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15/12/1993 | CJUE | N°C-113/92,

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Enrico Fabrizii, Pietro Neri et Aldo Del Grosso contre Office national des pensions., 15/12/1993, C-113/92,


Avis juridique important

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61992J0113

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 15 décembre 1993. - Enrico Fabrizii, Pietro Neri et Aldo Del Grosso contre Office national des pensions. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi et Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité soci

ale des travailleurs migrants - Pensions de retraite - Calcul des presta...

Avis juridique important

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61992J0113

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 15 décembre 1993. - Enrico Fabrizii, Pietro Neri et Aldo Del Grosso contre Office national des pensions. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi et Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique. - Sécurité sociale des travailleurs migrants - Pensions de retraite - Calcul des prestations - Règles anticumul nationales. - Affaires jointes C-113/92, C-114/92 et C-156/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-06707

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1. Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance vieillesse et décès - Calcul des prestations - Détermination du montant théorique - Prise en compte de l' ensemble des périodes d' assurance accomplies sous les législations des différents États membres - Prestation autonome égale à la pension complète accordée par la législation de l' État membre de l' institution compétente - Conséquences

[Règlement du Conseil n 1408/71, art. 46, § 1 et 2, sous a)]

2. Sécurité sociale des travailleurs migrants - Assurance vieillesse et décès - Calcul des prestations - Détermination du montant effectif - Prise en compte, sans application des règles nationales anticumul, de l' ensemble des périodes d' assurance accomplies sous les législations des différents États membres

[Règlement du Conseil n 1408/71, art. 46, § 2, sous b)]

3. Sécurité sociale des travailleurs migrants - Prestations - Règles nationales anticumul - Disposition nationale limitant à 45 ans l' unité de carrière des travailleurs salariés et conduisant à réduire la période d' assurance accomplie par un travailleur migrant, en raison des années accomplies dans un autre État membre - Admissibilité - Conditions

(Traité CEE, art. 48 et 51; règlement du Conseil n 1408/71, art. 12, § 2, et 46)

Sommaire

1. Aux fins du calcul du montant de la prestation en application de l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement n 1408/71, l' institution compétente d' un État membre doit totaliser l' ensemble des périodes accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur, et notamment les périodes de service militaire accomplies par le travailleur et reconnues comme périodes d' assurance au sens de cette disposition par la législation d' un autre État membre, même si
ces périodes ne devaient pas être prises en compte par le droit de l' État membre de l' institution compétente.

Toutefois, lorsque le travailleur a déjà droit, en vertu de l' article 46, paragraphe 1, du règlement, à une prestation autonome égale à la pension complète accordée par la législation de l' État membre de l' institution compétente, sans recourir à la comptabilisation des périodes accomplies sous les législations des autres États membres auxquelles l' intéressé a été soumis, la prise en compte de ces dernières périodes n' est pas nécessaire pour compléter les périodes accomplies sous la législation
de l' État membre de l' institution compétente, en vue de l' acquisition du droit aux prestations.

2. Pour le calcul du montant effectif de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, l' institution compétente doit tenir compte de toutes les périodes d' assurance accomplies et admises comme telles par les législations de tous les États membres, y compris les périodes fictives antérieures à la réalisation du risque, reconnues par la législation nationale applicable, et ne peut appliquer ses propres règles anticumul externes en vue d' établir ledit montant
effectif. Il lui est notamment interdit d' appliquer ces dernières règles pour déduire la période d' activité accomplie par le travailleur dans un autre État membre des années fictives ajoutées aux années d' occupation effective au titre de la législation de l' État membre dont elle relève.

