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17/10/1995 | CJUE | N°C-267/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Ruiz-Jarabo Colomer présentées le 17 octobre 1995., République française contre Commission des Communautés européennes., 17/10/1995, C-267/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 17 octobre 1995 ( *1 )

1.  Par le présent recours, le gouvernement français poursuit l'annulation du règlement (CE) no 1641/94 de la Commission, du 6 juillet 1994 ( 1 ), modifiant le règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun ( 2 ).



2.  ...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 17 octobre 1995 ( *1 )

1.  Par le présent recours, le gouvernement français poursuit l'annulation du règlement (CE) no 1641/94 de la Commission, du 6 juillet 1994 ( 1 ), modifiant le règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun ( 2 ).

2.  Dans l'exposé des motifs du règlement entrepris (ci-après le « règlement »), la Commission déclare qu'il y a lieu de « préciser la portée » de la sous-position no23031019« en remplaçant la note complémentaire 1 du chapitre 23 [de la nomenclature combinée qui figure à l'annexe du règlement no 2658/87] par la note reprise à l'article 1er du présent règlement », note dont le texte est manifestement différent.

3.  Tant la première que la seconde note sont essentielles pour le classement tarifaire du produit dénommé « aliment de gluten de maïs » (« corn gluten feed ») qui est fabriqué massivement aux États-Unis d'Amérique et importé ensuite dans la Communauté en franchise douanière. Cette situation, qui préoccupe le gouvernement français, a amené celui-ci à introduire le présent recours.

4.  En effet, une question apparemment technique — à savoir la rédaction d'une simple note visant à compléter une sous-position tarifaire déterminée — recouvre, en vérité, un problème commercial délicat, d'une importance économique incontestable, qui a fait l'objet de négociations difficiles entre la Commission et le gouvernement des États-Unis d'Amérique. Tant les péripéties des négociations que la solution sur laquelle elles ont débouché ont suscité diverses interventions au Parlement européen ( 3
) ainsi que des réactions dans les milieux économiques concernés.

5.  En résumé, les parties ne sont pas d'accord sur le classement tarifaire du produit en cause: la Commission, à travers le règlement entrepris, le classe dans la position 2303 (résidus d'amidonnerie) alors que le gouvernement français le classe, au contraire, dans la position 2309 (préparations des types utilisés pour l'alimentation des animaux). La polémique pourrait être tranchée en faveur de la thèse de la Commission si l'on admet la validité du règlement puisque celui-ci, en modifiant la note
complémentaire, le fait de manière à permettre d'inclure sans difficulté le « corn gluten feed » dans la position 2303.

6.  Les motifs pour lesquels le gouvernement français conteste le règlement sont les suivants:

a) Le règlement attaqué a pour effet de modifier la position tarifaire d'une marchandise.

b) En adoptant le règlement, la Commission a outrepassé les pouvoirs qui lui ont été attribués pour interpréter la nomenclature combinée des Communautés européennes puisque, par ce règlement, elle a opéré une véritable modification du classement douanier qu'elle n'était pas compétente à réaliser.

c) En agissant de la sorte, la Commission a violé les engagements pris par la Communauté dans le cadre de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises (convention faite à Bruxelles le 14 juin 1983).

d) Le règlement est entaché d'un vice de forme substantiel parce qu'il n'est pas motivé.

e) Enfin, en adoptant ce règlement, la Commission a commis un détournement de pouvoir.

Le cadre réglementaire

7. Le classement des marchandises opéré en vue de l'application du tarif douanier commun et pour les besoins des statistiques communautaires comporte ce qu'on appelle la « nomenclature combinée », instituée par le règlement no 2658/87 déjà cité. Ce texte est fréquemment soumis à des modifications et c'est précisément une de ces modifications qui fait l'objet du présent recours en annulation.

8. Les parties conviennent que le présent litige s'inscrit dans le cadre du chapitre 23 de la nomenclature combinée relatif aux « résidus et déchets des industries alimentaires; aliments préparés pour animaux ». Les positions en cause et ses sous-positions sont les suivantes:

2303 Résidus d'amidonnerie et résidus similaires, pulpes de betteraves, bagasses de cannes à sucre et autres déchets de sucrerie, drêches et déchets de brasserie ou de distillerie, même agglomérés sous forme de pellets:
2303 10 — Résidus d'amidonnerie et résidus similaires:
  — — Résidus de l'amidonnerie du maïs (à l'exclusion des eaux de trempe concentrées), d'une teneur en protéines calculée sur la matière sèche:
2303 10 11 — — — Supérieure à 40 % en poids
2303 10 19 — — — Inférieure ou égale à 40 % en poids
2309 Préparations des types utilisés pour l'alimentation des animaux.

9. Les sous-positions 23031011 et 23031019 (qui, comme nous l'avons vu, se différencient uniquement par la proportion des protéines que contiennent les produits qu'elles concernent respectivement) avaient fait l'objet d'une précédente note complémentaire aux termes de laquelle l'une et l'autre comprendraient

« [...] seulement les résidus de l'amidonnerie de maïs, à l'exclusion des mélanges de résidus de l'amidonnerie de maïs avec des produits issus d'autres plantes ou issus du maïs par un procédé autre que celui inhérent à la production de l'amidon par voie humide ».

10. La première modification apportée à cette note complémentaire l'a été par le règlement (CEE) no 3492/91 de la Commission, du 29 novembre 1991 ( 4 ). Le texte de la note est désormais le suivant (les modifications sont indiquées en caractères italiques):

« Sont classés dans les sous-positions 23031011 et 23031019 seulement les résidus de l'amidonnerie du maïs, à l'exclusion des mélanges de résidus de l'amidonnerie du maïs avec des produits issus d'autres plantes ou issus du maïs par un procédé autre que celui inhérent à la production de l'amidon par voie humide. Toutefois, ces produits peuvent contenir des résidus de l'extraction de l'huile de germes de maïs obtenus par voie humide.

Leur teneur en amidon doit être inférieure ou égale à 28 % en poids calculé sur la matière sèche selon la méthode reprise a l'annexe I, titre 1, de la directive 72/199/CEE ( 5 )de la Commission, et celle en matières grasses doit être inférieure ou égale a 4,5 % en poids calculé sur la matière sèche, selon la méthode A reprise à l'annexe I de la directive 84/4/CEE de la Commission» ( 6 ).

