sans trancher la question de la classification des dépenses relatives à la rubrique 1. La circonstance que l'accord soit muet en ce qui concerne ces dernières dépenses ne signifierait donc pas qu'il s'agit de DO: le silence des institutions démontre seulement, selon le Parlement, l'absence d'accord sur leur
nature.

D'autre part, selon le Parlement, les dépenses doivent être classées comme obligatoires ou non en fonction du caractère objectif de l'acte normatif dont elles découlent. Il s'agirait alors de vérifier concrètement, ligne par ligne, si l'acte de base lie la Commission dans la gestion des dépenses ou lui reconnaît, au contraire, le pouvoir discrétionnaire caractérisant la dépense comme non obligatoire. Le Parlement considère que la classification adoptée en 1982 est dépassée, soit parce qu'il n'y
a plus actuellement correspondance entre le budget 1995 et les lignes budgétaires considérées dans la déclaration commune remontant à cette époque, soit parce que l'Ail 93 aurait, de toute façon, eu pour effet d'abroger la classification des dépenses prévue par cette déclaration.

11. A la thèse du Parlement, le Conseil réplique, pour sa part, que la classification des dépenses ne peut être effectuée de manière unilatérale, mais doit résulter d'un accord entre les deux branches de l'autorité budgétaire. En ce qui concerne la présente affaire, les AII de 1988 et de 1993 n'auraient pas abrogé la déclaration commune de 1982. Selon le Conseil, il n'est, en effet, pas possible d'affirmer, en se fondant sur le silence de l'Ail 93 au sujet des dépenses relevant de la rubrique 1, que
ces dernières ont perdu le caractère de DO que leur avait conféré la déclaration commune de 1982. Si les dépenses de la rubrique 1 étaient assimilées à des DNO, cela finirait, ajoute l'institution requérante, par vider l'Ail 93 lui-même de son contenu. L'annexe II de cet accord prévoit une procédure spéciale de concertation entre les trois institutions portant sur le montant des DO. La procédure ainsi définie ne pourrait donc trouver application si les dépenses de la rubrique 1 étaient
dépouillées du caractère obligatoire qu'actuellement elles sont les seules à conserver.

12. Les objections soulevées par le Parlement à l'encontre des thèses du Conseil ne portent pas seulement sur les critères régissant, de manière abstraite, la classification des dépenses. Selon la partie défenderesse, le Conseil a déjà, de toute façon, consenti à la requalification comme non obligatoires des dépenses dont il s'agit, en donnant son accord, conformément à l'article 203 du traité, sur le dépassement du taux maximal d'augmentation (ci-après le « TMA »). En effet, le TMA et la catégorie
des DNO à laquelle il doit être appliqué seraient des éléments indissolublement liés; il y aurait donc accord sur la détermination du TMA, précisément dans la mesure où le Conseil s'est déclaré d'accord avec le Parlement sur la catégorie de dépenses à laquelle un taux déterminé doit s'appliquer. En vertu de l'article 203, paragraphe 9, quatrième et cinquième alinéas, le TMA, c'est-à-dire le nouveau taux que le Parlement et le Conseil doivent fixer de commun accord, dans la mesure où il dépasse
le taux précédemment prévu, concerne exclusivement les DNO. Le critère déterminant pour la solution du présent litige consisterait donc à décider si oui ou non les deux branches de l'autorité budgétaire sont parvenues à un accord sur le TMA.

En l'espèce, pour démontrer qu'il y avait accord tant sur le TMA que, en conséquence, sur la classification des dépenses comme non obligatoires qu'il présuppose, le Parlement formule, dans son mémoire en défense, des griefs de divers types. Tout d'abord, le président en exercice du Conseil se serait rallié à la position prise par le Parlement dans la déclaration qu'il a faite devant l'assemblée lors du débat consacré à la seconde lecture du budget et que nous avons citée ci-dessus. En outre,
durant les travaux parlementaires, le même président du Conseil aurait adopté une attitude dont on pouvait aisément déduire son adhésion à la déclaration du président du Parlement constatant l'arrêt du budget. La pratique des rapports entre les deux institutions en ce qui concerne l'élaboration du budget irait dans le sens de la thèse défendue par le Parlement. En effet, au Conseil incomberait l'obligation — à laquelle il s'est, dans le passé, toujours conformé — de signaler, à temps et sans
équivoque, les éventuelles irrégularités susceptibles d'entraîner l'invalidité de l'acte final constatant l'arrêt du budget, qui est de la compétence du président du Parlement. Cependant, selon le Parlement, les choses ne se sont pas passées ainsi en l'espèce. Le Conseil n'a pas expressément rejeté la position du Parlement, comme il l'avait fait antérieurement en d'autres occasions, et s'est, au contraire, associé, par l'intermédiaire de son président en exercice, aux manifestations
d'approbation qui ont suivi l'arrêt du budget et l'acte du président le constatant. Le Parlement voit dans cette attitude du Conseil un acte de courtoisie interinstitutionnelle, une expression de la comitas d'un organe souverain à l'égard d'un autre, laquelle est cependant, selon le défendeur, apte à produire des effets juridiques, comme en témoignerait la jurisprudence de la Cour internationale de justice ( 7 ) en matière de droit des gens. Le Conseil objecte sur ce point que le président en
exercice, M. Haller, n'était pas habilité à revenir sur la position arrêtée par son institution et n'était donc pas en mesure d'accepter le TMA qui aurait découlé de la reclassification des dépenses en question opérée par le Parlement, mais contestée par le Conseil lui-même. Le Parlement estime, toutefois, qu'il appartenait, de toute façon, au président en exercice du Conseil d'interpréter, d'exprimer et de mettre en œuvre la volonté de l'institution qu'il représentait. Le président du
Parlement, ajoute le requérant, devait donc se fier pleinement à la déclaration faite dans l'hémicycle par le président Haller au nom du Conseil et n'avait aucune raison de douter que cette dernière institution avait la volonté d'accepter le nouveau TMA.