3. Ni les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement n 1408/71, ni les articles 48 et 51 du traité ne s' opposent à l' application d' une disposition anticumul nationale limitant à 45 ans l' unité de carrière des travailleurs salariés, et qui, indépendamment de la nationalité des travailleurs et de l' État membre dont relève le régime de retraite au titre duquel les périodes d' assurance dépassant l' unité de carrière ont été accomplies, a pour effet de réduire la période d' assurance
effectivement accomplie par un travailleur migrant dans l' État membre de l' institution liquidatrice en raison d' années d' assurance accomplies dans un second État membre, pour autant que la réduction des droits du travailleur migrant ouverts dans l' État membre dont dépend l' institution liquidatrice trouve sa contrepartie dans les droits à pension de retraite ouverts par l' intermédiaire du règlement dans le second État membre.

Parties

Dans les affaires jointes C-113/92, C-114/92 et C-156/92,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le tribunal du travail de Charleroi (Belgique), et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant cette juridiction entre

Enrico Fabrizii (C-113/92)

Pietro Neri (C-114/92)

et

Office national des pensions (ONP),

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 46, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6),

et

une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le tribunal du travail de Bruxelles et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Aldo Del Grosso (C-156/92)

et

Office national des pensions (ONP),

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation des articles 7, 48 et 51 du traité CEE ainsi que des articles 12 et 46 du règlement (CEE) n 1408/71, précité,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de MM. G. F. Mancini, président de chambre, F. A. Schockweiler et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. M. Darmon

greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées:

- pour MM. E. Fabrizii, P. Neri et A. Del Grosso, par M. D. Rossini, délégué syndical de la Confédération des syndicats chrétiens,

- pour l' Office national des pensions, par M. R. Masyn, administrateur général auprès de cet Office,

- dans la seule affaire C-156/92, pour le gouvernement belge, par M. J. Devadder, directeur d' administration au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par Mme M. Wolfcarius, membre du service juridique, et M. T. Margellos, fonctionnaire national détaché auprès du service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience,

ayant entendu les observations orales de l' Office national des pensions, représenté par M. J.-P. Lheureux, secrétaire d' administration de cet Office, en qualité d' agent, et de la Commission à l' audience du 1er avril 1993,

ayant entendu l' avocat général en ses conclusions à l' audience du 13 mai 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par deux jugements du 2 avril 1992, parvenus à la Cour les 10 et 13 avril suivants, le tribunal du travail de Charleroi a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, quatre questions préjudicielles relatives à l' interprétation de l' article 46, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à
l' intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6, ci-après "règlement").

2 Par jugement du 30 avril 1992, parvenu à la Cour le 7 mai suivant, le tribunal du travail de Bruxelles a posé, en vertu de l' article 177 du traité, une question préjudicielle sur l' interprétation des articles 7, 48 et 51 du traité CEE ainsi que des articles 12 et 46 du règlement.

3 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de litiges opposant trois travailleurs migrants italiens à l' Office national belge des pensions (ci-après "ONP") au sujet du calcul de leur pension de retraite.

4 M. Fabrizii, demandeur au principal dans l' affaire C-113/92, a été mineur de fond en Belgique pendant 26 ans, période d' emploi donnant droit dans cet État membre à 4 années de carrière supplémentaires fictives. Dans un premier temps, l' ONP a donc accordé à M. Fabrizii le bénéfice de la pension de retraite prévue par la législation de cet État en faveur des ouvriers mineurs, calculée sur la base d' une carrière complète de 30 années.

5 Ultérieurement, M. Fabrizii a obtenu une pension de retraite italienne au titre du service militaire qu' il avait effectué en Italie de 1940 à 1945, période correspondant à 4 années de régime minier belge.

6 L' ONP a alors procédé au réexamen des droits de l' intéressé et réduit la durée de sa carrière belge à 26 années, par application de l' article 10, paragraphe 2, 1º, quatrième alinéa, de l' arrêté royal belge n 50, relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés, du 24 octobre 1967 (Moniteur belge du 27 octobre 1967, p. 1125, ci-après "arrêté royal"), tel que modifié ultérieurement.