11. Par la seconde modification qu'elle a apportée à la note complémentaire, et qui est aujourd'hui contestée, la Commission a ajouté au texte de 1991 une précision d'importance qui est formulée dans les termes suivants (les éléments nouveaux sont indiqués en caractères italiques):

« La note complémentaire 1 suivante remplace la note complémentaire 1 du chapitre 23 de la nomenclature combinée annexée au règlement (CEE) no 2658/87.

‘1. Sont classés dans la sous-position 23031019 seulement les résidus de l'amidonnerie de maïs, à l'exclusion des mélanges de résidus de l'amidonnerie de maïs avec des produits issus d'autres plantes ou issus du maïs par un procédé autre que celui inhérent à la production de l'amidon par voie humide.

Toutefois, ces résidus peuvent contenir des résidus de l'extraction de l'huile de germes de maïs obtenus par voie humide, des résidus du criblage du maïs utilisé dans le procédé par voie humide dans une proportion n'excédant pas 15 % en poids, ainsi que des résidus provenant de l'eau de trempe du maïs du procédé par voie humide, y compris ceux provenant de l'eau de trempe utilisée dans L production de l'alcool ou autres produits dérivés de l'amidon.

Leur teneur en amidon peut être inférieure ou égale à 28 % en poids sur sec selon la méthode reprise à l'annexe I titre 1 de la directive 72/199/CEE de la Commission, et celle en matières grasses doit être inférieure ou égale à 4,5 % en poids sur sec, selon la méthode A reprise à l'annexe I de la directive 84/4/CEE de la Commission’. »

12. En d'autres termes, cela signifie qu'à partir du 1er juillet 1994, il faut, conformément au nouveau texte de la note complémentaire que contient le règlement, ajouter à la sous-position 23031019 et, donc, classer comme type déterminé de résidus d'amidonnerie:

a) les résidus du criblage du maïs utilisé dans le procédé par voie humide dans une proportion n'excédant pas 15 % en poids et

b) les résidus provenant de l'eau de trempe du maïs du procédé par voie humide, « y compris ceux provenant de l'eau de trempe utilisée dans la production de l'alcool ou autres produits dérivés de l'amidon ».

13. Si le contenu de la nouvelle note complémentaire est juridiquement correct, le « corn gluten feed » doit être classé dans la sous-position 23031019 de la nomenclature combinée et, s'il n'est pas correct, il doit être classé dans la position 2309, comme le propose le gouvernement français.

14. Le choix de l'une ou de l'autre position tarifaire entraîne des conséquences qui se traduisent en termes douaniers: la thèse française implique que l'importation du produit en cause serait frappée de droits de douane qui, au contraire, ne s'appliqueraient pas si ce produit relevait du régime douanier défendu par la Commission.

15. La portée du recours en annulation introduit par le gouvernement français est donc limitée aux éléments nouveaux que le règlement querellé a inséré dans la note complémentaire, c'est-à-dire à l'addition à celle-ci des résidus du criblage du maïs et des résidus provenant de l'eau de trempe du maïs, les uns et les autres dans les termes que nous avons déjà reproduits. La formulation que le règlement no 3492/91, précité ( 7 ), avait donné en son temps à la note complémentaire n'est donc pas en
cause.

Sur le défaut de motifs du règlement no 1641/94

16. Bien qu'il n'ait pas été invoqué d'abord comme une cause déterminante de la nullité, l'argument relatif au défaut de motifs du règlement attaqué doit être examiné en priorité comme il appartient à toute allégation imputant à un acte normatif la violation des formes substantielles.

17. C'est le traité lui-même qui impose l'obligation de motiver les actes communautaires à caractère normatif, et l'inexécution de cette obligation est sans conteste une violation des formes substantielles de la procédure d'élaboration des actes. L'article 190 du traité CE dispose, en effet, que « les règlements, les directives et les décisions ... adoptés par le Conseil ou la Commission sont motivés et visent les propositions ou avis obligatoirement recueillis en exécution du présent traité ».

18. Cette obligation, traditionnelle en droit communautaire, a acquis une signification et une force nouvelles depuis l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne ( 8 ) dont la déclaration no 17, annexée à son acte final, déclare que « la transparence du processus décisionnel renforce le caractère démocratique des institutions, ainsi que la confiance du public envers l'administration ».

19. Pour que les citoyens puissent percevoir la transparence qui doit présider à l'adoption des actes normatifs communautaires, il faut évidemment que ceux-ci soient motivés de manière suffisante et avec toute la clarté nécessaire et que cet exposé des motifs ne fasse l'économie d'aucun des éléments importants qui sont intervenus au cours du processus législatif.

20. Le règlement entrepris est apparemment motivé puisqu'il comporte un préambule énonçant une série de raisons expliquant son adoption. En effet, ce préambule contient les affirmations suivantes:

« considérant que, afin d'assurer l'application uniforme de la nomenclature combinée, il y a lieu d'arrêter des dispositions concernant le classement des résidus d'amidonnerie de maïs;

considérant que le code NC 23031019 comprend seulement les résidus de l'amidonnerie de maïs, à l'exclusion des mélanges de résidus de l'amidonnerie de maïs avec des produits issus d'autres plantes ou issus du maïs par un procédé autre que celui inhérent à la production de l'amidon par voie humide;

considérant que, toutefois, ces résidus peuvent contenir des résidus de l'extraction de l'huile de germes de maïs obtenus par voie humide, des résidus de criblage du maïs utilisé dans le procédé par voie humide dans une proportion n'excédant pas 15 % en poids, ainsi que des résidus provenant de l'eau de trempe du maïs du procédé humide, y compris ceux provenant de l'eau de trempe utilisée dans la production de l'alcool ou autres produits dérivés de l'amidon;

considérant que les résidus de l'obtention par voie humide de l'amidon à partir du maïs présentent une teneur en amidon inférieure ou égale à 28 % en poids sur sec, selon la méthode reprise à l'annexe I titre 1 de la directive 72/199/CEE de la Commission, modifiée en dernier lieu par la directive 93/28/CEE, et une teneur en matières grasses inférieure ou égale à 4,5 % sur sec, selon la méthode A reprise à l'annexe I de la directive 84/4/CEE de la Commission;

considérant qu'il y a lieu de préciser la portée de la sous-position précitée en remplaçant la note complémentaire 1 du chapitre 23 par la note reprise à l'article 1er du présent règlement;

considérant que le comité du code des douanes, section de la nomenclature tarifaire et statistique, n'a pas émis d'avis dans le délai imparti par son président ».

