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11/05/1995 | CJUE | N°C-220/94

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Elmer présentées le 11 mai 1995., Commission des Communautés européennes contre Grand-Duché de Luxembourg., 11/05/1995, C-220/94


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHEAL B. ELMER

présentées le 11 mai 1995 ( *1 )

Introduction

1. Cette affaire en manquement concerne la transposition en droit luxembourgeois de la directive 92/44/CEE du Conseil, du 5 juin 1992, relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert aux lignes louées ( 1 ) (ci-après la « directive »). Aux termes de l'article 15 de la directive, les États membres devaient prendre, avant le 5 juin 1993, les mesures nécessaires pour se conformer à celle-ci et en informer immé

diatement la Commission.

Les observations des pa...

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHEAL B. ELMER

présentées le 11 mai 1995 ( *1 )

Introduction

1. Cette affaire en manquement concerne la transposition en droit luxembourgeois de la directive 92/44/CEE du Conseil, du 5 juin 1992, relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert aux lignes louées ( 1 ) (ci-après la « directive »). Aux termes de l'article 15 de la directive, les États membres devaient prendre, avant le 5 juin 1993, les mesures nécessaires pour se conformer à celle-ci et en informer immédiatement la Commission.

Les observations des parties

2. Il n'est pas contesté en l'espèce que le grand-duché de Luxembourg n'a pas procédé, dans le délai imparti, à l'adoption de dispositions législatives ou similaires expresses constituant la transposition de la directive en droit luxembourgeois, ni que la législation concernant la fourniture d'infrastructures dans le secteur des télécommunications n'en est qu'au stade de projet à l'heure actuelle.

Selon le gouvernement luxembourgeois, cela ne constitue toutefois pas un manquement au traité, car il estime que toutes les mesures nécessaires pour assurer l'existence de procédures conformes à la directive ont été prises.

Le gouvernement luxembourgeois fonde en premier lieu ses moyens sur une analyse des règles applicables en la matière, à savoir la loi du 10 août 1992 ( 2 ) qui a transformé l'administration publique des postes et télécommunications en une entreprise privée, et le règlement grand-ducal du 29 juin 1993, entré en vigueur le 1er juillet 1993, annulant des règlements antérieurs relatifs aux conditions d'accès et de prestation pour les services de téléphonie vocale et de télégraphie. Le gouvernement
luxembourgeois fait état en outre des « conditions générales applicables aux services de télécommunications », établies par l'entreprise privée des postes et télécommunications et qui réglementent l'accès et la prestation pour les services téléphoniques et télégraphiques et indiquent les prix des prestations fournies.

3. La Commission fait valoir au contraire, sur la base d'un examen des différentes dispositions de la directive, que cette dernière n'a pas été transposée en droit luxembourgeois, ou ne l'a pas été correctement. Les « conditions générales applicables aux services de télécommunications » ont été fixées par une entreprise privée et ne sauraient remplacer une législation accordant aux particuliers des droits à l'égard de l'entreprise privée. Elle ajoute que lesdites conditions générales manquent dans
une large mesure de la clarté et de la précision nécessaires pour assurer le respect de la directive et, notamment, créer un système transparent, comme l'exige la directive.

Prise de position

4. Conformément à l'article 189, troisième alinéa, du traité CE, une directive lie les États membres quant aux résultats à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.

En ce sens, la Cour a établi dans une jurisprudence constante que l'article 189, troisième alinéa, du traité n'impose pas nécessairement une reprise formelle et textuelle des dispositions d'une directive dans des dispositions légales expresses et spécifiques. En fonction du contenu de la directive, il peut suffire d'un contexte juridique général, dès lors que celui-ci assure effectivement la pleine application de la directive, d'une façon suffisamment claire et précise, afin que, lorsque la
directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et de s'en prévaloir, le cas échéant, devant les juridictions nationales ( 3 ).

