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10/03/1994 | CJUE | N°C-132/93

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 mars 1994., Volker Steen contre Deutsche Bundespost., 10/03/1994, C-132/93


Avis juridique important

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61993C0132

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 mars 1994. - Volker Steen contre Deutsche Bundespost. - Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Elmshorn - Allemagne. - Situation purement interne à un Etat membre. - Affaire C-132/93.
Recueil de jurisprude

nce 1994 page I-02715

Conclusions de l'avocat général

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Monsieu...

Avis juridique important

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61993C0132

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 10 mars 1994. - Volker Steen contre Deutsche Bundespost. - Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Elmshorn - Allemagne. - Situation purement interne à un Etat membre. - Affaire C-132/93.
Recueil de jurisprudence 1994 page I-02715

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Il est exceptionnel qu' un juge national, après avoir reçu de vous réponse à sa question posée par voie préjudicielle, vous saisisse à nouveau pour demander de l' éclairer sur la voie à suivre au vu de votre décision (1).

2. Tel est cependant le cas de l' Arbeitsgericht Elmshorn qui, considérant que votre arrêt Steen (2) est susceptible de deux lectures, vous demande

"(s' il faut l' ) interpréter ... en ce sens que la juridiction nationale est empêchée d' appliquer le droit communautaire à l' égard d' une situation purement interne ou bien, faute de compétence sur ce point de la Cour de justice (qu' elle est) en droit, en tant que juge de par la loi, au sens de l' article 101, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Grundgesetz (loi fondamentale) de la République fédérale d' Allemagne, dans le cadre d' une infraction alléguée à l' article 3, paragraphe 1, de la GG
précitée, d' examiner la question préliminaire d' une éventuelle discrimination des ressortissants nationaux résultant de ce que le droit communautaire a pour effet, en définitive, de placer les ressortissants de nationalité allemande dans une situation moins favorable par rapport aux ressortissants d' autres États membres".

3. Les faits de l' affaire sont connus de vous. Nous ne les reprendrons pas, renvoyant à cet égard tant à nos conclusions (3) qu' à votre arrêt (4) afférents à la précédente procédure.

4. Qu' il suffise de rappeler que, comme nous vous le proposions, vous avez considéré qu' un ressortissant d' un État membre n' ayant jamais exercé le droit de libre circulation des travailleurs à l' intérieur de la Communauté ne pouvait invoquer à l' encontre de cet État, s' agissant d' une situation purement interne, les dispositions des articles 7 et 48 du traité CEE (5).

5. En d' autres termes, vous avez - comme nous-mêmes - estimé qu' une situation de ce type ne relevait pas, ratione materiae, du champ d' application du droit communautaire.

6. Votre décision a plongé le juge a quo dans une certaine perplexité quant aux conséquences qu' il lui incombe d' en tirer.

7. Comparant, en effet, la situation d' un citoyen allemand que l' on pourrait qualifier de sédentaire, tel que M. Steen, à celle d' un ressortissant d' un autre État membre qui, usant de son droit de libre circulation, viendrait postuler en République fédérale d' Allemagne l' emploi refusé au précédent, il constate que le premier est privé de la protection du droit communautaire dont le second peut se prévaloir.

8. Il décèle dans cette différence de traitement une discrimination qui aurait sa source dans la norme communautaire elle-même, laquelle conférant des droits au travailleur communautaire étranger, n' en étendrait pas le bénéfice au national.

9. Le problème vous est familier: c' est celui de la discrimination à rebours.

10. Ce qui, par contre, est nouveau, c' est la confrontation de l' appréciation d' une telle discrimination au regard du droit communautaire d' une part, du droit constitutionnel de l' État membre d' autre part. En clair, pareille discrimination, non critiquable au regard du droit communautaire - non pas parce qu' elle lui est conforme mais parce qu' échappant à son domaine d' application - peut-elle ou non être soumise à contrôle interne de constitutionnalité? Le droit communautaire y fait-il
obstacle?