21. On observera néanmoins que ce préambule se limite, en réalité, à répéter littéralement le texte des dispositions antérieures ou à énoncer ce que le règlement lui-même va édicter dans son dispositif. A l'exception de la référence qu'il fait à l'absence d'avis du « comité du code des douanes » (omission significative que j'analyserai plus loin) ( 9 ), le préambule du règlement n'énonce pas la moindre raison justifiant l'adoption d'une nouvelle rédaction pour la note complémentaire.

22. Si l'obligation de « motiver » un acte signifie qu'une institution communautaire ne peut adopter celui-ci sans avoir préalablement exposé les raisons véritables qui l'ont amenée à le faire, le règlement n'est pas motivé. Ou plutôt, pour le dire en d'autres termes, il passe sous silence les véritables motifs de son adoption.

23. Cette discrétion apparaît clairement des détails que le gouvernement français énumère dans sa requête à propos des vicissitudes qui ont agité le cours des négociations engagées entre la Commission et les États-Unis et à propos des compromis auxquels la Commission est parvenue au terme de ces négociations. Ces détails peuvent d'ailleurs être déduits également d'autres textes normatifs ultérieurs dans lesquels, paradoxalement, la Commission dévoile le motif authentique qui l'a déterminée à
modifier le texte de la note complémentaire.

24. En ce sens, les arguments que la Commission expose dans son mémoire en défense à propos de la nécessité d'édicter le règlement pour éviter un conflit commercial avec les États-Unis font apparaître a posteriori les raisons véritables qui sont à l'origine du règlement, raisons qui n'apparaissent pas dans son préambule.

25. Le conflit d'intérêts qui opposait les deux parties à ces négociations s'est amplifié avec les années. Un premier mémorandum d'accord, signé à Genève le 15 octobre 1991 par les représentants du gouvernement des États-Unis et par les représentants de la Commission des Communautés européennes ( 10 ), a entraîné la modification, évoquée plus haut, de la note complémentaire, modification à la suite de laquelle le règlement no 3492/91, précité, a inclus dans la sous-position 23031019 les résidus de
l'extraction de l'huile de germes de maïs obtenus par voie humide ( 11 ).

26. Selon la réponse officielle que la Commission a faite par lettre du 16 juillet 1993 au ministre français de l'Agriculture et de la Pêche ( 12 ), le processus de négociation s'est poursuivi ultérieurement et a abouti au résultat suivant:

« L'accord visant la clarification de la concession octroyée au GATT relative aux résidus de l'extraction de gluten de maïs utilisés dans l'alimentation animale (corn gluten feed) a été convenu entre la Commission et l'administration américaine au mois de novembre de l'année dernière. Le texte de cet accord a été annexé à l'échange de lettres en date du 23 novembre et du 4 décembre 1992 entre l'ambassadeur Hills et le vice-président Andriessen. [...] L'approbation de l'accord devra s'accompagner
des adaptations nécessaires à la législation douanière communautaire selon les procédures prévues en la matière. »

27. Il est donc manifeste qu'en adoptant le règlement, la Commission n'a fait qu'exécuter un « accord » ou pacte qu'elle avait préalablement conclu avec un pays tiers, mais, dans le préambule du règlement, elle a omis de mentionner cet élément essentiel qui a déterminé l'existence même de cet acte normatif.

28. Ce n'est que quelques mois plus tard, dans le préambule du règlement (CE) no 2019/94, du 2 août 1994, relatif aux importations de résidus de l'amidonnerie du maïs des États-Unis d'Amérique ( 13 ), que la Commission a exposé de manière suffisamment claire le pourquoi de la nouvelle réglementation.

« [...] considérant que, dans le cadre du GATT, la Communauté européenne et les États-Unis d'Amérique sont convenus de clarifier la définition tarifaire des résidus de l'amidonnerie du maïs ».

29. En résumé, il est manifeste que le règlement querellé a pour cause matérielle un« accord » que la Commission a conclu avec un État tiers sur le classement tarifaire d'un produit déterminé. Cette base matérielle ne se reflète cependant pas dans le préambule du règlement dont l'« exposé des motifs » non seulement omet cet élément clef mais ne comporte pas davantage d'indices susceptibles de faire connaître aux destinataires du règlement les vraies raisons de fond qui ont déterminé la modification
de la note complémentaire.

30. Dans ces conditions, l'absence d'un véritable exposé des motifs de l'acte réglementaire a un double caractère:

a) le défaut de motifs résulte du fait que les raisons exposées dans le préambule du règlement ne sont en réalité que la répétition du contenu normatif de celui-ci mais ne fournissent aucun élément supplémentaire permettant de le comprendre;

b) cette insuffisance est d'autant plus grave que le préambule ne fait pas la moindre allusion au fait essentiel qui motive l'adoption du règlement, dissimulant ainsi à ses destinataires tant l'origine conventionnelle du règlement que l'objectif qu'il poursuit et les étapes d'un processus de formation de la volonté communautaire dans lequel un pays tiers est intervenu de manière décisive.

31. Ce premier vice de forme doit, selon moi, entraîner l'annulation de l'acte qu'il entache. Aux termes de la jurisprudence de la Cour, la motivation exigée par l'article 190 du traité doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de l'institution auteur de l'acte ( 14 ). Rien de tel en l'espèce puisque l'apparente motivation du règlement passe précisément sous silence ce dont elle devrait garantir la publicité: il ne
s'agit dès lors pas d'une simple erreur ou d'une déficience accidentelle qui, parce qu'elle n'aurait qu'une importance mineure, ne serait pas suffisante en soi pour entraîner une conséquence juridique aussi grave que l'annulation de l'acte.

32. On ne saurait évidemment pas exiger que l'exposé des motifs d'un acte, à plus forte raison lorsqu'il s'agit d'un règlement, précise les différents éléments de fait et de droit, parfois nombreux et complexes, qui sont à son origine lorsque cet acte s'inscrit dans le cadre systématique d'un ensemble plus vaste. Il est, en revanche, logique que l'exposé des motifs d'un acte normatif énonce au moins le facteur le plus important parmi ceux qui ont effectivement joué un rôle dans sa genèse. Or, c'est
précisément l'élément clef qui est omis en l'espèce, omission qui porte atteinte aux exigences minimales de la transparence qui doit présider à l'ensemble du processus d'élaboration et de publication des actes normatifs communautaires.