La Cour a en outre constaté que de simples pratiques administratives, ou des communications par notes ou circulaires administratives, qui peuvent être modifiées librement par l'administration et qui ne sont pas publiées de manière suffisante, ne sauraient être considérées comme constituant une exécution correcte des obligations qui incombent, en vertu de l'article 189 du traité, aux États membres destinataires de la directive ( 4 ).

Dans son arrêt du 28 février 1991, Commission/Allemagne, précité ( 5 ), la Cour a en outre déclaré, en ce qui concerne la mise en œuvre de directives par de simples pratiques:

« ... la conformité d'une pratique avec les impératifs de protection d'une directive ne saurait constituer une raison de ne pas transposer cette directive dans l'ordre juridique interne par des dispositions susceptibles de créer une situation suffisamment précise, claire et transparente pour permettre aux particuliers de connaître leurs droits et de s'en prévaloir ».

La Cour a en outre constaté que:

« afin de garantir la pleine application des directives, en droit et non seulement en fait, les États membres doivent prévoir un cadre légal précis dans le domaine concerné ».

5. La directive 92/44 vise à créer des droits au profit des particuliers, puisqu'elle comporte par exemple des règles qui garantissent aux usagers l'accès à des informations sur les offres de lignes louées, des règles sur les conditions de fourniture qui doivent être publiées, les droits des utilisateurs en cas de résiliation de ces prestations, le droit à l'égalité de traitement en relation avec les conditions d'accès, les critères d'utilisation, etc., l'exigence d'un contrôle public, les principes
de calcul des redevances ainsi qu'une procédure de conciliation. Il faut donc, précisément par la transposition de la directive en droit luxembourgeois, que les usagers des lignes louées à Luxembourg soient mis en mesure d'avoir pleine connaissance des droits institués par la directive et puissent, le cas échéant, s'en prévaloir devant une juridiction nationale.

6. Le gouvernement luxembourgeois a annulé les règles antérieures en matière de télécommunications, mais, au lieu d'arrêter lui-même de nouvelles dispositions conformes à la directive, il a laissé à l'entreprise privée des postes et télécommunications le soin de fixer les règles en la matière, au moyen de conditions générales d'exploitation et d'une liste de prix. Le gouvernement luxembourgeois a ainsi omis en fait d'instituer une quelconque réglementation dans ce domaine et s'en est totalement
remis à une entreprise privée pour la fixation des conditions d'exploitation, etc., de cette dernière.

7. Certes, le capital de l'entreprise appartient à l'État luxembourgeois ( 6 ) et le conseil de l'entreprise se compose de douze membres nommés par le Grand-Duc sur proposition du gouvernement. Six de ces membres représentent l'État, deux d'entre eux sont des usagers ou des experts du secteur des télécommunications et quatre membres représentent le personnel ( 7 ). Les délibérations du conseil sont prises à la majorité simple et, en cas d'égalité des voix, celle du président, nommé parmi les
représentants de l'État, est prépondérante ( 8 ).

Le ministre compétent surveille les activités de l'entreprise et, conformément à l'article 23 de la loi du 10 août 1992, il doit dans certains cas approuver les décisions du conseil. Cet article ne prévoit toutefois pas que le ministre approuve les décisions du conseil fixant les conditions générales d'exploitation et les listes de prix.

8. Même si le ministre luxembourgeois compétent exerce une surveillance générale des activités de l'entreprise des postes et télécommunications et s'assure dans ce contexte qu'elle respecte les exigences du droit communautaire en la matière, et même si l'on devait supposer que l'État luxembourgeois cherche, par l'intermédiaire de ses représentants au sein du conseil de l'entreprise, à s'assurer que les conditions générales d'exploitation de l'entreprise et les listes de prix y sont conformes, nous
ne sommes pas d'avis que cela répond aux conditions fixées par la Cour, dans sa jurisprudence, pour pouvoir estimer qu'une directive a été correctement transposée. En effet, selon nous, le grand-duché de Luxembourg n'a pas créé, par là, le cadre légal précis susceptible d'assurer l'application de la directive et la situation juridique suffisamment précise, claire et transparente permettant aux particuliers de connaître leurs droits et de s'en prévaloir.

