La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

05/10/1994 | CJUE | N°C-165/91

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour du 5 octobre 1994., Simon J. M. van Munster contre Rijksdienst voor Pensioenen., 05/10/1994, C-165/91


Avis juridique important

|

61991J0165

Arrêt de la Cour du 5 octobre 1994. - Simon J. M. van Munster contre Rijksdienst voor Pensioenen. - Demande de décision préjudicielle: Arbeidshof Antwerpen - Belgique. - Sécurité sociale - Libre circulation des travailleurs - Egalité entre hommes et femmes - Pension de retraite

- Majoration pour conjoint à charge. - Affaire C-165/91.
Recueil de ...

Avis juridique important

|

61991J0165

Arrêt de la Cour du 5 octobre 1994. - Simon J. M. van Munster contre Rijksdienst voor Pensioenen. - Demande de décision préjudicielle: Arbeidshof Antwerpen - Belgique. - Sécurité sociale - Libre circulation des travailleurs - Egalité entre hommes et femmes - Pension de retraite - Majoration pour conjoint à charge. - Affaire C-165/91.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-04661

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Politique sociale ° Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ° Directive 79/7 ° Dérogation admise en matière de droits à prestations au titre des droits dérivés de l' épouse ° Législation nationale tenant compte, pour la fixation du montant de la pension de vieillesse, de l' existence d' un droit propre du conjoint à une telle pension ° Admissibilité

[Traité CEE, art. 48 à 51; directive du Conseil 79/7, art. 4, § 1, et 7, § 1, sous c)]

2. Sécurité sociale des travailleurs migrants ° Dispositions du traité ° Législation nationale aboutissant, dans le cas des travailleurs migrants, à des résultats en contradiction avec leur objectif ° Obligations des juridictions nationales

(Traité CEE, art. 5, 48 et 51)

Sommaire

1. Ni le droit communautaire relatif à la libre circulation des travailleurs, en particulier les articles 48 et 51 du traité, ni l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ne s' opposent à une législation nationale, s' appliquant sans considération de nationalité, qui prévoit le droit à une pension au "taux de ménage" dans le cas où le conjoint du travailleur
a cessé toute activité professionnelle et ne jouit pas d' une pension de retraite ou d' un avantage en tenant lieu, mais qui applique seulement le "taux d' isolé", moins avantageux, dans le cas où le conjoint du travailleur jouit d' une pension ou d' un avantage en tenant lieu.

2. En procédant à la qualification, aux fins de l' application d' une disposition de son droit interne, d' une prestation de sécurité sociale accordée sous le régime législatif d' un autre État membre, le juge national qui, en tant qu' autorité nationale, doit, en vertu de l' article 5 du traité, mettre en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour réaliser le but de l' article 48 du traité, est tenu d' interpréter sa propre législation à la lumière des objectifs des articles 48 à 51 du traité et
d' éviter dans toute la mesure du possible que son interprétation soit de nature à dissuader le travailleur migrant d' exercer effectivement son droit à la libre circulation.

Cette obligation se présente dans une situation où le travailleur migrant risque de perdre un avantage de sécurité sociale du fait que, compte tenu de la carrière qu' il a accomplie, il est soumis, dans un État membre, à un régime de pensions dans lequel il ne peut prétendre à une pension à un taux majoré qu' à la condition que son conjoint ne bénéficie pas lui-même d' une pension de vieillesse ou d' un avantage en tenant lieu et, dans un autre État membre, à un régime de pensions dans lequel le
conjoint inactif du travailleur ouvre droit à un supplément de pension tant qu' il n' a pas lui-même atteint l' âge de la retraite mais, une fois cet âge atteint, se voit conférer un droit propre à pension, auquel il ne peut renoncer, sans que pour autant le revenu global du couple en soit augmenté.

Parties

Dans l' affaire C-165/91,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par l' Arbeidshof te Antwerpen (Belgique) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Simon J. M. van Munster

et

Rijksdienst voor Pensioenen,

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 3, sous c), 48 et 51 du traité CEE, de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO L 6, p. 24), et de toutes autres dispositions que la Cour jugerait applicables en l' espèce,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, M. Diez de Velasco et D. A. O. Edward (rapporteur), présidents de chambre, C. N. Kakouris, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. M. Darmon,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

considérant les observations écrites présentées:

° pour le Rijksdienst voor Pensioenen, par M. R. Masyn, administrateur général, en qualité d' agent,

° pour le gouvernement belge, par MM. G. Mottard, ministre des Pensions, et P. Rietjens, conseiller au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agents,

