Avis juridique important
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61991C0325
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 16 décembre 1992. - République française contre Commission des Communautés européennes. - Acte attaquable. - Affaire C-325/91.
Recueil de jurisprudence 1993 page I-03283
édition spéciale suédoise page 00087
édition spéciale finnoise page I-00251
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1. Par le présent recours, la République française demande l' annulation, au titre de l' article 173, premier alinéa, du traité CEE, d' un acte dénommé "Communication de la Commission aux États membres - Application des articles 92 et 93 du traité CEE et de l' article 5 de la directive 80/723/CEE de la Commission aux entreprises publiques du secteur manufacturier" (1) (ci-après "communication").
2. Cette communication, notifiée aux États membres par lettre du 8 novembre 1991, se compose de deux parties. Dans la première (points 1 à 44), la Commission expose son interprétation de la jurisprudence de la Cour concernant les entreprises publiques ainsi que la manière dont elle entend appliquer les règles en matière d' aides d' État aux interventions publiques suivantes: apports en capital, garanties, prêts et rendement du capital investi.
Dans la seconde partie (points 45 et suivants), la Commission invite les États membres à lui transmettre annuellement, relativement aux entreprises du secteur manufacturier dont le chiffre d' affaires est supérieur à 250 millions d' écus, une série d' informations détaillées. C' est précisément cette partie que conteste le gouvernement français, au motif qu' il en résulterait une modification de la nature de l' obligation, telle que mise à la charge des États membres par la directive 80/723/CEE (2)
(ci-après "directive sur la transparence"), d' informer la Commmission de leurs relations financières avec les entreprises publiques.
3. Tout en renvoyant au rapport d' audience pour une description détaillée du contexte normatif dans lequel s' inscrit le présent litige, nous rappelons que la directive sur la transparence, adoptée sur la base de l' article 90, paragraphe 3, a comme but essentiel (ainsi qu' il résulte de ses considérants) de promouvoir, à l' égard des entreprises publiques, une application efficace des articles 92 et 93 du traité concernant les aides d' État. La transparence est garantie par l' obligation pour les
États membres de faire ressortir les mises à disposition de ressources, qu' elles soient effectuées directement par les pouvoirs publics ou par l' intermédiaire d' autres entreprises publiques ou d' institutions financières, en faveur des entreprises publiques, ainsi que l' utilisation effective par ces dernières desdites ressources (article premier). Les relations financières, dont la transparence est à assurer, sont notamment la compensation des pertes d' exploitation, les apports en capital ou en
dotation, les apports à fonds perdus ou les prêts à des conditions privilégiées, l' octroi d' avantages financiers sous forme de la non-perception de bénéfices ou du non-recouvrement de créances, la renonciation à une rémunération normale des ressources publiques engagées et la compensation de charges imposées par les pouvoirs publics (article 3).
L' obligation d' informer la Commission des relations financières en question est régie par l' article 5, qui impose aux États membres de tenir à sa disposition les données y relatives pendant cinq ans (par. 1) et de les lui communiquer, à sa demande, pour le cas où elle l' estime nécessaire (par. 2).
4. Et c' est précisément en rapport avec les dispositions précitées qu' est né le présent litige. Le gouvernement français estime en effet que, à la différence de ce que prévoit l' article 5, paragraphe 2, de la directive sur la transparence, la communication comporte à la charge des États membres et des entreprises publiques intéressées une obligation systématique et généralisée de fournir à la Commission les données relatives aux relations financières en question, données qui, au moins en partie,
s' ajoutent à celles déjà prévues par cette directive.
Plus précisément, le gouvernement requérant invoque une violation de l' article 190 du traité et du principe de sécurité juridique, dans la mesure où - à travers un acte dénué de base juridique - la Commission a introduit de nouvelles obligations juridiques à la charge des États membres et des entreprises publiques intéressées. De plus, en tout état de cause, ladite communication excède, selon lui, les limites du pouvoir discrétionnaire reconnu à la Commission par l' article 90, paragraphe 3, du
traité, compte tenu de son absence de nécessité, du caractère disproportionné des exigences qu' elle impose et de la discrimination qu' elle opère à l' égard des entreprises publiques par rapport aux entreprises privées.
La Commission demande, par contre, que le recours soit déclaré irrecevable, dans la mesure où l' acte attaqué n' ajoute, comme le démontre l' examen de son contenu, aucune nouvelle obligation à celles prévues par la directive sur la transparence. A titre subsidiaire, elle conclut à son rejet.
