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30/01/1991 | CJUE | N°C-249/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 janvier 1991., Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique., 30/01/1991, C-249/88


Avis juridique important

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61988C0249

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 janvier 1991. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Article 30 du traité CEE - Réglementation nationale sur le prix des produits pharmaceutiques - Régime des contrats de programme. - Aff

aire C-249/88.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-01275

Conclusions ...

Avis juridique important

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61988C0249

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 janvier 1991. - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique. - Article 30 du traité CEE - Réglementation nationale sur le prix des produits pharmaceutiques - Régime des contrats de programme. - Affaire C-249/88.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-01275

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Par le présent recours, la Commission vous demande de constater que le royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 30 du traité en matière de réglementation concernant les produits pharmaceutiques . La Commission conteste trois aspects de la réglementation nationale, à savoir le régime de fixation des prix maximaux ( 1 ), le régime d' admission au remboursement au titre de la sécurité sociale ( 2 ) et, enfin, le régime des "contrats de programme"
institués dans le secteur en question ( 3 ).

Ces régimes sont décrits en détail dans le rapport d' audience, auquel nous renvoyons; en conséquence, il n' y sera fait référence que dans la mesure nécessaire aux fins de l' analyse des différents griefs avancés par la Commission .

A - Le régime de fixation des prix maximaux

2 . Soulignons d' abord que la détermination des prix maximaux des produits pharmaceutiques, telle qu' elle est prévue par la législation belge, peut concerner tant les produits en général que les produits en "particulier", c' est-à-dire pris individuellement . C' est précisément cette seconde méthode qui est principalement utilisée par le ministre des Affaires économiques, à qui il incombe de fixer les prix maximaux après consultation de la commission des prix des spécialités pharmaceutiques .

Dans la réplique, la Commission a soutenu que la méthode consistant à fixer un prix individuel pour chaque produit permet d' intervenir de façon sélective selon l' origine des produits en question et qu' elle est donc en elle-même déjà susceptible de restreindre les possibilités d' importation .

A cet égard, nous observerons d' emblée que, dans la mesure où la Commission n' a pas contesté, ni au cours de la phase précontentieuse ni dans la requête, la compatibilité - en tant que telle - d' un pareil système de fixation des prix avec l' article 30 du traité, il s' agirait d' un moyen nouveau soulevé en cours de procédure et, par conséquent, irrecevable, ainsi que le gouvernement belge l' a d' ailleurs précisément fait valoir .

D' autre part, s' il est exact qu' un tel système, du fait de l' incidence qu' il permet d' avoir sur un produit individuel, peut conduire à des pratiques arbitraires, il n' en est pas moins vrai qu' il s' agit, en tout état de cause, d' une réglementation indistinctement applicable sur le plan formel : l' élément déterminant, qui fait l' objet des considérations exposées ci-après, réside donc dans la manière d' appliquer la réglementation en question; cette dernière ne saurait, en revanche, être
considérée en elle-même comme incompatible avec le droit communautaire .

3 . Cela étant dit, nous rappellerons d' abord le libellé de la directive 70/50/CEE de la Commission ( 4 ) qui, à l' article 2, paragraphe 3, sous d ) et e ), établit l' incompatibilité avec l' article 30 du traité des mesures qui "rendent impossible la majoration éventuelle du prix du produit importé correspondant aux frais et charges supplémentaires inhérents à l' importation", et de celles qui "fixent les prix des produits en fonction du prix de revient ou de la qualité des seuls produits
nationaux à un niveau tel qu' il en résulte un obstacle à l' importation ".

L' interprétation de l' article 30 énoncée dans la directive en question a été confirmée par une jurisprudence constante de la Cour ( 5 ). S' agissant plus spécialement de la fixation de prix maximaux, la Cour a déclaré dans l' affaire Tasca ( 6 ) que, en principe, "si un prix maximal indistinctement applicable aux produits nationaux et importés ne constitue pas en lui-même une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative, il peut cependant sortir un tel effet lorsqu' il est fixé à un
niveau tel que l' écoulement des produits importés devient soit impossible, soit plus difficile que celui des produits nationaux; qu' un prix maximal, pour autant, en tout cas, qu' il s' applique à des produits importés, constitue donc une mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative, notamment lorsqu' il est fixé à un niveau tellement bas que - compte tenu de la situation générale des produits importés comparée à celle des produits nationaux - les opérateurs désirant importer le
produit dont il s' agit dans l' État membre concerné ne pourraient le faire qu' à perte ".