33. Dans la mesure où l'absence de motivation du règlement en cause est une « violation des formes substantielles » au sens de l'article 173 du traité et peut dès lors fonder un recours en annulation, son effet juridique invalidant est clair. Il appartient donc à la Cour de déclarer le règlement entrepris « nul et non avenu » conformément à l'article 174 du traité.

Sur la compétence de la Commission à adopter le règlement

34. Si la Commission se limitait, dans son règlement, à éclairer ou à interpréter une position ou sous-position tarifaire déterminées, aucune objection ne pourrait lui être opposée puisque l'article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2658/87, déjà cité, l'autorise à le faire.

35. En effet, cette disposition autorise la Commission à adopter, selon la procédure définie à l'article 10 du règlement, des mesures d'application de la nomenclature combinée en ce qui concerne, notamment, le « classement des marchandises » (premier tiret) et les « notes explicatives » (deuxième tiret).

36. Si, au contraire, le règlement entrepris comportait une modification de la nomenclature combinée en tant que telle, la Commission ne pourrait utiliser le mécanisme des « notes explicatives » à cette fin (pas plus d'ailleurs que le mécanisme des règlements de classement) puisque les notes explicatives, et les mesures d'application en général, ont pour seul et unique objet de préciser le contenu des positions ou sous-positions du tarif douanier commun sans toutefois en modifier le texte ( 15 ).

37. C'est au Conseil qu'appartient, en principe, la compétence d'établir (et, donc, de modifier) la nomenclature tarifaire, comme la Cour l'a expressément déclaré dans l'arrêt qu'elle a rendu le 27 septembre 1988 dans l'affaire Commission/Conseil ( 16 ) où elle s'est exprimée en ces termes:

« [...] Il convient de constater, toutefois, que l'établissement d'une nomenclature tarifaire est indispensable pour l'application de droits de douane. En effet, sans un système de classification des marchandises, il serait impossible de rattacher celles-ci à des positions tarifaires déterminées. Il s'ensuit que la compétence conférée au Conseil pour procéder à des modifications tarifaires implique nécessairement, à défaut d'une prévision explicite dans le traité, celle d'établir et de modifier
la nomenclature afférente à l'application du tarif douanier commun.

Il résulte de cette constatation que le Conseil dispose, en matière tarifaire, d'une compétence générale qui, en tant que telle, relève autant de l'article 28 que de l'article 113 du traité, dans la mesure où elle est indépendante de la question de savoir si la modification des droits de TDC a été réalisée de manière autonome (article 28) ou dans le cadre d'accords tarifaires ou d'autres mesures de politique commerciale commune (article 113). »

38. S'il est vrai que la Commission peut intervenir de sa propre initiative dans l'application et l'interprétation de la nomenclature combinée (pourvu qu'elle respecte certaines conditions de procédure) ( 17 ) et qu'elle peut, à cet effet, avoir recours à des règlements de classement ou à des notes explicatives, il n'en demeure pas moins que la fonction qu'elle exerce à cet égard est soumise à des limites sur lesquelles la Cour s'est déjà prononcée à plusieurs reprises.

39. En effet, dans les arrêts qu'elle a rendus le 18 septembre 1990 dans l'affaire Visman Nederland ( 18 ) et le 13 décembre 1994 dans l'affaire GoldStar Europe, ( 19 ) la Cour a déclaré que les compétences que le Conseil a conférées à la Commission, lorsqu'elle a agi en coopération avec les experts douaniers des États membres, comportent un large pouvoir d'appréciation lui permettant de préciser le contenu des dispositions tarifaires entrant en ligne de compte pour le classement d'une marchandise
déterminée, sous la seule réserve que les dispositions arrêtées par la Commission ne modifient pas le texte du tarif.

40. Cela ne signifie pas pour autant que la Cour méconnaît le reste des compétences que l'article 9 du règlement no 2658/87 confère à la Commission et qui permettent à celle-ci d'intervenir, avec certaines restrictions et limitations ( 20 ), dans le processus législatif de modification de la nomenclature.

41. Ces compétences normatives ne peuvent cependant pas être confondues avec la compétence de simple « application » qui est visée à l'article 9, paragraphe 1, sous a). Cette compétence, dont la Commission a fait usage en l'espèce, ne permet pas à celle-ci de modifier ou d'altérer en aucune façon le texte de la nomenclature, que ce soit directement ou indirectement.

42. Comme j'aurai l'occasion de l'exposer ultérieurement, lorsqu'elle a modifié, dans son règlement, la note complémentaire relative à la sous-position 23031019, la Commission ne s'est pas bornée à éclaircir une définition préexistante sans en altérer les traits essentiels, auquel cas sa compétence ne saurait être contestée. Au contraire, sous le couvert d'une opération d'interprétation, la Commission s'est employée, en réalité, à modifier la nomenclature combinée, modifiant ainsi le tarif douanier
commun et, par là même, les droits de douane afférents à un produit déterminé.

43. En agissant de la sorte, la Commission s'est rendue coupable d'un excès de pouvoir susceptible d'entraîner l'annulation du règlement lui-même puisque le pouvoir de préciser la portée des positions ou sous-positions tarifaires que le Conseil a conféré à la Commission ne permet pas à celle-ci de les modifier. Pour aboutir à cette conclusion, il faut, logiquement, démontrer dans quelle mesure le règlement a modifié le contenu de la sous-position tarifaire en cause.

La modification, par le règlement, de la position tarifaire d'une marchandise déterminée

44. La « clarification technique » d'une sous-position, comme le dit la Commission pour qualifier sa note, doit se limiter à expliciter ce qui est implicite dans la description ou à interpréter celle-ci selon les méthodes herméneutiques propres à la logique appliquée. A cet effet, la Commission doit saisir le comité de la nomenclature qui doit émettre un avis sur les problèmes qui peuvent se présenter.

45. Le gouvernement français a décrit de manière très minutieuse dans sa requête les différentes étapes du processus de production de l'amidon par voie humide à partir du maïs brut. Dans son mémoire en défense (paragraphe 1 de la partie « En fait »), la Commission n'a soulevé aucune objection à propos de cette description.

46. Bien que la question soit éminemment technique, il faut, pour trancher le litige, analyser le processus de production, car ce n'est qu'à partir de cette analyse qu'il sera possible de dire si la nouveauté introduite dans la note explicative de la sous-position 23101019 est conforme ou non au classement tarifaire en vigueur.