5. Comme on le sait, l' article 173, premier alinéa, habilite la Cour à exercer un contrôle de légalité uniquement sur les "actes autres que les recommandations ou avis", c' est-à-dire seulement sur les actes contraignants. Un acte qualifié de "communication" ne devrait donc pas, en tant que - au moins dans le principe - acte non contraignant, être attaquable devant la Cour.
Toutefois, il résulte de la jurisprudence en la matière que la forme sous laquelle l' acte se présente extérieurement paraît peut importante aux fins de l' admissibilité du contrôle juridictionnel, alors que ce sont les effets et le contenu de l' acte qu' il faut vérifier.
Plus spécialement, en ce qui concerne la notion d' acte attaquable au sens de l' article 173, premier alinéa, la Cour a précisé dès l' arrêt AETR (3) que le recours en annulation doit être ouvert à l' égard de "toutes dispositions prises par les institutions (quelles qu' en soient la nature ou la forme) qui visent à produire des effets de droit". Une telle approche a été confirmée dans l' arrêt instructions internes du 9 octobre 1990 (4) et encore dans l' arrêt code de conduite du 13 novembre 1991
(5); la Cour a en effet considéré comme étant susceptibles de recours tant les instructions internes que le code de conduite, actes sur lesquels portaient les affaires en cause, dans la mesure où ils étaient destinés à produire des effets juridiques.
6. Dans le cas d' espèce, nous sommes en présence d' un acte qualifié de communication, dépourvu de base juridique, qui ne porte la signature d' aucun membre de la Commission, mais qui a été adopté par celle-ci collégialement, publié dans la série C du journal officiel et ayant comme destinataires tous les États membres, auxquels il a par ailleurs été notifié par lettre du Commissaire compétent.
L' acte en question, tout en ne rentrant pas dans la catégorie des actes types, a donc été accompagné de modalités de rédaction et de publicité de nature à rendre claire la volonté de lier ses destinataires. Du reste, cela n' est aucunement contesté par la Commission, qui n' a jamais, au cours de toute la procédure, mis en doute sa portée obligatoire, affirmant même à l' audience que le non-respect des obligations prévues dans la communication en question entraînerait l' ouverture d' une procédure
d' infraction à l' encontre de l' État membre concerné.
Cela étant, et conformément à la jurisprudence précitée de la Cour en la matière, il s' avère par conséquent indispensable d' examiner le contenu de l' acte aux fins de vérifier s' il contient des obligations juridiques nouvelles par rapport à l' article 5 de la directive sur la transparence; dans cette optique, les problèmes de recevabilité seront examinés en même temps que le fond.
7. L' acte litigieux concerne l' application des articles 92 et 93 du traité ainsi que de l' article 5 de la directive sur la transparence: cela figure dans l' intitulé même de l' acte en question, la Commission et le gouvernement français l' ont soutenu de manière concordante et répétée tant dans leurs mémoires écrits qu' à l' audience, et - comme on le verra - un examen du contenu de l' acte le confirme. Un tel examen est toutefois limité à la partie de la communication relative à l' application
de l' article 5, étant donné que les griefs du gouvernement requérant concernent uniquement une prétendue modification des obligations incombant aux États membres, et indirectement aux entreprises intéressées, en vertu de cette disposition.
Comme nous l' avons déjà dit, la communication en question ne concerne que les entreprises du secteur manufacturier ayant un chiffre d' affaires supérieur à 250 millions d' écus. Et c' est justement pour ces entreprises que les données relatives aux relations financières visées doivent désormais être communiquées annuellement et non plus simplement tenues à la disposition de la Commission pour une période de cinq ans et ne lui être envoyées que sur demande, comme le prévoyait au contraire l' article
5 de la directive sur la transparence. A cela s' ajoute, toujours pour les entreprises concernées par la communication, que les déclarations périodiques (annuelles) qui y sont prévues doivent contenir également les données concernant les mouvements de capitaux à l' intérieur d' une même entreprise ou groupe d' entreprises, ainsi que toute une série de données détaillées non prévues, du moins pas de manière explicite, par la directive sur la transparence.