Même si les membres du conseil sont choisis par l'administration, il faut d'ailleurs bien savoir que, dans l'exercice de leurs fonctions, les membres de la direction d'une entreprise privée doivent tenir compte exclusivement, ou au moins en tout premier lieu, des intérêts de l'entreprise. Dans la mesure où le droit communautaire institue des règles de protection des intérêts des interlocuteurs de l'entreprise, il est particulièrement clair que la transposition d'une directive ne saurait être
laissée au bon vouloir d'une entreprise privée, même si c'est l'administration qui a pu sélectionner les membres de la direction.

On ne peut ainsi pas considérer que la reprise des dispositions de la directive dans les conditions générales en matière de contrats et la liste de prix en ce qui concerne les prestations offertes, lesquelles conditions et liste émanent de l'entreprise privée des postes et télécommunications, constitue une transposition correcte de la directive, car l'État luxembourgeois n'a pas créé les bases juridiques nécessaires à l'application de la directive. En effet, aucune loi ni disposition
réglementaire, dont les citoyens pourraient se prévaloir, n'impose à l'entreprise privée l'obligation de respecter les exigences de la directive dans les conditions générales et dans la liste de prix.

9. Venons-en maintenant à l'examen, sur la base de ces remarques générales, de la transposition en droit luxembourgeois des différents articles de la directive.

Les articles 3 et 4

10. L'article 3 de la directive impose aux États membres d'assurer qu'une série d'informations, spécifiées en détail, concernant les offres de lignes louées sont publiées de telle manière que les utilisateurs y aient aisément accès. Par exemple, les informations concernant les modifications des offres existantes et les nouveaux types d'offres de lignes louées doivent être publiées deux mois, au plus tard, avant la mise en oeuvre de l'offre. L'article 4 précise les informations sur les conditions de
fournitures qui doivent être publiées conformément à l'article 3; cela inclut les informations sur le délai de fourniture et le temps de réparation types.

11. L'article 7, paragraphe 4, de la loi luxembourgeoise du 10 août 1992 dispose:

« Les conditions générales des contrats offerts par l'entreprise, conditions fixées et révisables par le conseil, sont publiées par l'entreprise. Les références aux publications et à leurs modifications sont insérées au Memorial, Recueil administratif et économique au moins six jours francs avant la mise en vigueur. »

Par cette disposition de la loi, le grand-duché de Luxembourg s'est assuré que l'entreprise privée des postes et télécommunications publie un recueil des conditions générales des contrats et qu'il soit fait état de cette publication dans le journal officiel luxembourgeois.

La loi ne prévoit toutefois pas de dispositions relatives aux informations qui doivent être comprises dans les conditions générales, puisque, on l'a vu, celles-ci sont fixées et révisables par le conseil de l'entreprise privée des postes et télécommunications, conformément à l'article 7, paragraphe 4, de la loi.

Comme une transposition des dispositions de la directive dans les conditions générales d'une entreprise privée ne peut pas, nous l'avons exposé ci-dessus, être considérée comme créant un cadre juridique suffisant, il n'est pas possible d'estimer que les articles 3 et 4 ont été correctement transposés.

12. L'insuffisance de la transposition de l'article 3 ressort en outre du fait que, conformément à l'article 14 des conditions générales, les modifications des prestations existantes doivent être publiées seulement six jours au moins avant leur mise en vigueur, alors que l'article 3, paragraphe 1, de la directive impose de les publier dès que possible et au plus tard deux mois avant la mise en oeuvre. De même, l'article 3, paragraphe 3, de la directive exige que les nouveaux types d'offres de lignes
louées soient publiés au plus tard deux mois avant la mise en œuvre de l'offre, mais il n'y a aucune disposition en ce sens dans les conditions générales.

13. Enfin, ces conditions générales ne comportent aucune information en ce qui concerne les délais de fourniture types, et l'article 12, paragraphe 1, des conditions générales concernant les temps de réparations se limite à indiquer que celles-ci sont effectuées dans les meilleurs délais.