Il résulte de cette jurisprudence qu' un régime national de prix maximaux viole l' article 30 du traité dès lors qu' il ne permet pas à un producteur ou à un importateur d' inclure dans le prix de vente les différents facteurs de coût du produit en question, y compris les charges supplémentaires inhérentes à l' importation .

A la lumière des considérations qui précèdent, abordons l' examen des différents griefs que la Commission a formulés à l' encontre du régime en question, et qui concernent :

- les critères prédominants utilisés pour la fixation des prix;

- le niveau non rémunérateur, pour les produits importés, des prix ainsi fixés;

- l' absence de transparence dans l' application des critères en cause .

- Les critères prédominants pour la fixation des prix

4 . Les prix "en particulier" sont fixés sur la base d' une série de critères, dix au total, dont certains tiennent compte d' éléments afférents également ou seulement aux produits importés ( par exemple, les éléments du prix ex-producteur ou ex-importateur, l' incidence des marges de distribution et de délivrance, l' incidence de la taxe sur la valeur ajoutée, la comparaison avec les prix pratiqués pour les produits comparables dans les autres pays ayant un niveau de vie similaire ), tandis que d'
autres se rapportent à des éléments propres au marché national ( par exemple, l' investissement et l' emploi, les conditions de marché et de concurrence et l' incidence sur l' exportation, la comparaison avec les prix pratiqués en Belgique pour les produits pharmaceutiques ou les médicaments comparables entre eux sur le plan thérapeutique et qui se trouvent sur le marché ). Les critères que nous venons de mentionner permettent, en principe, de prendre en compte les composantes spécifiques du coût
des produits importés .

Étant donné que, comme la Cour l' a affirmé dans l' affaire Cullet ( 7 ), "il est ... nécessaire pour éviter tout effet défavorable quant à l' écoulement sur le marché des produits importés que ces critères ( pour la fixation des prix ) prennent dûment en considération les prix de reprise de tous les opérateurs économiques, quelle que soit l' origine de la marchandise", nous relevons en outre que la prévision de critères se rapportant aux seuls produits nationaux n' est pas, en elle-même, de nature
à entraîner l' incompatibilité avec l' article 30 du traité ( 8 ). En effet, c' est là encore l' application, en pratique, des critères en cause qui importe .

Or, la Commission a fait valoir qu' une importance disproportionnée est accordée, pour la fixation des prix, aux critères qui tiennent compte exclusivement d' éléments propres au marché belge et que dès lors cette situation est de nature à entraver les importations . En substance, la Commission se borne d' ailleurs à énoncer le quid demostrandum ( c' est-à-dire que les prix ne tiennent pas compte des coûts afférents aux produits importés ), mais n' explique pas les raisons qui étayent cette
conclusion autrement qu' à l' aide d' exemples qui ne sauraient être tenus pour convaincants .

La thèse selon laquelle le critère utilisé à titre principal, pour les décisions de fixation des prix, serait celui relatif à la comparaison avec les prix pratiqués en Belgique pour les spécialités pharmaceutiques comparables entre elles sur le plan thérapeutique n' est, en effet, pas démontrée; au contraire, il ne s' agit que d' une extrapolation, d' autant que la Commission admet elle-même que "cela ne ( ressort ) pas nécessairement du relevé de la motivation reprise dans les lettres adressées par
le ministre aux entreprises" ( p . 10 de la réplique ).

La simple déduction de la Commission ( point II de la réplique ) selon laquelle, dans de nombreux cas, la couverture des coûts ne serait pas assurée, et que cela serait démontré par le fait que certaines entreprises auraient renoncé à importer leurs produits en Belgique en raison des prix trop bas, ne permet pas non plus de prouver que les critères afférents aux coûts des produits importés n' auraient pas été pris en considération, même lorsque les décisions de fixation des prix se réfèrent
expressément à ces critères .

