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13/07/1995 | CJUE | N°C-17/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 13 juillet 1995., Procédure pénale contre Denis Gervais, Jean-Louis Nougaillon, Christian Carrard et Bernard Horgue., 13/07/1995, C-17/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAEL B. ELMER

présentées le 13 juillet 1995 ( *1 )

1.  Dans la présente affaire, le tribunal de grande instance de Bergerac (France) a déféré à la Cour différentes questions relatives aux rapports entre la réglementation française sur les centres d'insémination de la semence de taureau et les règles du traité relatives aux monopoles d'État, au droit d'établissement et à la libre prestation de services ainsi qu'à diverses directives concernant, d'une part, les activités du vétérinaire et, d'autre part, l

es bovins reproducteurs de race pure. Cette
affaire soulève en outre des ques...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAEL B. ELMER

présentées le 13 juillet 1995 ( *1 )

1.  Dans la présente affaire, le tribunal de grande instance de Bergerac (France) a déféré à la Cour différentes questions relatives aux rapports entre la réglementation française sur les centres d'insémination de la semence de taureau et les règles du traité relatives aux monopoles d'État, au droit d'établissement et à la libre prestation de services ainsi qu'à diverses directives concernant, d'une part, les activités du vétérinaire et, d'autre part, les bovins reproducteurs de race pure. Cette
affaire soulève en outre des questions quant aux exigences pouvant être posées dans le chef des juridictions de renvoi, pour ce qui est de la description du cadre factuel de l'affaire, et quant au lien pouvant être établi avec la jurisprudence de la Cour concernant des situations purement internes.

La législation nationale

2. Les règles françaises en matière d'insémination d'animaux domestiques sont fixées dans la loi n° 66-1005, du 28 décembre 1966 sur l'élevage, ainsi que dans une série de dispositions d'application. Selon l'article 4 de la loi, les opérations de prélèvement et de conditionnement de la semence ne peuvent être exécutées que par des chefs de centre d'insémination ou sous leur contrôle. De même, l'insémination ne peut être effectuée que par des chefs de centre d'insémination ou par des inséminateurs
habilités à cet effet.

Les centres d'insémination ne peuvent intervenir que si, conformément à l'article 5 de la loi, ils ont obtenu au préalable une autorisation à cet effet du ministère de l'Agriculture français. Les quatrième et cinquième alinéas de cette disposition prévoient que chaque centre d'insémination dessert une zone à l'intérieur de laquelle il est seul habilité à intervenir. Les éleveurs se trouvant dans la zone d'action d'un centre d'insémination peuvent demander à celui-ci de leur fournir de la semence
provenant de centres de production de leur choix. L'article 9 de la loi prévoit des sanctions pénales en cas d'infraction aux règles précitées.

3. Selon le décret n° 69-258, du 22 mars 1969, relatif à l'insémination artificielle, l'exercice des activités d'inséminateur suppose une autorisation délivrée par le ministre de l'Agriculture français. L'insémination ne peut être effectuée que sous le contrôle des centres d'insémination agréés par le ministère de l'Agriculture.

4. Un arrêté du 21 novembre 1991 relatif à la formation des inséminateurs et des chefs de centre et à l'attribution des licences correspondantes prévoit des modalités d'application du décret n° 69-258, précité. Selon son article 1er, les opérations d'insémination sont effectuées sous le contrôle du centre d'insémination territorialement compétent. Le ministre de l'Agriculture français peut délivrer une licence d'inséminateur sur présentation d'une attestation délivrée par le chef d'un centre
d'insémination, certifiant que le titulaire de l'attestation est, lors des opérations d'insémination, placé sous la responsabilité du chef de centre (voir article 2). L'article 3 de ce même arrêté prévoit que le certificat d'aptitude aux fonctions de chef de centre est délivré aux candidats ayant réussi un examen en tant qu'inséminateurs, aux docteurs vétérinaires et aux candidats d'une « licence de chef de centre ».