L'article 5

14. L'article 5 impose le maintien pendant un délai raisonnable des offres existantes et la consultation des utilisateurs avant leur résiliation. Les États membres doivent en outre garantir que les utilisateurs puissent porter l'affaire devant l'autorité réglementaire nationale lorsqu'ils souhaitent contester une date de résiliation.

15. La loi du 10 août 1992 ne comporte pas de règles en ce qui concerne le maintien des offres et la consultation des usagers. L'article 6, paragraphes 4 à 7, des conditions générales contient en revanche des règles fixant les conditions dans lesquelles l'entreprise des postes et télécommunications peut mettre fin à des offres existantes. Ces articles ne comportent pas de dispositions imposant le maintien des offres existantes pendant un délai raisonnable ni la consultation des parties, avant leur
résiliation, et le gouvernement luxembourgeois ne s'est pas exprimé, dans son mémoire en défense, sur la façon dont cette partie de la directive aurait été transposée en droit luxembourgeois.

16. En ce qui concerne la possibilité de saisir l'autorité réglementaire nationale, la loi du 10 août 1992 prévoit, à son article 22, paragraphe 1:

« Le ministre compétent exerce la haute surveillance sur les activités d'intérêt général de l'entreprise... »

En ce qui concerne ce point, le gouvernement luxembourgeois a déclaré dans ses observations que si des clients « se sentent lésés, leur premier interlocuteur est le ministre de tutelle ».

Lors de l'audience, le gouvernement luxembourgeois a en outre indiqué qu'il est exact que, comme le dit la Commission, la règle de la directive concernant les possibilités de plainte n'avait pas été reprise dans la loi ou le règlement, mais qu'il existe à Luxembourg une pratique particulièrement libérale, qui permet à tous les citoyens de s'adresser au ministre compétent.

17. La formule figurant dans la loi du 10 août 1992, selon laquelle le ministre compétent exerce la surveillance sur les activités d'intérêt général de l'entreprise des postes et télécommunications, est si large et imprécise qu'elle ne peut être considérée, à notre avis, comme créant une certitude juridique suffisante que le grand-duché de Luxembourg a institué une possibilité, pour les utilisateurs du réseau ouvert, de saisir un organe de l'administration nationale de plaintes contre des décisions
d'interruption des services, et la formulation de la disposition ne met pas les usagers en mesure de savoir qu'un tel droit leur est offert.

En conséquence, conformément à la jurisprudence de la Cour selon laquelle il ne suffit pas, pour une application correcte d'une directive, que la pratique corresponde aux exigences de la directive, il convient de considérer comme établi que la simple existence d'une éventuelle pratique libérale quant aux possibilités de plaintes ne constitue pas, en ce qui concerne le grand-duché de Luxembourg, une application correcte de l'exigence posée à l'article 5 de la directive, concernant la possibilité
de soumettre à une autorité administrative nationale les questions relatives aux interruptions de services.

L'article 6

18. Conformément à l'article 6, les États membres assurent que les limitations de l'accès aux lignes louées ou de leur utilisation ne visent qu'à faire respecter les exigences essentielles, compatibles avec le droit communautaire, et sont imposées par les autorités réglementaires nationales par voie réglementaire; ils assurent également que les dispositions nationales pertinentes déterminent celles des exigences essentielles qui justifient ces restrictions. L'article 6, paragraphe 4, prescrit que
les conditions d'accès relatives à l'équipement terminal sont considérées comme remplies lorsque l'équipement terminal est conforme aux conditions d'agrément régissant sa connexion, fixées dans la directive 91/263/CEE, du 29 avril 1991 ( 9 ).

Dans son mémoire, le gouvernement luxembourgeois a fait valoir qu'une seule restriction a été retenue au Luxembourg, restriction inscrite à l'article 2, paragraphe 2, des conditions générales, selon laquelle:

« La demande d'accès aux services vaut acceptation implicite de contraintes éventuelles émanant d'une administration ou exploitation privée reconnue étrangère sur l'application desquelles l'entreprise n'a pas d'influence. »

Comme cette restriction ne figure que dans les conditions générales de l'entreprise privée des postes et télécommunications, l'exigence inscrite à l'article 6, paragraphe 1, de la directive, en ce sens que les restrictions sont imposées par les autorités réglementaires nationales par voie réglementaire, n'est pas respectée.