Eu égard aux observations qui précèdent, il ne nous semble donc pas que la Commission ait apporté la preuve que les critères pris en considération pour la fixation des prix sont exclusivement ou principalement ceux qui tiennent compte uniquement d' éléments afférents au marché national .

- La fixation des prix à un niveau non rémunérateur

5 . La Commission reconnaît elle-même que la démonstration du caractère non rémunérateur de certains prix impliquerait une "analyse approfondie de la structure du coût du produit concerné" ( p . 8 de la requête ). Toutefois, elle n' effectue aucune analyse des coûts des produits, mais se borne à déduire le caractère non rémunérateur de la circonstance que les prix des médicaments sont plus élevés dans d' autres pays et du fait que certaines entreprises auraient renoncé à commercialiser leurs
produits en Belgique, parce que les prix imposés se situaient à un niveau tellement bas qu' ils n' étaient pas rémunérateurs .

A cet égard, il est incontesté que la part de marché des médicaments importés a atteint 60 % ( le même pourcentage qu' en 1975 ) et que la part des importations en provenance des États membres a augmenté . La Commission admet, en outre, que le prix moyen des produits importés est plus élevé que le prix moyen des produits nationaux .

Aux fins de démontrer le caractère non rémunérateur des produits importés, la Commission se borne à affirmer que le niveau auquel les autorités belges fixent les prix pour les produits mis pour la première fois sur le marché belge "laisse à penser que l' apport de ces produits à la rentabilité générale de l' entreprise est soit fort limité, soit négatif" ( p . 12 de la réplique ). Une affirmation de ce genre se passe de commentaires, eu égard à l' indiscutable charge de la preuve qui incombe à l'
institution dans le cadre d' une procédure telle que celle qui nous occupe .

S' agissant ensuite des produits déjà existants sur le marché, la Commission conteste la réglementation belge en faisant valoir que, puisque les prix déjà fixés ne peuvent pas être majorés sans l' accord préalable du ministre, elle conduit à bloquer les prix à un niveau tellement bas que l' écoulement des produits importés devient impossible .

La Commission soutient en effet que les critères susmentionnés, établis à l' article 3 de l' arrêté royal du 11 novembre 1975, excluent la prise en considération, pour accorder des hausses de prix, de l' augmentation des coûts des produits importés . Tel serait le cas, en particulier, en ce qui concerne les augmentations dues à des fluctuations monétaires .

Le gouvernement belge conteste que le régime des prix en question ait pour effet un blocage des prix, puisque des adaptations régulières sont prévues et qu' en outre une entreprise peut demander une augmentation du prix du produit concerné pour des raisons d' ordre économique .

Or, indépendamment de la question abstraite de savoir si un système de prix peut être considéré comme bloqué lorsque, en tout état de cause, il prévoit la possibilité d' une augmentation des prix en question, nous pensons qu' un tel système ne serait susceptible de comporter des effets restrictifs que s' il ne permettait pas d' adapter en temps utile les prix aux variations des coûts intervenues sur le marché .

Ainsi qu' il résulte de l' arrêt Danis ( 9 ), un régime de ce genre n' est pas incompatible avec le droit communautaire lorsque les prix sont bloqués à un niveau qui ne défavorise pas les produits importés et que les augmentations des prix sont accordées pour autant qu' elles soient justifiées .

En particulier, pour ce qui concerne l' hypothèse de fluctuations monétaires, on observera qu' une modification des parités ne doit en elle-même pas nécessairement entraîner une augmentation des prix . Il faudra donc toujours établir, dans chaque cas d' espèce, que le niveau des prix imposés, compte tenu des charges supplémentaires inhérentes aux importations, rend l' écoulement des prix impossible ou, en tout cas, moins avantageux que celui des produits nationaux .

Dans le cas d' espèce, la Commission n' a fait référence à aucune circonstance particulière de dévaluation du franc belge et n' a, en tout état de cause, pas démontré quelles fluctuations monétaires ont effectivement eu de telles conséquences, et dans quelle proportion .

Les considérations qui précèdent nous conduisent à penser que le grief examiné ci-dessus n' a pas été démontré à suffisance de droit .

6 . Dans le souci d' être complet, il nous paraît toutefois utile de mentionner l' analyse du niveau des prix qui a été effectuée par la Commission aux fins de démontrer que le régime en question entrave les importations, et en particulier que les prix ainsi fixés ne seraient pas rémunérateurs pour les importateurs .