Les faits

5. Les personnes mises en examen dans la procédure au principal, MM. Denis Gervais, Jean-Louis Nougaillon, Christian Carrard et Bernard Horgue, sont des ressortissants français domiciliés en France. Ils ont tous passé l'examen ouvrant droit au titre de docteur vétérinaire. Aucun d'entre eux n'est rattaché à un centre d'insémination agréé. Selon les éléments d'information disponibles, on doit tenir pour établi que les personnes mises en examen sont, à l'exception de M. Denis Gervais, titulaires du
certificat d'aptitude aux fonctions d'inséminateur.

En mars 1992, ces personnes ont fait l'objet d'une plainte déposée par la Coopérative périgorde agenaise d'élevage et d'insémination artificielle (ci-après la « CPAEIA »), qui est titulaire du droit exclusif pour, entre autres, l'arrondissement de Bergerac, auprès du procureur de la République à Bergerac pour avoir, contrairement à l'article 5 de la loi n° 66-1005, précité, exercé des activités d'inséminateur sans être en possession des autorisations requises en droit français. Le ministère
public a, par la suite, déposé des réquisitions à l'encontre de MM. Denis Gervais et Jean-Louis Nougaillon pour avoir pratiqué l'insémination sans s'être vu au préalable attribuer une zone à l'intérieur de laquelle ils auraient pu légalement effectuer de telles opérations, et à l'encontre de MM. Christian Carrard et Bernard Horgue pour avoir exploité un centre d'insémination sans autorisation.

Les personnes mises en examen n'ont pas contesté avoir enfreint les règles françaises concernant l'exercice des activités d'insémination. Elles ont cependant fait valoir qu'elles ne pouvaient faire l'objet de sanctions pénales puisque le régime d'autorisation est, selon elles, contraire au droit communautaire.

Les questions préjudicielles

6. C'est dans ce contexte que le tribunal de grande instance de Bergerac a, par ordonnance du 14 janvier 1994, soumis à la Cour les questions suivantes:

« 1) L'article 59 du traité CEE et les directives du Conseil 78/1026/CEE et 78/1027/CEE du 18 décembre 1978 ( 1 ), prises pour la mise en œuvre dans le domaine des activités du vétérinaire, ne font-ils pas obstacle à l'application d'une législation nationale qui, en matière d'insémination artificielle des bovins, soumet la délivrance d'une licence d'inséminateur aux vétérinaires à la production d'une attestation du directeur du centre d'insémination artificielle autorisé, certifiant que le
demandeur est placé sous son autorité pour ce qui concerne les opérations de mise en place de la semence, interdisant ainsi au vétérinaire sous peine de poursuites pénales la libre prestation de service, restreignant sensiblement du même coup leur activité, au moyen de la reconnaissance d'un monopole territorial d'exercice de cette activité au profit de personnes réunies en ‘centres’ dits d'insémination artificielle et non nécessairement titulaires du titre de docteur vétérinaire?

2) L'article 52 du traité CEE et les directives du Conseil 78/1026/CEE et 78/1027/CEE du 18 décembre 1978, prises pour la mise en oeuvre dans le domaine des activités du vétérinaire, ne font-ils pas obstacle à l'application d'une législation nationale qui, en matière d'insémination artificielle des bovins, décide d'octroyer dans certaines conditions une licence d'inséminateur aux docteurs vétérinaires mais leur interdit sous peine de poursuites pénales l'exercice de cette activité, et réduit du
même coup à néant leur liberté de s'établir, sauf pour eux à s'établir obligatoirement sous l'autorité d'un centre dit d'insémination artificielle, centre constitué par des personnes non nécessairement titulaires du titre de docteur vétérinaire et à qui est reconnu un monopole territorial d'exercice de cette activité, de sorte que sur l'ensemble du territoire français la liberté de s'établir des docteurs vétérinaires ne peut correctement s'exercer en dehors du rattachement à un centre?

3) Les directives du Conseil respectivement en date du 25 juillet 1977 (77/504/CEE) concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure ( 2 ) et du 18 juin 1987 (87/328/CEE) relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure ( 3 ) prises à des fins de police sanitaire et qui entendent préserver la liberté des échanges intracommunautaires selon ce qu'elles énoncent doivent-elles s'interpréter comme autorisant une législation nationale à mettre en place
un monopole territorial d'exercice de l'insémination artificielle de nature proprement économique au profit de ‘centres’ réunissant des personnes non nécessairement titulaires du titre de docteur vétérinaire?

