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20/10/1993 | CJUE | N°C-20/93

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 20 octobre 1993., Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH & Co. KG et Mobil Oil BV contre SA Générale de Banque et SA AG de 1824, anciennement AG de 1830., 20/10/1993, C-20/93


Avis juridique important

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61993C0020

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 20 octobre 1993. - Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH & Co. KG et Mobil Oil BV contre SA Générale de Banque et SA AG de 1824, anciennement AG de 1830. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de commerce

de Bruxelles - Belgique. - Transports de marchandises par route - Capaci...

Avis juridique important

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61993C0020

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 20 octobre 1993. - Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH & Co. KG et Mobil Oil BV contre SA Générale de Banque et SA AG de 1824, anciennement AG de 1830. - Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique. - Transports de marchandises par route - Capacité professionnelle - Capacité financière. - Affaires jointes C-20/93 et C-21/93.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-05727

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1. Les deux affaires jointes dont vous avez maintenant à connaître ont pour objet une seule et même question préjudicielle déférée à la Cour par le Tribunal de commerce de Bruxelles et portant sur l' interprétation de la condition de capacité financière contenue dans l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE du Conseil, du 12 novembre 1974, concernant l' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux (2).

2. Selon son troisième considérant, cette directive, fondée sur l' article 75 du traité CEE, contient des "règles communes pour l' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux en vue d' assurer une amélioration de la qualification du transporteur", laquelle "est susceptible de contribuer à l' assainissement du marché, à l' amélioration de la qualité du service rendu, dans l' intérêt des usagers, des transporteurs et de l'
économie dans son ensemble, ainsi qu' à une plus grande sécurité routière".

L' article 1er, paragraphe 1er, de la directive 74/561/CEE dispose que "[l]' accès à la profession de transporteur de marchandises par route est régi par les dispositions que les États membres adoptent conformément aux règles communes de la présente directive".

L' article 3, paragraphe 1er, premier alinéa indique que "[l]es personnes physiques ou entreprises qui désirent exercer la profession de transporteur de marchandises par route doivent: a) être honorables, b) posséder la capacité financière appropriée, c) satisfaire à la condition de capacité professionnelle".

L' article 3, paragraphe 3, disposition à laquelle se rapporte la présente question préjudicielle, précise la deuxième de ces trois conditions dans les termes qui suivent:

"La capacité financière consiste à disposer des ressources financières nécessaires pour assurer la mise en marche et la bonne gestion de l' entreprise. Jusqu' à coordination ultérieure, chaque État membre détermine quelles dispositions et quelles modalités de preuve peuvent être retenues à cet effet" (3).

3. La "coordination ultérieure" annoncée par la disposition précitée a été réalisée par la directive 89/438/CEE du Conseil, du 21 juin 1989 (4). Le cinquième considérant de cette directive indique que, "en ce qui concerne la condition de capacité financière, il importe de fixer certains critères auxquels doivent satisfaire les transporteurs afin, notamment, d' assurer l' égalité de traitement des entreprises des différents États membres, ces critères s' appliquant aux transporteurs qui demandent l'
autorisation d' accès à la profession à partir du 1er janvier 1990".

L' article 1er, paragraphe 5, de la directive 89/438/CEE remplace l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE. Le nouveau paragraphe contient, sous la lettre b), l' énumération d' un certain nombre d' éléments que l' autorité compétente doit prendre en considération pour évaluer la capacité financière. Sous la lettre c), ce paragraphe indique que "[l]' entreprise doit disposer d' un capital et de réserves d' une valeur au moins égale à 3 000 écus par véhicule ou 150 écus par tonne du
poids maximal autorisé des véhicules utilisés par l' entreprise, le montant exigible étant celui qui résulte du calcul donnant le chiffre le plus bas". En vertu de la lettre d), "l' autorité compétente peut accepter à titre de preuve la confirmation ou l' assurance donnée par une banque ou par un autre établissement dûment qualifié. Cette confirmation ou cette assurance peut être fournie sous la forme d' une garantie bancaire ou de tout autre moyen similaire".

