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29/04/1993 | CJUE | N°C-31/92

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 29 avril 1993., Marius Larsy contre Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants., 29/04/1993, C-31/92


Avis juridique important

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61992C0031

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 29 avril 1993. - Marius Larsy contre Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique. - Pensions de vieillesse - Règles ant

icumul nationales et communautaires. - Affaire C-31/92.
Recueil de jur...

Avis juridique important

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61992C0031

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 29 avril 1993. - Marius Larsy contre Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique. - Pensions de vieillesse - Règles anticumul nationales et communautaires. - Affaire C-31/92.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-04543

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - Introduction

1. Le demandeur au principal, M. Larsy, vit dans une commune belge située à proximité de la frontière française. Il a travaillé en tant que pépiniériste indépendant et a exploité des terres en Belgique et en France jusqu' à ce qu' il prenne sa retraite en 1989. Pendant toute la durée de son activité, il a toujours versé des cotisations auprès de l' organisme belge d' assurance vieillesse.

2. L' ordonnance de renvoi expose que M. Larsy s' est acquitté de ses obligations sociales tant en Belgique qu' en France pour la période allant du 1er janvier 1964 au 31 décembre 1977.

3. Malheureusement, l' ordonnance de renvoi n' apporte pas d' autres précisions. Il résulte toutefois des pièces du dossier de la juridiction nationale que, pour les revenus acquis en France et en Belgique, M. Larsy n' avait tout d' abord dû s' acquitter de cotisations sociales qu' en Belgique. En 1967, l' administration française lui a fait savoir que, pour les superficies situées en France, il devait cotiser en France, et ce rétroactivement à compter du 1er janvier 1964. M. Larsy a formé un
recours en justice à l' encontre de cette décision et s' est prévalu à cette occasion - en fin de compte sans succès - de la convention sur la sécurité sociale conclue le 17 janvier 1948 entre la Belgique et la France. Cette procédure s' est terminée en 1975 par sa condamnation à verser les cotisations sociales réclamées par l' administration française. Le 12 octobre 1978, la Belgique et la France ont conclu un avenant à cette convention, lequel est entré en vigueur le 1er janvier 1978. Depuis, les
prestations sociales portant sur l' ensemble des revenus de M. Larsy provenant de son activité de pépiniériste en Belgique et en France ne devaient plus (de nouveau) être acquittées qu' en Belgique.

4. Il résulte notamment des pièces du dossier que, du 1er janvier 1964 au 31 décembre 1977, M. Larsy a dû verser des cotisations, tant en Belgique qu' en France, aux organismes d' assurance vieillesse respectifs. A cet égard, il semble que, du moins pendant une partie de cette période (de 1964 à 1975), les revenus d' origine française ont été soumis à un double assujettissement en ce qu' ils ont donné lieu au versement de cotisations d' assurance vieillesse aussi bien en France qu' en Belgique.

5. La partie défenderesse au principal, l' institution belge en charge du régime national d' assurance vieillesse pour travailleurs indépendants a fixé la pension de retraite allouée à M. Larsy, pour l' année 1989, à un montant de 222 333 FB. Ce montant a été établi en se fondant sur la constatation que les périodes d' assurance de M. Larsy (allant du 1er janvier 1944 au 31 décembre 1988) correspondaient à la période de 45 ans nécessaire à l' octroi de la prestation complète et qu' ainsi, M. Larsy
avait droit à ce montant complet (45/45).

6. Au début de 1991, la Mutualité Sociale Agricole (l' organisme d' assurance vieillesse français compétent en ce qui concerne M. Larsy) a fait savoir à la partie défenderesse au principal que M. Larsy avait été soumis pendant 14 ans au régime français de sécurité sociale. A la suite de cela, la partie défenderesse au principal a modifié le montant de la pension de vieillesse belge et l' a fixé à 156 225 FB, avec effet au 1er octobre 1989 - c' est-à-dire à 31/45 du montant complet (1). Elle s'
appuyait à cet égard sur la disposition anticumul prévue à l' article 19 de l' arrêté royal n 72 du 10 novembre 1967 (2). La procédure au principal porte sur cette décision.