8. Nous commencerons par observer qu' il va de soi que la Commission peut demander des informations supplémentaires ou en tout état de cause non spécifiées dans la directive sur la transparence dans le cadre d' un cas spécifique; et ce non seulement sur la base de l' article 5, paragraphe 2, de ladite directive, mais également sur la base de diverses autres dispositions du traité (telles que les articles 5, 93 ou même 155). Aux fins qui nous intéressent en l' espèce, il faut par contre établir si la
communication a introduit, comme le soutient le gouvernement français, une obligation de communication systématique et généralisée et si l' obligation de présenter des déclarations périodiques (annuelles), comportant une série de données supplémentaires (par rapport à la directive sur la transparence), va au-delà des dispositions de l' article 5, paragraphe 2. Dans cette optique, il convient avant tout d' établir si la disposition en question peut être interprétée en ce sens qu' elle habilite la
Commission à demander systématiquement, pour toutes les entreprises d' un secteur déterminé dépassant un certain chiffre d' affaires, les données concernant les relations financières visées par la communication.
A notre avis, la lettre et l' esprit de l' article 5, paragraphe 2, s' opposent à une telle interprétation. Nous observons en effet que l' obligation de présenter à la Commission des déclarations périodiques, même si elle est limitée à un certain type d' entreprises, n' est absolument pas prévue, pas plus qu' elle ne peut être implicitement déduite de la lettre de la disposition en question. En outre, le fait même que les États membres doivent tenir à la disposition de la Commission, pendant cinq
ans, les données en question indique que leur communication ne peut être entendue, même de manière limitée à une certaine catégorie d' entreprises, comme une opération systématique et généralisée. L' article 5, paragraphe 2, prévoit en effet, de manière évidente, une obligation d' information una tantum, c' est-à-dire relative à des cas particuliers par rapport auxquels l' institution en question nourrit des doutes quant à l' existence de versements de fonds publics incompatibles avec les
dispositions du traité relatives aux aides d' État. Si tel n' était pas le cas, la disposition de l' article 5, paragraphe 1, serait entièrement vidée de tout contenu.
9. Si elle ne nie pas que les obligations prévues par la communication lient les États membres, la Commission conteste par contre sa nature d' acte réglementaire, en soutenant qu' il s' agit d' une simple application pratique de l' article 5, paragraphe 2, à un cas spécifique: à savoir celui des entreprises manufacturières ayant un chiffre d' affaires supérieur à 250 millions d' écus. Dans cette optique, il est déterminant, selon elle, que, en ce qui concerne la France, seules 14 entreprises soient
concernées par la communication et que la liste de celles-ci, envoyée à la Commission par les autorités françaises compétentes à une date encore antérieure à la notification de la communication, constitue un acte "négocié", dans la mesure où il a été rédigé d' un commun accord par la Commission et les autorités françaises.
Or, il nous semble dénué de pertinence que les autorités françaises aient communiqué à la Commission les noms des 14 entreprises dès le mois de mai 1991, soit avant la notification de la communication, dans la mesure où cette dernière avait été portée à la connaissance des États membres, au stade de projet, déjà en juillet 1990. Il ne nous paraît pas davantage déterminant que la liste des 14 entreprises concernées ait été dressée d' un commun accord entre les parties: ainsi qu' il résulte en effet
de l' arrêt code de conduite (6), l' éventuelle adoption d' un acte par consensus n' est pas de nature à modifier la situation juridique des États membres, à moins que la possibilité d' adopter un tel acte "négocié" ne soit expressément prévue par une disposition communautaire. En outre, la Commission a elle-même soutenu que la liste en question est étrangère à l' objet du présent recours dans la mesure où elle n' a pas été attaquée.
10. Cela étant, il convient d' établir si la communication en cause est, comme le soutient la Commission, un acte complexe constitué d' un faisceau d' actes individuels, visant de manière spécifique chaque État membre et chaque entreprise ou groupe d' entreprises intéressés, ou si, au contraire, il s' agit, comme l' affirme le gouvernement français, d' un acte ayant une portée générale.
Or, le fait que la liste en question ne comprenne que 14 entreprises n' est pas décisif à cet égard, étant donné qu' il n' est en l' espèce pas contesté que seules 14 entreprises françaises du secteur manufacturier ont un chiffre d' affaires supérieur à 250 millions d' écus: les 14 entreprises citées sont donc, en définitive, toutes les entreprises françaises intéressées par la communication. D' autre part, la possibilité d' identifier les destinataires d' un acte n' est pas susceptible d' en
changer la nature.