13. La partie requérante attire, cependant, l'attention sur le fait que l'accord sur le TMA ne peut être considéré comme légitimement acquis que lorsque les deux branches de l'autorité budgétaire se sont entendues sur la détermination des DNO auxquelles ce taux doit être appliqué. Le désaccord sur l'identification des DNO ferait, par conséquent, obstacle à ce que le Conseil ait pu valablement marquer son accord sur le TMA.

De toute façon, selon le Conseil, il n'existait en l'espèce aucun accord sur le TMA. Le président Haller, précise l'institution requérante, a adressé au Parlement la lettre du 2 décembre 1994 et est intervenu en séance le 13 décembre de la même année pour contester, dans ces deux occasions, la requalification comme DNO des dépenses faisant l'objet du présent recours; il a mis le Parlement fermement en garde contre toutes les conséquences susceptibles de découler de cet état de choses.

Le Conseil poursuit en disant que la déclaration faite, dans l'hémicycle, le 15 décembre 1994, par ce même président Haller, au terme du débat budgétaire, n'a pas d'autre sens. Cette fois encore, le Conseil aurait déclaré ne pouvoir donner son accord sur le TMA que « sur la base de la position » qu'il avait définie précédemment. Il n'avait donc pas donné son accord et il ne le donnerait qu'à condition que les dépenses classées comme non obligatoires par le Parlement soient, au contraire,
considérées comme obligatoires, de manière à calculer et à appliquer le nouveau TMA en fonction de l'assiette des dépenses résultant de la classification maintenue par le Conseil.

Cette dernière institution fait également observer que, dans la traduction française de la déclaration faite en allemand par le président Haller, on lit: « le Conseil donne son accord », alors que le texte original dit: « die Zustimmung des Rates [...] erfolgt ». La déclaration du président du Conseil étant subordonnée à des conditions non encore satisfaites, il aurait fallu traduire le texte original en mettant le verbe au futur: « l'accord du Conseil interviendra ». Le Parlement voit dans le
présent utilisé par la version française une preuve d'un prétendu accord, effectif et inconditionnel, du Conseil sur le TMA. Cependant, dit le Conseil, l'institution défenderesse elle-même est obligée de reconnaître que la condition nécessaire à un tel accord faisait défaut, du fait du désaccord persistant sur la classification des dépenses en question. Si l'on voulait se rallier à l'interprétation de la déclaration en cause que propose le Parlement, on ne pourrait la considérer que comme
contradictoire. La seule façon possible de l'interpréter resterait celle consistant à considérer comme claire et cohérente la référence faite par le président Haller à la position déclarée du Conseil: l'accord pouvait intervenir et serait intervenu seulement si le Parlement avait accepté cette position quant à la nature des dépenses contestées.

Enfin, le Conseil nie qu'il y ait eu aucun acquiescement du président Haller au comportement du Parlement et, en particulier, de son président, lorsque celui-ci a constaté l'arrêt du budget. Le président Haller aurait agi comme il y était tenu, le Conseil n'ayant pas pour devoir d'interférer dans l'exercice des prérogatives que le traité, à l'article 203, paragraphe 7, attribue exclusivement au président du Parlement. Les manifestations de courtoisie interinstitutionnelle ne peuvent non plus,
toujours selon le Conseil, faire l'objet d'un contrôle juridictionnel.

Analyse

14. Comment évaluer maintenant les thèses opposées du Conseil et du Parlement? En simplifiant la question à trancher, on peut dire que, en définitive, au centre de la présente controverse, se trouve la classification de certaines lignes budgétaires relevant de la ligne directrice agricole et d'une autre ligne budgétaire en matière d'accords de pêche. Si les dépenses qui y sont prévues ne sont pas obligatoires, il faut reconnaître au Parlement, conformément à l'article 203, le pouvoir d'adopter à
titre définitif les amendements ici contestés et le budget doit alors être considéré comme régulièrement approuvé. Si les dépenses sont classées comme obligatoires, le recours ici examiné est, au contraire, fondé.

Le problème étant ainsi posé, nous indiquons immédiatement que les arrêts rendus jusqu'ici en ce qui concerne l'élaboration du budget communautaire ne s'attachent pas à examiner et à définir directement ( 8 ) les caractères spécifiques des DO et des DNO. La Cour a, cependant, eu l'occasion de préciser quel critère ou, comme il vaudrait mieux dire, quel instrument juridique sert à distinguer les deux catégories de dépenses.