En substance, la Commission a pris comme base un "panier" composé des 50 produits les plus vendus en Belgique en 1975 et les a comparés avec les mêmes produits, dix ans plus tard . Il ressort de cette analyse que le prix total des produits en question a baissé de 7,5 %, baisse qui atteint même 11 % si l' on considère les seuls produits remboursés .

Le gouvernement belge rejette catégoriquement cette méthode d' analyse et, en comparant, au contraire, le prix des 50 produits les plus vendus en 1975 avec celui des 50 produits les plus vendus en 1986, il démontre que les prix ont augmenté de 54,1 %.

Il s' agit de méthodes complètement différentes, mais qui à notre avis ne sont, ni l' une ni l' autre, tout à fait probantes, compte tenu de la spécificité du secteur pharmaceutique . En particulier, la méthode utilisée par la Commission, bien qu' elle soit théoriquement la plus apte à montrer l' évolution dans le temps des prix des produits, ne tient pas dûment compte de la circonstance qu' il s' agit d' un marché en évolution constante du fait de la recherche pharmaceutique et dans lequel il est
très fréquent que certains produits soient remplacés par d' autres produits plus efficaces .

A vrai dire, le fait de comparer les 50 mêmes produits pharmaceutiques à dix ans d' intervalle ne saurait être significatif, dans la mesure où, précisément, certains produits peuvent être définitivement retirés du marché tandis que d' autres sont, de toute façon, dépassés par des produits nouveaux et plus efficaces, de sorte que s' ils continuent à être commercialisés leur prix demeure cependant inchangé ou est même réduit .

Les autres analyse et méthode statistique utilisées par la Commission, et âprement contestées par le gouvernement belge, sont celles relatives à la comparaison des prix entre le marché belge et celui des autres États membres, en vue de démontrer que les prix sur ces derniers marchés sont nettement plus élevés qu' en Belgique .

Nous pensons qu' il n' est même pas nécessaire d' examiner la méthode et les résultats de cette comparaison, puisque les conclusions auxquelles nous sommes parvenu ne s' en trouveraient nullement modifiées; d' autre part, la Commission elle-même a honnêtement et explicitement admis qu' elle ne tirait aucune conséquence de droit des données relatives au niveau comparé des prix des produits pharmaceutiques dans les États membres de la Communauté .

- L' absence de transparence dans l' application des critères

7 . L' article 3 de l' arrêté du 11 décembre 1975 dispose que, dans la notification de sa décision sur la fixation du prix, le ministre des Affaires économiques communique à l' entreprise concernée les critères sur lesquels il s' est fondé . La Commission a soutenu que dans la plupart des cas les décisions en question se bornent à mentionner qu' il a été tenu compte des critères 1 à 10 . Une telle pratique ne permettrait donc pas de connaître les critères, dans chaque cas particulier, sur lesquels
le ministre s' est fondé pour fixer le prix maximal des produits concernés ni, a fortiori, d' en apprécier la motivation .

Le gouvernement belge fait valoir que cette pratique a été abandonnée suite à une série d' arrêts du Conseil d' État ( 10 ); le ministre a donc modifié la manière de motiver ses décisions, dans lesquelles les critères pris en compte sont à présent explicités . Notons à cet égard que la Commission, tout en admettant que la pratique contestée est à présent moins fréquente que dans le passé, observe qu' elle est encore utilisée . Toutefois, le seul exemple que la Commission cite à l' appui de ses
arguments est antérieur aux arrêts susmentionnés du Conseil d' État .

Le gouvernement belge soutient, en outre, que la présence, dans la commission des prix des spécialités pharmaceutiques, d' un représentant de l' industrie a pour effet que les entreprises connaissent les raisons qui ont conduit à la fixation du prix pour le produit individuel considéré .

Cela étant, nous rappellerons d' abord que, dans l' arrêt Duphar ( 11 ), la Cour a affirmé, à propos des critères d' admission au remboursement au titre de la sécurité sociale, que les critères en question doivent, entre autres, être "contrôlables par tout importateur ".