Ainsi qu' il résulte en effet d' une jurisprudence constante de la Cour, un acte ne peut pas être considéré comme une décision ou un ensemble de décisions individuelles lorsqu' il s' adresse, en termes généraux et abstraits, à des catégories de personnes indéterminées et s' applique à des situations déterminées objectivement (7). Et tel est précisément le cas de la communication en question, qui individualise, sur la base de critères objectifs (appartenance à un secteur déterminé et chiffre d'
affaires supérieur à un montant donné), toute une série d' entreprises, actuelles et futures.
Par ailleurs, la Commission confirme elle-même ce point de vue en reconnaissant que la liste en question est susceptible d' évolution: et ce, à l' évidence, précisément parce que certaines entreprises y figurant pourraient ne plus rentrer dans le champ d' application de la communication et, à l' inverse, de nouvelles entreprises pourraient y être incluses si leur chiffre d' affaires annuel dépassait 250 millions d' écus.
11. En définitive, nous estimons ne pas pouvoir partager la thèse de la Commission selon laquelle la communication constitue une simple mesure d' application et d' exécution des obligations visées à l' article 5. Il s' agit plutôt d' un acte ayant une portée générale et abstraite, qui introduit une obligation systématique de communication relativement à toutes les entreprises qui rentrent dans son champ d' application, lesquelles sont individualisées sur la base de critères objectifs.
En ce qui concerne, enfin, la thèse avancée à l' audience, selon laquelle la communication serait en substance une circulaire adressée aux services de la Commission, afin que ceux-ci demandent aux États membres, en conformité avec l' article 5, paragraphe 2, de la directive sur la transparence, les données relatives aux relations financières des entreprises identifiables à travers la communication, nous nous bornerons à observer que cette dernière est adressée aux États membres, auxquels elle a par
ailleurs été notifiée, et non aux services de la Commission.
12. A cela s' ajoute, comme nous l' avons déjà exposé, que la communication en question impose l' envoi d' une série de données non prévues, du moins pas explicitement, par la directive sur la transparence. Nous nous référons en premier lieu à l' inclusion dans le domaine d' appplication de l' article 5, opérée par ladite communication, des mouvements de capitaux à l' intérieur d' une même entreprise ou groupe d' entreprises.
Or, s' il est vrai que l' article premier de la directive sur la transparence inclut dans le champ d' application de celle-ci les mises à disposition de ressources publiques effectuées par l' intermédiaire d' autres entreprises publiques et qu' on pourrait faire rentrer dans une telle hypothèse lesdits mouvements de capitaux, il est tout aussi vrai qu' en l' absence de spécification en ce sens la formulation de la disposition laisse plutôt penser que ces opérations sont en dehors du champ d'
application de la directive. Cette interprétation trouve confirmation dans la lettre par laquelle la Commission a notifié aux États membres la directive sur la transparence. Il y est en effet expressément affirmé que la directive en question "ne comporte aucune ingérence dans la gestion économique et financière des entreprises et groupes publics: ne sont ainsi pas soumis aux exigences de la directive les mouvements de fonds à l' intérieur d' une entreprise publique ou groupe d' entreprises
publiques, mouvements caractéristiques de la gestion autonome de toute entreprise ou groupe, privé comme public".
13. La Commission soutient toutefois que l' inclusion en cause répond à la nécessité d' appliquer l' article 5 de manière cohérente avec l' évolution de la vie économique et, surtout, de la jurisprudence de la Cour en la matière, jurisprudence qui, dans les dernières années, a mis en évidence que les transactions effectuées à l' intérieur d' un même groupe peuvent constituer une aide au sens des articles 92 et 93 du traité (8), avec pour conséquence que la Commission aurait le pouvoir de donner à l'
article 5 une interprétation et une application différant de celles adoptées dans le passé.
Or, même à vouloir partager l' opinion de la Commission selon laquelle il n' existe aucun motif de soustraire ces mouvements de capitaux à la mission de surveillance qui lui incombe, leur contrôle s' avèrant même nécessaire, nous ne pouvons pas ne pas souligner que l' évolution de la vie économique, de même que celle de la jurisprudence, auraient dû trouver une réponse adéquate sur le plan normatif: à savoir une modification de l' acte en question.
14. Enfin, on rappellera que la communication visée introduit aussi l' obligation de communiquer une série de données détaillées, qui ne résultent pas toujours de la lettre et de l' esprit des dispositions pertinentes de la directive sur la transparence. Nous pensons en particulier à l' obligation de communiquer certaines données comptables, qu' en réalité les entreprises concernées sont déjà tenues de rendre publiques sur la base de la directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978, relative
aux comptes annuels de certains types de sociétés (9).