Enfin, la lettre e) dispose que "[l]es points b), c) et d) ne s' appliquent qu' aux entreprises autorisées, à partir du 1er janvier 1990, dans un État membre, en vertu d' une réglementation nationale, à exercer la profession de transporteur de marchandises par route".

Ainsi qu' il apparaîtra ci-après (point 9), la directive 89/438/CEE est étrangère à l' objet de la présente demande de décision préjudicielle, bien que l' ordonnance de renvoi y fasse référence. Nous ne la mentionnons donc que pour donner une idée complète de la réglementation concernée telle qu' elle a évolué jusqu' à l' heure actuelle.

4. En Belgique, la directive 74/561/CEE a été mise en oeuvre par l' arrêté royal du 5 septembre 1978, fixant les conditions d' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux (5). En ce qui concerne la condition de capacité financière, cet arrêté royal disposait initialement, en son article 2, paragraphe 4, qu' elle était remplie dès que le transporteur disposait d' un compte bancaire et était inscrit au registre du commerce
(6).

5. L' arrêté royal du 11 septembre 1987 (7) a remplacé cette disposition et a ajouté à l' arrêté royal du 5 septembre 1978 un chapitre nouveau intitulé "Conditions relatives à la capacité financière", dont les premiers articles sont formulés dans les termes suivants:

"Art. 37. Le demandeur ou le titulaire d' un certificat de transport ou d' une autorisation générale de transport national doit justifier de sa capacité financière par la constitution d' un cautionnement de 250 000 F par certificat de transport ou par autorisation générale de transport national.

Art. 38. § 1. Le cautionnement est affecté à la garantie des créances résultant de l' exercice des activités couvertes par un certificat de transport, une autorisation générale de transport national ou une autorisation générale de transport international. (...)

§ 2. Le cautionnement peut consister, soit en une caution solidaire d' une banque, d' une caisse d' épargne privée, d' une compagnie d' assurances ou d' une institution publique de crédit, soit en un dépôt à la Caisse des dépôts et consignations, de numéraire ou de valeurs admises par le Ministre des Finances pour la constitution de cautionnements de toutes catégories à déposer à la Caisse des dépôts et consignations."

6. En 1991, enfin, c' est notamment en exécution de la directive 89/438/CEE (voir point 3 ci-dessus) que l' arrêté royal du 5 septembre 1978 a été entièrement remplacé par l' arrêté royal du 18 mars 1991 (8). Ce dernier prévoit toujours un système de cautionnement obligatoire, mais sa formulation est quelque peu différente en ce qui concerne la portée de ce cautionnement (9).

7. La question que le Tribunal de commerce a déférée à la Cour au sujet de l' interprétation de l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE a été soulevée dans le cadre de litiges liés à la faillite de deux entreprises de transport différentes. Le litige qui est à l' origine de l' affaire C-20/93 concerne une demande introduite par la société allemande Deutscher Kraftverkehr (ci-après "DKV") contre la banque belge SA Générale de Banque (ci-après "Générale de Banque"). Par le biais de son
système de carte de crédit, DKV fournissait du gazole à l' entreprise de transport PVBA Zelltrans (ci-après "Zelltrans"). De son côté, la Générale de Banque s' était, depuis 1988, portée caution solidaire pour Zelltrans à concurrence d' un montant de 700 000 FB, en application de l' article 38, paragraphe 2, premier alinéa, de l' arrêté royal du 5 septembre 1978, tel que modifié par l' arrêté royal du 11 septembre 1987 (cité au point 5 ci-dessus). Par lettre recommandée adressée le 4 décembre 1989
au Ministère des Communications, la Générale de Banque a dénoncé le cautionnement (10). Le 28 février 1990, Zelltrans a été déclarée en faillite par le Tribunal de commerce de Bruxelles. Le 16 mars 1990, DKV a informé la Générale de Banque qu' elle avait sur Zelltrans une créance d' un montant de 14 475,40 DM et, comme la Générale de Banque refusait de libérer la caution, DKV l' a assignée par un exploit daté du 16 mai 1990.