° pour le gouvernement néerlandais, par M. B. R. Bot, secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. B. J. Drijber, membres du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de M. van Munster, du gouvernement néerlandais, représenté par M. T. Heukels, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent, et de la Commission des Communautés européennes à l' audience du 22 octobre 1992,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 14 janvier 1993,

vu l' ordonnance de réouverture des débats du 7 février 1994,

considérant les réponses apportées aux questions écrites de la Cour:

° pour le Rijksdienst voor Pensioenen, par M. W. De Meyer, administrateur général adjoint, en qualité d' agent,

° pour le gouvernement néerlandais, par M. A. Bos, conseiller juridique au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent,

° pour le gouvernement allemand, par M. E. Roeder, Ministerialrat au ministère fédéral de l' Économie, en qualité d' agent,

° pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme S. L. Hudson, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d' agent, assistée de M. N. Paines, barrister,

° pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. B. J. Drijber,

ayant entendu les observations orales du Rijksdienst voor Pensioenen, représenté par M. J. C. A. De Clerck, conseiller adjoint, en qualité d' agent, du gouvernement néerlandais, représenté par M. J. W. de Zwaan, conseiller juridique adjoint au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme E. Sharpston, barrister, et de la Commission des Communautés européennes, représentée par Mme K. Banks, MM. B. J. Drijber et P. Altmaier, administrateur,
en qualité d' expert, à l' audience du 12 avril 1994,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 28 juin 1994,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par arrêt du 19 juin 1991, parvenu à la Cour le 26 juin suivant, l' Arbeidshof te Antwerpen a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles portant sur l' interprétation des articles 3, sous c), 48 et 51 du traité CEE, de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO L 6, p. 24), et de
toutes autres dispositions que la Cour jugerait applicables en l' espèce.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige opposant M. van Munster au Rijksdienst voor Pensioenen (ci-après l' "Office national belge des pensions"), organisme belge de sécurité sociale, au sujet de la détermination de sa pension de retraite.

3 M. van Munster, de nationalité néerlandaise, a exercé une activité salariée aux Pays-Bas pendant 37 ans et en Belgique pendant 8 ans, et a, dans chacun de ces deux États membres, obtenu une pension de retraite liquidée en application des seules règles de l' État concerné. L' épouse de l' intéressé n' a jamais exercé d' activité salariée pendant ces deux périodes.

4 Aux Pays-Bas, la Sociale Verzekeringsbank (ci-après la "caisse néerlandaise d' assurance sociale") a accordé à M. van Munster, à compter du 1er octobre 1985, une pension de vieillesse conformément aux dispositions de l' Algemene Ouderdomswet (loi générale sur l' assurance vieillesse, ci-après l' "AOW").

5 En vertu de l' AOW, dans sa version entrée en vigueur le 1er avril 1985, toute personne mariée acquiert, lorsqu' elle atteint l' âge de 65 ans, un droit à une pension personnelle correspondant à 50 % du salaire minimal net. Lorsque son conjoint est inactif et n' a pas encore atteint l' âge de 65 ans, cette pension est majorée d' un supplément qui peut également atteindre 50 % du salaire minimal net. Si la personne n' a pas de conjoint, sa pension s' élève à 70 % du salaire minimal net. Le
bénéficiaire ne peut pas renoncer à ces prestations.

6 La caisse néerlandaise d' assurance sociale a ainsi accordé à M. van Munster une pension de vieillesse sur la base de 100 % du salaire minimal net, 50 % à titre de personne mariée et 50 % en raison du fait que son épouse n' avait pas encore atteint l' âge de 65 ans à la date de la décision.

7 En Belgique, l' Office national belge des pensions a, à compter du 1er novembre 1985, également accordé une pension de retraite à M. van Munster.

8 Selon l' article 10, paragraphe 1, de l' arrêté royal belge n 50, du 24 octobre 1967, tel que modifié, le droit à une pension est acquis, par année civile, à raison d' une fraction des rémunérations brutes réelles, fictives et forfaitaires, prises en considération à concurrence de 75 %, si le conjoint du travailleur a cessé toute activité professionnelle et ne jouit d' aucune pension de retraite ou avantage en tenant lieu ("taux de ménage"), et à concurrence de 60 % dans les autres cas ("taux d'
isolé"). Sous ce régime, le conjoint inactif a le droit de renoncer à toute "pension de retraite ou avantage en tenant lieu" pour permettre au travailleur retraité de bénéficier du "taux de ménage".

9 Mme van Munster n' étant personnellement bénéficiaire d' aucune prestation, le montant de la pension belge de M. van Munster a été calculé sur la base du "taux de ménage", en tenant compte de la période de 8 ans pendant laquelle il avait exercé une activité salariée en Belgique.