7. Le Tribunal du travail de Tournai (Belgique) a déféré à la Cour de justice pour qu' elle se prononce à titre préjudiciel, les questions suivantes:

1) L' article 19 de l' arrêté royal n 72 du 10 novembre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants est-il compatible avec l' objectif poursuivi par l' article 12 du règlement (CEE) n 2001/83 du 3 juin 1983?

2) L' article 19 de l' arrêté royal n 72 du 10 novembre 1967 est-il compatible avec l' article 51 du traité de Rome?

B - Appréciation

I - Interprétation des questions préjudicielles

8. Les questions déférées sont formulées de manière si générale qu' on pourrait avoir l' impression que la juridiction de renvoi souhaite une réponse à la question de savoir si l' application d' une disposition anticumul de droit national comme celle de l' article 19 de l' arrêté royal n 72 est compatible avec les dispositions du règlement (CEE) n 1408/71 (3) et du traité CEE. Comme chacun sait, la Cour de justice a déjà pris position à plusieurs reprises sur ce problème (4).

9. Le contexte permet toutefois de conclure qu' en réalité la juridiction nationale souhaite des éclaircissements sur la question de savoir si l' application d' une telle disposition anticumul était, au regard des circonstances particulières de l' espèce, compatible avec le droit communautaire. Les pièces figurant au dossier de la juridiction de renvoi confirment cette interprétation. Dans la procédure au principal, l' auditeur du travail avait proposé d' adresser à la Cour de justice une demande de
décision préjudicielle. Les questions qu' il avait formulées sont identiques aux questions déférées à la Cour. D' après les explications de l' auditeur du travail (5), ses questions étaient forgées à partir d' un contexte factuel dans lequel la personne en cause avait dû verser des cotisations d' assurance vieillesse, pendant une seule et même période, dans deux États (6).

10. Il est vrai qu' il aurait été souhaitable que, dans son ordonnance de renvoi, la juridiction nationale expose plus clairement les objectifs et le contexte des questions qu' elle déférait. Comme la Cour de justice l' a déjà indiqué, les informations fournies dans les décisions de renvoi ne servent pas seulement à lui permettre de donner des réponses pertinentes, mais "également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu' aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des
observations conformément à l' article 20 du statut de la Cour" (7). Seule la décision de renvoi est adressée aux États membres et aux autres parties intéressées sur le fondement de la disposition précitée. Le droit qu' elle prévoit de déposer des mémoires ou des observations écrites ne peut être exercé que si le contenu et la portée des questions posées ressortent avec une clarté suffisante de la décision de renvoi. A notre avis, l' ordonnance de renvoi que nous devons examiner ici satisfait encore
à ces exigences. Le gouvernement de la République fédérale d' Allemagne a certes fait savoir qu' il se trouvait dans l' incapacité de prendre position parce que l' ordonnance n' était pas compréhensible par elle-même. Il peut être répondu à cela que la décision de renvoi - quoique de manière extrêmement concise et laconique - donne les circonstances essentielles à la compréhension des questions déférées (8).

11. Par ses questions préjudicielles, le Tribunal du travail souhaite voir établi si l' application de la disposition anticumul de droit belge en question, est compatible avec le droit communautaire. A cet égard, il convient de rappeler que:

"selon une jurisprudence constante, s' il n' appartient pas à la Cour, dans le cadre de l' article 177 du traité, de se prononcer sur la compatibilité d' une réglementation nationale avec le droit communautaire, elle est, en revanche, compétente pour fournir à la juridiction nationale tous les éléments d' interprétation relevant de ce droit qui peuvent lui permettre d' apprécier cette compatibilité pour le jugement de l' affaire dont elle est saisie..." (9).

12. Par ses questions préjudicielles, la juridiction nationale souhaiterait essentiellement savoir si les dispositions du règlement n 1408/71 s' opposent à l' application d' une disposition nationale anticumul lorsque la personne en cause a dû verser, pendant la même période, des cotisations d' assurance vieillesse dans deux États membres.