Les litiges qui sont à l' origine de l' affaire C-21/93 concernent des demandes introduites par la DKV également et par la société néerlandaise BV Mobil Oil (ci-après "Mobil Oil") contre, cette fois encore, la Générale de Banque et aussi contre la SA AG de 1824 (ci-après "AG de 1824"). Ces demandes concernent aussi des créances relatives à des livraisons de gazole (pour des montants respectifs de 105 710,93 DM et de 355 659 FB) faites en l' occurrence à l' entreprise de transport SPRL Transports
Lechien et Fils (ci-après "Lechien"), elle aussi déclarée en faillite, pour laquelle la Générale de Banque et les AG de 1824 s' étaient portées cautions solidaires, en application de l' article 38, paragraphe 2, premier alinéa, de l' arrêté royal du 5 septembre 1978, tel que modifié par l' arrêté royal du 11 septembre 1987. Les recours des deux demanderesses dirigés contre les deux défenderesses ont été introduits au cours de l' année 1989.

8. La controverse qui constitue l' objet des litiges au principal tourne autour de la question de savoir si le cautionnement solidaire introduit par l' arrêté royal du 5 septembre 1978, tel que modifié par l' arrêté royal du 11 septembre 1987, couvre aussi les créances détenues sur une entreprise de transport pour des livraisons de carburant ou s' il demeure limité aux créances résultant de contrats de transport au sens strict, intervenus entre le transporteur et le client dont les marchandises sont
transportées.

Le problème qui se pose en l' espèce concerne essentiellement l' interprétation de l' arrêté royal précité, en particulier de son article 38, paragraphe 1er (cité au point 5 ci-dessus). Étant donné, cependant, que cette disposition constitue une mise en oeuvre de l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE (cité ci-dessus au point 2), le Tribunal de commerce de Bruxelles a jugé souhaitable de vérifier si l' interprétation de la directive pouvait apporter une solution à la controverse qui
constitue l' objet des litiges au principal et dont nous avons défini les termes ci-dessus. C' est pourquoi, il a déféré à la Cour une question lui demandant si, lorsque, en exécution de l' article 3, paragraphe 3 précité, un État membre impose aux transporteurs, pour satisfaire à la condition de capacité financière, la constitution d' une garantie (en Belgique, sous la forme d' un cautionnement solidaire), il faut "considérer que seuls les créanciers qui ont conclu un contrat de transport avec le
transporteur cautionné bénéficient de la garantie mise en place ou bien [...] que la garantie exigée couvre toutes les créances qui découlent de l' exercice, par le transporteur garanti, de ses activités professionnelles".

9. Avant de répondre à cette question, nous voulons préciser qu' elle concerne l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE dans sa version en vigueur avant sa modification par la directive 89/438/CEE (voir points 2 et 3 ci-dessus). Toutes les parties devant la Cour (DKV, Mobil Oil, la Générale de Banque, les AG de 1824, le gouvernement belge et la Commission des Communautés européennes) la comprennent en ce sens. Nous présumons que le Tribunal de commerce de Bruxelles a aussi voulu lui
donner cette signification. Il ressort, en effet, des dossiers des procédures au principal que les entreprises de transport concernées, Zelltrans et Lechien, étaient déjà titulaires avant le 1er janvier 1990 d' une autorisation, conforme à la législation belge, d' exercer la profession de transporteur de marchandises par route. Selon l' article 3, paragraphe 3, lettre e), de la directive 74/561/CEE, tel que remplacé par l' article 5 de la directive 89/438/CEE (cité au point 3 ci-dessus), les
dispositions nouvelles relatives à la capacité financière contenues dans la directive 89/438/CEE ne sont donc pas applicables à ces entreprises de transport (11).