10 Le 10 octobre 1987, date à laquelle Mme van Munster a atteint l' âge de 65 ans, la caisse néerlandaise d' assurance sociale lui a accordé, conformément aux dispositions de l' AOW, une pension de vieillesse autonome, calculée sur la base de 50 % du salaire minimal net. Corrélativement, M. van Munster s' est vu retirer par l' institution néerlandaise la majoration de pension qui lui avait été attribuée jusque-là. Les ressources globales du ménage n' ont donc pas été augmentées en raison de la
pension ainsi accordée à Mme van Munster.

11 Toutefois, ayant été informé de l' octroi à Mme van Munster d' une pension personnelle de vieillesse par la caisse néerlandaise d' assurance sociale, l' Office national belge des pensions a, par décision du 2 février 1988, réduit, à compter du 1er octobre 1987, le montant de la pension de retraite allouée à son époux, en appliquant le "taux d' isolé", et non le "taux de ménage", et ce en raison du fait que, aux termes de la législation belge, Mme van Munster percevait "une pension de retraite ou
un avantage en tenant lieu".

12 Saisi d' un recours introduit par M. van Munster contre la décision de l' Office national belge des pensions de réduire sa pension de retraite, l' Arbeidshof te Antwerpen a décidé de surseoir à statuer jusqu' à ce que la Cour de justice ait répondu aux questions préjudicielles suivantes:

"1) Une disposition de droit national (telle que l' article 10, paragraphe 1, de l' arrêté royal n 50 du 24 octobre 1967, relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés), qui attache à l' octroi d' une pension versée à une personne en sa qualité de conjoint inactif des conséquences différentes selon que cette pension est accordée sous la forme d' une augmentation de la pension du conjoint actif ou sous la forme d' une pension personnelle attribuée au conjoint inactif (telle
que la pension accordée depuis le 1er avril 1985 à la femme mariée en vertu de l' Algemene Ouderdomswet néerlandaise), est-elle compatible avec le droit communautaire, à savoir le traité instituant la Communauté économique européenne du 25 mars 1957, le principe de la libre circulation des travailleurs, énoncé en particulier aux articles 3, lettre c), 48, paragraphe 1, et suivants, et 51, le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes, énoncé plus particulièrement dans la directive
79/7 du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, en particulier son article 4, paragraphe 1?

2) Une pension accordée au conjoint inactif (conformément à l' Algemene Ouderdomswet néerlandaise, plus particulièrement depuis le 1er avril 1985) présente-t-elle des caractéristiques spécifiques telles qu' à la lumière du droit communautaire, plus particulièrement les règles citées dans la première question, il est justifié de la traiter autrement que la pension accordée sous la forme d' une augmentation de la pension pour cause de conjoint à charge (pension au taux de ménage, telle qu' elle est
prévue par la législation belge en matière de pension des travailleurs salariés)?"

13 Par ses deux questions, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la compatibilité avec le droit communautaire, d' une part, d' une disposition législative de droit national telle que l' article 10, paragraphe 1, de l' arrêté royal belge n 50 et, d' autre part, de son application concrète à une situation telle que celle des époux van Munster.

Sur la première question

14 Par la première question, le juge national demande en substance si le droit communautaire et, plus particulièrement, les articles 48 et 51 du traité ainsi que l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 s' opposent à une législation nationale qui prévoit le droit à une pension au "taux de ménage" dans le cas où le conjoint du travailleur a cessé toute activité professionnelle et ne jouit pas d' une pension de retraite ou d' un avantage en tenant lieu, mais qui applique seulement le "taux d'
isolé", moins avantageux, dans le cas où le conjoint du travailleur jouit d' une pension ou d' un avantage en tenant lieu.

15 Il convient d' abord de relever que l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 introduit le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes dans le domaine du calcul des prestations de sécurité sociale, y compris les majorations dues au titre du conjoint. C' est pour être en conformité avec cette disposition et donner la plus large application possible au principe de l' égalité que l' AOW a été modifiée. La législation belge, quant à elle, n' a pas subi de modification en ce
sens.

16 Il importe toutefois d' observer que l' adaptation de l' AOW n' était pas imposée par la directive 79/7. Il résulte en effet du libellé même de l' article 7, paragraphe 1, sous c), que les États membres sont autorisés à exclure du champ d' application de cette directive l' octroi de droits à des prestations de vieillesse au titre des droits dérivés de l' épouse.