13. En ce qui concerne le règlement n 1408/71, les questions préjudicielles ne mentionnent que son article 12. Toutefois la Commission a, à juste titre, fait observer que, pour le jugement de l' affaire dont la juridiction nationale est saisie, il convient de faire appel également à l' article 46 de ce règlement. A ce propos, il faut se souvenir que la Cour de justice a pour tâche

"d' interpréter toutes les dispositions de droit communautaire dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions" (10).

II - Dispositions nationales anticumul et droit communautaire

14. La Cour de justice s' est déjà maintes fois exprimée sur la question des rapports existant entre les dispositions anticumul des droits des États membres et le droit communautaire dans le domaine de l' assurance vieillesse. Dans la jurisprudence récente, il faut surtout mentionner les arrêts rendus dans les affaires Pian (11), Di Prinzio (12) ainsi que Di Crescenzo et Casagrande (13).

15. Ces décisions ont été rendues sur le fondement de la version du règlement n 1408/71 telle qu' elle existait avant sa modification par le règlement (CEE) n 1248/92 du 30 avril 1992 (14). Ce dernier règlement a modifié, entre autres, les articles 12 et 46 à 51 du règlement n 1408/71. Le nouvel article 95 bis inséré dans le règlement n 1408/71 précise, dans son premier paragraphe, que le règlement n 1248/92 n' ouvre aucun droit pour une période antérieure au 1er juin 1992 (15). La modification de
la fixation de la pension de retraite par la partie défenderesse au principal a déjà eu lieu en 1991, et doit donc être examinée en se fondant sur l' ancienne version du règlement n 1408/71. Toutefois, nous aurons ultérieurement à revenir sur ce nouvel état de la réglementation.

16. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice que:

"tant que le travailleur reçoit une pension en vertu de la seule législation nationale, les dispositions du règlement n 1408/71 ne font pas obstacle à ce que la seule législation nationale lui soit appliquée intégralement, y compris les règles anti-cumul nationales, étant entendu que si l' application de cette législation se révèle moins favorable au travailleur que celle du régime de l' article 46 du règlement n 1408/71, les dispositions de cet article doivent être appliquées" (16).

17. L' institution compétente doit donc procéder à chaque fois à une comparaison entre la prestation de vieillesse qui résulterait de l' application des dispositions nationales (et de leurs dispositions anticumul) et la pension qui serait calculée par application des dispositions du droit communautaire. Ensuite, l' intéressé doit se voir allouer la plus favorable de ces deux prestations (17).

18. Lors du calcul de la prestation de vieillesse sur la base de l' article 46 du règlement n 1408/71, les dispositions anticumul du droit national ne doivent pas être appliquées. Cela résulte de l' article 12, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement n 1408/71.

19. Le calcul de la prestation de vieillesse conformément à l' article 46, s' effectue en trois étapes:

a) En premier lieu, il faut calculer, en vertu de l' article 46, paragraphe 1, premier alinéa, le montant (montant "autonome") qui résulterait de l' application des dispositions nationales si la personne en cause ne bénéficiait pas d' une pension en vertu de la législation d' un autre État membre. A cette occasion, les dispositions anticumul du droit national ne doivent donc pas être appliquées (18).

b) Ensuite, il convient de déterminer en vertu de l' article 46, paragraphe 1, deuxième alinéa, la prestation qui résulterait de l' application de l' article 46, paragraphe 2.

A cet fin, on doit tout d' abord calculer le montant théorique de la prestation à laquelle l' intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d' assurance qu' il a accomplies dans différents États membres avaient été accomplies dans l' État en cause et sous la législation qu' applique l' institution de cet État à la date de la liquidation de la prestation (article 46, paragraphe 2, sous a)).