47. Les étapes successives du procédé de fabrication sont décrites de manière concordante par les deux parties litigantes. Elles peuvent être résumées de la manière suivante:

a) A son arrivée à l'usine, le maïs en vrac est nettoyé à sec au moyen d'une opération de criblage destinée à en extraire les graines cassées ou brisures, les impuretés et les poussières.

b) Les grains de maïs ainsi nettoyés sont alors trempés dans de grands récipients d'eau à une température de 50 o C addidonnée de dioxyde de soufre dans une proportion de 0,1 à 0,2 %. A la suite de cette opération de trempage, le maïs perd l'amidon tandis que les eaux de trempe se chargent en éléments solubles tels que sels minéraux, protéines. Une opération ultérieure d'évaporation des eaux de trempe concentrées permettra de récupérer les éléments nutritifs.

c) Après le trempage, le maïs est grossièrement broyé afin de permettre la séparation des germes dont on extraira ensuite l'huile de maïs au moyen d'un procédé mécanique de pressage au terme duquel les résidus de germe sont conditionnés sous forme de tourteaux.

d) Au terme de l'opération antérieure, les grains dégermés sont séparés de leur enveloppe et des autres fragments cellulosiques.

48. Le « corn gluten feed » se compose de ces derniers sous-produits [sous d)] auxquels on aura incorporé les eaux de trempe qui n'auront pas été soumises à l'opération d'évaporation [sous b)] ainsi qu'une proportion minoritaire de tourteaux de germes [sous c)].

49. De son côté, le produit qui résulte du processus de nettoyage, de trempage et de séparation des germes et des parties fibreuses des grains de maïs est une suspension riche en gluten et en amidon: par un processus de centrifugation, on récupérera, d'une part, le gluten dont on fabriquera le « corn gluten meal » riche en protéines (il contient une proportion d'environ 60 % de protéines et relève de la sous-position 23031011) et, d'autre part, l'amidon à l'état pratiquement pur.

50. L'amidon obtenu au terme de ce processus de production peut, a son tour, soit être commercialisé sous forme de poudre, soit être soumis à un nouveau procédé de transformation en vue d'obtenir de l'alcool ou d'autres produits organiques par une opération d'hydrolyse grâce à laquelle on obtiendra du glucose au moyen duquel on produira enfin de ľéthanol.

51. L'eau utilisée dans ce dernier procédé industriel est désignée par la note explicative sous l'appellation « eaux de trempe », bien que le gouvernement français préfère parler de « vinasses de fermentation »: l'incorporation de cette eau au « corn gluten feed » (qui est la deuxième innovation permise par le règlement) augmente la valeur énergétique du produit.

52. De la même manière, l'addition des résidus du criblage du maïs augmente également la valeur énergétique du « corn gluten feed » (cette addition, à concurrence de 15 % en poids, est la première innovation autorisée par la note explicative).

53. Un produit dans lequel ces composants sont incorporés au terme du processus de production que je viens de décrire peut-il être considéré comme un « résidu de l'amidonnerie de maïs » au sens de la sous-position 230310?

54. Il apparaît des documents que le gouvernement français a versés au dossier, et plus concrètement du compte rendu de la 179e réunion du comité de la nomenclature qui s'est tenue les 20, 21 et 22 janvier 1992 ( 21 ), que ce comité, organe spécialisé auquel le règlement no 2658/87 a confié l'application uniforme de la nomenclature combinée, a opté à l'époque pour une réponse négative. Selon lui, le « corn gluten feed » relevait de la position 2309 (comme le veut la thèse française) et non pas de la
position 2303 (comme le prétend la Commission).

55. En effet, le comité a considéré qu'un produit composé pour un tiers environ de résidus d'amidonnerie de maïs, pour un autre tiers environ de résidus de l'extraction de l'huile de germes de maïs obtenus par voie humide et pour un dernier tiers environ de solubles d'eaux de trempe d'éthanolerie ne pouvait en aucune façon relever de la position 2303.

56. Selon le comité, ce dernier tiers des composants est obtenu au cours d'un procédé technologique complètement différent et donc étranger à l'amidonnerie du maïs proprement dite: il s'agit d'un dérivé de la production d'alcool à partir de céréales.

57. C'est la raison pour laquelle, toujours selon le comité, le « corn gluten feed » devrait être inclus dans la position 2309 puisqu'il présente une formulation spécifique en graisses et protéines pour l'alimentation de certaines espèces animales.

58. Cet avis est le seul que le comité de la nomenclature ait rendu puisqu'il n'est pas parvenu à en rendre un autre dans le délai qui lui avait été imparti lorsqu'il a été saisi à cet effet par son président ( 22 ). Sa valeur de jugement technique émanant d'un organe composé de spécialistes en la matière ne saurait être ignorée.

59. Indépendamment de l'avis du comité de la nomenclature, je considère que le gouvernement français a raison d'affirmer, dans le droit fil de l'avis analysé plus haut, qu'un produit composé de résidus de l'amidonnerie du maïs, de résidus de criblage du maïs et de sous-produits de la préparation d'alcool par fermentation du glucose (même si ce glucose provient, à son tour, des eaux de trempe du maïs) ne peut pas relever de la position 2303, mais doit au contraire être classé sous la position 2309
qui regroupe les préparations des types utilisés pour l'alimentation des animaux, aussi longtemps, du moins, que la formulation spécifique de l'une et de l'autre position tarifaire n'aura pas été modifiée.

60. Cette conclusion résulte de deux types de considérations applicables, pour les premières, aux résidus du criblage du maïs et, pour les secondes, à l'addition de sous-produits de la production d'alcool.

61. Pour ce qui est de l'addition des restes de maïs qui subsistent après le criblage de celui-ci, il est nécessaire de préciser leur véritable nature. La Cour a répété à plusieurs occasions ce qu'il y a lieu d'entendre par « résidus » en matière de classement tarifaire et fait une distinction entre « résidus » et « déchets » ( 23 ).