15. Ce que nous sommes en mesure d'affirmer, à la lumière de la jurisprudence, c'est que « les problèmes de délimitation des dépenses non obligatoires par rapport aux dépenses obligatoires font l'objet d'une procédure interinstitutionnelle de conciliation instituée par la ‘déclaration commune’ du Parlement européen, du Conseil et de la Commission du 30 juin 1982 (...) et qu'ils sont de nature à être résolus dans ce cadre » ( 9 ).

Le point de vue ainsi énoncé par la Cour est clair: il doit y avoir accord entre les institutions concernées par la solution des problèmes de classification. La matière a été, en effet, réservée à des accords entre le Conseil et le Parlement. Il existe à présent une série d'accords de ce type. Une première classification des dépenses remonte à la déclaration de 1982 ( 10 ). Ultérieurement, les trois institutions qui participent à la procédure d'élaboration du budget ont adopté le 29 juin 1988 un
« Accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire » ( 11 ) et, le 29 octobre 1993, l'Ail 93, déjà cité.

Le premier de ces deux derniers accords ne traite pas de la distinction entre les deux catégories de dépenses. Le second si, mais les dispositions qu'il contient sont interprétées de manière divergente par le Parlement et le Conseil ( 12 ).

16. Nous en venons maintenant à préciser la première et évidente conséquence découlant de l'application — application qui s'impose, selon nous — à notre cas du critère clairement formulé par la jurisprudence. L'accord entre les institutions est l'instrument juridique de la classification concrète des dépenses, la procédure de mise en œuvre des dispositions du traité en la matière. S'il en est ainsi, il est exclu que le Parlement puisse déterminer unilatéralement la nature des dépenses à l'égard
desquelles il est habilité à exercer le droit d'amendement.

C'est à l'accord de préciser, en identifiant la nature des dépenses, le champ d'application matériel — la condition préalable, pourrait-on dire— de la compétence qui, lors de l'élaboration du budget, considéré pour chaque exercice, appartient au Conseil ou au Parlement. Comme on l'a vu aux points 10 et 11 ci-dessus, les parties proposent des lectures contrastées des accords interinstitutionnels qui devraient avoir classé les dépenses en question. Il ne faut pas, selon nous, que la Cour s'attache
à analyser les dispositions de ces accords. Il suffit, pour décider, d'orienter l'analyse sur l'autre aspect du présent cas et de voir s'il y a eu ou non accord sur le nouveau TMA, conformément à l'article 203, paragraphe 9, cinquième alinéa, du traité.

C'est précisément ainsi que, si l'on y regarde bien, les institutions requérante et défenderesse présentent le litige dans le but de faire valoir leurs thèses opposées. En effet, il est évident que l'accord sur le taux maximal n'existe que quand il y a accord tant sur le pourcentage d'augmentation que sur le montant global des dépenses en relation avec lesquelles ce même pourcentage doit être calculé. Le pourcentage est fixé chaque fois pour un exercice. Le traité indique quelle doit être la
base du calcul. Elle est constituée de l'ensemble des dépenses qui ne sont pas classées comme obligatoires. L'accord sur le taux implique donc la détermination du nombre et de l'identité de ces dépenses non obligatoires, à distinguer des autres prévues au budget. S'il n'y a pas accord, en raison d'une divergence de vues sur la classification des dépenses, et tant que la question n'est pas résolue par un accord entre le Conseil et le Parlement, le budget ne peut être régulièrement constitué. La
jurisprudence a précisé ce point ( 13 ) et il n'y a aucune raison de la reconsidérer.

17. Essayons donc de vérifier si et dans quels termes le Conseil a, en l'espèce, donné son accord ou s'il l'a, au contraire, refusé.

Nous commençons par l'examen de l'acte attaqué par le présent recours. Cet acte, par lequel le président du Parlement a constaté l'arrêt du budget 1995, s'exprime dans les termes suivants: « Je constate qu'en dépit des divergences de vues sur certains points, un accord, au sens de l'article 203 du traité CE, a été obtenu avec le Conseil sur un nouveau taux maximum d'augmentation. La procédure budgétaire peut ainsi être close avec succès. » Le président n'a pas indiqué sur quels points portaient
les divergences de vues entre les deux institutions ni quelles conséquences elles auraient pu impliquer; il s'est borné à constater que, en dépit de la différence entre les positions adoptées respectivement par le Parlement et par le Conseil, un accord sur le TMA était intervenu. Il s'agit de voir sur quelle base la déclaration ainsi prononcée peut se justifier. La thèse que la partie défenderesse soutient pour sa défense consiste à dire que le président du Parlement a constaté l'approbation
régulière du budget en se fiant à la déclaration faite dans l'hémicycle par le président du Conseil au cours de la séance du 15 décembre 1994. C'est donc au contenu de cette dernière déclaration que nous devons réfléchir.

