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17/10/1995 | CJUE | N°C-297/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 17 octobre 1995., Dominique Bruyère et autres contre Etat belge., 17/10/1995, C-297/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MICHAEL B. ELMER
présentées le 17 octobre 1995 (1)

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. MICHAEL B. ELMER
présentées le 17 octobre 1995 (1)

Affaire C-297/94

Dominique Bruyère e.a.
contre
État belge

(demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d'État de Belgique)

«Médicaments vétérinaires – Directives 81/851/CEE et 90/676/CEE»

Introduction

1. En l'espèce, la Cour a été saisie de certaines questions préjudicielles concernant l'interprétation de l'article 4 de la directive 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (2) (ci-après la directive).

2. La directive a été adoptée par référence à l'article 100 du traité CEE, et il ressort, entre autres, de ses considérants que toute réglementation en matière, entre autres, de distribution des médicaments vétérinaires doit avoir pour objectif essentiel la sauvegarde de la santé publique (premier considérant); il importe d'éliminer les entraves aux échanges de médicaments au sein de la Communauté par un rapprochement des dispositions en vigueur dans les États membres (deuxième, troisième et
quatrième considérants); la directive ne constitue qu'une étape dans la réalisation de l'objectif de la libre circulation des médicaments vétérinaires (dixième considérant).

3. L'article 4 de la directive dispose comme suit: Article 4

1. Aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre.

2. Aucun médicament vétérinaire ne peut être administré aux animaux sans que l'autorisation visée ci-dessus n'ait été délivrée, sauf s'il s'agit d'essais de médicaments vétérinaires visés à l'article 5 point 10.

4. La directive contient au reste une réglementation très détaillée, entre autres sur les exigences afférentes aux demandes d'autorisation de mise sur le marché de médicaments vétérinaires, notamment en ce qui concerne les documents et renseignements devant accompagner la demande, le traitement de telles demandes ainsi que les autorisations et leur renouvellement. La directive prévoit en outre l'institution d'un comité des médicaments vétérinaires en vue de faciliter l'adoption d'une attitude
commune par les États membres en ce qui concerne les autorisations de mise sur le marché. On trouve également dans la directive des règles relatives à la fabrication des médicaments vétérinaires, des règles en ce qui concerne le contrôle des produits ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, ainsi qu'en matière de sanctions, notamment le retrait de l'autorisation de mise sur le marché, entre autres dans les cas où le médicament s'avère nocif ou dénué d'effet thérapeutique dans le
sens indiqué.

5. Par la directive 90/676/CEE du Conseil, du 13 décembre 1990, modifiant la directive 81/851/CEE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires (3) (ci-après la directive modificative), élaborée sur le fondement de l'article 100 A du traité CEE, l'article 4 de la directive a été modifié, avec effet au 1 ^ er janvier 1992, comme suit: Article 4

1. Aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d'un État membre sans qu'une autorisation n'ait été préalablement délivrée par l'autorité compétente de cet État membre....

3. Aucun médicament vétérinaire ne peut être administré à un animal si l'autorisation visée au paragraphe 1 n'a pas été délivrée, sauf dans le cas d'essais de médicaments vétérinaires au sens de l'article 5 deuxième alinéa point 10......

5. Par dérogation au paragraphe 3, les États membres veillent à ce que les vétérinaires prestataires de services dans un autre État membre puissent emporter en petites quantités ne dépassant pas les besoins quotidiens, pour les administrer aux animaux, des médicaments vétérinaires préfabriqués, autres que des médicaments immunologiques, lorsque ces médicaments ne sont pas autorisés dans l'État membre dans lequel le service est fourni (État membre hôte), si les conditions suivantes sont remplies:

a)l'autorisation de mise sur le marché visée au paragraphe 1 a été délivrée par les autorités compétentes de l'État membre dans lequel le vétérinaire est établi;

...