4) Une réglementation nationale qui subordonne l'accès à l'activité d'inséminateur à la délivrance d'une licence pour l'insémination artificielle des bovins et qui soumet la délivrance de la licence à la production d'une attestation du directeur du centre d'insémination artificielle autorisé, certifiant que le demandeur est placé sous son autorité pour ce qui concerne les opérations de mise en place de la semence, interdisant ou restreignant ainsi l'exercice de cette activité aux docteurs
vétérinaires au motif qu'il doit être placé sous l'autorité du directeur d'un centre dit d'insémination artificielle à qui est octroyé un monopole territorial d'exercice, est-elle compatible avec les dispositions pertinentes des directives du Conseil 77/504/CEE et 87/328/CEE qui ne prévoient aucune restriction à l'établissement et à l'activité des docteurs vétérinaires?

5) Un monopole de prestation de service tel que celui organisé par la loi du 28 décembre 1966 sur l'élevage et les textes pris pour son application est-il compatible avec les articles 37 et 59 du traité CEE en tant qu'il exclurait toute mise en place de semence par des personnes, même dûment qualifiées, et habilitées à intervenir, autres que les personnels des centres d'insémination artificielle qui bénéficient du monopole? »

Sur la recevabilité

7. La Commission, le gouvernement français et la CPAEIA, qui s'est portée partie civile dans l'instance au principal, ont fait état de ce que le tribunal de renvoi n'expose, pas même en termes laconiques, ni les circonstances de l'espèce ni le cadre juridique. Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner au fond les questions préjudicielles.

8. Selon la jurisprudence de la Cour, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insère la demande d'interprétation ( 4 ). De même, il est indispensable que la juridiction nationale explique les raisons pour lesquelles elle considère qu'une réponse à ses questions est nécessaire à la solution du litige ( 5 ). En outre, les informations fournies dans les
décisions de renvoi ne servent pas seulement à permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations ( 6 ). Il incombe donc à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de l'article 20 du statut de la Cour de justice, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées ( 7 ).

9. L'ordonnance de renvoi ne satisfait pas aux exigences que l'on doit légitimement poser au regard de cette jurisprudence. Si l'affaire n'avait été éclairée qu'à travers l'ordonnance de renvoi, la demande préjudicielle aurait dû, à notre sens, être rejetée comme irrecevable.

10. La Cour a cependant adressé aux personnes mises en examen dans l'affaire au principal différentes questions en vue d'obtenir des éclaircissements. Les réponses à ces questions impliquent à notre sens qu'il sera possible, eu égard aux circonstances, de donner au juge national une réponse utile aux questions posées. Il y a donc lieu de répondre auxdites questions.

Les première et deuxième questions

11. Par ses première et deuxième questions, le tribunal de renvoi souhaite savoir si des dispositions telles que celles fixant en France les conditions d'exercice des activités d'insemination sont compatibles avec les articles 52 et 59 du traité ainsi qu'avec les directives 78/1026/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de vétérinaire et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit
d'établissement et de libre prestation de services, et 78/1027/CEE, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du vétérinaire.

12. Selon l'article 2 de la directive 78/1026, prise sur le fondement des articles 49, 57, 66 et 235 du traité CE, chaque État membre reconnaît les diplômes, certificats et autres titres délivrés aux ressortissants des États membres par les autres États membres conformément à l'article 1er de la directive 78/1027 en leur donnant, en ce qui concerne l'accès aux activités du vétérinaire et l'exercice de celles-ci, le même effet sur son territoire qu'aux diplômes, certificats et autres titres qu'il
délivre.

13. Selon l'article 1er de la directive 78/1027, également prise sur le fondement des articles 49, 57, 66 et 235 du traité, les États membres subordonnent l'accès aux activités du vétérinaire et l'exercice de celles-ci à la possession d'un diplôme, certificat ou autre titre de vétérinaire visé à l'article 3 de la directive 78/1026 donnant la garantie que l'intéressé a acquis pendant la durée totale de sa formation diverses qualifications revêtant de l'importance pour les activités du vétérinaire.
Les autres dispositions de la directive prévoient des règles relatives aux connaissances qu'un vétérinaire doit avoir acquises du fait de sa formation et, également, des règles relatives à la durée de la formation et aux conditions d'accès à celle-ci.