7 En vertu de cette disposition, le nombre d' années d' assurance supplémentaires fictives est en effet diminué du nombre d' années pour lesquelles le travailleur peut prétendre à une pension de retraite en vertu d' un autre régime belge, à l' exclusion de celui des travailleurs indépendants, ou d' un régime d' un pays étranger.

8 M. Neri, demandeur au principal dans l' affaire C-114/92, a été ouvrier en Belgique pendant 34 ans. Dans un premier temps, l' ONP lui a accordé une pension de retraite belge sur la base d' une carrière de 39 années, cinq années supplémentaires fictives lui ayant été reconnues.

9 Dans sa décision de liquidation définitive, l' ONP ne lui a plus alloué qu' une pension équivalant à 38 annuités. Le bénéfice d' une année fictive lui a été retiré, au motif qu' il avait obtenu entre-temps une pension de retraite italienne en raison du service militaire accompli en Italie et correspondant à 7 annuités en Belgique. En effet, le total des années initialement prises en compte en Belgique (39), puis en Italie (7) dépassait d' un an l' unité de carrière limitée en droit belge à 45
annuités par application de l' article 11 ter de l' arrêté royal.

10 M. Del Grosso, demandeur au principal dans l' affaire C-156/92, a accompli en Belgique une carrière effective de travailleur salarié de 41 ans. L' ONP lui a tout d' abord accordé, en vertu de la seule législation belge, une pension annuelle de retraite calculée sur la base de 44 annuités, trois années d' assurance fictives s' ajoutant aux années d' assurance effectives.

11 Après l' octroi d' une pension de retraite italienne à l' intéressé à raison de sept années d' assurance accomplies en Italie, l' ONP lui a supprimé le bénéfice des années d' assurance fictives, puis réduit les 48 années restantes à raison de trois années de carrière effectives pour arriver à l' unité de carrière de 45/45èmes, par application de l' article 10 bis de l' arrêté royal, et en calculant la pension belge sur la base d' une carrière de 38 années (45 - 7) pour tenir compte de la pension
italienne.

12 L' article 10 bis de l' arrêté royal précité prévoit en effet que, lorsque le travailleur salarié peut prétendre à une pension de retraite en vertu de l' arrêté et à une pension de retraite ou à un avantage en tenant lieu en vertu d' un ou de plusieurs autres régimes, et lorsque le total des fractions qui, pour chacune de ces pensions, en expriment l' importance dépasse l' unité, la carrière professionnelle qui est prise en considération pour le calcul de la pension de retraite comme travailleur
salarié est diminuée d' autant d' années qu' il est nécessaire pour réduire ledit total à l' unité. Pour l' application de cet article, il y a lieu d' entendre par 'autre régime' tout autre régime belge en matière de pension de retraite et de survie, à l' exclusion de celui des travailleurs indépendants, et tout autre régime analogue d' un pays étranger ou un régime qui est applicable au personnel d' une institution de droit international public.

13 Les périodes d' assurance accomplies en Italie par les trois intéressés ne leur auraient pas à elles seules ouvert le droit à une pension de retraite dans cet État membre. Toutefois, l' institution italienne a pu leur accorder une pension de retraite en tenant compte, sur le fondement de l' article 46 du règlement, de la durée totale des périodes d' assurance accomplies par les intéressés en Italie et en Belgique.

14 Devant les juridictions de renvoi, MM. Fabrizii et Neri ont revendiqué le bénéfice de leur pension belge sans réduction. Pour sa part, M. Del Grosso a estimé avoir droit à une pension de retraite belge correspondant aux 41 années d' assurance effectives qu' il a accomplies en Belgique.

15 Estimant que ces litiges soulevaient des questions d' interprétation du droit communautaire, les deux juridictions nationales ont posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

Dans les affaires C-113/92 et C-114/92

"1. Considérant le libellé de l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement n 1408/71, l' institution compétente pour établir le montant théorique de la pension ne doit-elle pas appliquer sa propre législation, telles, notamment, les dispositions légales relatives aux conditions de validation ou d' assimilation des périodes revendiquées pour le calcul de la pension, afin de déterminer si les périodes d' assurance ou de résidence accomplies et admises comme telles sous la législation des autres
États membres peuvent entrer en ligne de compte pour le calcul de ladite prestation?