Le point qui importe ici, c'est que le Conseil — par la bouche de la personnalité qui le représentait dans l'hémicycle du Parlement —, réaffirmant la nature des dépenses contestées, s'est réservé tous les droits en ce qui concerne la défense de sa position, y compris donc celui de la faire valoir devant la Cour de céans. Le président Haller a, en vérité, également déclaré: « Gleichzeitig möchte ich darauf hinweisen, daß die Zustimmung des Rates zu dem neuen Satz für die nicht obligatorischen
Ausgaben auf der Grundlage der dargelegten Haltung des Rates erfolgt » ( 14 ). Nous avons vu comment les parties ont, dans leurs mémoires et à l'audience, débattu de la teneur de cette dernière affirmation.

18. La partie défenderesse voudrait valoriser la traduction française des paroles prononcées par le président Haller pour en déduire qu'il avait consenti au TMA à l'instant même de cette déclaration, sans renvoyer ce point à une décision ultérieure. Le fait est, cependant, que l'accord du Conseil sur le TMA a été expressément subordonné à des conditions qui n'étaient pas satisfaites à ce moment, ce que finit par reconnaître le Parlement lui-même, quand il nous dit que la classification des dépenses
litigieuses ne pouvait être considérée comme déterminée sur la base de l'Ail 93 et devait donc encore être définie; cette opération requérait — les décisions de la Cour ne laissent aucun doute sur ce point ( 15 ) — un nouvel accord entre les deux autorités budgétaires. Cependant, on n'était parvenu à aucun accord de ce type.

Nous ne sommes pas davantage convaincu par les arguments que le Parlement avance au sujet du comportement dans l'hémicycle du président Haller, qui se serait abstenu de contester la régularité de l'arrêt du budget ou même se serait associé aux signes extérieurs d'adhésion ou d'approbation visant cet événement. Le Parlement ne peut légitimement exiger que le président d'une autre institution excède ses compétences ( 16 ) le président du Conseil avait formulé dans l'hémicycle des réserves
explicites quant aux décisions du Parlement et il ne disposait pas d'autres titres ou moyens lui permettant d'empêcher que cette dernière institution et son président agissent comme ils l'ont fait.

On ne peut non plus raisonnablement prétendre que le président du Conseil devait éviter de se plier aux règles de la courtoisie interinstitutionnelle dans son attitude à l'égard du Parlement: le fait qu'il les ait observées ne prouverait, de toute façon, aucune adhésion de sa part à la position que le défendeur fait valoir en l'espèce. D'ailleurs, les rapports entre les institutions communautaires sont définis exclusivement par les règles du traité ( 17 ). Les règles susceptibles de valoir pour
les manifestations de volonté engageant les États souverains, selon le droit international, que le défendeur invoque en référence au cas d'espèce, ne peuvent s'appliquer aux rapports entre les institutions à l'intérieur de la Communauté ( 18 ).

Cela dit, il nous reste à préciser que le président Haller n'aurait pas non plus pu exprimer dans l'hémicycle une position différente de celle définie par le Conseil en ce qui concerne les questions ici examinées. Il a agi en qualité de simple porte-parole de l'institution et a formulé un point de vue adopté par celle-ci, qu'il n'était, en aucun cas, autorisé à réviser ou à modifier ( 19 ). On ne peut pas non plus partager la thèse du Parlement selon laquelle le Conseil aurait dû introduire le
présent recours immédiatement après la communication officielle de l'arrêt du budget. Le Conseil a saisi la Cour dans les délais prévus par le traité: c'est la seule considération qui vaille aux fins de la présente affaire.

19. Précisons, pour conclure, le résultat auquel conduisent les observations formulées ci-dessus.

La référence expresse aux conditions auxquelles l'accord sur le TMA devait être considéré comme subordonné, telle qu'elle figure dans la déclaration du président Haller, exclut objectivement que le Conseil ait pu accepter la classification des dépenses contestées dans le sens voulu par le Parlement. Le Conseil n'a pas donné au Parlement son accord sur la classification sur la base de laquelle le TMA devait être calculé et appliqué.

Le vice affectant l'acte attaqué par le Conseil et le budget dans sa globalité découle, comme nous l'avons dit, de la violation du principe selon lequel la classification des dépenses comme obligatoires ou non ne peut résulter que d'un accord entre les deux institutions intéressées. Cette circonstance rend inutiles tous les autres moyens invoqués par le requérant en vue de faire valoir la violation de l'article 203 du traité. En effet, en l'absence d'un accord sur le caractère non obligatoire
des dépenses faisant l'objet des amendements votés par le Parlement, il n'est pas satisfait à la condition permettant à cette institution d'adopter légitimement les amendements approuvés, en ce qui concerne les lignes budgétaires litigieuses. Le premier moyen du recours s'avère donc fondé.