17 Il s' ensuit que le principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes, tel qu' énoncé dans la directive 79/7, ne s' oppose pas à ce qu' un État membre n' applique pas à la pension d' un travailleur retraité le "taux de ménage", prévu par sa législation pour les personnes ayant leur conjoint à charge, dans le cas où ce conjoint a droit, en son nom propre, à une pension de retraite.

18 Pour ce qui concerne la libre circulation des travailleurs, il convient de rappeler que l' article 51 du traité laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des divers États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent. Les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale des États membres ne sont donc pas touchées par l' article 51 du traité (voir arrêt du 7 février 1991, Roenfeldt, C-227/89, Rec. p. I-323, point
12).

19 En l' occurrence, la disposition litigieuse de la législation belge s' applique indistinctement aux nationaux et aux ressortissants des autres États membres. Elle ne saurait donc être considérée comme constituant en elle-même une entrave à la libre circulation des travailleurs.

20 Il s' ensuit que ni le droit communautaire relatif à la libre circulation des travailleurs, en particulier les articles 48 et 51 du traité, ni l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 ne s' opposent à une législation nationale qui prévoit le droit à une pension au "taux de ménage" dans le cas où le conjoint du travailleur a cessé toute activité professionnelle et ne jouit pas d' une pension de retraite ou d' un avantage en tenant lieu, mais qui applique seulement le "taux d' isolé", moins
avantageux, dans le cas où le conjoint du travailleur jouit d' une pension ou d' un avantage en tenant lieu.

Sur la seconde question

21 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si et comment, en procédant à la qualification, aux fins de l' application d' une disposition de son droit interne, telle que l' article 10, paragraphe 1, de l' arrêté royal n 50, d' une prestation de sécurité sociale accordée sous le régime législatif d' un autre État membre, telle que la prestation accordée à Mme van Munster, le juge national est tenu d' interpréter sa propre législation à la lumière des règles du droit
communautaire qu' il cite.

22 Afin de mieux cerner la nature du problème posé par cette seconde question, il y a lieu de souligner divers aspects spécifiques de la situation en cause.

23 En premier lieu, le ressortissant communautaire concerné a acquis le droit à une pension de retraite dans deux États membres, après avoir accompli la plus grande partie (à peu près 37/45) de sa carrière professionnelle dans l' un de ces deux États. En revanche, le conjoint de ce travailleur retraité n' a jamais exercé d' activité professionnelle et n' a donc pas acquis, en tant que travailleur, le droit à une pension.

24 En deuxième lieu, dans l' un des deux États membres concernés, la pension du travailleur est calculée sur la base des rémunérations réelles, fictives ou forfaitaires à un taux plus élevé, lorsque son conjoint est inactif et n' a pas droit, en son nom propre, à "une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu".

25 En troisième lieu, comme il ressort déjà du point 15 du présent arrêt, l' autre État membre concerné a, pour être fidèle à l' esprit de la directive 79/7, modifié la méthode de paiement de ses pensions en accordant à chaque conjoint, à l' âge de sa retraite, une pension d' un montant égal. Cette pension est subordonnée à la condition que l' intéressé ait résidé dans cet État, mais non qu' il y ait exercé une activité professionnelle. L' intéressé ne peut pas renoncer à cette pension.

26 En quatrième lieu, l' octroi, dans ce second État, d' une pension personnelle à chacun des deux conjoints qui ont atteint l' âge de 65 ans laisse inchangé le montant total des revenus perçus par le couple par rapport à ceux que deux conjoints de plus de 65 ans percevaient avant la réforme, le 1er avril 1985, du régime de l' AOW.

27 S' il est vrai que, comme il a déjà été relevé au point 18, l' article 51 du traité laisse subsister des différences entre les régimes de sécurité sociale des divers États membres et, en conséquence, dans les droits des personnes qui y travaillent, il est toutefois constant que le but des articles 48 à 51 du traité ne serait pas atteint si, par suite de l' exercice de leur droit à la libre circulation, les travailleurs migrants devaient perdre des avantages de sécurité sociale que leur assure la
législation d' un État membre. Une telle conséquence pourrait en effet dissuader le travailleur communautaire d' exercer son droit à la libre circulation et constituerait, dès lors, une entrave à cette liberté (voir arrêt du 4 octobre 1991, Paraschi, C-349/87, Rec. p. I-4501, point 22).

28 S' agissant de pensions de retraite telles que celles dont il est question dans le litige au principal, il y a lieu de relever que tant le travailleur migrant que le travailleur qui a accompli l' ensemble de sa carrière professionnelle dans un seul et même État (ci-après le "travailleur sédentaire") acquièrent leurs droits à pension progressivement tout au long de leur carrière.