A cet égard, nous estimons toutefois ne pas pouvoir partager la thèse de la Commission selon laquelle le fait de lui communiquer certaines des données visées par la directive sur les comptes annuels ne pourrait en tout état de cause être de nature à comporter de nouvelles obligations pour les États et les entreprises, dans la mesure où ces dernières seraient déjà tenues par la directive à l' accomplissement de ces obligations comptables. Avant tout, comme l' a justement mis en lumière le
gouvernement français, la directive sur les comptes annuels oblige les entreprises à rendre publics les comptes financiers annuels, avec une série de données comptables particulières, mais certainement pas à créer deux lignes comptables distinctes et parallèles, dont une devrait concerner, par exemple, les prêts et garanties fournies par des entreprises publiques (par exemple des instituts financiers publics) et l' autre les mêmes opérations effectuées par des entreprises privées (par exemple
banques privés). Et le fait que cela comporte une charge supplémentaire pour les entreprises n' est que trop évident; il suffit de songer au fait qu' une même opération financière peut faire intervenir des opérateurs aussi bien privés que publics.
En outre, il ne s' agit pas simplement ici d' établir si la communication en question a ou non créé de nouvelles charges, entendues dans le sens de coûts supplémentaires (comptables), mais plutôt si l' obligation de fournir un certain type de données est ou non une simple spécification d' obligations déjà contenues dans la directive sur la transparence. Plus précisément, il s' agit d' établir si le caractère non exhaustif de l' énumération, contenue dans l' article 3 de la directive, des relations
financières dont il faut assurer la transparence, implique que la Commission puisse y faire rentrer, sans procéder à la moindre modification, toutes les opérations qu' elle juge opportunes.
Nous dirons d' emblée que cela ne nous paraît pas acceptable. S' il est en effet vrai que l' énumération de l' article 3 n' est pas exhaustive, il n' en est pas moins vrai qu' elle contient les données nécessaires pour garantir une application efficace des articles 92 et 93, étant entendu que la Commission peut demander, lorsqu' elle en voit la nécessité, des informations supplémentaires relatives à un cas spécifique. Toutefois, rien dans l' article 5, paragraphe 2, ne permet à la Commission de
demander, de manière systématique et généralisée, les données comptables en cause.
15. Il résulte des considérations qui précèdent qu' en imposant aux États membres, et indirectement aux entreprises publiques intéressées, une obligation systématique et généralisée de fournir une série d' informations détaillées, la communication en question outrepasse les dispositions de l' article 5, paragraphe 2, de la directive sur la transparence. Il s' ensuit que la communication en question constitue un acte destiné à produire des effets juridiques distincts de ceux visés par ladite
disposition et qu' il s' agit par conséquent d' un acte attaquable.
16. Cela établi, nous rappelons que le gouvernement français soutient que cet acte devrait être annulé dans la mesure où: a) il viole l' article 190 et le principe de sécurité juridique, et b) dépasse les limites du pouvoir d' appréciation reconnu à la Commission par l' article 90, paragraphe 3, du traité, compte tenu de son absence de nécessité, de la disproportion des obligations qu' il impose et de la discrimination des entreprises publiques par rapport aux entreprises privées qu' il introduit.
En commençant par les griefs formulés sous b), nous relevons en premier lieu qu' ils sont, en substance, identiques à ceux examinés par la Cour dans l' arrêt du 6 juin 1982 (10) concernant la directive sur la transparence. Nous dirons d' emblée que les réponses données alors par la Cour restent valables également en l' espèce, compte tenu de l' évolution précitée de la jurisprudence de la Cour en matière d' aides d' État, en particulier des formes variées que peut revêtir la mise à disposition de
ressources qui constitue une aide d' État au sens des articles 92 et 93 du traité.
17. Plus précisément, la nécessité d' élargir le domaine d' application de l' article 5, paragraphe 2, est amplement motivée dans la communication litigieuse, qui indique qu' il s' est avéré nécessaire de préciser davantage les obligations visées dans la directive, à la suite de l' évolution de la vie économique et de la jurisprudence en la matière.
