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05/03/1991 | CJUE | N°C-239/90

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 5 mars 1991., SCP Boscher, Studer et Fromentin contre SA British Motors Wright et autres., 05/03/1991, C-239/90


Avis juridique important

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61990C0239

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 5 mars 1991. - SCP Boscher, Studer et Fromentin contre SA British Motors Wright et autres. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Mesure d'effet équivalent - Libre prestation de services - Voiture

s de luxe et d'occasion - Ventes aux enchères publiques. - Affaire C-239...

Avis juridique important

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61990C0239

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 5 mars 1991. - SCP Boscher, Studer et Fromentin contre SA British Motors Wright et autres. - Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. - Mesure d'effet équivalent - Libre prestation de services - Voitures de luxe et d'occasion - Ventes aux enchères publiques. - Affaire C-239/90.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02023

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La Cour de cassation française ( section commerciale, financière et économique ) soumet à la Cour une question préjudicielle sur l' interprétation des articles 30, 36 et 59 du traité CEE, en relation avec une loi de 1841, modifiée en 1943, qui, à l' article 1er, définit les conditions pour effectuer des ventes au détail de marchandises d' occasion selon le système des enchères publiques . Cette disposition nationale interdit, en particulier, ce type de vente pour les marchandises "dont sont
propriétaires ou détenteurs des commerçants qui ne sont pas inscrits au registre du commerce et sur le rôle de patentes, depuis deux ans au moins, dans le ressort du tribunal de grande instance où elles doivent être opérées ".

Nous limitons à l' essentiel le rappel des termes du litige, parvenu jusqu' à la Cour de cassation française, en renvoyant pour les détails au rapport d' audience . La société Nado, de droit allemand, dont le siège est à Hambourg, avait chargé la société civile professionnelle Boscher, Studer et Fromentin, commissaires-priseurs associés ( ci-après "BSF "), dont le siège est à Paris, de vendre selon le système des enchères publiques des voitures d' occasion, de luxe et de faible kilométrage ou, en
tout cas, prestigieuses, dans plusieurs villes françaises et à différentes reprises .

Plusieurs opérateurs du secteur, la société monégasque British Motors Wright et d' autres sociétés françaises, faisant valoir l' illégalité des ventes sur la base de la loi rappelée de 1841, ont demandé et obtenu du tribunal de grande instance de Paris que ces ventes soient interdites . L' argument de l' incompatibilité de l' interdiction avec le droit communautaire, avancé par la BSF, n' a été accueilli ni en première instance ni en appel; il a cependant suscité un doute chez les juges de dernière
instance; et c' est précisément ce doute, exprimé en quatre questions, que la Cour est appelée à lever .

Nous n' estimons pas devoir nous arrêter sur les deux premières questions, par lesquelles la Cour de cassation française demande si l' article 59 du traité doit être interprété en ce sens qu' il s' applique à l' hypothèse de ventes occasionnelles aux enchères publiques dans un État membre, par un commerçant établi dans un autre État membre, de marchandises d' occasion lui appartenant; et dans l' affirmative, si les conditions imposées par la loi de 1841 constituent des restrictions interdites . La
réponse ne peut qu' être négative, sans aucun doute raisonnable .

En effet, nous nous trouvons devant une condition imposée au vendeur et pour la vente de ses produits, de sorte que le cadre normatif dans lequel se situe la "prestation" est celui relatif à la libre circulation des marchandises, avec, en conséquence, l' exclusion des dispositions sur la libre prestation des services, selon le texte irréfutable de l' article 60 du traité . Si, toutefois, on pouvait relever, comme effet ultérieur de la restriction des ventes, un obstacle à la prestation du service de
commissaire-priseur, ce serait, en tout cas, un obstacle englobé par la restriction imposée aux ventes et donc à l' importation de marchandises ( arrêt du 7 mai 1985, Commission/France, point 12, 18/84, Rec . p . 1339; arrêt du 11 juillet 1985, Cinéthèque, points 10 et 11, 60/84 et 61/84, Rec . p . 2605 ).

Par la troisième question, la Cour de cassation française demande si l' article 30 du traité doit être interprété en ce sens qu' il fait obstacle à l' application de la loi citée de 1841, dans la mesure où celle-ci impose au vendeur de marchandises d' occasion provenant d' un autre pays membre d' être inscrit depuis au moins deux ans au registre du commerce du district dans lequel la vente aux enchères publiques est effectuée . En cas de réponse affirmative, la Cour de cassation française demande (
par la quatrième question ) si la restriction peut être justifiée par le motif de l' ordre public visé à l' article 36 du traité .

La réponse à donner à ces questions nous semble facile, étant donné l' orientation constante et sans équivoque de la Cour .

En substance, exiger du vendeur d' un autre pays membre l' inscription, au moins pendant les deux années précédant la vente, au registre du commerce local équivaut à lui imposer de recourir à un commerçant exerçant son activité dans le district; ou bien de renoncer au système de la vente aux enchères publiques . Or, la Cour a déjà déclaré que le fait de priver l' opérateur d' un autre État membre d' un système efficace de vente ( en dernier lieu, dans l' arrêt du 16 mai 1989, Buet, points 7 et 9,
382/87, Rec . p . 1235 ), ou de lui imposer d' avoir un représentant établi dans le pays où la vente a lieu ( arrêt du 26 février 1984, Commission/Allemagne, point 4, 247/81, Rec . p . 1111 ), constituent autant de cas d' obstacles aux importations . Et, s' il est vrai que le plus englobe le moins, il faut à plus forte raison considérer comme un obstacle aux importations le fait d' imposer au vendeur d' un autre État membre de "passer" par l' intermédiaire d' un vendeur local, peu importe qu' il
soit son affilié ou un parfait étranger . En tout cas, le respect de la prescription entraînerait des coûts supplémentaires .