Lors de la totalisation de ces périodes d' assurance, l' institution compétente ne les prend toutefois en compte que jusqu' à la durée maximale prévue dans cet État membre pour l' octroi d' une prestation complète (article 46, paragraphe 2, sous c)). Si l' intéressé a déjà droit, sur le fondement de périodes d' assurance accomplies dans un seul État membre, au bénéfice d' une prestation complète (comme c' est ici le cas de M. Larsy en ce qui concerne sa pension belge), alors la comptabilisation des
périodes d' assurance accomplies dans un autre État membre n' est pas "nécessaire". Dans de tels cas, l' institution compétente calcule donc le montant théorique sans tenir compte des périodes d' assurance accomplies dans d' autres États membres (19).

Il convient ensuite de calculer sur cette base le montant "effectif" de la prestation. Celui-ci résulte du montant théorique au prorata de la durée des périodes d' assurance accomplies sous la législation de l' État concerné par rapport à la somme de toutes les périodes d' assurance (article 46, paragraphe 2, sous b)) (20).

Le montant effectif de la prestation (article 46, paragraphe 2) doit être comparé avec le montant autonome (article 46, paragraphe 1). Le montant le plus élevé est seul retenu (article 46, paragraphe 1, deuxième alinéa, deuxième phrase).

Ce calcul doit être effectué pour tous les États membres en application du droit desquels l' intéressé a accompli des périodes d' assurance.

c) Enfin, il convient de vérifier si la somme des montants revenant à l' intéressé sur la base du calcul décrit précédemment, ne dépasse pas le plafond fixé à l' article 46, paragraphe 3, premier alinéa. Selon cette disposition, la limite supérieure est constituée par le plus élevé des montants théoriques de prestations calculés selon les dispositions de l' article 46, paragraphe 2, sous a). Si cette limite est dépassée, les prestations de vieillesse doivent être réduites en conséquence (article 46,
paragraphe 3, deuxième alinéa) (21).

20. Si le montant qui résulte de l' application précédemment décrite de l' article 46 du règlement n 1408/71, est plus favorable que celui résultant de l' application du droit national, c' est lui qui doit alors être alloué à l' intéressé. Si, par contre, le montant qui résulte de l' application exclusive des dispositions nationales (et des dispositions anticumul du droit national) est plus favorable à l' intéressé, c' est celui-ci qui doit lui être alloué.

21. Sur la question des modalités du calcul de la pension dans le cas d' espèce, le gouvernement belge a soumis à la Cour de justice une lettre de la partie défenderesse au principal. Cette lettre expose que cette dernière, en application des dispositions de l' article 46 du règlement n 1408/71, a calculé un montant effectif au sens de cette disposition s' élevant à 226 778 FB (22) et que ce montant - puisqu' il dépassait le montant calculé sur la base des seules dispositions belges - a été alloué à
M. Larsy.

22. En conséquence, M. Larsy se verrait même attribuer plus que ce qu' il avait demandé à l' origine. Interrogée par la Cour de justice, la juridiction nationale a néanmoins confirmé qu' elle maintenait les questions déférées. A ce propos, il convient de faire remarquer que - sauf dans des cas exceptionnels - l' appréciation de la nécessité d' une décision préjudicielle pour la décision qu' elle a à prendre relève exclusivement de la juridiction nationale, tout comme la pertinence des questions
déférées (23).

III - Calcul de la pension en cas de versement de cotisations dans plusieurs États membres au cours de la même période

23. Pourtant, cela n' épuise pas encore toute la problématique du cas d' espèce. Dans ses questions, la juridiction nationale ne se réfère qu' à la disposition anticumul du droit belge. Comme nous l' avons déjà exposé, cette disposition ne peut trouver d' application que si la pension qui résulte de la législation nationale est plus élevée que le montant calculé en application de l' article 46 du règlement n 1408/71. En définitive, il s' agit cependant, pour la juridiction nationale, de savoir si la
pension qui doit être allouée à M. Larsy en Belgique peut être réduite au motif qu' il perçoit en même temps une pension en provenance d' un autre État membre, et cela, bien qu' il ait versé pendant une seule et même période des cotisations d' assurance vieillesse dans deux États. Toutefois, une telle réduction peut également résulter de l' article 46, paragraphe 3, du règlement n 1408/71. C' est pourquoi, à notre avis, une réponse pertinente aux questions déférées ne peut être donnée sans que cette
disposition soit soumise à un examen plus approfondi.