En ce qui concerne l'article 6, paragraphe 4, de la directive, relatif à l'accès aux équipements terminaux, la Commission a déclaré qu'elle n'avait encore reçu du Luxembourg aucune notification relative à la transposition de la directive 91/263 en droit luxembourgeois et qu'en conséquence elle avait saisi la Cour d'un recours à cet égard.

L'article 7

19. Il est prévu à l'article 7 que les États membres assurent que les organismes de télécommunications fournissent un ensemble minimal de lignes louées (voir l'annexe II de la directive).

Le gouvernement luxembourgeois a fait valoir que tous les services énumérés sont offerts et contenus dans la liste des prix de l'entreprise des postes et télécommunications.

Or, ni la loi luxembourgeoise du 10 août 1992, ni les conditions générales ne comportent de référence à l'obligation énoncée à l'article 7. Comme nous l'avons constaté ci-dessus, la reproduction de dispositions de la directive dans une liste de prix ne saurait être considérée comme une transposition correcte.

L'article 8

20. Aux termes de l'article 8, paragraphe 1, premier alinéa, les États membres doivent assurer que les procédures concernant des décisions fondées sur le non-respect présumé des conditions d'utilisation par les utilisateurs des lignes louées permettent d'aboutir à une solution dans le délai le plus court possible. Conformément à l'article 8, paragraphe 1, deuxième alinéa, ces procédures doivent être traitées de manière transparente et garantir le respect des droits des parties. En outre, les
décisions ne sont prises qu'une fois les deux parties entendues, elles doivent être motivées et notifiées aux parties dans la semaine suivant leur adoption et ne peuvent être appliquées avant leur notification.

Le gouvernement luxembourgeois a fait valoir que les procédures prévues dans les conditions générales sont conformes à ces critères.

Comme nous l'avons déjà dit, la mention de procédures dans les conditions générales ne peut toutefois être considérée comme une sécurité juridique suffisante pour le respect de ces dispositions de la directive et ne saurait donc constituer une transposition correcte de l'article 8, paragraphe 1.

21. Conformément à l'article 8, paragraphe 2, de la directive, les organismes de télécommunications doivent respecter le principe de non-discrimination lorsqu'ils utilisent le réseau public de télécommunications pour fournir des services qui sont ou peuvent être fournis également par d'autres prestataires de services.

Le Luxembourg n'a aucunement indiqué, au cours de la procédure, que l'obligation de suivre ce principe de non-discrimination était imposée à l'entreprise privée et, en l'absence de loi à cet égard, les particuliers ne disposent d'aucune possibilité de saisir les tribunaux d'infractions à ce principe.

22. Conformément à l'article 8, paragraphe 3, un organisme de télécommunications qui cherche à modifier ses conditions doit y être autorisé par l'autorité réglementaire nationale.

Les règles luxembourgeoises ne comportent aucune disposition à cet égard et le gouvernement luxembourgeois ne s'est pas exprimé sur le point de savoir si cette partie de l'article 8 a été transposée. En conséquence, il convient d'estimer que tel n'est pas le cas.

Article 9

23. L'article 9, paragraphe 1, impose aux États membres d'encourager la mise en place, au plus tard le 31 décembre 1992 et en consultation avec les utilisateurs, d'une procédure commune de commande, d'une procédure de commande unique et d'une procédure de facturation unique. Aux termes de l'article 9, paragraphe 2, les États membres font rapport à la Commission, un an après la mise en application de la directive, sur les résultats obtenus.

Dans son mémoire, le gouvernement luxembourgeois s'est borné à indiquer qu'une série d'agréments sont en phase de négociations. Toutefois, le représentant du gouvernement a déclaré lors de l'audience que le gouvernement luxembourgeois en avait fait état dans sa lettre du 30 mars 1994 à la Commission. La Commission a cependant indiqué dans le même cadre que la lettre en question, concernant les résultats à Luxembourg, ne semblait pas lui être parvenue et qu'une telle lettre ne saurait, le cas
échéant, remplacer un rapport.