S' agissant, toutefois, d' une législation indistinctement applicable, il faut se demander si l' obstacle aux importations relevé dans la loi française est nécessaire pour satisfaire des exigences impératives, en particulier la défense des consommateurs et la loyauté des opérations commerciales . La société British Motors Wright et les autres, qui ont intenté le procès et qui sont défenderesses en cassation, se prononcent évidemment pour une réponse positive, en se fondant en particulier sur des
opinions autorisées selon lesquelles la vente aux enchères publiques favoriserait les spéculations, induirait en erreur l' acheteur qui n' aurait pas le temps de réfléchir, donnerait au commerçant qui est sur le point de tomber en faillite la possibilité de réduire les garanties des créanciers, voire permettrait d' écouler plus facilement des produits volés .

En général, nous ne sommes pas parmi ceux qui sous-estiment les capacités de discernement du consommateur . En outre, l' expérience commune révèle que le système des ventes aux enchères publiques est normalement accompagné de garanties suffisantes, par exemple, un préavis convenable relatif aux produits mis en vente, aux jours d' exposition préalable au cours de laquelle il est possible de voir et de contrôler les produits, à l' identité du vendeur et des commissaires-priseurs, aux modalités de
paiement . En somme, le passionné qui voudrait participer à une vente aux enchères d' automobiles prestigieuses alors qu' il n' est pas une personne à laquelle le vendeur arrache à l' improviste et par tromperie le consentement à l' achat, a, de toute manière, la possibilité de réfléchir et de contrôler la bonne qualité du produit et la "clarté" de ses origines, ainsi que le sérieux et l' envergure commerciale et économique du vendeur; en plus, la Commission fait valoir que l' acheteur, en France
comme dans d' autres pays, a la garantie que le commissaire-priseur est inscrit sur une liste professionnelle contrôlée par l' administration compétente .

A cet égard, nous relevons qu' une loi qui imposerait au vendeur une série de garanties du type de celles que nous venons de signaler serait certainement de nature à satisfaire les exigences de protection du consommateur et de loyauté des opérations commerciales, en ayant des effets moins restrictifs sur la circulation des marchandises que la loi qui nous occupe .

En définitive, nous estimons que la condition imposée par la loi française de 1841 à la vente aux enchères publiques d' objets d' occasion constitue un obstacle aux importations interdit par l' article 30 du traité .

Des remarques analogues valent également pour la question concernant l' article 36 du traité, du point de vue de l' ordre public . En nous rappelant qu' il s' agit d' une règle d' interprétation stricte, il n' est pas possible - nous semble-t-il - de tirer du dossier un élément permettant d' estimer sérieusement que la condition imposée par la loi française de 1841 est nécessaire pour prévenir des trafics de produits volés et qu' il n' existe pas de moyens plus adéquats et moins restrictifs des
échanges . Nous rappelons, à cet égard, qu' un argument analogue a été repoussé par la Cour dans l' arrêt du 17 juin 1987, Commission/Italie, points 13 et 14 ( 154/85, Rec . p . 2735 ). A cette occasion, le gouvernement italien a tenté - quoique timidement - de faire valoir que les entraves administratives mises à l' immatriculation des voitures automobiles provenant d' un autre pays membre étaient justifiées en vertu de l' article 36 pour réprimer le trafic de véhicules volés; et la Cour a admis la
thèse de la Commission selon laquelle "des mesures moins contraignantes, tel, par exemple, un contrôle approprié du numéro de châssis, suffiraient pour atteindre l' objectif poursuivi ".

En définitive, nous estimons que la condition restrictive imposée par la loi française de 1841 ne peut pas trouver une justification raisonnable dans des motifs d' ordre public au sens et aux effets de l' article 36 du traité .

Pour les motifs exposés, nous suggérons donc à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par la Cour de cassation française :

"1 ) L' article 59 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il ne s' applique pas à une réglementation nationale régissant les conditions de la vente aux enchères publiques de produits appartenant à un commerçant établi dans un autre pays membre .

2 ) L' article 30 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à l' application d' une loi nationale qui subordonne la vente aux enchères publiques de produits d' occasion provenant d' un autre pays membre à l' inscription de l' entreprise propriétaire des marchandises mises en vente au registre commercial du lieu où la vente est effectuée .

3 ) La mesure nationale en question ne se justifie pas par les motifs d' ordre public visés à l' article 36 du traité ."

(*) Langue originale : l' italien .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-239/90
Date de la décision : 05/03/1991
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France.

Mesure d'effet équivalent - Libre prestation de services - Voitures de luxe et d'occasion - Ventes aux enchères publiques.

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Libre circulation des marchandises

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : SCP Boscher, Studer et Fromentin
Défendeurs : SA British Motors Wright et autres.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:102

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