10. A titre liminaire encore, nous voulons examiner la thèse défendue par les AG de 1824 dans les observations qu' elles ont soumises à la Cour. Selon les AG de 1824, la Cour pourrait s' abstenir de répondre à la question préjudicielle, parce que cette réponse est sans intérêt pour la solution des litiges au principal. Dans le cadre de ceux-ci, la contestation concerne, en effet, l' interprétation des contrats de cautionnement litigieux, ce qui ne soulèverait qu' une pure question de droit civil
belge, dont la solution ne peut être influencée par le fait que l' arrêté royal de 1978, tel que modifié en 1987, est ou non conforme à la directive 74/561/CEE. Comme la Commission l' a fait observer à juste titre lors de l' audience, ce raisonnement est incorrect dans sa généralité, à la lumière, en particulier, de l' attendu suivant de l' arrêt que la Cour a rendu le 13 novembre 1990 dans l' affaire C-106/90, Marleasing (12):

"En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, comme la Cour l' a précisé dans son arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 (14/83, Rec. p. 1891), l' obligation des États membres, découlant d' une directive, d' atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l' article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l' exécution de cette obligation s' imposent à toutes les autorités des États membres, y
compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s' ensuit qu' en appliquant le droit national, qu' il s' agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l' interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l' article 189, troisième alinéa, du traité."

Il ne faut, donc, pas exclure que le juge national, lorsqu' il interprétera les contrats de cautionnement litigieux à la lumière de la législation belge applicable, soit obligé de les interpréter conformément à la directive 74/561/CEE. L' interprétation correcte de la directive peut, dès lors, être intéressante pour lui.

11. Envisageons maintenant la réponse à donner à la question préjudicielle. Les parties ont proposé à la Cour deux réponses opposées (13). D' une part, DKV et Mobil Oil soutiennent qu' il résulterait de l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE qu' un système de cautionnement tel que celui introduit par l' arrêté royal belge de 1987, que nous avons cité, ne peut demeurer limité à la garantie des obligations résultant d' un contrat de transport au sens strict, mais couvre toutes les
créances pouvant découler de l' activité professionnelle du transporteur. Ce n' est que de cette manière que les objectifs de la directive pourraient être atteints. D' autre part, la Générale de Banque, les AG de 1824 et la Commission des Communautés européennes estiment que la directive ne s' exprime pas sur ce point, mais laisse, au contraire, aux États membres une ample marge d' appréciation. Elle ne les oblige pas à introduire un système de cautionnement et, s' ils le font, il leur est loisible
de le limiter ou non à la garantie des obligations résultant d' un contrat de transport au sens strict. Concrètement, cela signifie que l' interprétation de la directive est sans intérêt pour la solution de la contestation constituant l' objet des litiges au principal pendant devant le Tribunal de commerce de Bruxelles. Pour les raisons que nous exposerons ci-après, nous pouvons nous rallier à cette seconde interprétation.

12. Les dispositions de la directive 74/561/CEE qui concernent la condition de capacité financière sont particulièrement sommaires. L' article 3, paragraphe 1er, premier alinéa (voir point 2 ci-dessus) mentionne la possession d' une "capacité financière appropriée" parmi les conditions auxquelles il soumet l' exercice de la profession de transporteur de marchandises par route. L' article 3, paragraphe 3 (voir aussi point 2 ci-dessus) indique que "la capacité financière consiste à disposer des
ressources financières nécessaires pour assurer la mise en marche et la bonne gestion de l' entreprise." La directive n' indique pas quelles sont à cet égard les exigences précises. Au contraire, la suite du paragraphe 3 dispose que, dans l' attente d' une coordination ultérieure, chaque État membre détermine "quelles dispositions et quelles modalités peuvent être retenues à cet effet". Il en ressort avec évidence qu' une ample marge d' appréciation est laissée aux États membres, leur permettant non
seulement de décider comment le contrôle de la capacité financière d' un (candidat) entrepreneur de transport doit être organisé, mais aussi de préciser ce qu' il convient d' entendre par capacité financière et, plus spécifiquement, quelles sont la nature et l' ampleur des "ressources financières nécessaires pour assurer la mise en marche et la bonne gestion de l' entreprise". C' est la directive 89/438/CEE, qui n' est pas en cause en l' espèce (voir point 3 ci-dessus), qui a pour la première fois
apporté quelque restriction à cette ample marge d' appréciation, mais, même alors, en des termes tels qu' aucune réponse définitive n' a été, à ce qu' il nous paraît, apportée à la question soumise à la Cour (14).