14. Les personnes mises en examen dans la procédure au principal soutiennent que l'exigence d'une autorisation implique un monopole géographique aux activités d'insémination. Les règles françaises sont dès lors contraires tant aux règles du traité relatives à la libre circulation qu'aux directives 78/1026 et 78/1027. La Commission, le gouvernement français et la CPAEIA font valoir, à l'opposé, que la procédure au principal a trait à une situation purement interne qui ne relève pas des règles du
traité relatives à la libre circulation. Les directives 78/1026 et 78/1027 ne contiennent aucune règle relative à l'exercice des activités d'insémination et ne règlent pas non plus les activités devant être considérées comme se rattachant aux activités du vétérinaire.

15. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du traité sur la liberté d'établissement ne sont pas applicables à des situations purement internes à un État membre telles que celles des ressortissants d'un État membre exerçant une profession libérale sur le territoire de cet État sans avoir précédemment suivi de formation y afférente dans un autre État membre ni précédemment exercé cette même profession dans un autre État membre ( 8 ). De même, les dispositions des articles 59 et
60 du traité, en matière de libre prestation de services, ne peuvent être appliquées aux activités dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre ( 9 ).

16. Aucune des personnes mises en examen n'a d'attaches professionnelles avec un autre État membre. Elles ne sauraient donc invoquer les dispositions du traité en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services, même si la législation française litigieuse devait être contraire aux dispositions précitées, dans des situations qui renferment un élément communautaire suffisant.

17. Dans ces conditions, nous sommes d'avis que, en ce qui concerne le rapport aux articles 52 et 59 du traité, la Cour devrait répondre aux première et deuxième questions en ce sens que les dispositions du traité en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services ne s'appliquent pas à des situations purement internes à un État membre telles que celles des ressortissants d'un État membre qui souhaitent exercer sur le territoire de cet État une profession libérale sans pouvoir
se prévaloir d'avoir suivi précédemment une formation y afférente, ni l'avoir exercée, dans un autre État membre.

18. Les directives 78/1026 et 78/1027 ne contiennent pas, selon nous, de dispositions revêtant de l'importance aux fins de la solution du litige au principal. Selon l'article 2 de la directive 78/1026, les États membres reconnaissent, notamment, les diplômes livrés aux ressortissants des États membres par les autres États membres conformément aux règles de la directive 78/1027 en leur donnant, en ce qui concerne l'accès aux activités du vétérinaire et l'exercice de celles-ci, le même effet sur leur
territoire qu'aux diplômes, certificats et autres titres qu'ils délivrent. La directive 78/1027 se rattache à la directive 78/1026 en ce qu'elle fixe des règles concernant les connaissances qu'un vétérinaire doit avoir acquises grâce à sa formation, mais la directive ne contient aucune règle sur les activités qu'un vétérinaire formé peut exercer ou sur le rapport entre un vétérinaire et l'État dans lequel il a passé l'examen ouvrant droit au titre de docteur vétérinaire.

19. Les deux directives ne s'appliquent donc que dans des situations dans lesquelles le vétérinaire concerné est en possession d'un diplôme d'un État membre autre que celui à l'encontre duquel il entend se prévaloir des directives. En revanche, les directives ne régissent pas une situation purement interne à un État membre dans laquelle le titulaire d'un diplôme, délivré par l'État membre dont il est le ressortissant, entend se servir de ce diplôme aux fins de l'exercice des activités de vétérinaire
dans cet État membre.

20. Nous proposerons donc à la Cour de répondre à la partie des première et deuxième questions portant sur le rapport aux directives 78/1026 et 78/1027 en ce sens que les titulaires d'un diplôme de vétérinaire ne peuvent pas, vis-à-vis de l'État membre ayant délivré le diplôme en cause, se prévaloir de la directive 78/1026 visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de vétérinaire et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit
d'établissement et de libre prestation de services, ni de la directive 78/1027 visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du vétérinaire.

Les troisième et quatrième questions

21. A travers les troisième et quatrième questions, le tribunal de renvoi souhaite savoir si les directives 77/504 et 87/328 s'opposent à une législation nationale qui attribue à certains centres d'insémination un droit exclusif de procéder à des inséminations et qui subordonne l'accès aux activités d'inséminateur à une autorisation du chef d'un centre d'insémination.