Le litige au principal

6. M. Dominique Bruyère, docteur vétérinaire, a, ensemble avec un certain nombre d'autres vétérinaires et pharmaciens, tous établis en Belgique, formé un recours devant le Conseil d'État de Belgique visant à l'annulation de trois arrêtés royaux, respectivement des 20 décembre 1989, 14 février 1990 et 16 janvier 1992, contraires, selon eux, au droit communautaire.

7. Le premier arrêté royal, du 20 décembre 1989, impliquait, selon l'arrêt de renvoi, qu'il n'était plus possible, à compter du 1 ^ er mars 1990, d'importer en Belgique des médicaments vétérinaires qui n'avaient pas fait l'objet d'une autorisation préalable des autorités belges.

8. L'arrêté du 20 décembre 1989 a été remplacé, avec effet au 1 ^ er mars 1990, par l'arrêté royal du 14 février 1990, de sorte que l'arrêté du 20 décembre 1989 n'est jamais entré en vigueur. Le nouvel arrêté maintenait l'interdiction d'importer des médicaments vétérinaires qui n'étaient pas homologués par les autorités belges, mais il a en même temps introduit la possibilité de déroger à cette règle, à savoir que le pharmacien a la faculté, en vue d'exécuter une prescription médicale en sa
possession, datée et signée par un médecin vétérinaire, d'importer des médicaments vétérinaires non homologués, à condition qu'ils renferment comme principe actif unique ou majeur certains composants, précisés dans la disposition.

9. Par arrêté royal du 16 janvier 1992, un certain nombre de substances chimiques ont été ajoutées sur cette liste des principes actifs pouvant entrer dans la composition de médicaments vétérinaires non enregistrés susceptibles d'être importés selon les règles prévues dans l'arrêté du 14 février 1990.

Les questions préjudicielles

10. Le Conseil d'État de Belgique a, par arrêt du 12 octobre 1994, soumis à la Cour les questions suivantes:

1) La directive 81/851 du Conseil des Communautés européennes du 28 septembre 1981 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires, spécialement son article 4, alinéa 2, doit-elle s'interpréter comme impliquant l'interdiction d'administrer un médicament sans autorisation de l'autorité compétente d'un État membre et, dès lors, doit-elle s'interpréter comme impliquant l'interdiction de l'importer, lorsque ce médicament n'est pas mis sur le marché
de cet État et, par conséquent, n'a pas été préalablement autorisé par l'autorité de cet État membre?

2) La directive 81/851 du Conseil des Communautés européennes du 28 septembre 1981 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires, spécialement son article 4 remplacé par la directive 90/676 du Conseil du 13 septembre 1990 (4) , doit-elle s'interpréter comme impliquant l'interdiction d'administrer un médicament sans autorisation de l'autorité compétente d'un État membre et, dès lors, doit-elle s'interpréter comme impliquant l'interdiction de
l'importer, lorsque ce médicament n'est pas mis sur le marché de cet État et, par conséquent, n'a pas été préalablement autorisé par l'autorité de cet État membre et qu'il n'a pas davantage été autorisé par un autre État membre?

11. Les deux questions forment en réalité une seule et même question. La première a trait à l'article 4 de la directive, dans sa version originaire. La seconde question a trait à l'article 4, tel que reformulé par la directive modificative, et il est précisé à cette occasion ─ probablement pour faire apparaître que l'on ne souhaite pas d'interprétation de la disposition ancrée à l'article 4, paragraphe 5, inséré par la directive modificative ─ que l'on entend simplement obtenir une réponse
concernant les cas où la préparation n'a pas été autorisée dans un autre État membre. Les deux questions ont donc en commun que la juridiction nationale souhaite voir la Cour statuer sur le point de savoir si l'article 4 doit être entendu en ce sens que cette disposition contient une interdiction à l'encontre de l'administration de médicaments vétérinaires qui n'ont pas été préalablement autorisés par les autorités compétentes de l'État membre considéré et s'il y a lieu dès lors d'interpréter cette
disposition en ce sens qu'elle implique l'interdiction d'importer de tels médicaments. Ces questions seront ci-après examinées globalement.