Une pareille exigence est, de l' avis de la Commission, indispensable également en ce qui concerne les décisions de fixation des prix ( 12 ). Dans cette optique, les conditions pour que les opérateurs du secteur, en particulier les importateurs, puissent vérifier quels critères ont été appliqués ne sauraient être considérées comme réunies compte tenu d' une simple énumération des critères appliqués ni de la circonstance qu' un représentant de l' industrie fait partie de la commission des prix . De
ce point de vue, la pratique belge, bien qu' elle ait été modifiée à la suite des arrêts précités du Conseil d' État, ne serait pas de nature à permettre aux importateurs de vérifier de quelle façon les critères ont été appliqués, et en particulier quelle a été l' incidence de chacun de ces critères aux fins de la détermination du prix du produit concerné .

8 . A cet égard, observons tout d' abord qu' une obligation de motivation est assurément indispensable lorsque, comme en l' espèce, la législation en question se limite à une énumération des critères et laisse au ministre compétent la tâche de déterminer, après consultation de la commission des prix des spécialités pharmaceutiques, lesquels de ces critères il y a lieu de prendre en compte pour chaque cas individuel, ainsi que l' incidence de chacun d' entre eux .

Or, l' existence d' un pareil pouvoir discrétionnaire, fût-ce en présence de critères qui sont objectifs, en ce sens que dans leur ensemble ils tiennent compte des coûts spécifiques des produits importés, exige, à notre sens, que la décision de ne pas permettre la commercialisation d' un produit donné au prix proposé par l' importateur doit clairement expliciter les motifs sur lesquels elle est fondée .

Partant de la constatation du défaut de transparence dans l' application des critères en question, fait qui au demeurant n' est pas vraiment contesté par le gouvernement belge en ce qui concerne le problème de la communication des motifs aux entreprises, il convient d' examiner si cette absence de transparence est de nature à constituer en elle-même une infraction à l' article 30 .

Nous répondrons par l' affirmative, parce que nous estimons qu' un régime de fixation des prix tel que celui visé en l' espèce, dans la mesure où il est appliqué à des produits "en particulier", c' est-à-dire pris individuellement, peut engendrer des pratiques arbitraires et, partant, des discriminations en raison de l' origine des produits . En conséquence, toute mesure susceptible d' avoir pour effet de restreindre les importations doit être assortie d' une motivation qui permette de vérifier que
les critères en question ont été appliqués de façon à ne pas constituer une entrave à l' importation .

D' autre part, la Cour a itérativement déclaré que les autorités nationales compétentes ont l' obligation de motiver un acte individuel lorsque ce dernier a une incidence sur la protection effective de droits directement conférés par le traité au particulier ( 13 ). Cela, notamment, aux fins de garantir l' efficacité d' un éventuel contrôle juridictionnel, laquelle exigence constitue un principe général du droit communautaire .

La solution adoptée est, en outre, conforme aux principes spécifiquement énoncés par la Cour dans l' arrêt Duphar, précité, en ce sens que l' existence de critères objectifs et contrôlables est considérée comme condition essentielle aux fins de la conformité d' une pareille réglementation avec le droit communautaire .

Eu égard aux observations qui précèdent, nous considérons donc comme fondé le grief selon lequel le fait de ne pas connaître la manière dont les critères sont appliqués est susceptible d' entraver les importations et constitue donc une violation de l' article 30 .

B - Le régime d' admission au remboursement

9 . La législation belge mise en cause par la Commission prévoit que seuls les produits figurant sur une liste spéciale peuvent faire l' objet d' un remboursement . L' admission sur ces listes est effectuée sur la base d' un certain nombre de critères afférents à la composition, au prix et à l' intérêt social de chaque produit .

La Commission, en s' appuyant sur certains cas concrets, révélés par quelques entreprises, qui sont censés démontrer que ces dernières se sont vues contraintes de baisser le prix de leur produit en dessous du seuil de rentabilité ou de renoncer au remboursement, avec pour conséquence une exclusion du marché, soutient que le régime en question est incompatible avec l' article 30 .

Elle formule deux griefs à l' encontre du régime en question, à savoir l' absence de transparence en ce qui concerne les critères utilisés pour l' admission au remboursement et la subordination, dans de nombreux cas, de l' admission au remboursement à une baisse du prix proposé par l' entreprise concernée .