20. Le Parlement fait valoir, enfin, que le Conseil aurait manqué à l'obligation de coopération loyale entre les institutions. Le Parlement déplore ainsi, à ce qu'il semble, que le Conseil ait, d'un côté, donné son accord sur le taux et, de l'autre, l'ait refusé, en ne se ralliant pas à la position du Parlement concernant l'assiette des dépenses auxquelles le TMA devait nécessairement s'appliquer: nous avons cependant vu que le Conseil a refusé, par des manifestations de volonté adéquates, de
marquer son accord sur le taux, en adoptant, pour ce motif, une position divergente de celle du Parlement. Pour cette même raison, il convient de rejeter la thèse, sous-jacente aux mémoires présentés par le Parlement pour sa défense, selon laquelle le principe patere legem quam ipse fecisti ferait obstacle à ce que le recours ici examiné soit accueilli ou selon laquelle le Conseil n'aurait même aucun intérêt à agir ( 20 ). La violation présumée de l'obligation concernée, dans les termes où elle
est présentée par le défendeur, ne pourrait, du reste, exister indépendamment d'un manquement aux règles du traité régissant l'élaboration du budget et déterminant les compétences respectives du Parlement et du Conseil ( 21 ). En refusant de marquer son accord sur la classification des dépenses, cette dernière institution a exercé un pouvoir qui, indubitablement, lui appartenait. Son attitude est, dès lors, licite et non déloyale. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de vérifier si la
classification des DNO opérée unilatéralement par le Parlement va, comme le Conseil l'affirme dans son second moyen, à l'encontre des dispositions des accords intervenus entre les institutions intéressées. Même à supposer que l'on fasse des concessions maximales à la thèse du défendeur, celui de ces accords qui a été conclu en dernier lieu, à savoir celui de 1993, laisse sans solution la question de la classification des dépenses et des lignes budgétaires litigieuses. Un accord était donc
nécessaire, accord qui n'est, cependant, pas intervenu, ni quant au nouveau TMA ni quant à la question connexe de la détermination des DO. L'acte attaqué est nul, parce qu'il a été adopté en violation du principe de l'accord, plutôt qu'en violation d'un accord déterminé.

21. Que l'on nous permette de faire une dernière observation sur la valeur fondamentale que revêt ce principe, tel que la Cour l'a énoncé. Dans les ordres juridiques étatiques, les accords entre pouvoirs peuvent constituer un moyen d'auto-intégration du système constitutionnel, quand on y a recours pour combler, notamment sur le plan de l'interprétation, d'éventuelles lacunes des règles visant à répartir les compétences, spécialement les compétences législatives, entre les organes dont l'autonomie
est garantie au même titre par le texte fondamental.

Dans l'ordre juridique communautaire, l'accord interinstitutionnel remplit une fonction instrumentale indispensable en ce qui concerne l'élaboration du budget, d'une importance incontestable et déterminante quant au fonctionnement concret du système institutionnel tout entier. Il s'agit d'un accord destiné à préciser la frontière entre les compétences attribuées en matière de dépenses respectivement au Parlement et au Conseil: s'il ne complète pas les dispositions de base du traité, il contribue
certainement à leur exécution. Le principe considéré consacre — et il s'agit d'un choix que nous oserions définir comme étant d'ordre constitutionnel — l'égale dignité des institutions qui doivent l'appliquer et l'observer et la situation équivalente dans laquelle elles se trouvent. Nous sommes donc en présence d'une véritable forme de codécision.

Nous pensons, du reste, à la procédure budgétaire dans sa globalité, au sein de laquelle s'insère ce régime particulier de classification consensuelle des dépenses. Celle-ci précède idéalement, dans la mesure où elle reconnaît à l'organe représentatif du peuple le pouvoir de rejeter le projet de budget, un pouvoir final analogue appartenant au Parlement dans la procédure introduite dernièrement par l'article 189 B du traité et définie précisément comme codécision. Il est vrai que, dans cette
dernière procédure, une place plus large est faite au principe de l'accord: d'une certaine manière, il est mis en évidence au moment où les présidents du Parlement et du Conseil signent, l'un et l'autre, les actes adoptés.

Dans la procédure budgétaire, l'acte constatant l'arrêt du budget est du ressort du seul président du Parlement. Cela n'empêche, cependant, pas que le principe de l'accord soit un élément à considérer comme essentiel, parce qu'il régit le moment crucial de la procédure où, notamment lors de la fixation du TMA, les dépenses sont classifiées.

L'inobservance de ce principe met en péril l'équilibre entre le Conseil et le Parlement qui doit présider à l'élaboration du budget: c'est ce vice, compromettant, dans son fondement même, la légitimité de l'acte du président constatant l'arrêt du budget, qui caractérise le présent cas. Dans nos conclusions, nous avons suivi la voie déjà indiquée par la jurisprudence pour évaluer le cas d'espèce à la lumière du principe dont le respect s'imposait.

22. Nous concluons donc en proposant que l'acte par lequel le président du Parlement a constaté l'arrêt du budget 1995 soit annulé, avec les conséquences découlant d'une telle décision: une fois le budget devenu caduc, la procédure concernée devra être reprise à partir du moment où est intervenu l'acte présidentiel attaqué.

Effets de l'annulation

23. Le Conseil a demandé, en outre, à la Cour d'exercer les pouvoirs que lui confère l'article 174 du traité CE ( 22 ) et a sollicité le maintien des actes d'exécution du budget intervenus jusqu'à la date de l'arrêt d'annulation ( 23 ). Au cours de la procédure, le Conseil a étendu sa demande et a sollicité de la Cour le maintien de tous les effets du budget devenu caduc jusqu'à la date à laquelle le Parlement et le Conseil lui-même auront arrêté définitivement le budget communautaire pour 1995. Le
Parlement n'a pas précisé sa position à cet égard dans ses mémoires.