De même, la prétendue discrimination entre entreprises publiques et privées, invoquée sur la base du fait que seules les premières seraient tenues de rendre compte également des mouvements de capitaux à l' intérieur d' une même entreprise ou groupe d' entreprises, peut s' expliquer par la nature des relations financières "particulières" entre entreprises publiques et pouvoirs publics, de sorte qu' elle n' est pas disproportionnée par rapport à l' objectif pursuivi: à savoir une application efficace
des dispositions sur les aides aux entreprises publiques. Savoir si ces mouvements de fonds constituent ou non des aides d' État est un autre problème - qui devra être résolu au cas par cas -.
En définitive, en adoptant la communication en question, la Commission n' a pas excédé les limites des pouvoirs discrétionnaires que lui confère l' article 90, paragraphe 3, du traité.
18. Il ne reste donc à examiner que si la communication attaquée viole l' article 190 du traité et le principe de sécurité juridique. Le gouvernement français soutient en effet que, dans la mesure où elle impose des obligations nouvelles, la communication aurait dû être fondée sur une base juridique précise; cette carence aggraverait en outre l' incertitude quant à la nature même des nouvelles obligations qu' elle prescrit.
La présumée violation de l' artricle 190 se réfère, en substance, à l' absence de base juridique. Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour en la matière que, pour satisfaire à cette obligation de motivation, "il est nécessaire que les actes communautaires comprennent l' exposé des éléments de fait et de droit sur lesquels l' institution s' est fondée, de sorte que la Cour puisse exercer son contrôle et que tant les États membres que les intéressés connaissent les conditions dans lesquelles les
institutions communautaires ont fait application du traité"; et que, en particulier, l' omission de la référence à une disposition précise du traité peut ne pas constituer un vice substantiel "lorsque la base juridique d' un acte peut être déterminée à l' appui d' autres éléments de celui-ci" (11).
Dans cette optique, et sans qu' il soit contesté que la base juridique correcte pour une modification de l' article 5, paragraphe 2, de la directive sur la transparence aurait dû être l' article 90, paragraphe 3, disposition qui ne prévoit pas la consultation des autres institutions ou organes, devons-nous nécessairement en déduire qu' en adoptant la communication en cause la Commission n' a violé aucune règle de procédure, de sorte que l' omission de la base juridique ne constitue pas une violation
susceptible d' entraîner l' annulation de l' acte?
19. A cet égard, nous ferons d' abord remarquer que la jurisprudence précitée en matière de base juridique a été élaborée par rapport à des cas dans lesquels la portée obligatoire de l' acte n' était pas en cause, le litige ne portant que sur le fait que l' indication de la base juridique se résumait à un renvoi général au traité; il convenait donc uniquement d' établir quelles conséquences tirer de l' absence de spécification de la disposition du traité sur laquelle reposait l' acte en question.
Dans l' affaire qui nous occcupe, la situation se présente par contre tout à fait différemment. Nous sommes en effet face à un acte qui, ainsi qu' il résulte de l' examen de son contenu, a modifié, pour une catégorie déterminée d' entreprises publiques, les obligations incombant aux États membres en vertu de la directive sur la transparence. Cela implique que, conformément à l' article 90, paragraphe 3, cet acte aurait dû être adopté sous la forme d' une directive, comme d' ailleurs la Commission l'
avait déjà fait à l' occasion d' une précédente modification (12): laquelle n' avait effectivement donné lieu à aucun problème, et encore moins à un contentieux devant la Cour.
Il est donc évident qu' en l' espèce l' omission de la base juridique, qui plus est dans un acte portant une dénomination atypique, n' est pas seulement pertinente eu égard à d' éventuelles conséquences sur la procédure de formation de l' acte en question, mais surtout quant à la caractérisation dudit acte, qualifié de "communication" par l' institution qui l' a adopté, donc comme un acte normalement pas obligatoire. En d' autres termes, l' absence de base juridique aggrave, ainsi que le soutient la
requérante, l' incertitude quant au caractère obligatoire même des comportements prescrits dans la communication, posant de la sorte un problème de sécurité juridique.
20. A cet égard, qu' il nous soit permis de rappeler que dans les conclusions que nous avons présentées dans l' affaire instructions internes nous avons suggéré à la Cour de répondre en termes explicites à une question préliminaire visant à savoir si en l' absence d' un minimum de formes substantielles, et donc indépendamment de la circonstance que, à l' issue d' une vérification concrète du contenu de l' acte, on relève qu' il vise à produire des effets juridiques, on peut considérer que l' acte en
question est apte produire ces effets (13). La Cour, tout en ne se prononçant pas expressément sur cette question, a confirmé indirectement que le critère formel est sans importance et que, partant, il convient de procéder à la qualification de l' acte seulement sur la base de son contenu.