29 La seule différence entre l' un et l' autre est que le travailleur sédentaire acquiert la totalité de ses droits à pension en application d' une seule et même législation, tandis que le travailleur migrant les acquiert par tranches correspondant aux périodes de travail successives qu' il a accomplies dans divers États membres sous des régimes législatifs différents. Dans de telles situations, l' article 51 du traité vise à réaliser, par la voie de la coordination plutôt que par celle de l'
harmonisation, l' unité de carrière, en matière de sécurité sociale, du travailleur migrant.

30 En l' espèce, il apparaît que l' application d' une législation nationale au travailleur migrant, opérée de la même façon qu' au travailleur sédentaire, produit des répercussions imprévues et peu compatibles avec le but des articles 48 à 51 du traité, liées précisément au fait que les droits à pension du travailleur migrant sont régis par deux législations différentes.

31 Ces différences résident dans le fait que l' un des deux régimes de retraite prévoit un taux de pension plus élevé pour les travailleurs dont le conjoint ne bénéficie pas d' une pension de retraite ou d' un avantage en tenant lieu, étant entendu qu' une telle pension ou avantage augmente les ressources globales du couple et qu' elle est, en tout cas, susceptible de renonciation, alors que l' autre régime, dans la même situation, accorde à chaque conjoint, à l' âge de la retraite, une pension, non
susceptible de renonciation, d' un montant égal, sans que cela suppose une quelconque augmentation des ressources globales du couple.

32 Face à une telle divergence de législations, le principe de coopération loyale énoncé à l' article 5 du traité CEE oblige les autorités compétentes des États membres à mettre en oeuvre tous les moyens dont elles disposent pour réaliser le but de l' article 48 du traité.

33 Cette obligation implique que ces autorités vérifient si leur législation peut être appliquée littéralement au travailleur migrant et de la même manière qu' à un travailleur sédentaire, sans que cette application débouche sur la perte d' un avantage de sécurité sociale pour ce travailleur migrant et qu' elle soit dès lors de nature à le dissuader d' exercer effectivement son droit à la libre circulation.

34 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler qu' il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi interne qu' elle doit appliquer, dans toute la mesure possible, une interprétation conforme aux exigences du droit communautaire (voir arrêt du 4 février 1988, Murphy e.a., 157/86, Rec. p. 673, point 11, et, en ce sens également, arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91/92, non encore publié au Recueil, point 26).

35 Il convient dès lors de répondre à la seconde question que, en procédant à la qualification, aux fins de l' application d' une disposition de son droit interne, d' une prestation de sécurité sociale accordée sous le régime législatif d' un autre État membre, le juge national est tenu d' interpréter sa propre législation à la lumière des objectifs des articles 48 à 51 du traité et d' éviter dans toute la mesure du possible que son interprétation soit de nature à dissuader le travailleur migrant d'
exercer effectivement son droit à la libre circulation.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

36 Les frais exposés par les gouvernements belge, allemand, néerlandais et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par l' Arbeidshof te Antwerpen, par arrêt du 19 juin 1991, dit pour droit:

1) Le droit communautaire, en particulier les articles 48 et 51 du traité CEE ainsi que l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ne s' oppose pas à une législation nationale qui prévoit le droit à une pension au "taux de ménage" dans le cas où le conjoint du travailleur a cessé toute activité professionnelle et ne jouit
pas d' une pension de retraite ou d' un avantage en tenant lieu, mais qui applique seulement le "taux d' isolé", moins avantageux, dans le cas où le conjoint du travailleur jouit d' une pension ou d' un avantage en tenant lieu tels que la pension accordée à Mme van Munster par l' Algemene Ouderdomswet.

2) En procédant à la qualification, aux fins de l' application d' une disposition de son droit interne, d' une prestation de sécurité sociale accordée sous le régime législatif d' un autre État membre, le juge national est tenu d' interpréter sa propre législation à la lumière des objectifs des articles 48 à 51 du traité CEE et d' éviter dans toute la mesure du possible que son interprétation soit de nature à dissuader le travailleur migrant d' exercer effectivement son droit à la libre circulation.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-165/91
Date de la décision : 05/10/1994
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arbeidshof Antwerpen - Belgique.

Sécurité sociale - Libre circulation des travailleurs - Egalité entre hommes et femmes - Pension de retraite - Majoration pour conjoint à charge.

Libre circulation des travailleurs

Sécurité sociale des travailleurs migrants

Politique sociale


Parties
Demandeurs : Simon J. M. van Munster
Défendeurs : Rijksdienst voor Pensioenen.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Edward

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:359

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award