22. En adoptant la directive 77/504, fondée sur les articles 43 et 100 du traité CE, le Conseil a institué différentes dispositions en vue de favoriser la production et les échanges intracommunautaires de bovins reproducteurs de race pure. Selon l'article 2 de la directive, les États membres veillent à ce que ne soient pas interdits, restreints ou entravés pour des raisons zootechniques les échanges intracommunautaires de bovins reproducteurs de race pure.

23. En vertu de l'article 3 de la directive précitée, le Conseil a, par directive 87/328, fixé des dispositions aux fins de l'admission de bovins reproducteurs. Selon ces dispositions, les États membres ne peuvent pas interdire, restreindre ou entraver l'admission, aux fins de testage officiel, de taureaux de race pure, ou l'utilisation de leur semence dans les limites quantitatives nécessaires de ces tests officiels par des organismes ou associations agréés. Les États membres ne peuvent pas non
plus entraver l'admission à l'insémination artificielle sur leur territoire de taureaux de race pure, ou l'utilisation de leur semence, lorsque ces taureaux ont été admis à l'insémination artificielle dans un État membre sur la base de tests effectués conformément à la décision 86/130/CEE de la Commission, du 11 mars 1986 ( 10 ) (voir article 2, paragraphe 1, de la directive).

La directive dispose en outre que les États membres veillent à ce que, pour les échanges intracommunautaires, la semence visée à l'article 2 soit récoltée, traitée et stockée dans un centre d'insémination artificielle officiellement agréé (voir article 4).

24. Les personnes mises en examen soutiennent que les directives 77/504 et 87/328 n'autorisent pas les États membres à conférer à certaines personnes ou à certaines entreprises un droit exclusif de se livrer à des activités d'insémination ou à limiter le droit d'exercer de telles activités en imposant une autorisation préalable. Une telle législation constitue une restriction à la libre circulation des marchandises, contrairement à l'article 30 du traité CE. La Commission, le gouvernement français
et la CPAEIA soutiennent à l'opposé que les directives précitées ne traitent pas des conditions de mise en place de la semence et/ou n'envisagent pas les groupes de personnes pouvant procéder aux inséminations.

25. Nous partageons l'avis de la Commission, du gouvernement français et de la CPAEIA suivant lequel les directives 77/504 et 87/328 concernent, eu égard à leur libellé et à l'objectif qu'elles poursuivent, uniquement des mesures nationales ayant une incidence sur les échanges de bovidés de race pure et, plus particulièrement, les échanges de semence aux fins de la reproduction. Il n'y a rien dans les directives qui permette de supposer que celles-ci, au surplus, portent atteinte à la faculté qu'ont
les États membres de réserver les activités d'insémination à certains groupes professionnels ou certaines entreprises, du moment que de telles règles nationales n'impliquent, ni directement ni indirectement, une restriction illicite des échanges de semence de taureau.

26. Selon les éléments d'information disponibles, le régime français n'interdit pas à des opérateurs autres que les centres d'insémination d'importer de la semence de taureau d'autres États membres ( 11 ) ou, au demeurant, d'effectuer des transactions avec de telles marchandises. Cette réglementation ne confère pas non plus à l'inséminateur la compétence de décider, contre le gré de l'éleveur, si l'insémination doit être effectuée à l'aide de semence française ou de semence importée.

27. Une législation nationale qui se borne à déterminer les entreprises et les opérateurs pouvant licitement procéder à des inséminations peut donc difficilement, en tant que telle, être réputée impliquer une restriction aux échanges communautaires de sperme et d'embryons fécondés provenant de bovins reproducteurs de race pure, interdite par l'article 2 de la directive 77/504. Une telle législation n'entraîne pas non plus de restrictions à l'importation de semence de taureaux de race pure dans les
limites quantitatives nécessaires à l'exécution de tests officiels par des organismes ou associations agréés, au sens de l'article 2 de la directive 87/328.

28. Dans ces conditions, nous proposerons à la Cour de répondre aux troisième et quatrième questions en ce sens que les directives 77/504 et 87/328 ne s'opposent pas à une législation nationale qui octroie à des centres d'insémination ou à des personnes auxquelles sont délivrées des licences d'insémination et qui ne sont pas nécessairement titulaires du diplôme de vétérinaire le droit exclusif de procéder à des inséminations.