Avant de passer à l' examen du bien-fondé de ces griefs, il nous paraît indispensable de fournir certains éclaircissements .

Il résulte de la requête de la Commission que, après l' échéance fixée dans l' avis motivé et avant l' introduction du recours, le régime belge a été modifié par l' arrêté royal du 20 avril 1988 ( 14 ). La Commission, tout en reconnaissant que les modifications apportées par cet arrêté sont de nature à éliminer la majeure partie des inconvénients reprochés, considère cependant que le régime d' admission au remboursement "continue ... à présenter certains problèmes au regard de l' article 30 du
traité" ( p . 24 de la requête ).

Or, dans la mesure où la Commission n' a pas renoncé aux griefs en question et étant donné que, selon une jurisprudence constante de la Cour ( 15 ), l' objet d' un recours introduit en vertu de l' article 169 est de faire constater que l' État en cause a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité et qu' il n' a pas mis fin à ce manquement dans le délai fixé à cet effet par l' avis motivé de la Commission, il en résulte que, aux fins du présent recours, il y a lieu de prendre en
considération la situation existant au moment de l' expiration du délai imparti au royaume de Belgique pour se conformer à l' avis motivé .

- Les critères

10 . Selon la Commission, les décisions relatives à l' admission au remboursement ne sont pas fondées sur des critères objectifs et contrôlables, condition que la Cour a cependant considérée comme essentielle dans l' arrêt Duphar ( 16 ).

La Commission conteste les critères d' admission en reprochant l' absence de règles claires pour la répartition des produits pharmaceutiques dans les quatre catégories de remboursement prévues par la réglementation . En particulier, les critères relatifs à la composition constitueraient, en substance, une simple énumération de groupes thérapeutiques, de classes chimiques, voire de produits . Il s' agirait donc de critères arbitraires en ce sens qu' ils permettraient, de l' avis de la Commission, de
faire passer un produit d' une catégorie à l' autre et d' éviter ainsi la comparaison avec des produits ayant la même valeur thérapeutique . Cela précisément parce qu' un tel système permettrait, théoriquement, de classer des produits qui ont le même effet thérapeutique dans des catégories différentes .

D' autre part, les décisions d' admission au remboursement ne seraient pas suffisamment motivées et ne permettraient donc pas aux entreprises de faire valoir leur point de vue .

Le gouvernement belge conteste les griefs susmentionnés en soutenant que les critères en question sont objectifs, dans la mesure où l' admission au remboursement est fondée essentiellement sur la valeur thérapeutique du produit concerné par rapport aux autres produits de la même catégorie . A cet égard, le gouvernement belge fait observer que le classement dans des catégories de remboursement différentes de produits destinés à traiter un même type de pathologie est justifié en raison de la
différence d' efficacité thérapeutique des produits en question . De toute façon, les critères en cause ne comporteraient aucune discrimination entre produits importés et produits nationaux, d' autant plus que des produits nationaux seraient aussi exclus du remboursement .

Ces critères seraient, en outre, contrôlables, selon le gouvernement belge, dans la mesure où les entreprises sont assurément informées par l' intermédiaire des discussions qui ont lieu au sein du conseil technique des spécialités pharmaceutiques .

Il convient de rappeler à cet égard que, dans l' arrêt Duphar, précité, la Cour a précisé que, compte tenu de la spécificité du "commerce des produits pharmaceutiques, caractérisé par la substitution des institutions de sécurité sociale aux consommateurs pour la prise en charge des frais médicaux, une législation du type de celle en cause ( exclusion du remboursement de certains produits ) ne saurait être considérée en elle-même comme constituant une restriction à la liberté d' importation garantie
par l' article 30 du traité, si certaines conditions se trouvent réunies" ( 17 ). Elle a, en outre, déclaré que "la conformité d' une pareille réglementation avec le traité implique que dans le choix des médicaments à exclure toute discrimination au détriment des médicaments importés soit écartée . A cette fin, les listes d' exclusion doivent être établies selon des critères objectifs, indépendants de l' origine des produits et contrôlables par tout importateur" ( 18 ).