2. Dans l' affirmative, si l' institution compétente est amenée à constater que certaines périodes d' assurance ou de résidence accomplies dans un autre État membre ne peuvent être prises en considération pour le calcul du montant théorique de la pension, n' y a-t-il pas lieu de constater que le principe de la totalisation fait défaut?

3. Considérant le libellé de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, et plus spécialement pour déterminer la durée totale des périodes d' assurance ou de résidence accomplies avant la réalisation du risque, l' institution compétente ne doit-elle pas tenir compte de toutes les périodes d' assurance ou de résidence accomplies et admises comme telles par les législations de tous les États membres?

4. En vue d' établir le prorata de la durée des périodes accomplies sous sa législation nationale, l' institution compétente peut-elle appliquer ses propres règles anticumul externes?"

Dans l' affaire C-156/92

"Si le droit communautaire, au regard des articles 7, 48 et 51 du traité CEE ainsi que des articles 12 et 46 du règlement (CEE) n 1408/71, au regard des objectifs et des principes que ces dispositions sous-tendent et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, autorise l' État belge à réduire une pension due pour une carrière réelle, effectuée dans cet État au motif que l' ensemble des années prestées en Belgique et dans un autre État membre dépasse l' unité de carrière
(de 45 ans pour les hommes et 40 pour les femmes) instaurée par l' article 2 de l' arrêté royal n 205 du 29 août 1983 (introduisant un article 10 bis dans l' arrêté royal n 50) alors que, d' autre part, la seule carrière exercée en Belgique ne dépasse pas 45 ans et que, d' autre part, il n' y a pas eu recours à des années fictives."

16 Par ordonnance du 30 avril 1992, le président de la Cour a joint les affaires C-113/92 et C-114/92 aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l' arrêt.

17 Par ordonnance du 28 janvier 1993, l' affaire C-156/92 a été jointe à ces deux premières affaires aux fins de la procédure orale et de l' arrêt.

18 Pour un plus ample exposé des faits des litiges au principal, du déroulement de la procédure et des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Législation applicable à la détermination des périodes d' assurance à prendre en considération aux fins de la liquidation des prestations prévue par l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement

19 Par sa première question, le tribunal du travail de Charleroi, saisi dans les affaires C-113/92 et C-114/92, cherche tout d' abord à savoir en fonction de quelle législation le service militaire accompli par des travailleurs migrants sous la législation d' un État membre autre que celui de l' organisme liquidateur doit être qualifié de période d' assurance aux fins du calcul du montant de la prestation à effectuer conformément à l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement.

20 Il y a lieu de relever que, selon l' article 13, paragraphe 2, sous e), du règlement, la personne appelée ou rappelée sous les drapeaux d' un État membre est soumise à la législation de cet État.

21 D' autre part, l' article 1er, sous r), du règlement dispose que sont à considérer comme périodes d' assurance aux fins de son application les périodes de cotisation ou d' emploi, définies ou admises comme telles par la législation sous laquelle elles ont été accomplies.

22 Il en résulte que les périodes d' assurance à prendre en considération aux fins du calcul du montant théorique de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement doivent être déterminées par référence à la législation sous laquelle elles ont été accomplies, sans qu' il soit nécessaire que ces périodes soient reconnues comme des périodes d' assurance par la législation de l' État de l' institution compétente.

23 Cette interprétation est confirmée par le libellé de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement, en vertu duquel l' institution compétente doit établir le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique dont il est question à l' alinéa précédent et au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du
risque sous les législations de tous les États membres en cause (voir arrêt du 18 février 1992, Di Prinzio, C-5/91, Rec. p. I-897, point 49).