11. Relevons qu' il ne s' agit pas pour le juge national, en dépit de l' ambiguïté de l' expression "compétence indirecte de contrôle, par les juridictions nationales, du traité CEE" utilisée dans l' ordonnance de renvoi (6), de procéder au contrôle de la constitutionnalité du droit communautaire qui précisément est inappliquable au litige dont s' agit.

12. La question qu' il vous pose est de savoir si votre arrêt du 28 janvier 1992 laisse place au contrôle de constitutionnalité de la norme interne en tant qu' elle discriminerait le travailleur national se trouvant dans une situation purement interne, par rapport aux ressortissants des autres États membres ayant fait usage du droit de libre circulation dans la Communauté, situation relevant du champ d' application du droit communautaire.

13. Ici encore, nous sommes en présence d' une question de droit purement interne sur laquelle ni le droit communautaire en général ni votre arrêt en particulier ne peuvent avoir incidence.

14. De quoi s' agit-il, en effet?

15. Une situation relevant du champ d' application du droit communautaire peut, en raison de la primauté de ce dernier, conduire le juge national à laisser inappliquée la norme interne qui lui serait contraire.

16. Celle-ci n' en continuera pas moins à régir les situations purement internes échappant au champ d' application de ce droit, ce qui pourra conduire à des disparités de traitement dans des hypothèses comparables.

17. Le point de savoir s' il existe au regard de la loi fondamentale - et notamment du principe d' égalité devant la loi - une obligation d' éliminer toute discrimination à rebours relève de l' appréciation souveraine du juge constitutionnel de l' État membre concerné.

18. Dans l' affirmative, le respect d' une telle obligation, relevant lui aussi de l' ordre juridique interne, échappe nécessairement au droit communautaire, tout simplement parce que cette obligation lui est étrangère.

19. Une observation pour terminer.

20. La problématique à la source de votre nouvelle saisine ne saurait être réduite à la comparaison des situations respectives du national "sédentaire" d' une part, et des ressortissants des autres États membres usant de leur droit de libre circulation d' autre part.

21. En effet, si M. Steen ne peut, comme vous l' avez jugé, se prévaloir des articles 7 et 48 du traité CEE, s' agissant d' une situation purement interne, il aurait pu les invoquer à l' encontre d' un autre État membre où il aurait exercé son droit de libre circulation, et même, comme nous le rappelions dans nos précédentes conclusions, à l' encontre de son propre État, s' il avait résidé ou travaillé ou acquis une formation dans un autre État membre (7).

22. Nous vous proposons, par conséquent, de dire pour droit:

"Lorsque le national d' un État membre ne peut, contrairement à d' autres ressortissants communautaires qui peuvent s' en prévaloir, bénéficier d' un droit trouvant sa source dans le droit communautaire, pour cette seule raison que sa situation - purement interne - échappe au champ d' application de ce dernier, le droit communautaire est sans incidence sur les conditions de mise en oeuvre par les juridictions nationales d' un principe constitutionnel d' égalité devant la loi, conditions qui relèvent
exclusivement de l' ordre juridique interne de l' État membre concerné."

(*) Langue originale: le français.

(1) - Pour un exemple, arrêt du 16 décembre 1992, Payless DIY (C-304/90, Rec. p. I-6493).

(2) - Arrêt du 28 janvier 1992 (C-332/90, Rec. p. I-341).

(3) - Points 2 à 5.

(4) - Points 2 à 5.

(5) - Points 9 et suiv.

(6) - p. 13 de la traduction française.

(7) - Voir nos conclusions dans l' affaire C-332/90, point 9.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-132/93
Date de la décision : 10/03/1994
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht Elmshorn - Allemagne.

Situation purement interne à un Etat membre.

Libre circulation des travailleurs


Parties
Demandeurs : Volker Steen
Défendeurs : Deutsche Bundespost.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1994:96

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