Or, étant donné qu' en l' espèce la Commission ne démontre aucunement que la réglementation attaquée a pour effet une discrimination au détriment des produits importés, nous observons qu' il ressort des arguments avancés sur ce point par la Commission, en ce qui concerne le manque d' objectivité des critères sur lesquels se fondent les décisions d' admission au remboursement, qu' elle conteste plutôt l' application faite en pratique de la réglementation en question, dans la mesure où elle serait
susceptible de comporter des discriminations, que la prévision en tant que telle des critères en cause . Quoi qu' il en soit, les éléments et les arguments avancés par la Commission ne nous paraissent pas établir à suffisance de droit le manque d' objectivité des critères en cause .

Il convient, en revanche, de retenir le grief selon lequel les décisions qui refusent l' admission au remboursement ne sont pas motivées ou, plus précisément, qu' elles n' étaient pas motivées jusqu' à l' adoption de l' arrêté royal du 20 avril 1988 . Ce point appelle les mêmes remarques que celles qui ont été formulées en ce qui concerne l' absence de transparence dans l' application des critères utilisés pour la fixation des prix .

Compte tenu des considérations qui précèdent et à la lumière de l' arrêt Duphar, nous estimons que les critères d' admission au remboursement ne sont pas contrôlables par les entreprises et qu' en conséquence, sous cet angle, la réglementation en question est de nature à entraver les importations et comporte donc une violation de l' article 30 .

- La demande de réduction du prix

11 . Le deuxième grief en la matière concerne le fait que souvent, l' admission au remboursement est subordonnée à une baisse du prix proposé par l' entreprise concernée . Dans le cadre d' un régime de prix déjà bas, une telle circonstance porterait les entreprises soit à renoncer au remboursement, soit à vendre à des prix non rémunérateurs . La Commission cite une série d' exemples de produits qui ont été retirés du marché pour ces motifs, exemples que le gouvernement belge conteste ponctuellement
.

La Commission elle-même reconnaît d' ailleurs que le système en soi n' est pas discriminatoire, mais fait valoir que le mécanisme dans son ensemble aurait pour conséquence pratique d' entraver les importations, du fait, précisément, de la non-rentabilité qui en découlerait pour certains produits importés; de ce point de vue, il serait donc incompatible avec l' article 30 .

Un pareil argument, que le gouvernement belge conteste ( en faisant valoir entre autres que la question du caractère rémunérateur des prix est étrangère à l' objet de la discussion relative à l' admission au remboursement ), ne saurait toutefois être accueilli, étant donné que la Commission n' a pas démontré le caractère non rémunérateur des prix en question .

En effet, la Commission ne procède pas à une analyse du coût des produits en question, analyse qui serait seule de nature à démontrer le caractère non rémunérateur des prix de ces produits du fait d' une baisse supplémentaire imposée aux entreprises pour pouvoir bénéficier du remboursement en question .

En conséquence, nous estimons qu' il y a lieu de rejeter le grief dont il est question .

C - Le régime des contrats de programme

12 . La Commission considère que le régime des contrats de progamme dans le secteur des produits pharmaceutiques est discriminatoire au détriment des produits importés, et ce sous deux aspects .

En premier lieu, ne sont admis à bénéficier de tels contrats, selon les conditions requises, que les produits fabriqués en Belgique, lesquels peuvent donc bénéficier d' augmentations de prix qui sont, au contraire, exclues dans le cas des produits importés .

En second lieu, s' agissant de l' admission au remboursement, les produits domestiques bénéficient d' un avantage supplémentaire, dans la mesure où ils continuent à bénéficier du remboursement même si leur prix augmente et qu' ils ne remplissent plus les conditions requises par le régime d' admission au remboursement . Simultanément, les prix des produits importés restent, au contraire, bloqués . En outre, les médicaments faisant l' objet d' un contrat de programme ne peuvent pas servir de référence
pour la fixation de la base de remboursement des produits dont le prix est fixé en vertu de la réglementation générale . Cette circonstance rend, en fait, encore plus discriminatoire le système en question .

Il s' agit d' une discrimination manifeste que le gouvernement belge ne conteste d' ailleurs pas . Il se borne, en effet, à faire valoir qu' une pareille législation a été abrogée par une loi-programme du 30 décembre 1988 ( 19 ) suite à l' avis motivé du 30 novembre 1987 et que, par conséquent, sous cet aspect le recours serait, dès lors, devenu sans objet . Le gouvernement belge s' est, en effet, engagé à ne plus conclure des contrats de programme et à ne pas renouveler les contrats existants .
Toutefois, les contrats encore en vigueur continuent à sortir leurs effets .