62. C'est ainsi, en particulier, que dans l'arrêt qu'elle a rendu le 22 septembre 1988 dans l'affaire Cargilly, ( 24 ) la Cour a déclaré que: « Comme la Cour l'a jugé dans son arrêt du 11 mars 1982 (Fancon, 129/81, Rec. p. 967), il résulte de la rédaction même de la position 23.04 que le terme ‘résidus’ ne peut pas être confondu avec celui de ‘déchets’. Il s'ensuit que ladite position ne couvre pas tous les produits qui restent après l'extraction d'une huile végétale. Au contraire, il faut qu'il
s'agisse de produits résultant directement de l'opération d'extraction de l'huile et non pas de produits qui se trouvaient déjà dans le produit de base et qui ne subissent pas de transformation au cours du processus d'extraction de l'huile. »

63. Confrontée à ces arguments, la Commission s'est vue obligée de reconnaître dans son mémoire en duplique ( 25 ) que les brisures de maïs qui subsistent après l'opération de criblage ne peuvent pas être considérées comme des « résidus d'extraction de l'amidon » au sens strict. Elle estime néanmoins que l'intitulé de la sous-position 230310 permet de considérer l'« amidonnerie de maïs » comme une activité plus large que la simple « extraction de l'amidon » à partir du maïs, de sorte qu'il n'y
aurait aucune raison d'assimiler les « résidus » de cette industrie à ceux de l'« extraction de l'amidon ». Elle estime donc que c'est à ces derniers seulement que la jurisprudence Cargill peut s'appliquer.

64. Je ne crois pas que cette interprétation résiste à l'analyse. A mon avis, les résidus de l'amidonnerie du maïs ( 26 ) sont précisément les résidus de l'opération d'extraction de l'amidon à partir du maïs. Dans ces conditions, la jurisprudence que j'ai citée plus haut exclut que les parties ou restes de maïs qui se trouvaient déjà dans le produit de base et qui subsistent après l'opération de criblage sans avoir subi aucune forme de transformation puissent être qualifiés de « résidus ». C'est la
raison pour laquelle, en permettant que des éléments qui sont, en réalité, des « déchets » du processus de criblage de maïs soient incorporés en tant que « résidus » (et cela, dans des proportions certainement importantes, comme nous aurons l'occasion de le voir plus loin), la nouvelle formulation que le règlement a donnée à la note explicative modifie la nomenclature.

65. Il est certainement inévitable qu'un pourcentage minime d'impuretés soit incorporé en même temps que les vrais résidus. En fait, dans l'arrêt qu'elle a rendu le 16 décembre 1992 dans l'affaire Krohn, ( 27 ) qui avait pour objet un recours analogue à celui qui est soumis à la Cour aujourd'hui et où il s'agissait d'élucider le point de savoir si les produits dérivés de l'extraction d'huile de maïs devaient être classés dans la sous-position 2304 B du tarif douanier commun lorsqu'ils contenaient,
en plus des résidus des grains de maïs proprement dits, d'autres composants de la plante de maïs ou d'autres céréales, la Cour a déclaré qu'un tel classement ne serait admissible qu'à la condition « [...] que les éléments étrangers aux grains de maïs se présentent en de très faibles quantités et que soit établie l'impossibilité technique de prévenir leur survenance dans des conditions normales de production, de transformation, de transbordement, de transport et de stockage, sauf à exposer des
coûts disproportionnés par rapport à la valeur marchande des résidus ».

66. Il est manifeste qu'en admettant la présence de « résidus du criblage » du maïs (résidus qui, comme nous l'avons vu, ne sont pas des résidus mais bien des déchets) jusqu'à concurrence d'une proportion de 15 % en poids, le règlement attaqué dépasse amplement les limites de tolérance que permet une interprétation raisonnable telle que celle que la Cour a donnée dans l'arrêt Krohn.

67. La dénaturation que le règlement fait subir à la nomenclature apparaît peut-être plus clairement encore lorsqu'il permet de considérer comme des « résidus de l'amidonnerie du maïs » certains produits dérivés de la production d'alcool à partir des eaux de trempe utilisées lors de l'extraction de l'amidon.

68. Les « eaux de trempe concentrées » sont expressément exclues par le texte même de la sous-position 230310. Comme je l'ai dit et répété, celle-ci comprend, en effet, les « résidus de l'amidonnerie du maïs (à l'exclusion des eaux de trempe concentrées) ». Dans ces conditions, les résidus des eaux de trempe obtenus au cours d'un processus distinct et postérieur à l'extraction de l'amidon du maïs ne peuvent, à plus forte raison, pas être classés dans cette sous-position.

69. Il faut souligner que le processus d'obtention d'alcool (ou d'autres produits) à partir du maïs est un processus différent, étranger au processus d'extraction de l'amidon du maïs. Le fait que les unités industrielles de production d'alcool et d'amidon sont plus ou moins intégrées dans certains pays (comme c'est le cas, semble-t-il, aux États-Unis) n'est pas un motif suffisant pour considérer comme des « résidus d'amidonnerie » les matières qui, une fois utilisées pour l'obtention d'éthanol, sont
manifestement des résidus du processus de fabrication d'alcool (ou d'autres produits dérivés).

70. Ces considérations démontrent à suffisance, selon moi, que le règlement a modifié la nomenclature combinée par le biais de la note complémentaire, permettant ainsi de classer dans la sous-position 230310 des produits qui sont des préparations destinées à l'alimentation animale.

71. La controverse qui oppose le gouvernement français à la Commission à propos de la fiabilité des techniques d'analyse, de vérification et d'attestation de la composition du « corn gluten feed » ne fournit pas, à mon avis, d'éléments suffisants qui nous permettraient d'aboutir à une conclusion définitive sur l'impossibilité alléguée de contrôler si les limites imposées par la note complémentaire sont respectées ou non. Cette question est d'ailleurs dépourvue de toute pertinence dès l'instant où
les vices de nullité allégués par le gouvernement français affectent le contenu même de cette note complémentaire.

Sur la violation de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises

72. Le gouvernement français affirme qu'en adoptant le règlement, la Commission aurait violé les engagements pris par la Communauté dans le cadre de la convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, faite à Bruxelles le 14 juin 1983 et approuvée au nom de la Communauté par la décision 87/369/CEE du Conseil du 7 avril 1987 ( 28 ).

73. Concrètement, la Commission n'aurait pas respecté les obligations qui résultent pour la Communauté de l'article 3, paragraphe 1, sous a), point 2, de la convention aux termes duquel « [...] chaque partie contractante [...] s'engage donc, pour l'établissement de ses nomenclatures tarifaires et statistiques, [...] à appliquer les règles générales pour l'interprétation du système harmonisé ainsi que toutes les notes de sections, de chapitres et de sous-positions et à ne pas modifier la portée des
sections, des chapitres, des positions ou des sous-positions du système harmonisé ».

74. Les parties litigantes s'accordent à reconnaître que la réponse qu'il faudra donner à ce moyen d'annulation dépend logiquement de la position que la Cour adoptera sur la nature et les effets des éléments neufs introduits dans la note complémentaire par le règlement querellé. En contestant la prémisse posée par le gouvernement français (c'est-à-dire, en contestant que son règlement comporte la moindre modification de la nomenclature combinée), la Commission rejette également la conclusion à
laquelle il aboutit.