24. En l' espèce, une pension de droit français revient à M. Larsy sur le fondement des 14 années pendant lesquelles il a - contre son gré - été affilié au régime d' assurance vieillesse français, pension dont le montant ne ressort cependant pas du dossier. En même temps, il a droit, selon les déclarations de la partie défenderesse au principal (figurant dans sa lettre produite par le gouvernement belge), à une pension calculée conformément à l' article 46, paragraphes 1 et 2. Le montant de cette
pension correspond au montant théorique au sens de l' article 46, paragraphe 2, puisque M. Larsy a accompli en Belgique toutes les périodes d' assurance nécessaires à l' octroi de la prestation complète. Toutefois, pour le calcul de la totalité de la prestation à laquelle l' intéressé pourrait prétendre en application de l' article 46, le montant théorique le plus élevé constitue, en vertu du paragraphe 3 de cet article, le plafond. A supposer que le montant théorique le plus élevé résultant du
droit belge, soit plus élevé que celui qui résulte de l' application du droit français, M. Larsy ne pourrait jamais recevoir plus que le montant complet de la pension belge. Cependant, M. Larsy aurait également touché le montant complet de la pension belge s' il n' avait pas travaillé en France et n' y avait pas versé de cotisations. Cela signifierait que le fait que M. Larsy a payé pendant 14 ans des cotisations en France serait sans aucune influence sur le montant de la pension.

25. L' absurdité de ce résultat saute aux yeux. Une personne qui a fait usage de son droit à la libre circulation se trouverait ainsi pénalisée par rapport à une personne qui ne l' a pas fait. Le préjudice résulte de ce que la personne en cause a dû verser, pendant la même période, des cotisations d' assurance vieillesse dans plusieurs États membres, sans qu' en fin de compte, le versement de cotisations supplémentaires aboutisse à une pension corrélativement plus élevée. Les faits de la présente
procédure donnent à penser qu' il devrait s' agir ici de cas exceptionnels. Malgré cela, nous devons en retenir que l' application de l' article 46, paragraphe 3, à de tels cas a des conséquences qui pourraient empêcher quelqu' un de faire usage de son droit à la libre circulation.

26. La Cour de justice a déjà décidé que les dispositions du droit communautaire dérivé ne doivent pas être interprétées de telle sorte que les personnes qui exercent leur droit à la libre circulation perdent des avantages que leur assure déjà la seule législation d' un État membre (24). Dans la présente affaire, il s' agit toutefois d' avantages qui sont octroyés par le droit communautaire lui-même - à l' article 46, paragraphes 1 et 2, du règlement n 1408/71.

27. L' établissement d' un plafond par l' article 46, paragraphe 3, sert à "éviter des cumuls injustifiés, résultant notamment de la superposition de périodes d' assurance et de périodes assimilées" (25). Ici, il faut bien partir du fait que, nonobstant le versement par M. Larsy de cotisations dans deux États membres, il s' agit de la même période (les années de 1964 à 1977), de sorte qu' on peut parler d' une "superposition" de périodes d' assurance. Cependant, dans de telles circonstances, on ne
peut en tout cas pas parler de cumul injustifié. Si une personne est obligée, pour une seule et même période, de verser des cotisations d' assurance vieillesse dans deux États membres, elle doit alors pouvoir aussi bénéficier des avantages qui en résultent (26).

28. Certes, dans l' arrêt qu' elle a rendu dans l' affaire Collini, la Cour de justice a déclaré que:

"la règle anticumul prévue à l' article 46, paragraphe 3, s' applique dans tous les cas où la somme des prestations calculées conformément aux dispositions des paragraphes 1 et 2 dépasse la limite du plus élevé des montants des pensions théoriques, même si le dépassement de cette limite ne résulte pas d' une superposition de périodes d' assurance" (27).