Nous estimons, pour notre part, que la demande du Conseil est amplement justifiée par l'importance que revêt le budget pour la continuité de l'activité communautaire. Elle mérite d'être prise en considération, compte tenu aussi de la difficulté d'appliquer, dans le cas d'espèce, le système des douzièmes provisoires, prévu à l'article 204 du traité. Les douzièmes provisoires devraient, en effet, être calculés sur la base du budget 1994, adopté par la Communauté composée de douze Etats membres,
pour être ensuite appliqués à la Communauté entre-temps élargie à quinze États membres. Nous proposons donc d'accueillir la demande du Conseil, telle que reformulée à l'audience, conformément à l'orientation jurisprudentielle définie par la Cour dans d'autres affaires ( 24 ).

Sur les dépens

24. En application de l'article 69, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement de procédure, compte tenu de la grande importance institutionnelle du litige et des questions de principe soulevées en droit par les parties, nous proposons de compenser les dépens.

Conclusions

En considération de ce que nous avons dit ci-dessus, nous proposons à la Cour de:

— déclarer fondé le recours du Conseil et d'annuler l'acte par lequel le président du Parlement a constaté l'arrêt définitif du budget communautaire pour l'exercice 1995, avec la conséquence que, une fois le budget devenu caduc, la procédure concernée devra être reprise à partir du moment où est intervenu l'acte en question du président du Parlement;

— maintenir les effets du budget devenu caduc jusqu'à la date où le Parlement et le Conseil auront adopté définitivement le budget communautaire pour 1995;

— compenser les dépens entre les parties.

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( *1 ) Langue originale: l'italien.

( 1 ) JO 1994, L 369, p. 1.

( 2 ) Le Conseil s'est abstenu de fonder son recours également sur les dispositions analogues du traité CECA. Nous estimons que, d'après la jurisprudence, le recours est, de toute façon, recevable. En effet, d'une part, la Cour a admis qu'une contestation soulevée au titre d'une disposition de l'un des traités pouvait être étendue à la disposition équivalente de l'autre traité [« la nécessité d'un contrôle complet et cohérent de la légalité exige d'interpréter (l'article 173 du traité CEE) en ce
sens qu'elle ne saurait exclure la compétence de la Cour pour examiner, dans le cadre d'un recours visant à l'annulation d'un acte fondé sur une disposition du traité CEE, un grief tiré de la violation d'une règle du traité CEEA ou CECA » (arrêt du 29 mars 1990, Grèce/Conseil, C-62/88, Rec. p. I-1527, point 8)]. D'autre part, la Cour a jugé recevables les recours introduits dans des matières relevant de plusieurs traités, même si ces recours étaient fondés sur les dispositions d'un seul d'entre eux
[« lorsque l'acte attaqué concerne d'une manière simultanée et indivisible les domaines de plusieurs traités, le recours est recevable dans la mesure où les compétences de la Cour et les voies de recours prévues par les dispositions pertinentes de l'un des traités sont applicables à un tel acte » (arrêt du 11 juillet 1984, Commune de Differdange e.a./Commission, 222/83, Rec. p. 2889, point 6)]. Les précédents, constitués par l'arrêt rendu par la Cour le 3 juillet 1986, Conseil/Parlement (34/86, Rec.
p. 2155), et par les arrêts rendus ultérieurement en matière budgétaire, lesquels tiennent compte du caractère indivisible du budget, qui est le reflet des principes d'unité et d'universalité qui l'inspirent, plaident eux aussi en faveur de cette solution.

( 3 ) Déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 30 juin 1992, relative à différentes mesures visant à assurer un meilleur déroulement de la procédure budgétaire (JO C 194, p. 1).

( 4 ) Accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (JO C 331, p. 1).

( 5 ) Les paragraphes 4 à 10 de l'article 203 sont formulés dans les termes suivants:

« 4. Le Parlement européen doit être saisi du projet de budget au plus tard le 5 octobre de l'année qui précède celle de l'exécution du budget.

Il a le droit d'amender, à la majorité des membres qui le composent, le projet de budget et de proposer au Conseil, à la majorité absolue des suffrages exprimés, des modifications au projet en ce qui concerne les dépenses découlant obligatoirement du traité ou des actes arrêtés en vertu de celui-ci.

Si, dans un délai de quarante-cinq jours après communication du projet de budget, le Parlement européen a donné son approbation, le budget est définitivement arrêté.

Si, dans ce délai, le Parlement européen n'a pas amendé le projet de budget ni proposé de modification à celui-ci, le budget est réputé définitivement arrêté. Si, dans ce délai, le Parlement européen a adopté des amendements ou proposé des modifications, le projet de budget ainsi amendé ou assorti de propositions de modification est transmis au Conseil.