24 En effet, ainsi que le tribunal du travail de Charleroi l' a lui-même relevé dans l' énoncé de sa deuxième question, la prise en compte, aux fins du calcul du montant théorique de la pension, des seules périodes d' assurance considérées comme telles par la législation de l' État membre de l' institution compétente ferait échec à l' application des règles de totalisation et de proratisation énoncées par l' article 46, paragraphe 2, sous a) et b).

25 Il s' ensuit que l' institution compétente doit, aux fins du calcul du montant théorique de la prestation à opérer conformément à l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement, considérer comme des périodes d' assurance au sens de cette disposition les périodes de service militaire accomplies par le travailleur et reconnues comme telles par la législation d' un autre État membre, même si ces périodes ne devaient pas être prises en compte dans l' État membre de l' institution compétente.

26 Il convient toutefois de rappeler que, dans un cas tel que celui de M. Fabrizii, le travailleur migrant a déjà droit, en vertu de l' article 46, paragraphe 1, du règlement, à une prestation autonome égale à la pension complète prévue par la législation de l' État membre de l' institution compétente, par application de cette seule législation et sans recourir à la comptabilisation des périodes accomplies sous les législations des autres États membres auxquelles l' intéressé à été soumis. La prise
en compte de ces dernières périodes n' est évidemment pas nécessaire pour compléter les périodes accomplies sous la législation de l' État membre de l' institution compétente, en vue de l' acquisition du droit aux prestations. En effet, le montant théorique de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous a), compte tenu de la lettre c) de cette même disposition, est en tout état de cause égal à celui de la prestation autonome au sens de l' article 46, paragraphe 1, premier alinéa, de
telle sorte qu' aucun résultat plus favorable ne pourrait résulter de l' application de l' article 46, paragraphe 2, du règlement (voir arrêt Di Prinzio, précité).

27 Il s' ensuit que, dans une telle situation, le montant théorique de la pension doit être déterminé par l' institution compétente dont la législation donne droit à la pension complète, sans tenir compte des périodes d' assurance que le travailleur a accomplies dans un autre État membre.

28 Il convient donc de répondre au tribunal de Charleroi que, aux fins du calcul du montant de la prestation en application de l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement, l' institution compétente doit totaliser l' ensemble des périodes accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur, même si ces périodes ne devaient pas être prises en compte par le droit de l' État membre de l' institution compétente. Toutefois, lorsque le travailleur a déjà droit,
en vertu de l' article 46, paragraphe 1, du règlement, à une prestation autonome égale à la pension complète accordée par la législation de l' État membre de l' institution compétente, sans recourir à la comptabilisation des périodes accomplies sous les législations des autres États membres auxquelles l' intéressé à été soumis, la prise en compte de ces dernières périodes n' est pas nécessaire pour compléter les périodes accomplies sous la législation de l' État membre de l' institution compétente,
en vue de l' acquisition du droit aux prestations.

29 Compte tenu de la réponse apportée à la première question posée par le tribunal du travail de Charleroi, il n' y a pas lieu de répondre à la deuxième question posée par cette juridiction.

Modalités du calcul du montant effectif de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement

30 Par ses deux dernières questions, le tribunal de Charleroi, demande si, aux fins de la détermination du montant effectif de la prestation visé à l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement, l' institution compétente, d' une part, doit tenir compte de toutes les périodes d' assurance admises comme telles par les législations nationales auxquelles le travailleur migrant a été soumis et, d' autre part, peut appliquer ses propres règles anticumul externes en vue d' établir, conformément à l'
article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement, ledit montant effectif.

31 En ce qui concerne la prise en considération des périodes d' assurance, la Cour a déjà dit pour droit que l' institution compétente calcule, conformément à l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement, le montant effectif de la prestation, sur la base du montant théorique et au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu' elle applique, par rapport à la durée totale des périodes d' assurance accomplies avant la réalisation
du risque sous les législations de tous les États membres en cause.