Toutefois, le choix ainsi opéré par la Cour, dans le cadre de la recevabilité du recours juridictionnel, ne peut encore être interprété, à notre avis, en ce sens que les vices formels qui affectent éventuellement l' acte sont toujours et en tout état de cause sans pertinence pour apprécier sa validité. Une telle conclusion serait en outre contredite précisément par les motifs qui sous-tendent la jurisprudence en question: le renforcement de la protection juridictionnelle des administrés et, par là
même, de la sécurité juridique.
21. Or, dans la mesure où elle est adoptée par une institution habilitée à adopter un acte obligatoire dans le secteur en question, une "communication" qui vise à produire des effets juridiques et qui est dans l' abstrait apte à les produire ne peut qu' engendrer confusion et incertitude chez ses destinataires, qu' il s' agisse d' États membres ou de particuliers, quant au caractère obligatoire des comportements qu' elle prescrit. Et cela, à l' évidence, ne nuit pas seulement aux administrés, mais
aussi à l' administration elle-même.
Dans le cas d' espèce, le problème de la sécurité juridique est même aggravé par le fait que dans le secteur des aides il est courant que la Commission adopte des communications non obligatoires, comme l' a reconnu la Cour dans l' arrêt Deufil (14), ce qui implique que, en présence d' un acte intitulé "communication" les administrés seraient appelés à décider s' il s' agit d' une communication "type" et donc non contraignante, ou d' un acte qui, tout en n' apparaissant pas obligatoire de par sa
dénommination, impose impérativement certains comportements déterminés. En d' autres termes, les administrés se retrouvent dans l' incertitude non seulement quant à la base juridique de l' acte, mais aussi et surtout en ce qui concerne l' aspect plus important qui est constitué par le caractère obligatoire ou non des comportements qui découlent pour eux de l' acte.
A cet égard, il n' est pas inutile de rappeler que, sur la base d' une jurisprudence constante de la Cour, "la législation communautaire doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables" (15); et ce précisément en application du principe de sécurité juridique, lequel fait partie de l' ordre juridique communautaire (16). Or, il nous semble que l' affirmation de la Cour vaut, à plus forte raison, dans un cas comme celui qui nous occupe, dans lequel ce n' est pas une disposition
qui engendre l' ambiguïté, mais l' acte entier, compte tenu du fait qu' il a l' apparence d' un acte non contraignant, alors qu' il est et veut être le contraire.
L' ambiguïté de l' acte en question résulte en outre de l' attitude de la Commission au cours de la procédure. Elle a, en effet, soutenu, d' une part, que l' acte n' imposait pas d' obligations nouvelles de sorte qu' elle n' était pas tenue d' adopter une directive, et, d' autre part, que les obligations qu' il imposait devaient en tout état de cause être respectées, sous peine d' une procédure d' infraction.
22. En définitive, il ne nous paraît pas possible de partager la thèse de la Commission selon laquelle le choix de la base juridique et de la forme n' ont d' importance particulière qu' à l' égard d' actes dont l' adoption dépend d' une procédure ad hoc ou relève de la compétence d' une institution déterminée, ce qui ne serait pas le cas en l' espèce, la compétence exclusive de la Commission étant incontestée.
Nous estimons, en effet, que le fait que l' article 90, paragraphe 3, pertinent dans le cas d' espèce, prévoie la compétence exclusive de la Commission pour adopter des actes obligatoires dans le secteur en question, n' autorise pas ladite institution à le faire sous la forme qui lui plaît le plus, au besoin en adoptant carrément un acte typiquement ... non contraignant, à plus forte raison si ladite disposition prescrit uniquement l' adoption de directives et de décisions, donc d' actes
obligatoires types au sens de l' article 189. A cet égard, il ne nous paraît pas superflu de rappeler ce qu' a déclaré la Cour à propos d' actes typiquement non obligatoires, tels que les recommandations: à savoir qu' elles "sont généralement adoptées par les institutions de la Communauté lorsqu' elles ne détiennent pas, en vertu du traité, le pouvoir d' adopter des actes obligatoires ou lorsqu' elles estiment qu' il n' y a pas lieu d' édicter des règles contraignantes" (17).