5. Après avoir délibéré du projet de budget avec la Commission et, le cas échéant, avec les autres institutions intéressées, le Conseil statue dans les conditions suivantes:

a) le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée, modifier chacun des amendements adoptés par le Parlement européen;

b) en ce qui concerne les propositions de modification:

— si une modification proposée par le Parlement européen n'a pas pour effet d'augmenter le montant global des dépenses d'une institution, notamment du fait que l'augmentation des dépenses qu'elle entraînerait serait expressément compensée par une ou plusieurs modifications proposées comportant une diminution correspondante des dépenses, le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée, rejeter cette proposition de modification. A défaut d'une décision de rejet, la proposition de modification
est acceptée;

— si une modification proposée par le Parlement européen a pour effet d'augmenter le montant global des dépenses d'une institution, le Conseil peut, statuant à la majorité qualifiée, accepter cette proposition de modification. A défaut d'une décision d'acceptation, la proposition de modification est rejetée;

— si, en application des dispositions de l'un des deux alinéas précédents, le Conseil a rejeté une proposition de modification, il peut, statuant à la majorité qualifiée, soit maintenir le montant figurant dans le projet de budget, soit fixer un autre montant.

Le projet de budget est modifié en fonction des propositions de modification acceptées par le Conseil.

Si, dans un délai de quinze jours après communication du projet de budget, le Conseil n'a modifié aucun des amendements adoptés par le Parlement européen et si les propositions de modification présentées par celui-ci ont été acceptées, le budget est réputé définitivement arrêté. Le Conseil informe le Parlement européen du fait qu'il n'a modifié aucun des amendements et que les propositions de modification ont été acceptées.

Si, dans ce délai, le Conseil a modifié un ou plusieurs des amendements adoptés par le Parlement européen ou si les propositions de modification présentées par celui-ci ont été rejetées ou modifiées, le projet de budget modifié est transmis de nouveau au Parlement européen. Le Conseil expose à celui-ci le résultat de ses délibérations.

6. Dans un délai de quinze jours après communication du projet de budget, le Parlement européen, informé de la suite donnée à ses propositions de modification, peut, statuant à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés, amender ou rejeter les modifications apportées par le Conseil à ses amendements et arrête en conséquence le budget. Si, dans ce délai, le Parlement européen n'a pas statué, le budget est réputé définitivement arrêté.

7. Lorsque la procédure prévue au présent article est achevée, le président du Parlement européen constate que le budget est définitivement arrêté.

8. Toutefois, le Parlement européen, statuant à la majorité des membres qui le composent et des deux tiers des suffrages exprimés, peut, pour des motifs importants, rejeter le projet de budget et demander qu'un nouveau projet lui soit soumis.

9. Pour l'ensemble des dépenses autres que celles découlant obligatoirement du traité ou des actes arrêtés en vertu de celui-ci, un taux maximal d'augmentation par rapport aux dépenses de même nature de l'exercice en cours est fixé chaque année.

La Commission, après avoir consulté le comité de politique économique, constate ce taux maximal, qui résulte:

— de l'évolution du produit national brut en volume dans la Communauté,

— de la variation moyenne des budgets des États membres

et

— de l'évolution du coût de la vie au cours du dernier exercice.

Le taux maximal est communiqué, avant le 1er mai, à toutes les institutions de la Communauté. Celles-ci sont tenues de le respecter au cours de la procédure budgétaire, sous réserve des dispositions des quatrième et cinquième alinéas du présent paragraphe.

Si, pour les dépenses autres que celles découlant obligatoirement du traite ou des actes arrêtés en vertu de celui-ci, le taux d'augmentation qui résulte du projet de budget établi par le Conseil est supérieur à la moitié du taux maximal, le Parlement européen, dans l'exercice de son droit d'amendement, peut encore augmenter le montant total desdites dépenses dans la limite de la moitié du taux maximal.

Lorsque le Parlement européen, le Conseil ou la Commission estime que les activités des Communautés exigent un dépassement du taux établi selon la procédure définie au présent paragraphe, un nouveau taux peut être fixé par accord entre le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, et le Parlement européen, statuant à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

10. Chaque institution exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus par le présent article dans le respect des dispositions du traité et des actes arrêtés en vertu de celui-ci, notamment en matière de ressources propres aux Communautés et d'équilibre des recettes et des depenses. »

( 6 ) Arrêt du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement (cité à la note 2).

( 7 ) Le Parlement fait explicitement référence aux arrêts rendus par la Cour internationale de justice dans l'affaire du Temple de Préah Vihéar (Rec. CIJ 1962, p. 64) et dans l'affaire de la Sentence arbitrale rendue par le roi d'Espagne le 23 décembre 1906 (Ree. CIJ 1910, p. 192).

( 8 ) L'arrêt du 27 septembre 1988, Grèce/Conseil (204/86, Rec. p. 5323), a, en vérité, examiné si certaines lignes budgétaires pouvaient être légitimement classées comme obligatoires. La Cour a, toutefois, déduit la nature des dépenses concernées d'éléments circonstanciels les caractérisant, mais n'a pas défini des critères généraux permettant la détermination concrète de leur classification correcte.

( 9 ) Arrêt du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement (cité à la note 2).

( 10 ) Le processus institutionnel qui a conduit à la déclaration commune de 1982 a été reconstruit par l'avocat général M. Mancini dans les conclusions, auxquelles nous renvoyons, qu'il a présentées à propos de l'affaire 34/86, qui a donné lieu à l'arrêt précité du 3 juillet 1986.

( 11 ) JO L 185, p. 33.