32 Quant à l' application des règles anticumul externes de l' institution compétente, il est de jurisprudence constante (voir arrêts du 4 juin 1985, Romano, 58/84, Rec. p. 1679, point 15, et Ruzzu, 117/84, Rec. p. 1697, point 16) qu' une norme nationale réduisant les années supplémentaires d' occupation fictive dont pourrait bénéficier le travailleur, en fonction du nombre d' années pour lequel l' intéressé peut prétendre à une pension dans un autre État membre que celui de l' institution
compétente, constitue effectivement une clause de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement.

33 Il convient de rappeler également que, pour les besoins du calcul des prestations au titre du droit communautaire, les dispositions du règlement doivent être appliquées dans leur ensemble, de sorte que l' institution compétente doit également tenir compte des dispositions de l' article 12, paragraphe 2, du règlement (voir arrêt Di Prinzio, précité, point 46).

34 Or, en vertu de cette disposition, les clauses de réduction prévues par la législation d' un État membre en cas de cumul d' une prestation avec d' autres prestations de sécurité sociale, acquises au titre de la législation d' un autre État membre que celui de l' institution compétente, ne sont pas applicables lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de même nature, notamment de vieillesse, liquidées conformément aux dispositions de l' article 46 du même règlement (voir arrêt du 11 juin 1992,
Di Crescenzo et Casagrande, C-90/91 et C-91/91, Rec. p. I-3851, point 18).

35 Par conséquent, dans des cas tels que ceux visés dans les affaires C-113/92 et C-114/92 où les périodes fictives reconnues par la législation nationale applicable sont antérieures à la réalisation du risque au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, ces périodes doivent être incluses dans le calcul du montant effectif de la prestation et l' institution compétente n' est pas autorisée à déduire la période d' activité accomplie par le travailleur dans un autre État
membre des années fictives ajoutées aux années d' occupation effective au titre de la législation de l' État membre dont elle relève.

36 Il s' ensuit que le montant effectif proratisé de la pension doit être calculé en tenant compte de toutes les périodes fictives antérieures à la réalisation du risque, ajoutées aux années d' occupation effective ou assimilée par la législation de l' État membre de l' institution compétente (voir arrêt Di Prinzio, précité, points 54 à 56).

37 Il y a lieu enfin de souligner que, les dispositions de l' article 46 du règlement devant être appliquées intégralement, le calcul du montant effectif proratisé de la prestation doit toujours être effectué, même dans une situation telle que celle de M. Fabrizii où l' intéressé peut bénéficier d' une pension complète dans un État membre sans avoir recours aux périodes d' assurance accomplies dans d' autres États membres (voir arrêt Di Prinzio, précité, points 50 et 51).

38 Il convient donc de répondre au tribunal du travail de Charleroi que pour le calcul du montant effectif de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement, l' institution compétente doit tenir compte de toutes les périodes d' assurance accomplies et admises comme telles par les législations de tous les États membres et ne peut appliquer ses propres règles anticumul externes en vue d' établir ledit montant effectif.

Sur la question relative à la règle de l' unité de carrière

39 Il résulte des motifs du jugement de renvoi que le tribunal du travail de Bruxelles cherche en substance à savoir si, d' une part, les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement et, d' autre part, les articles 7, 48 et 51 du traité CEE s' opposent à l' application d' une disposition nationale comme l' article 10 bis de l' arrêté royal qui limite à 45 ans l' unité de carrière des travailleurs salariés, en tant que l' application d' une telle disposition a pour effet de réduire la période d'
assurance effective accomplie par un travailleur migrant dans l' État membre concerné en raison du nombre d' années prestées sous la législation d' un autre État membre, lorsque le total des années d' assurance accomplies par l' intéressé dans les deux États dépasse l' unité de carrière en cause.

40 Pour répondre à cette question, il y a lieu de constater d' abord qu' une disposition nationale comme celle en cause dans le litige dont est saisi le tribunal du travail de Bruxelles constitue une clause de réduction au sens de l' article 12, paragraphe 2, du règlement.