J' ajoute enfin qu' il ne nous semble pas requérir de la part de la Commission un grand effort d' adopter, conformément aux dispositions du traité, des actes "types" pourvus d' une base juridique et dont il résulte de manière claire et non équivoque qu' il s' agit d' actes obligatoires pour leurs destinataires (18); et ce à plus forte raison quand elle en a la compétence, ainsi qu' il résulte de l' affirmation précitée de la Cour à propos des recommandations.
23. A la lumière des considérations qui précèdent, nous suggérons donc à la Cour d' accueillir le recours et de condamner la Commission aux dépens.
(*) Langue originale: l' italien.
(1) - JO C 273 du 18.10.1991, p. 2.
(2) - Directive de la Commission du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques (JO L 195, p. 35).
Concl. C-325/91
GA
(3) - Arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, points 38 à 43 des motifs (22/70, Rec. p. 263).
(4) - Arrêt du 9 octobre 1990, France/Commission, point 8 des motifs (C-366/88, Rec. p. I-3571).
(5) - Arrêt du 13 novembre 1991, France/Commission, point 8 des motifs (C-303/90, Rec. p. I-5315).
(6) - Arrêt précité du 13 novembre 1991, point 34 des motifs.
(7) - Voir par exemple ordonnance du 5 novembre 1986, UFADE, point 11 des motifs (117/86, Rec. p. 3255).
(8) - Voir, par exemple, arrêt du 21 mars 1991, ENI/Lanerossi, points 11 à 13 des motifs (C-303/88, Rec. p. I-1433).
(9) - JO L 222, p. 11.
(10) - Arrêt du 6 juin 1982, France, Italie, Royaume-Uni/Commission (188 à 190/80, Rec. p. 2545).
(11) - Arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, points 5 et 9 des motifs (45/86, Rec. p. 1493).
(12) - Voir directive 85/413/CEE de la Commission du 24 juillet 1985 modifiant la directive 80/723/CEE relative à la tansparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques (JO L 229, p. 20).
(13) - La nécessité de répondre à une telle question était dictée par la conviction que, s' il est vrai que le choix de la forme ne saurait modifier la nature de l' acte, il est tout aussi vrai que l' absence de certaines conditions de forme, en particulier de celles qui permettent d' identifier le caractère contraignant d' un acte, aurait pour conséquence que, même lorsqu' un examen de son contenu en révèlerait la vocation à produire des effets juridiques, ceux-ci seraient en tout cas inopposables
aux tiers. Il s' agirait, en substance, d' actes en tout état de cause dépourvus d' effets juridiques à l' égard des administrés et des États membres, et ce indépendamment du fait que la Commission soit ou non habilitée, dans le secteur considéré, à adopter des actes contraignants.
(14) - Arrêt du 24 février 1987, point 22 des motifs (310/85, Rec. p. 901). Dans cette affaire, interrogée sur la portée d' une communication de la Commission en matière d' aides au secteur textile, la Cour a en effet affirmé que la communication contient des règles indicatives définissant les lignes de conduite que la Commission entend suivre et qu' elle demande aux États membres de respecter...
(15) - Voir, entre autres, arrêt du 22 février 1984, Kloppenburg, point 11 des motifs (70/83, Rec. p. 1075); arrêt du 15 décembre 1987, Irlande/Commission, point 18 des motifs (325/85, Rec. p. 5041); Pays-Bas/Commission, point 24 (326/85, Rec. p. 5091), Allemagne/Commission, point 23 (332/85, Rec. p. 5143), France/Commission, point 17 (336/85, Rec. p. 5173) et Danemark/Commission, point 19 (348/85, Rec. p. 5225).
(16) - Voir arrêt du 21 septembre 1983, Deutsche Milchkontor, point 30 des motifs (affaires jointes 205 à 215/82, Rec. p. 2633).
(17) - Arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi, point 13 des motifs (affaire 322/88, Rec. p. 4407).
(18) - Il n' est pas superflu de rappeler le principe énoncé par la Cour selon lequel l' application uniforme du droit communautaire n' est garantie que si elle fait l' objet d' actes formels pris dans le cadre du traité (arrêt du 18 juin 1970, Krohn, point 9 des motifs, 74/69, Rec. p. 451). Et le fait que ce principe puisse et doive trouver application dès lors que le traité prévoit, dans le secteur considéré, l' adoption d' actes types, nous paraît incontestable.