Ce qui pourrait être compris en ce sens que l' article 46, paragraphe 3, devrait être effectivement appliqué dans chacun des cas qui relèvent de son libellé. Toutefois, une telle interprétation irait au-delà de ce que requiert la finalité de cette disposition.

29. Dans l' affaire Collini, il s' agissait d' un travailleur italien ayant travaillé sept années en Italie et 35 années en Belgique. L' institution italienne lui octroyait, sur le fondement de l' article 46, paragraphe 2, sous b), du règlement n 1408/71, une pension de 23 829 FB. Les 35 années de travail en Belgique, à elles seules, auraient procuré à l' intéressé un droit à une pension s' élevant à 326 389 FB. A cet effet, l' institution compétente aurait calculé cette pension de telle sorte qu'
aux 35 années de travail auraient été ajoutées encore huit années de périodes d' assurance fictives. Sur le fondement du temps de travail accompli en Italie, le nombre de ces années d' assurance fictives avait été réduit de huit à trois, ce qui aboutissait à un montant de pension de 300 490 FB. En Belgique, le montant théorique de l' article 46, paragraphe 2, s' élevait, dans cette affaire, à 336 748 FB. La Cour de justice a décidé que ce montant constituait la limite maximale au sens de l' article
46, paragraphe 3, et que l' intéressé ne pouvait pas, au total, recevoir un montant supérieur à celui-ci.

30. En l' espèce, il ne s' agit toutefois pas d' un problème d' années d' assurance fictives et de la question de leur rapport avec des périodes d' assurance selon le droit d' un autre État membre. Le demandeur au principal a travaillé pendant la période en question dans deux États membres, et a dû verser des cotisations d' assurance vieillesse dans ces deux États. Ces faits se différencient donc clairement de ceux qui servaient de fondement à l' arrêt rendu par la Cour de justice dans l' affaire
Collini. C' est pourquoi, à cet égard, il faut maintenir que la disposition de l' article 46, paragraphe 3, n' est pas applicable lorsqu' il ne s' agit pas d' un cumul "injustifié".

31. A ce propos, il semble utile de rappeler une des dispositions insérées dans le règlement n 1408/71 par le règlement n 1248/92. Selon l' article 46 bis, paragraphe 3, sous c), de la nouvelle version, en cas d' application de dispositions nationales anticumul, il n' est pas tenu compte du "montant des prestations acquises au titre de la législation d' un autre État membre qui sont servies sur la base d' une assurance volontaire ou facultative continuée". Il devrait en aller de même lorsque l'
intéressé, à côté de cotisations versées dans son propre État, a été de plus obligé de cotiser à l' assurance vieillesse dans un autre État membre.

32. Il convient donc de retenir que l' article 46, paragraphe 3, du règlement n 1408/71 n' est pas applicable dans la mesure où la personne en cause a été obligée de verser, pendant la même période, des cotisations d' assurance vieillesse dans plusieurs États membres.

IV - État du droit après l' entrée en vigueur du règlement (CEE) n 1248/92

33. Certes, comme nous l' avons déjà mentionné, le règlement n 1248/92 n' ouvre aucun droit pour une période antérieure au 1er juin 1992. L' article 95 bis, paragraphe 4, du règlement n 1408/71 décide toutefois que les droits des intéressés qui ont obtenu, antérieurement au 1er juin 1992, la liquidation d' une pension peuvent être révisés à leur demande, compte tenu des dispositions du règlement n 1248/92. C' est la raison pour laquelle il semble utile d' aborder brièvement le nouvel état du droit.

34. Selon la nouvelle version de l' article 46, paragraphe 1, sous a), point i), il faut calculer, comme jusqu' à présent, le montant "autonome" qui résulte de l' application des dispositions nationales. A cet effet, les dispositions anticumul du droit national ne doivent être appliquées que dans deux cas particuliers (article 46 ter paragraphe 2, sous b), de la nouvelle version). Ensuite, il faut calculer le montant "effectif" de la prestation (article 46, paragraphe 1, sous a), point ii), combiné
avec le paragraphe 2, nouvelle version), opération pour laquelle les dispositions anticumul du droit national ne doivent pas être appliquées (article 46 ter, paragraphe 1, nouvelle version).