Nous jugeons regrettable, pour l'instruction correcte de l'affaire et la possibilité de la Commission de modifier son recours, que le gouvernement luxembourgeois ait attendu l'audience pour faire valoir qu'il s'était acquitté de ses obligations, au titre de cette disposition, par une lettre du 30 mars 1994 qui n'avait pas été précédemment évoquée dans l'affaire. La lettre aurait dû être envoyée à la Commission et à la Cour avant l'audience, pour donner à la Commission la possibilité d'examiner
de plus près si elle avait reçu une telle lettre et également d'en commenter en détail le contenu.

A notre avis, l'arrêt ne doit pas tenir compte de cette lettre ( 10 ), la Cour n'ayant d'ailleurs reçu aucune information quant à sa teneur. Il convient donc de considérer comme établi que le grand-duché de Luxembourg ne s'est pas acquitté de son obligation, prévue à l'article 9, paragraphe 2, d'adresser un rapport à la Commission.

L'article 10

24. Il résulte de l'article 10, paragraphe 1, que les États membres doivent assurer que les tarifs des lignes louées respectent les principes fondamentaux d'orientation en fonction des coûts et de transparence, et ce conformément à une série de règles énoncées de manière spécifique. Aux termes de ľ article 10, paragraphe 2, les États membres assurent que leurs organismes de télécommunications formulent et mettent en pratique, au plus tard le 31 décembre 1993, un système de comptabilisation des coûts
et, selon l'article 10, paragraphe 3, les systèmes de comptabilisation des coûts appliqués doivent être tenus à disposition sous une forme suffisamment détaillée.

Le gouvernement luxembourgeois a fait valoir que les règles énoncées à l'article 10, paragraphe 1, sont respectées dans la liste des prix des prestations offertes et que les principes énumérés à l'article 10, paragraphe 2, sont respectés dans la comptabilité commerciale mise en place en 1993, le premier bilan de l'entreprise devant être disponible sous peu. Des difficultés d'ordre interne ont empêché jusqu'ici le respect de l'article 10, paragraphe 3, mais le gouvernement luxembourgeois estime
que cela ne devrait plus poser de problèmes à l'avenir.

Toutefois, la loi portant création de l'entreprise privée des postes et télécommunications ne fait pas état des principes figurant à l'article 10, paragraphes 1 et 2.

Même si l'on part de la prémisse que les principes énoncés dans la directive sont respectés dans la liste de prix, comme le prétend le gouvernement luxembourgeois, cela ne revient pas, selon nous et comme nous l'avons dit, à respecter les exigences posées par la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne la base juridique qui doit assurer l'entière application de la directive, de manière suffisamment claire et précise pour permettre aux utilisateurs des lignes louées de connaître pleinement
leurs droits.

Comme les règles luxembourgeoises ne mettent pas les utilisateurs de lignes louées en mesure de connaître les principes de calcul des taxes, l'exigence de la directive, selon laquelle les taxes doivent être transparentes, n'est pas respectée elle non plus.

25. En ce qui concerne l'argument du gouvernement luxembourgeois en ce sens que l'article 10, paragraphe 3, n'a pas pu être respecté en raison de difficultés dans l'ordre juridique interne, il est de jurisprudence constante de la Cour ( 11 ) qu'un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne, pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des normes du droit communautaire.

L'article 11

26. Conformément à l'article 11, paragraphe 1, les États membres notifient à la Commission, avant le 1er janvier 1993, le nom de l'autorité réglementaire nationale qui s'acquitte des tâches administratives prévues par la directive et, aux termes de l'article 11, paragraphe 2, cette autorité réglementaire élabore et envoie à la Commission, au moins chaque année civile, des rapports concernant la manière selon laquelle les conditions de fourniture définies à l'article 3 ont été satisfaites.