41 Il y a lieu d' examiner ensuite les conditions dans lesquelles les dispositions combinées des articles 12 et 46 du règlement permettent l' application d' une disposition anticumul nationale telle que celle en cause devant le tribunal du travail de Bruxelles.

42 Il convient de rappeler à cet égard qu' aux fins de la liquidation des prestations de vieillesse d' un travailleur salarié qui a été assujetti à la législation de plusieurs États membres, il appartient à l' institution compétente d' établir une comparaison entre les prestations de vieillesse qui seraient dues en application du seul droit national, y compris ses règles anticumul, et celles qui seraient dues au titre du droit communautaire conformément aux dispositions de l' article 46 du
règlement, y compris la règle anticumul figurant au paragraphe 3 de cette disposition, et de faire bénéficier le travailleur migrant de la prestation dont le montant est le plus élevé (voir notamment arrêt du 11 juin 1992, Di Crescenzo et Casagrande, précité, point 17).

43 Lorsque l' intéressé bénéficie de prestations de vieillesse de même nature liquidées en application de l' article 46 du règlement, les règles anticumul nationales doivent être écartées conformément à l' article 12, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement. En revanche, lorsque le calcul de la pension de retraite est effectué conformément à la seule législation nationale, l' article 12, paragraphe 2, première phrase, du règlement rend opposables au bénéficiaire les clauses anticumul nationales.

44 Il convient de préciser à cet égard que, dans les observations qu' il a déposées devant la Cour, l' ONP préconise à l' égard de M. Del Grosso l' octroi, en application du régime national, d' une pension belge plus avantageuse que celle que lui ouvre l' article 46 du règlement.

45 Il s' ensuit que les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement ne s' opposent pas à l' application d' une clause de réduction nationale telle que celle en cause dans le litige national, lorsque, en cas de cumul de prestations versées par les institutions compétentes de deux ou plusieurs État membres, le calcul de la pension de vieillesse est effectué, comme dans le litige au principal, conformément à la seule législation nationale.

46 S' agissant du point de savoir si les articles 7, 48 et 51 du traité CEE s' opposent à l' application d' une clause de réduction telle que celle en cause dans le litige national, il convient de rappeler d' emblée que, selon une jurisprudence constante (voir arrêt du 30 mai 1989, Commission/Grèce, 305/87, Rec. p. 1461, point 13), l' article 7 du traité CEE n' a vocation à s' appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit communautaire pour lesquelles le traité ne prévoit
pas de règles spécifiques.

47 Or, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs salariés, cette disposition a été mise en oeuvre et concrétisée par les articles 48 à 51 du traité CEE.

48 A cet égard, il y a lieu de relever qu' une clause de réduction telle que celle en cause dans le litige au principal opère indépendamment tant de la nationalité des travailleurs que de l' État membre dont relève le régime de retraite au titre duquel les périodes d' assurance dépassant l' unité de carrière ont été accomplies.

49 Dans ces conditions, l' interdiction des discriminations exercées en raison de la nationalité des travailleurs ne s' oppose pas à une clause de réduction telle que celle en cause dans le litige au principal.

50 La question du tribunal du travail de Bruxelles vise également à déterminer si l' article 51 du traité CEE ne s' oppose pas à l' application d' une clause de réduction comme celle en cause dans le litige au principal en tant qu' elle aboutirait à porter atteinte au maintien des droits, acquis ou en cours d' acquisition, aux prestations de vieillesse des travailleurs migrants et serait par conséquent de nature à entraver leur libre circulation.

51 Sur ce point, il y a lieu de relever que, dans un cas tel que celui du litige au principal, l' application des clauses anticumul de l' État membre de l' institution compétente a pour effet de réduire les droits à la pension de retraite ouverts à l' intéressé en vertu du droit national de ladite institution en fonction des droits à une pension de retraite qui ne sont ouverts dans un autre État membre qu' en raison de l' application du règlement, sans toutefois que la somme des deux pensions
versées dans les deux États membres soit inférieure à la pension due en vertu du seul droit national de l' institution compétente, dans l' hypothèse où l' intéressé aurait accompli l' ensemble de sa carrière dans l' État membre de cette institution.