35. La nouvelle version de l' article 46, paragraphe 3, énonce ceci:

"L' intéressé a droit, de la part de l' institution compétente de chaque État membre en question, au montant le plus élevé calculé conformément aux paragraphes 1 et 2, sans préjudice, le cas échéant, de l' application de l' ensemble des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation au titre de laquelle cette prestation est due.

Si tel est le cas, la comparaison à effectuer porte sur les montants déterminés après l' application desdites clauses."

L' application de ces nouvelles dispositions paraît aboutir à la même solution que celle que nous avons dégagée sur le fondement de l' ancienne version du règlement n 1408/71.

C - Conclusion

Nous vous proposons donc de répondre comme suit aux questions déférées:

1) Les articles 46 et 12, paragraphe 2, du règlement (CEE) n 1408/71 dans leur version antérieure à la dernière modification apportée par le règlement (CEE) n 1248/92, doivent être compris en ce sens que l' application d' une disposition anticumul de droit national ne s' oppose pas à ce qu' une pension soit déterminée sur le seul fondement du droit national. Par contre, si la pension est établie sur le fondement de l' article 46, il n' y a pas lieu d' appliquer une disposition anticumul de droit
national.

2) Dans le cadre du calcul de la pension au titre de l' article 46, le paragraphe 3 de cette disposition n' est pas applicable dans la mesure où l' intéressé a été obligé, pendant la même période, de verser des cotisations d' assurance vieillesse dans plusieurs États membres.

(*) Langue originale: l' allemand.

(1) - A cette occasion, manifestement, c' est le montant en vigueur au moment de la modification qui a servi de base, lequel était quelque peu supérieur au montant en vigueur en 1989 (voir point 21).

(2) - Dans sa version résultant de l' article 142 de la loi du 15 mai 1984, Moniteur Belge du 22 mai 1984, p. 7035, plus précisément p. 7093. Le texte de cette disposition est reproduit dans le rapport d' audience.

(3) - Règlement (CEE) n 1408/71, du 14 juin 1971, relatif à l' application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l' intérieur de la Communauté, JO L 149, du 5 juillet 1971, p. 2, dans la nouvelle version résultant du règlement (CEE) n 2001/83, du 2 juin 1983, JO L 230, du 22 août 1983, p. 6.

(4) - Voir le chapitre II.

(5) - L' auditeur du travail est un représentant de l' intérêt public, et il assiste les juridictions du travail dans l' accomplissement de leurs tâches (voir sur ce point les articles 145 et 152 du code judiciaire belge ainsi que, pour plus de détails, J. Petit, De rechtspleging voor de arbeidsgerechten, n 75 et ss., dans: R. Blanpain (éditeur), Arbeidsrecht (état, septembre 1992).

(6) - Dans ses conclusions, l' auditeur du travail commente les questions proposées dans les termes suivants: Autrement dit, l' application d' une règle anti-cumul nationale est-elle conforme au droit communautaire dès l' instant où un travailleur, soumis pour une période donnée à l' application cumulative des régimes de sécurité sociale de deux États membres, peut prétendre, pour cette même période, aux prestations de vieillesse de la part de chacun de ces États ?

(7) - Arrêt du 1er avril 1982, Holdijk, affaires jointes 141 à 143/81, Rec. p. 1299, point 6.

(8) - Sur ce point, voir les déclarations de la Cour de justice dans l' affaire Holdijk, précitée (note 7), point 8 de la décision.

(9) - Arrêt du 18 juin 1991, Piageme, (C-369/89, Rec. p. I-2971, point 7).

(10) - Jurisprudence constante, voir en dernier lieu l' arrêt du 18 mars 1993, Viessmann, (C-280/91, Rec. p. I-0000, point 17).

(11) - Arrêt du 5 avril 1990, C-108/89, Rec. 1990, p. I-1599.