La cinquième question

29. A travers la cinquième question, le tribunal de renvoi souhaite savoir si un monopole de prestations de services tel que celui en vigueur en France est conforme aux articles 37 et 59 du traité.

30. Les personnes mises en examen dans la procédure au principal soutiennent que la législation française est contraire aux articles 37 et 59 du traité ainsi qu'aux articles 5, 86 et 90 dudit traité. La Commission, le gouvernement français et la CPAEIA, à l'opposé, font valoir que cette question a déjà été résolue par l'arrêt du 28 juin 1983, Mialocq e.a. ( 12 ). Le gouvernement français et la CPAEIA soutiennent en outre que cette cinquième question repose sur une prémisse erronée quant à la portée
du droit français puisque des praticiens indépendants peuvent également obtenir une autorisation des centres de procéder à des inséminations.

31. Nous n'estimons pas que la Cour puisse, en se référant à l'argumentation du gouvernement français et de la CPAEIA, refuser de répondre à cette cinquième question. Dans le cadre d'une procédure préjudicielle, la Cour n'a pas compétence pour statuer sur le bien-fondé d'une objection tirée du caractère non pertinent d'une question préjudicielle au motif qu'elle est fondée sur une interprétation erronée du droit national ( 13 ).

32. En ce qui concerne la question du rapport à l'article 59 du traité, nous pouvons renvoyer à notre réponse à la première question.

33. Nous sommes d'avis que, dans l'arrêt Mialocq e.a. précité, la Cour a déjà statué sur les rapports entre l'article 37 du traité et une réglementation nationale du type de celle présentement en cause. Dans cet arrêt, la Cour a constaté que l'article 37 vise les échanges de marchandises et ne concerne pas un monopole de prestations de services. Rien, selon elle, ne permettait de supposer que les règles françaises en matière d'insémination artificielle des bovins instituaient de façon indirecte une
« monopolisation » entravant la libre circulation des marchandises:

« Ces circonstances font en effet apparaître que, d'après la législation applicable en France, tout éleveur individuel est libre de demander au centre de mise en place dont il dépend de lui fournir de la semence provenant du centre de production de son choix, en France ou à l'étranger. Le gouvernement français a indiqué que rien, dans la législation française, n'empêcherait un centre de mise en place ou même un éleveur individuel de s'adresser directement à un centre étranger pour lui acheter de
la semence, et d'obtenir la licence d'importation nécessaire à cet effet.

Il convient donc de répondre à la première question que l'article 37 doit être interprété en ce sens que cette disposition ne concerne pas un monopole de prestations de services, même si un tel monopole permet à l'État membre concerné d'assumer la direction d'une branche de l'économie nationale, à condition qu'il ne contrevienne pas au principe de la libre circulation de marchandises en discriminant les produits importés au profit de produits d'origine nationale » (points12 et 13).

34. Aucun élément du dossier ne permet, en l'espèce, de parvenir à un autre résultat. Ainsi que la Cour l'a constaté dans son arrêt, Centre d'insémination de la Crespelle, précité, il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si la législation française aboutit en pratique à créer une discrimination à l'égard de la semence de taureau importée. En l'espèce, aucun élément d'information n'est apparu au cours de la procédure, faisant état d'une discrimination au profit des produits nationaux.

35. La Cour ne saurait, selon nous, prendre en considération les arguments avancés par les personnes mises en examen, à propos des articles 5, 86 et 90 du traité CE. Le souci de fournir à la juridiction de renvoi une réponse appropriée à une question préjudicielle peut certes amener la Cour à prendre en considération des règles communautaires que cette juridiction de renvoi n'a pas évoquées dans sa question, mais la Cour ne saurait en revanche traiter, à la demande d'une partie, des questions qui
n'ont pas été déférées par la juridiction nationale ( 14 ).

36. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposerons à la Cour de répondre à la cinquième question en ce sens que l'article 37 ne concerne pas un monopole de prestations de services, sauf si ce monopole écarte le principe de la libre circulation des marchandises en discriminant des produits importés au profit de produits d'origine nationale.