La procédure devant la Cour

12. M. Bruyère et les autres requérants au principal font valoir que l'article 4 de la directive ne s'étend pas à l'importation occasionnelle de médicaments faisant l'objet d'une prescription par un vétérinaire. Une telle importation doit, à leur sens, être appréciée sur la base des articles 30 et 36 du traité CE. En conséquence, ils estiment que la réponse de la Cour doit également porter sur les articles 30 et 36.

13. L'État belge observe que la directive laisse le soin à chaque État membre de déterminer quels sont les médicaments vétérinaires pouvant être commercialisés et utilisés sur son territoire. Le fait qu'un médicament ait déjà fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché dans un État membre n'implique pas qu'il puisse être mis sur le marché et utilisé dans un autre État membre avant que cet autre État membre ne l'ait au préalable autorisé. L'interdiction de la directive à l'encontre de la
mise sur le marché et de l'utilisation de médicaments non homologués s'étend également à leur importation.

14. La Commission estime que c'est à juste titre que la juridiction nationale a limité ses questions à l'interprétation de la directive, étant donné que le texte de cette dernière prend clairement position sur la question de l'importation par un vétérinaire de médicaments non homologués. Si le principe de la directive en matière d'interdiction de la commercialisation et de l'administration de médicaments non homologués n'impliquait pas également une interdiction d'importer de tels médicaments, il
n'aurait pas été nécessaire de recourir à la disposition dérogatoire de l'article 4, paragraphe 5, tel qu'il a été libellé dans la directive modificative, relativement à la faculté d'importer et d'administrer de tels médicaments dans le cadre d'actes vétérinaires pratiqués au-delà des frontières du pays d'établissement.

Prise de position

15. Les dispositions respectives de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive et de l'article 4, paragraphes 1 et 3, de la directive dans la version de la directive modificative établissent expressément le principe selon lequel aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché ou administré à des animaux sans que l'autorisation de mise sur le marché n'ait été accordée pour ce médicament. La directive prévoit une exception à cette règle, en ce sens que l'article 4, paragraphe 2,
ouvre la possibilité de procéder à des essais de médicaments vétérinaires dans les conditions prévues à l'article 5, point 10. La directive modificative maintient cette règle dérogatoire relative à l'administration de médicaments vétérinaires non homologués dans le cadre d'essais de médicaments, mais prévoit en outre, à l'article 4, paragraphe 5, une autre exception suivant laquelle les vétérinaires prestataires de services dans un autre État membre peuvent, par dérogation au paragraphe 3, importer
en petites quantités, pour les administrer aux animaux, des médicaments vétérinaires qui ne sont pas autorisés dans l'État membre dans lequel le service est fourni, à condition que les autorités compétentes de l'État membre d'établissement aient autorisé la mise sur le marché desdits médicaments.

16. Les dérogations précitées concernent des situations tout à fait spécifiques et il ne saurait y avoir de doute, eu égard à l'économie de l'article 4, que, en dehors de ces exceptions spécifiques, les États membres doivent suivre le principe précité et interdire la mise sur le marché et l'administration de médicaments vétérinaires non homologués. C'est précisément ce principe qui guide l'harmonisation graduelle de la protection, par les États membres, de la santé publique dans ce domaine, étant
donné qu'on assure par là même qu'une évaluation du médicament est effectuée en conformité avec les règles de la directive avant que le médicament puisse être légalement importé et administré à des animaux.