75. Pour ma part, je reconnais également que la réponse que la Cour devra donner à ce moyen dépend nécessairement de la position qu'elle prendra préalablement sur le contenu de la note complémentaire et je souscris à la thèse du gouvernement français. En effet, si, comme je le crois, le nouveau texte de cette note a modifié la nomenclature combinée, et cela de manière subreptice, la Commission a rompu son engagement de respecter le système harmonisé et de s'abstenir de toute modification
unilatérale, engagement qu'elle avait pris en souscrivant à la convention de Bruxelles le 14 juin 1983.

Sur le détournement de pouvoir

76. Une institution, ou une administration en général, se rend coupable d'un détournement de pouvoir lorsqu'elle utilise les pouvoirs qui lui ont été conférés à une autre fin que celle pour laquelle ils lui ont été attribués par le texte d'habilitation. En l'espèce, la Commission se serait rendue coupable d'un tel détournement de pouvoir si, en donnant une nouvelle formulation à la note complémentaire, elle avait exercé son pouvoir réglementaire à une fin (fût-elle légitime) différente de celle qui
devrait théoriquement le justifier.

77. Ainsi donc, il y aurait détournement de pouvoir si, sous couvert d'une mesure d'interprétation, on modifiait subrepticement la nomenclature combinée et si on recourait à ce procédé normatif dans le but d'éluder ou d'énerver l'intervention d'autres organes ou institutions communautaires.

78. Il est évidemment plus difficile d'apprécier si les éléments constitutifs de ce motif de nullité sont réunis dans les actes normatifs que s'il s'agissait de simples actes d'administration ou d'exécution. Rien n'empêche, cependant, le titulaire des pouvoirs normatifs (à savoir la Commission en l'espèce) de se rendre coupable d'un détournement de pouvoir, à plus forte raison si les pouvoirs qui lui ont été reconnus par un autre organe (à savoir le Conseil) lui ont été conférés avec la mission de
compléter ou d'interpréter certaines dispositions adoptées par ce dernier. Lorsque ces pouvoirs sont utilisés pour atteindre des objectifs (fussent-ils légitimes, je le répète) qui sont détournés de ceux qui doivent inspirer l'adoption du texte réglementaire, il y aura détournement de pouvoir.

79. Deux éléments de fait me donnent la conviction que la Commission a agi à la faveur d'un détournement de pouvoir, même si j'admets que le but ultime qu'elle poursuivait était d'éviter un conflit commercial avec les États-Unis. Il n'empêche que, comme le gouvernement français le souligne à bon escient, elle aurait pu s'acquitter de son dessein en classant le « corn gluten feed » correctement (dans la position 2309), classement qui aurait alors pu être assorti d'une concession tarifaire que le
Conseil aurait accordée sur la base de l'article 113 du traité et qui aurait permis d'appliquer le tarif zéro à ce produit.

80. Le premier élément de fait qui suscite des réserves est la manière dont l'avis du comité de nomenclature a été éludé en pratique. Conformément au règlement no 2658/87, l'intervention préalable de cet organe technique est obligatoire dans cette matière, qu'il s'agisse de règlements de classement ou de notes complémentaires. Comme je l'ai déjà dit plus haut, cet avis n'a jamais pu être rendu.

81. Dans les conclusions qu'il a présentées le 21 septembre 1994 dans l'affaire GoldStar Europe ( 29 ), l'avocat général M. Jacobs constate qu'il n'existe aucune norme expresse régissant les effets juridiques généraux de l'absence d'avis du comité de la nomenclature. Cette lacune, manifeste dans l'article 10, paragraphe 2, du règlement no 2658/87, contraste avec le texte du règlement précédent no 97/69 qui prévoyait expressément l'hypothèse où le comité n'avait pas rendu d'avis.

82. Selon l'avocat général M. Jacobs, lorsque le comité avait omis d'émettre un avis dans le délai imparti par son président, cette absence d'avis n'empêchait pas la Commission de mettre la mesure de classement immédiatement en vigueur. Il ajoutait que « il n'a pas été soutenu en l'espèce que le délai fixé au représentant de la Commission qui préside le comité fût excessivement court ni même qu'une autre irrégularité eût entaché la procédure devant le comité ».

83. Dans l'arrêt qu'elle a rendu le 13 décembre 1994 dans cette même affaire GoldStar Europe, la Cour semble admettre cette thèse puisqu'elle déclare au point 18 que « en l'absence d'interprétation de la nomenclature par le Conseil de coopération douanière, le législateur communautaire est compétent pour interpréter, par voie réglementaire et sous le contrôle de la Cour de justice, la nomenclature telle qu'elle doit être appliquée par la Communauté ».

84. Il résulte néanmoins des informations fournies par la Commission ( 30 ) que le délai imparti au comité de la nomenclature a dû être extrêmement bref puisque son président (qui est le représentant de la Commission au sein du comité) lui a soumis le projet de règlement au cours de la cession des 23 et 24 juin 1994 pour qu'il puisse rendre son avis obligatoire mais que ce même règlement avait déjà été approuvé par la Commission le 6 juillet 1994 et publié au Journal officiel le jour suivant avec
effet rétroactif au 1er juillet 1994.

85. La Commission a expliqué cette urgence en indiquant que le règlement portant suspension des droits de douane sur certains résidus de l'amidonnerie venait à échéance le 30 juin 1994. Cette explication est inacceptable dès lors qu'il s'agit d'un problème qui se posait depuis des mois déjà, voire des années. Tout semble indiquer que la Commission voulait placer le comité dans une situation où il lui serait difficile, sinon impossible, de rendre son avis.

86. Plus significatif encore est le fait que la Commission n'ait pas attendu l'intervention du Conseil pour mettre en pratique l'engagement qu'elle avait pris vis-à-vis des Etats-Unis. Il s'agit là du second, et du plus important, des deux éléments de fait qui fondent ma conviction que la Commission a commis un détournement de pouvoir. La requérante a mis un accent particulier sur ce second élément dans sa requête.

87. Dans la déclaration que la Commission a présentée le 25 mars 1993 devant le Parlement européen à propos de la question qui nous occupe actuellement, ( 31 ) son représentant, Sir Leon Brittan, a reconnu être parvenu à une série d'accords sur le « corn gluten feed » avec les États-Unis « dans le cadre des négociations qui ont abouti à l'accord de Blair House de 1992 ». Il a ajouté que « la Commission a approuvé ces accords au cours de sa réunion du 9 mars et [que] le texte a été transmis au
Conseil [...] » (souligné par moi).