La Commission estime donc que le manquement reproché au gouvernement belge n' a pas encore été éliminé . D' autre part, selon une jurisprudence constante de la Cour, l' objet d' un recours introduit au titre de l' article 169 est fixé par l' avis motivé et, même au cas où le manquement a été éliminé postérieurement au délai déterminé par la Commission, la poursuite de l' action conserve un intérêt ( 20 ).

13 . A la lumière des considérations qui précèdent, nous concluons donc en suggérant à la Cour de :

- déclarer que le Royaume de Belgique, en fondant les décisions de fixation des prix maximaux des produits pharmaceutiques et les décisions d' admission au remboursement de ces derniers sur des critères non contrôlables, et en instituant le régime des contrats de programme, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 30 du traité;

- rejeter le recours pour le surplus;

- condamner la partie défenderesse aux dépens .

( *) Langue originale : l' italien .

( 1 ) Loi du 9 juillet 1975 ( Moniteur belge du 30.7.1975, p . 9328 ) et arrêté royal du 11 décembre 1975 ( Moniteur belge du 16.12.1975, p . 15989 ).

( 2 ) Arrêté royal du 1er septembre 1980 ( Moniteur belge du 30.9.1980, p . 11106 ) et arrêté royal du 2 septembre 1980 ( Moniteur belge du 30.9.1980, p . 11107 ).

( 3 ) Arrêté royal du 14 octobre 1985 ( Moniteur belge du 21.11.1985, p . 17137 ).

( 4 ) JO L 13, p . 29 .

( 5 ) Voir les arrêts du 29 novembre 1983, Roussel, point 17 ( 181/82, Rec . p . 3849 ); du 29 janvier 1985, Cullet, point 23 ( 231/83, Rec . p . 315 ); du 9 juin 1988, Commission/Italie, point 6 ( 56/87, Rec . p . 2919 ).

( 6 ) Arrêt du 26 février 1976, point 13 ( 65/75, Rec . p . 291 ).

( 7 ) Arrêt du 29 janvier 1985, précité, point 26 .

( 8 ) Voir, à cet égard, l' arrêt du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, points 72 à 74 ( C-347/88, Rec . p . I-4747 ).

( 9 ) Arrêt du 6 novembre 1979, points 7 et 10 ( affaires jointes 16/79 à 20/79, Rec . p . 3327 ).

( 10 ) Arrêts 20987 à 20993 du 27 février 1981 et 23215 à 23220 du 6 mai 1983 .

( 11 ) Arrêt du 7 février 1984, point 21 ( 238/82, Rec . p . 523 ).

( 12 ) Il s' agit d' ailleurs d' une exigence qui est désormais codifiée dans la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d' application des systèmes nationaux d' assurance maladie ( JO L 40 du 11.2.1989, p . 8 ).

( 13 ) Voir, à cet égard, l' arrêt du 15 octobre 1987, Heylens, points 15 et 16 ( 222/86, Rec . p . 4097 ), dans lequel le principe en question a été énoncé en ce qui concerne la libre circulation des travailleurs .

( 14 ) Moniteur belge du 29.4.1988, p . 5118 .

( 15 ) Voir, en dernier lieu, l' arrêt du 13 décembre 1990, Commission/Grèce, point 40, cité à la note 8 .

( 16 ) Arrêt du 7 février 1984, précité, point 22 .

( 17 ) Arrêt du 7 février 1984, précité, point 20 .

( 18 ) Ibidem, point 21 .

( 19 ) Moniteur belge du 5.1.1989, p . 75 .

( 20 ) Voir, entre autres, l' arrêt du 17 juin 1987, Commission/Italie ( 154/85, Rec . p . 2717 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-249/88
Date de la décision : 30/01/1991
Type de recours : Recours en constatation de manquement - non fondé, Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Article 30 du traité CEE - Réglementation nationale sur le prix des produits pharmaceutiques - Régime des contrats de programme.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume de Belgique.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Grévisse

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1991:33

Source

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