( 12 ) Les dispositions suivantes de l'Ail 93 méritent une attention particulière:

« III. AMÉLIORATION DE LA PROCÉDURE BUDGÉTAIRE

16. Les institutions s'engagent à doter le budget des crédits nécessaires pour honorer, dans le respect de la discipline budgétaire et du paragraphe 13 quatrième alinéa, les obligations juridiques et les engagements politiques internes et externes des Communautés.

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission confirment les principes et mécanismes prévus pour la ligne directrice agricole, conformément aux conclusions du Conseil européen d'Edimbourg.

Les institutions conviennent que l'ensemble des dépenses des rubriques 2 et 3 des perspectives financières sont des dépenses non obligatoires.

Les institutions conviennent d'instaurer une procédure de collaboration interinstitutionnelle en matière budgétaire. Les modalités de cette collaboration figurent à l'annexe II, qui fait partie intégrante du présent accord.

17. Les deux branches de l'autorité budgétaire conviennent d'accepter, pour les exercices budgétaires 1993-1999, les taux maximaux d'augmentation des dépenses non obligatoires qui procéderont des budgets établis dans la limite des plafonds des perspectives financières. »

« Déclaration concernant les dispositions de procédure budgétaire du traité (paragraphe 16 troisième alinéa)

Les institutions considèrent que les dispositions de procédure budgétaire du traité, y compris le régime des dépenses obligatoires et des dépenses non obligatoires, devront être réexaminées lors de la conférence intergouvernementale prévue pour 1996, afin d'aboutir à une coopération interinstitutionnelle sous forme de partenariat. »

( 13 ) Arrêts du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement (déjà cité), et du 27 septembre 1988, Grèce/Conseil (cité à la note 8).

( 14 ) La traduction figure au point 4 ci-dessus.

( 15 ) Voir arrêt du 27 septembre 1988, Grèce/Conseil (cité à la note 8).

( 16 ) Sur ce point, il suffira de se référer à l'article 4, paragraphe 1, du traité, qui dispose que « chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par le présent traité ».

( 17 ) Arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil (68/86, Rec. p. 855, point 38), selon lequel « les règles relatives à la formation de la volonté des institutions communautaires sont établies par le traité et (...) elles ne sont à la disposition ni des États membres ni des institutions elles-mêmes ».

( 18 ) Arrêt du 18 mars 1980, Commission/Italie (92/79, Rec. p. 1115, point 7). La Cour a, en cette occasion, décidé qu'« on ne saurait qualifier ď‘accord international’ un acte qui est caractérisé comme ‘décision’ communautaire tant par son objet que par le cadre institutionnel à l'intérieur duquel il a été élaboré. Les mêmes considérations s'appliquent quand il s'agit d'une directive du Conseil ».

( 19 ) L'article 203, paragraphe 9, cinquième alinéa, du traité prévoit, entre autres, que le Conseil doit statuer à la majorité qualifiée pour donner son accord sur le nouveau TMA. Il existe une disposition analogue pour le Parlement, dont la décision en la matière doit être adoptée à la majorité des membres qui le composent et des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

( 20 ) Il s'agirait, éventuellement, dans le sens que le Parlement donne à cette notion, d'absence de qualité pour agir plutôt que d'absence d'intérêt à agir.

( 21 ) Arrêt Royaume-Uni/Conseil (cité à la note 17).

( 22 ) Le Conseil a demandé le maintien des effets du budget sur la base de la seule règle prévue par le traité CE, à savoir l'article 174, sans faire référence à la disposition analogue du traité CEEA, l'article 147. Pour les raisons déjà exposées à la note 2 concernant la possibilité d'étendre les effets du recours en annulation, introduit sur la base des règles d'un traité, également aux fins des règles correspondantes des autres traités communautaires, nous estimons que, de manière analogue, le
fondement que constitue l'article 174 du traité CE est suffisant pour faire entrer la question du maintien des effets du budget dans la compétence de la Cour, quel que soit le traité auquel il est fait référence.

( 23 ) L'article 174 prévoit littéralement que la Cour peut préciser les effets de l'acte annulé qui doivent être désormais considérés comme définitifs, uniquement dans le cas d'un règlement. Dans de nombreux arrêts déjà, la jurisprudence de la Cour a étendu, par analogie, l'application de la règle en question à des actes différents de ceux mentionnés par le texte et a notamment décidé le maintien des effets pour les directives (arrêts du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil, C-295/90, Rec. p. I-4193,
et du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C-21/94, Rec. p. I-1827) et en matière budgétaire (arrêts du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement, précité, et du 31 mars 1992, Conseil/Parlement, C-284/90, Rec. p. I-2277). Nous considérons donc que, ce point étant désormais évident pour la jurisprudence, rien ne fait obstacle à ce que l'article 174 soit appliqué en l'espèce également.

( 24 ) Arrêts du 7 juillet 1992, Parlement/Conseil (cité à la note 23); du 1er juin 1994, Parlement/Conseil (C-388/92, Rec. p. I-2067) et du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil (cité à la note 23).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-41/95
Date de la décision : 14/11/1995
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Budget.

Dispositions financières

Budget

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Conseil de l'Union européenne
Défendeurs : Parlement européen.

Composition du Tribunal
Avocat général : La Pergola
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:382

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