Étant donné cette ample marge d' appréciation, le législateur belge n' était pas tenu d' imposer un système de cautionnement obligatoire et, s' il décidait de le faire, il n' était pas non plus tenu de conférer à ce système une portée dépassant la couverture des obligations résultant d' un contrat de transport au sens strict. Evidemment, la directive ne lui interdisait, toutefois, pas de le faire.

13. A l' appui de la conception inverse, DKV et Mobil Oil ont soutenu qu' une interprétation extensive du système belge de cautionnement - lui conférant une portée s' étendant jusqu' aux créances résultant de livraisons de carburant - était requise par la directive parce qu' un système de cautionnement de large portée était "nécessaire pour assurer la mise en marche et la bonne gestion de l' entreprise". En outre, elles attirent l' attention sur le troisième considérant de la directive 74/561/CEE
(cité au point 2 ci-dessus), qui fait référence à l' intérêt de l' économie dans son ensemble, ce qui indiquerait que la protection financière envisagée par la directive vise non seulement les contrats de transport au sens strict, mais aussi les autres contrats en relation avec l' activité professionnelle du transporteur.

14. Ces arguments ne sauraient nous convaincre. On peut raisonnablement émettre des avis divergents quant à la nature des ressources financières nécessaires pour assurer la mise en marche et la bonne gestion d' une entreprise. Dans la plupart des secteurs d' activité autres que celui des transports, des entreprises sont mises en marche et aussi, croyons-nous, bien gérées, sans qu' il existe aucun système de cautionnement obligatoire. Un tel système constitue indubitablement une garantie judicieuse
de la capacité financière du transporteur, surtout si le cautionnement non seulement garantit les créances que ses clients ont sur lui, mais aussi assure le paiement des dettes qu' il a à l' égard de fournisseurs de marchandises, telles que le carburant, qui sont indispensables à la bonne marche de son entreprise. Il nous est, cependant, difficile d' admettre qu' un tel cautionnement, de portée étroite ou large, soit, en lui-même, indispensable à la garantie de la capacité financière du transporteur
et que l' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE imposerait, dès lors, aux États membres l' institution d' un tel système.

La référence que fait le préambule de la directive à l' économie dans son ensemble ne nous paraît pas non plus offrir un argument à l' appui de cette thèse. Comme la Générale de Banque l' indique dans ses observations, cette référence doit plutôt s' interpréter en ce sens qu' une amélioration de la distribution des produits dans la Communauté est bénéfique pour l' ensemble de l' économie, amélioration qui n' exige pas formellement que les fournisseurs de carburant puissent bénéficier d' un
cautionnement. En tout état de cause, une référence générale contenue dans un considérant ne peut jouer un rôle prépondérant lors de l' interprétation d' une disposition se référant explicitement à la liberté d' appréciation des États membres.

15. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de faire à la question préjudicielle la réponse suivante:

L' article 3, paragraphe 3, de la directive 74/561/CEE du Conseil, du 12 novembre 1974, concernant l' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux, dans sa version en vigueur avant sa modification par la directive 89/438/CEE, ne fait pas obstacle à ce qu' un État membre qui, en vue d' assurer la preuve de la capacité financière du transporteur, exige la constitution d' un cautionnement, en réserve le bénéfice aux
créanciers dont la créance se fonde sur un contrat de transport conclu avec le transporteur. C' est au juge national et non à la Cour qu' il appartient de déterminer si la réglementation nationale comporte effectivement une telle restriction.

W. Van Gerven

(*) Langue originale: le néerlandais.

(2) - JO 1974, L 308, p. 18.

(3) - En même temps que la directive 74/561/CEE, le Conseil a adopté le 12 novembre 1974 la directive 74/562/CEE, parallèle à la première et concernant l' accès à la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux. Le texte de l' article 1er, paragraphe 1er et de l' article 2, paragraphe 1er, premier alinéa et paragraphe 3, de cette dernière directive est entièrement identique à celui de l' article 1er, paragraphe 1er et de l' article 3,
paragraphe 1er, premier alinéa et paragraphe 3, de la première directive mentionnée, dispositions que nous avons citées ci-dessus.