La Commission a indiqué à cet égard qu'elle n'avait pas reçu, avant le 1er janvier 1993, d'informations sur le nom de cette autorité réglementaire nationale conformément à l'article 11, paragraphe 1, de même qu'elle n'avait pas reçu les rapports prescrits à l'article 11, paragraphe 2.

Lors de l'audience, le gouvernement luxembourgeois a admis qu'il n'avait pas respecté l'obligation inscrite à l'article 11, paragraphe 1, et, en ce qui concerne l'article 11, paragraphe 2, il a fait état à nouveau de difficultés dans son ordre juridique interne, l'ayant empêché de respecter son obligation. Comme nous l'avons dit ci-dessus, au point 25, cet argument ne saurait être accueilli.

Il convient donc de conclure que le grand-duché de Luxembourg n'a pas respecté les obligations que lui impose l'article 11 de la directive.

L'article 12

27. Enfin, l'article 12 de la directive introduit une procédure de conciliation sous la direction du président du comité ONP. Dans son mémoire en défense, le gouvernement luxembourgeois a fait valoir que la procédure prescrite à l'article 12 correspond à la pratique utilisée à Luxembourg, mais ni la loi du 10 août 1992, ni les conditions générales ne se réfèrent toutefois à une telle procédure.

Comme nous l'avons dit ci-dessus, le fait que, dans un État, la pratique correspond aux exigences de la directive, ne saurait constituer une transposition suffisante de la directive: l'article 12 ne peut donc pas être considéré comme correctement transposé.

Résumé

28. Cet examen des lacunes dans la transposition des différentes dispositions de la directive en droit luxembourgeois conduit à conclure qu'on ne peut pas estimer que le grand-duché de Luxembourg a correctement transposé dans son ordre juridique national les articles 3, 4 et 5, l'article 6, paragraphe 1, l'article 7, l'article 8, paragraphes 1 et 3, ainsi que les articles 9 à 12 de la directive.

Les dépens

29. La Commission a conclu à ce que le grand-duché de Luxembourg soit condamné aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens lorsqu'il est conclu en ce sens.

Conclusions

30. Nous proposons donc à la Cour de prononcer l'arrêt suivant:

— En s'abstenant d'adopter dans le délai fixé les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 92/44/CEE du Conseil, du 5 juin 1992, relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert aux lignes louées, le grand-duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 189, troisième alinéa, du traité CE et de l'article 15 de ladite directive.

— Le grand-duché de Luxembourg est condamné aux dépens.

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( *1 ) Langue originale: le danois.

( 1 ) JO L 165, p. 27.

( 2 ) Publiée au Memorial A, p. 2006.

( 3 ) Voir par exemple l'arrêt du 28 février 1991, Commission/Allemagne (C-131/88, Rec. p. I-825), et l'arrêt du 30 mai 1991, Commission/Allemagne (C-361/88, Rec. p. I-2567).

( 4 ) Voir par exemple l'arrêt du 28 février 1991, Commission/ Allemagne, précité note 3.

( 5 ) Ainsi que dans l'arrêt du 30 mai 1991, Commission/ Allemagne, précité note 3.

( 6 ) Voir la loi du 10 août 1992, article 30.

( 7 ) Voir l'article 8 de la loi du 10 août 1992.

( 8 ) Voir l'article 9 de la loi du 10 août 1992.

( 9 ) Directive 91/263/CEE du Conseil, du 29 avril 1991, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux équipements terminaux de télécommunications, incluant la reconnaissance mutuelle de leur conformité (JO L 128, p. 1).

( 10 ) Voir sur ce point l'article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure.

( 11 ) Entre autres, arrêts du 19 février 1991, Commission/Belgique (C-374/89, Rec. p. I-367), et du 25 juillet 1991, Commission/Luxembourg (C-252/89, Rec. p. I-3973).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-220/94
Date de la décision : 11/05/1995
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement - Directive 92/44/CEE - Télécommunications - Fourniture d'un réseau ouvert aux lignes louées.

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Grand-Duché de Luxembourg.

Composition du Tribunal
Avocat général : Elmer
Rapporteur ?: Edward

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1995:138

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