Conclusions

37. Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de dire pour droit:

« 1) Les dispositions du traité en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services ne s'appliquent pas à des situations purement internes à un État membre telles que celles des ressortissants d'un État membre qui souhaitent exercer sur le territoire de cet État une profession libérale sans pouvoir se prévaloir d'avoir suivi précédemment une formation y afférente, ni l'avoir exercée, dans un autre État membre.

2) Les titulaires d'un diplôme de vétérinaire ne peuvent pas, vis-à-vis de l'État membre ayant délivré le diplôme en cause, se prévaloir de la directive 78/1026/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de vétérinaire et comportant des mesures destinées à faciliter l'exercice effectif du droit d'établissement et de libre prestation de services, ni de la directive 78/1027/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, visant à la
coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant les activités du vétérinaire.

3) Les directives 77/504/CEE du Conseil, du 25 juillet 1977, concernant les animaux de l'espèce bovine reproducteurs de race pure, et 87/328/CEE, du 18 juin 1987, relative à l'admission à la reproduction des bovins reproducteurs de race pure, ne s'opposent pas à une législation nationale qui octroie à des centres d'insémination ou à des personnes auxquelles sont délivrées des licences d'insémination et qui ne sont pas nécessairement titulaires du diplôme de vétérinaire le droit exclusif de
procéder à des inséminations.

4) L'article 37 du traité ne concerne pas un monopole de prestations de services, sauf si ce monopole écarte le principe de la libre circulation des marchandises en discriminant des produits importés au profit de produits d'origine nationale. »

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( *1 ) Langue originale: le danois.

( 1 ) JO L 362, respectivement p. 1 et 7.

( 2 ) JO L 206, p. 8, modifiée par la directive 91/174/CEE du Conseil, du 25 mars 1991, relative aux conditions zootechniques et généalogiques régissant la commercialisation d'animaux de race et modifiant les directives 77/504/CEE et 90/425/CEE (JO L 85, p. 37).

( 3 ) JO L 167, p. 54.

( 4 ) Voir, par exemple, arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a. (C-320/90, C-321/90 et C-322/90, pointo), et ordonnance du 26 avril 1993, Monin Automobiles (C-386/92, Rec. p. I-2049, point 6).

( 5 ) Voir arrêt du 16 juillet 1992, Lourenço Dias (C-343/90,Rec. p. I-4673, point 19) et ordonnance du 9 août 1994, La Pyramide (C-378/93, Rec. p. I-3999, point 13).

( 6 ) Voir, notamment, arrêt du 1er avril 1982, Holdijk e.a.(141/81, 142/81 et 143/81, Rec. p. 1299, point 6).

( 7 ) Voir ordonnances du 23 mars 1995, Saddik (C-458/93, Rec. p. I-511, point 13), et du 7 avril 1995, Grau Gomis e.a. (C-167/94, Rec. p. I-1023, point 10).

( 8 ) Voir, en dernier lieu, arrêt du 16 février 1995, Aubertin e.a. (C-29/94 à C-35/94, Rec. p. I-311, point 9).

( 9 ) Voir arrêt du 23 avril 1991, Höfner et Elser (C-41/90, Rec. p. I-1979, point 37).

( 10 ) JO L 101, p. 37.

( 11 ) Voir arrêt du 5 octobre 1994, Centre d'insémination de la Crespelle (C-323/93, Rec. p. I-5077).

( 12 ) 271/81, Rec, p. 2057.

( 13 ) Voir arrêt du 16 avril 1991, Eurim-Pharm (C-347/89, Rec. p. I-1747, points 14 à 17).

( 14 ) Voir arrêt du 14 novembre 1985, Neumann (299/84, Rec. p. 3663, point 12).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-17/94
Date de la décision : 13/07/1995
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Bergerac - France.

Insémination artificielle bovine - Monopole territorial d'exercice - Restrictions à l'exercice de la profession de vétérinaire.

Droit d'établissement

Libre prestation des services

Libre circulation des marchandises

Monopoles d'État à caractère commercial

Restrictions quantitatives

Législation vétérinaire

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Denis Gervais, Jean-Louis Nougaillon, Christian Carrard et Bernard Horgue.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Edward

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:245

Source

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