(12) - Arrêt du 18 février 1992, C-5/91, Rec. 1992, p. I-897.

(13) - Arrêt du 11 juin 1992, affaires jointes C-90/91 et C-91/91, Rec. 1992, p. I-3851.

(14) - JO L 136 du 19 mai 1992, p. 7. Une version consolidée du règlement n 1408/71 se trouve au JO C 325 du 10 décembre 1992.

(15) - Ce jour-là, le règlement n 1248/92 est entré en vigueur, en application de son article 4.

(16) - Arrêt du 2 juillet 1981, Celestre, point 9 (affaires jointes 116/80, 117/80, 119/80, 120/80 et 121/80, Rec. p. 1737). Cette jurisprudence vaut également pour les travailleurs indépendants (voir l' arrêt du 18 avril 1989, Di Felice, point 9, 128/88 (Rec. 1989, p. 923).

(17) - Arrêt Di Prinzio, précité (note 12), point 18.

(18) - Arrêt Di Prinzio, précité (note 12), points 34-35.

(19) - Arrêt Di Prinzio, précité (note 12), points 25-26 et 43-44.

(20) - Un exemple peut illustrer ce calcul: si l' intéressé a travaillé 30 ans dans un État A et 10 années dans un État B (et accompli les périodes d' assurance correspondantes), alors le montant à calculer en vertu de l' article 46, paragraphe 2, sous b) dans l' État membre A s' élève à trois quarts du montant théorique (qui doit être déterminé en application de la législation de l' État membre A prise en combinaison avec l' article 46, paragraphe 2, sous a)) et il s' élève dans l' État membre B à
un quart du montant théorique (à calculer en application de la législation de l' État membre B prise en combinaison avec l' article 46, paragraphe 2, sous a)).

(21) - Arrêt Di Prinzio, précité (note 12), points 60 et ss.

(22) - L' institution belge a calculé le montant effectif de la prestation en ce qu' elle a estimé à chaque fois à 45 ans les périodes d' assurance accomplies au titre des dispositions belges et celles accomplies en totalité, et a appliqué le rapport en résultant (45/45) sur le montant théorique, de sorte qu' ici les montants autonome, théorique et effectif, sont identiques. Nous tenons cela pour correct. La remarque faite par la Cour de justice dans l' arrêt Di Prinzio (précité, note 12), au point
58, d' après laquelle, dans un tel cas, le montant effectif serait nécessairement inférieur à celui du montant autonome ne nous paraît pas, dans sa généralité, être exact.

(23) - Voir par exemple l' arrêt du 28 novembre 1991, C-186/90, Durighello (Rec. 1991, p. I-5773, point 8). Du reste, on doit constater que la lettre de la partie requérante au principal, communiquée par le gouvernement belge, contient, au moins sur un point, une indication inexacte; il y est ainsi affirmé que l' application de la disposition nationale anticumul aurait conduit à la fixation de la pension à hauteur de 126 549 FB, soit 28,21/45 du montant total (voir à cet égard le point 6 ci-dessus).

(24) - Comparez par exemple avec l' arrêt du 15 octobre 1991, Faux (C-302/90, Rec. p. I-4875, points 27-28).

(25) - Huitième considérant du règlement n 1408/71 (voir JO L 149 du 5 juillet 1971, p. 2).

(26) - Il ne s' agit pas ici d' examiner si le préjudice subi par M. Larsy pourrait également être compensé d' une autre manière (par exemple, par le remboursement des cotisations qu' il avait versées à l' institution française).

(27) - Arrêt du 17 décembre 1987, 323/86, Rec. p. 5489, point 13 (souligné par nous).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-31/92
Date de la décision : 29/04/1993
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal du travail de Tournai - Belgique.

Pensions de vieillesse - Règles anticumul nationales et communautaires.

Sécurité sociale des travailleurs migrants


Parties
Demandeurs : Marius Larsy
Défendeurs : Institut national d'assurances sociales pour travailleurs indépendants.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1993:166

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