88. Dans cette même déclaration officielle, il a répété que « la Commission a adopté le texte d'application de l'accord sur le corn gluten feed du 9 mars et l'a transmis au Conseil. L'affaire a été examinée au sein du comité prévu par l'article 113 et au sein du comité spécial de l'agriculture. Il est prévu que le dossier soit transmis au début du mois de juin au comité de la nomenclature, qui est le comité compétent pour décider des changements à apporter aux accords antérieurs » (traduction
libre).

89. Dans le procès-verbal no 1772 du Conseil (« agriculture »), qui s'est tenu à Luxembourg du 20 au 24 juin 1994 inclus ( 32 ), on peut lire que le Conseil se borne à « prendre acte » de l'exposé que le représentant de la Commission a fait à propos des modalités de « mise en œuvre du préaccord de Blair House de 1992 en ce qui concerne les importations de corn gluten feed ». Parmi les modalités envisagées, il est prévu que « la Commission soumette au comité de la nomenclature tarifaire un projet
concernant le libellé des positions tarifaires concernées. La réunion de ce comité aura lieu le 23 juin 1994».

90. En tout état de cause, il est clair que jamais, que ce soit au sein du comité prévu par l'article 113 ou au sein du comité spécial de l'agriculture, le Conseil n'a manifesté son accord, préalable ou a posteriori, sur la décision de la Commission, telle qu'elle a été prise, a fortiori si elle l'a été sans l'avis du comité de la nomenclature. Il n'est pas davantage constant que le Conseil ait assumé ou ratifié les engagements internationaux que la Commission avait pris et qui sont à la base du
règlement entrepris.

91. Tout indique au contraire, comme l'affirme le gouvernement français, que c'est précisément l'absence d'accord du Conseil que la Commission a voulu éluder en adoptant un règlement qui, sous le couvert d'une simple mesure d'éclaircissement, va en réalité beaucoup plus loin et qui de ce fait s'écarte de la finalité subordonnée qui a été assignée à cette catégorie d'actes normatifs destinés à compléter, et non à modifier, le contenu de la nomenclature combinée.

92. J'estime donc que ce dernier moyen d'annulation doit lui aussi être accueilli.

Conclusion

En conséquence, je propose qu'il plaise à la Cour:

1) faire droit au recours formé par le gouvernement français et annuler le règlement (CEE) no 1641/94 de la Commission, du 6 juillet 1994, modifiant le règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun;

2) condamner la Commission aux dépens.

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( *1 ) Langue originale: l'espagnol.

( 1 ) JO L 172, p. 12.

( 2 ) JO L 256, p. 1.

( 3 ) Voir notamment la question no 39 que la députée Mme Dury a posée à la Commission (H-0794/93) et la question no 11 qu'elle a posée au Conseil (H-0793/93) à propos de l'« accord secret sur le corn gluten feed, annexé à l'accord de Blair House », questions publiées dans Débats du Parlement européen, no 434, p. 193 et 162 de l'édition espagnole. Voir également, sur le même sujet, la question orale B3-0505/93 qui a été posée à la Commission par les députés MM. Pasty et Guillaume au nom du groupe
RDE ainsi que les débats qui ont suivi, publiée dans Débats du Parlement européen, no 431, p. 98 de l'édition espagnole.

( 4 ) JO L 328, p. 80.

( 5 ) Troisième directive de la Commission du 27 avril 1972 portant fixation de méthodes d'analyse communautaires pour le contrôle officiel des aliments des animaux. (JO L 123, p. 6).

( 6 ) Directive de la Commission du 20 décembre 1983 modifiant les directives 71/393/CEE et 78/633/CEE portant fixation de méthodes d'analyse communautaires pour le contrôle officiel des aliments des animaux. (JO L 15, p. 28).

( 7 ) Voir le point 5 ci-dessus.

( 8 ) JO C 191, p. 101.

( 9 ) Voir le point 84 ci-après.

( 10 ) Le texte de ce mémorandum d'accord est produit en annexe I, point 1, du mémoire en défense.

( 11 ) Le contenu de cette note a déjà été reproduit au point 10.

( 12 ) Lettre produite en annexe III au mémoire en défense.

( 13 ) JO L 203, p. 5.

( 14 ) Arrêt du 14 juillet 1994, Grèce/Conseil (C-353/92, Rec. p. I-3411, point 19).

( 15 ) Tels sont les termes exacts du deuxième considérant de l'exposé des motifs du règlement (CEE) no 97/69 du Conseil, du 16 janvier 1969, relatif aux mesures à prendre pour l'application uniforme de la nomenclature du tarif douanier commun QO L 14, p. 1).

( 16 ) C-165/87, Rec. p. 5545.

( 17 ) L'intervention du comité de la nomenclature tarifaire et statistique est obligatoire. Ce comité est composé de représentants des États membres et présidé par un représentant de la Commission.

( 18 ) C-265/89, Rec. p. I-3411, point 13.

( 19 ) C-401/93, Rec. p. I-5587, point 19.

( 20 ) L'article 9, paragraphe 2, interdit notamment à la Commission de « modifier les taux des droits de douane ».

( 21 ) Annexe 4 à la requête.

( 22 ) Sur les circonstances dans lesquelles l'avis a été demandé, voir les points 84 et 85 ci-après.

( 23 ) Cette note ne concerne que la version espagnole.

( 24 ) C-268/87, Rec. p. 5151, point 11.

( 25 ) Au paragraphe 6.

( 26 ) Cette note ne concerne que la version espagnole.

( 27 ) C-194/91, Rec. p. I-6661.

( 28 ) JO L 198, p. 3.

( 29 ) Précitée note 19, point 16 des conclusions.

( 30 ) Paragraphes 33 et suiv. du mémoire en défense.

( 31 ) Débats du Parlement européen, no 3-431/83.

( 32 ) Un extrait de ce procès-verbal est produit en annexe II au mémoire en duplique de la Commission.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-267/94
Date de la décision : 17/10/1995
Type de recours : Recours en annulation - fondé

Analyses

Résidus d'amidonnerie - 'Corn gluten feed' - Classification douanière.

Union douanière

Tarif douanier commun

Libre circulation des marchandises


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ruiz-Jarabo Colomer
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:333

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