(4) - Directive 89/438/CEE du Conseil, du 21 juin 1989, modifiant la directive 74/561/CEE concernant l' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux, la directive 74/562/CEE concernant l' accès à la profession de transporteur de voyageurs par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux et la directive 77/796/CEE visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres de
transporteur de marchandises et de transporteur de personnes par route et comportant des mesures destinées à favoriser l' exercice effectif de la liberté d' établissement des transporteurs (JO 1989, L 212, p. 101).

(5) - Moniteur belge du 19 octobre 1978, p. 12464.

(6) - Ce n' est pas ici le lieu de se poser la question de savoir si une disposition aussi sommaire pouvait être considérée comme une mise en oeuvre satisfaisante de la directive.

(7) - Arrêté royal modifiant l' arrêté royal du 5 septembre 1978 fixant les conditions d' accès à la profession de transporteur de marchandises par route dans le domaine des transports nationaux et internationaux (Moniteur belge du 22 octobre 1987, p. 15301).

(8) - Arrêté royal fixant les conditions d' accès à la profession de transporteur de marchandises par route, dans le domaine des transports nationaux et internationaux.

(9) - D' après l' article 21 de cet arrêté royal, le cautionnement est affecté dans sa totalité à la garantie des dettes de l' entreprise ... pour autant que ces dettes résultent de l' exercice de la profession de transporteur de marchandises par route et que les activités exercées soient couvertes par un certificat de transport, une autorisation générale de transport national ou une autorisation générale de transport international .

(10) - L' article 40, paragraphe 2, sous 2 , de l' arrêté royal du 5 septembre 1978, tel que modifié par l' arrêté royal du 11 septembre 1987, dispose que la caution solidaire est libérée dans le cas où elle veut se dégager de ses obligations: à l' expiration d' un délai de trois mois prenant cours à la date à laquelle le Ministre des Communications a reçu la lettre recommandée à la poste lui notifiant cette décision .

(11) - La Commission observe aussi que les faits qui font l' objet des litiges au principal se sont déroulés avant le 1er janvier 1990, alors que l' article 5, paragraphe 1er, de la directive 89/438/CEE indique que les dispositions qu' elle contient sont applicables à partir de cette date. Cette analyse de la Commission nous paraît, à la vérité, correcte en ce qui concerne les faits sous-jacents à l' affaire C-21/93 (voir point 7), mais non incontestable en ce qui concerne les faits sous-jacents à
l' affaire C-20/93, qui, au moins pour une part, se sont déroulés en 1990 (voir point 7). La question ne nous paraît, toutefois, pas importante et, si elle l' était, c' est, d' ailleurs, au juge national qu' il appartiendrait de la trancher.

(12) - Rec. p. I-4135, point 8.

(13) - Le gouvernement belge n' a pas pris position à l' égard de la question préjudicielle. Il s' est borné à indiquer que les arrêtés royaux de 1989 et de 1991 constituaient une mise en oeuvre correcte des directives 74/561/CEE et 89/438/CEE, comme la Commission des Communautés européennes l' avait confirmé, et que, à son avis, l' arrêté royal de 1978, tel que modifié en 1987, devait être interprété dans le sens proposé par DKV et Mobil Oil. Il ne s' est, donc, pas exprimé sur le point de savoir
si la directive elle-même imposait une telle interprétation.

(14) - Le texte modifié de l' article 3, paragraphe 3, se borne à obliger l' entreprise concernée à disposer d' un capital minimal (lettre c)) et les autorités compétentes des États membres à prendre en considération, pour évaluer sa capacité financière, certains éléments qu' il définit (lettre b)).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-20/93
Date de la décision : 20/10/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal de commerce de Bruxelles - Belgique.

Transports de marchandises par route - Capacité professionnelle - Capacité financière.

Transports


Parties
Demandeurs : Deutscher Kraftverkehr Ernst Grimmke GmbH & Co. KG et Mobil Oil BV
Défendeurs : SA Générale de Banque et SA AG de 1824, anciennement AG de 1830.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:851

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