52 Dans ces conditions, l' article 51 ne s' oppose pas à l' application d' une clause de réduction nationale dès lors que la réduction de la pension servie par l' institution compétente trouve sa contrepartie dans les avantages que le droit communautaire procure à l' intéressé en le mettant en mesure d' invoquer l' application simultanée des législations de sécurité sociale de plusieurs États membres.

53 Il résulte de l' ensemble des développements qui précèdent qu' il y a lieu de répondre à la question posée par le tribunal du travail de Bruxelles que ni les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement, ni les articles 48 et 51 du traité CEE ne s' opposent à l' application d' une disposition anticumul nationale limitant à 45 ans l' unité de carrière des travailleurs salariés et qui a pour effet de réduire la période d' assurance effectivement accomplie par un travailleur migrant dans l' État
membre de l' institution liquidatrice en raison d' années d' assurance accomplies dans un second État membre, pour autant que la réduction des droits du travailleur migrant ouverts dans l' État membre dont dépend l' institution liquidatrice trouve sa contrepartie dans les droits à pension de retraite ouverts par l' intermédiaire du règlement dans le second État membre.

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

54 Les frais exposés par la Commission des Communautés européennes et le gouvernement belge, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement. La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le tribunal du travail de Charleroi et par le tribunal du travail de Bruxelles, par jugements des 2 et 30 avril 1992, dit pour droit:

1) Aux fins du calcul du montant de la prestation en application de l' article 46, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, dans sa version codifiée par le règlement (CEE) n 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, l' institution compétente d' un État membre doit totaliser
l' ensemble des périodes accomplies sous les législations des États membres auxquelles a été soumis le travailleur, même si ces périodes ne devaient pas être prises en compte par le droit de l' État membre de l' institution compétente. Toutefois, lorsque le travailleur a déjà droit, en vertu de l' article 46, paragraphe 1, du règlement, à une prestation autonome égale à la pension complète accordée par la législation de l' État membre de l' institution compétente, sans recourir à la comptabilisation
des périodes accomplies sous les législations des autres États membres auxquelles l' intéressé à été soumis, la prise en compte de ces dernières périodes n' est pas nécessaire pour compléter les périodes accomplies sous la législation de l' État membre de l' institution compétente, en vue de l' acquisition du droit aux prestations.

2) Pour le calcul du montant effectif de la prestation au sens de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, précité, l' institution compétente doit tenir compte de toutes les périodes d' assurance accomplies et admises comme telles par les législations de tous les États membres et ne peut appliquer ses propres règles anticumul externes en vue d' établir ledit montant effectif.

3) Ni les articles 12, paragraphe 2, et 46 du règlement n 1408/71, précité, ni les articles 48 et 51 du traité CEE ne s' opposent à l' application d' une disposition anticumul nationale limitant à 45 ans l' unité de carrière des travailleurs salariés et qui a pour effet de réduire la période d' assurance effectivement accomplie par un travailleur migrant dans l' État membre de l' institution liquidatrice en raison d' années d' assurance accomplies dans un second État membre, pour autant que la
réduction des droits du travailleur migrant ouverts dans l' État membre dont dépend l' institution liquidatrice trouve sa contrepartie dans les droits à pension de retraite ouverts par l' intermédiaire du règlement dans le second État membre.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-113/92,
Date de la décision : 15/12/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Charleroi et Tribunal du travail de Bruxelles - Belgique.

Sécurité sociale des travailleurs migrants - Pensions de retraite - Calcul des prestations - Règles anticumul nationales.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Enrico Fabrizii, Pietro Neri et Aldo Del Grosso
Défendeurs : Office national des pensions.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Murray

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:930

Source

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