17. L'insertion, par le biais de la directive modificative, de l'article 4, paragraphe 5, aurait été ─ comme le souligne la Commission ─ au reste superflue s'il ne résultait pas du principe même de la directive que des médicaments vétérinaires non homologués ne peuvent pas être importés et administrés dans les situations visées au paragraphe 5. Cette disposition apparaît en effet expressément comme une (nouvelle) exception au principe défini au paragraphe 3, comme le montre l'emploi des termes par
dérogation au paragraphe 3. Le fait que, par dérogation au paragraphe 3, le paragraphe 5 prévoit expressément les conditions auxquelles un docteur vétérinaire exerçant au-delà des frontières du pays d'établissement peut emporter et administrer les médicaments vétérinaires homologués dans le pays d'établissement, mais non dans l'État membre hôte, implique ─ et précise ─ par là même qu'une telle importation de médicaments non homologués est par ailleurs interdite, conformément au principe de la
directive ancré à l'article 4, paragraphes 1, premier alinéa, et 3, premier alinéa, dans la version de la directive modificative, qui correspond au reste exactement à la formulation antérieure de l'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive.

18. De même, l'intérêt afférent à la réalisation de l'objectif principal de la directive ─ la protection de la santé publique ─ milite en faveur de ce résultat. Pourquoi donc les pharmaciens ou les docteurs vétérinaires iraient-ils importer des médicaments vétérinaires non homologués, sinon pour les mettre sur le marché et les administrer sur des animaux sans suivre les règles de la directive en matière d'autorisation préalable délivrée par l'État membre concerné? Si l'on devait considérer que le
principe de la directive, qui est d'interdire la mise sur le marché et l'administration de médicaments vétérinaires non homologués, ne s'étendait pas également à l'importation de tels médicaments, il serait en pratique impossible de combattre des infractions aux règles et la réglementation communautaire en la matière serait en pratique frappée d'inefficacité et n'atteindrait pas son objectif, qui est de protéger la santé publique.

19. On doit à cet égard souligner que la juridiction de renvoi a expressément limité sa seconde question à l'interprétation de l'article 4 de la directive, tel qu'il a été modifié par la directive modificative, dans le cas où le médicament vétérinaire n'a pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché dans l'un quelconque des États membres. En pareil cas, il paraît manifeste que les considérations tirées de la protection de la santé publique rendent nécessaire d'interpréter l'interdiction
de mise sur le marché et d'administration des médicaments vétérinaires non homologués comme s'étendant également à leur importation.

20. Ainsi qu'il ressort des observations qui précèdent, les questions appellent une réponse sur la base de la directive d'harmonisation, de sorte qu'il n'est pas pertinent ─ comme le notait d'ailleurs au départ la juridiction de renvoi ─ d'examiner le lien avec les articles 30 et 36 du traité.

Conclusion

21. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre aux questions déférées par le Conseil d'État de Belgique, par arrêt du 12 octobre 1994, comme suit:

1)L'article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 81/851/CEE du Conseil, du 28 septembre 1981, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires, doit être interprété en ce sens qu'un État membre doit interdire la mise sur le marché et l'administration, y compris l'importation, de médicaments vétérinaires dont la mise sur le marché n'a pas été au préalable autorisée par les autorités compétentes de l'État membre concerné.

2)L'article 4, paragraphes 1, premier alinéa, et 3, premier alinéa, de la directive 81/851, tel que libellé par la directive 90/676/CEE du Conseil, du 13 décembre 1990, modifiant la directive 81/851/CEE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux médicaments vétérinaires, doit être interprété en ce sens qu'un État membre doit interdire la mise sur le marché et l'administration, y compris l'importation, de médicaments vétérinaires dont la mise sur le marché n'a pas
été au préalable autorisée par les autorités compétentes de l'État membre concerné ni d'un quelconque autre État membre.

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1 –
Langue originale: le danois.

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2 –
JO L 317, p. 1.

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3 –
JO L 373, p. 15.

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4 –
Lire: 13 décembre 1990.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-297/94
Date de la décision : 17/10/1995
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Conseil d'Etat - Belgique.

Médicaments vétérinaires - Directives 81/851/CEE et 90/676/CEE.

Mesures d'effet équivalent

Rapprochement des législations

Restrictions quantitatives

Législation vétérinaire

Libre circulation des marchandises

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Dominique Bruyère et autres
Défendeurs : Etat belge.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Sevón

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:334

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