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05/12/1990 | CJUE | N°C-198/89

CJUE | CJUE, Conclusions jointes de l'avocat général Lenz présentées le 5 décembre 1990., Commission des Communautés européennes contre République française., 05/12/1990, C-198/89


CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 5 décembre 1990 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Les circonstances matérielles

1. La Cour n'a pas, il est vrai, décidé de joindre les trois procédures en manquement engagées contre la France, la Grèce et l'Italie dont il s'agit aujourd'hui, mais ces dernières sont si intimement liées du point de vue des faits que nous nous permettons de les traiter sous la forme de conclusions communes.

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CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. CARL OTTO LENZ

présentées le 5 décembre 1990 ( *1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A — Les circonstances matérielles

1. La Cour n'a pas, il est vrai, décidé de joindre les trois procédures en manquement engagées contre la France, la Grèce et l'Italie dont il s'agit aujourd'hui, mais ces dernières sont si intimement liées du point de vue des faits que nous nous permettons de les traiter sous la forme de conclusions communes.

2. Les trois États membres se voient reprocher une infraction à l'article 59 du traité CEE, et, dans les trois cas, les circonstances à la base de ce grief sont fondamentalement les mêmes. Il s'agit d'une entrave à l'activité de guides touristiques accompagnant un groupe de touristes qui voyagent à partir d'un autre État membre.

3. Il n'y a jusqu'ici aucune harmonisation communautaire en la matière pas plus qu'en ce qui concerne l'activité des guides touristiques en général. En premier lieu, une telle activité ne relève pas de la directive 89/48/CEE relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans ( 1 ), car les États dans lesquels elle est réglementée assortissent l'acquisition du permis d'exercer de
conditions moins strictes que celles qui sont prévues dans cette directive [voir l'article 1er, sous a), et l'article 2 de la directive]. En ce qui concerne à présent l'autre texte, la directive 75/368/CEE relative à des mesures destinées à favoriser l'exercice effectif de la liberté d'établissement et de la libre prestation des services pour diverses activités (ex-classe 1 à classe 85 CITI) et comportant notamment des mesures transitoires pour ces activités ( 2 ), les activités de guide
touristique sont exclues de son champ d'application (voir article 2, paragraphe 5).

4. Dans les trois États membres défendeurs, les activités des guides touristiques sont soumises à une réglementation résultant de dispositions légales, à la différence de plusieurs autres États membres où cette activité n'est pas réglementée.

5. La notion de guide touristique (en France: guide interprète) fait l'objet d'une définition formulée de manière différente selon la réglementation nationale concernée. Nous ne voyons là aucune différence essentielle. L'activité est toujours décrite en ce sens qu'il s'agit de guider des personnes, avec une présentation et des commentaires, en relation avec des objets ou des lieux déterminés. Alors que la définition utilisée en France est liée pour l'essentiel aux endroits dans lesquels l'activité
est exercée (voies publiques, musées, monuments historiques, transports publics), la définition grecque est plus orientée vers les objets présentés ou commentés. La définition italienne contient les deux éléments. On peut toutefois s'apercevoir que toutes les définitions sont formulées de sorte à porter sur l'activité consistant à guider, présenter et commenter en relation avec, si possible, la totalité des points d'attraction qui peuvent d'une façon ou d'une autre présenter un intérêt pour des
touristes, qu'il s'agisse d'un intérêt artistique, architectural, historique ou de tout autre caractère culturel, de telle sorte que seules les visites de lieux dans un but exclusif de divertissement ne sont pas couvertes par les définitions.

6. Dans les États membres cités, l'activité de guide touristique ainsi définie n'est permise qu'aux personnes qui bénéficient d'un permis d'exercer cette activité (attesté par un document spécial), cette limitation ne s'appliquant en France que dans les départements et communes fixés par un arrêté du ministère chargé du tourisme.

7. Dans les trois cas, l'octroi de ce permis d'exercer suppose une qualification déterminée, généralement attestée par la réussite à un examen. En ce qui concerne le déroulement et le contenu de ces examens, nous avons obtenu des renseignements complémentaires au cours de l'audience orale. Il semble ainsi que, dans les trois cas, il se déroule dans la langue de l'État concerné, à l'exception de la France où l'épreuve orale de trente minutes se déroule pour la moitié de sa durée dans la langue
maternelle du candidat. Il faut en outre prouver des connaissances dans au moins une langue étrangère. En ce qui concerne les connaissances spécialisées, nous savons qu'en France le contrôle porte sur des connaissances relatives à l'héritage culturel de ce pays, à son histoire et à son économie; l'examen s'étend en outre aux capacités du candidat à diriger des visites commentées. En ce qui concerne la Grèce, nous devons nous limiter à dire que l'examen est pris en charge par l'école grecque de
guides touristiques, de telle sorte que son contenu est certainement orienté sur ce qui a été enseigné dans cette école pendant le cycle d'enseignement précédent. En Italie, le contrôle porte sur des connaissances fondamentales des oeuvres artistiques, des monuments, des richesses archéologiques, des beautés naturelles ou, en tout cas, de ce que l'endroit où la personne concernée exerce son activité offre du point de vue touristique.

8. Comme nous l'avons déjà dit, le grief formulé par la Commission n'est pas dirigé contre les règles que nous venons d'exposer dans leur totalité, mais seulement contre le fait que la prestation de service des personnes qui voyagent avec un groupe fermé de touristes en provenance d'un autre État membre est également subordonnée à l'obtention d'un permis d'exercer en tant que guide touristique.

9. Par ailleurs, le grief ne porte que sur la restriction apportée à l'activité de guide touristique dans des endroits autres que les musées ou les monuments historiques.

10. Nous nous permettons de renvoyer quant au reste, en ce qui concerne les faits, aux trois rapports d'audience et de passer immédiatement à une appréciation juridique dans le cadre de laquelle nous reviendrons sur certains points particuliers.

B — Prise de position

11.I. Pour vérifier le bien-fondé des recours, il convient tout d'abord — sans devoir revenir sur l'effet direct de la liberté accordée par le traité sur ce point ( 3 ) — d'examiner la question de savoir si l'activité litigieuse constitue une prestation de service au sens des articles 59 et suivants du traité CEE et si elle relève ainsi du domaine d'application matérielle de ces dispositions.

12.I. A cet égard, on peut de prime abord partir du principe que cette activité — la conduite de touristes ainsi que le fait de leur montrer et de commenter toutes sortes d'objets ou également des paysages — représente par nature une prestation de service au sens de l'article 60, paragraphe 1, du traité CEE. En effet, on est en présence d'une prestation ne relevant pas de la libre circulation des marchandises ou des capitaux ni de la libre circulation des personnes (libre circulation des salariés ou
liberté d'établissement), qui est fournie contre rémunération ( 4 ).

13.2. Il est tout autant établi que la prestation de service n'a pas un caractère purement national qui la ferait sortir du champ d'application des articles 59 et suivants. En effet, il est incontestable que, pour fournir le service, l'agence de voyage — personnellement ou par l'intermédiaire d'un salarié ( 5 ) ou d'un collaborateur indépendant — exerce provisoirement son activité dans un État autre que l'État dans lequel il est établi. La prestation de services de l'agence à l'égard des touristes
est fournie dans l'État d'accueil et reçue dans ce même État, ainsi que l'éventuelle prestation de service d'un collaborateur indépendant de l'agence de voyage vis-à-vis de cette dernière, car la situation est la suivante: les touristes se trouvent dans l'État d'accueil pour y bénéficier de la prestation, et ce conformément à une action délibérée de l'agence de voyages. Les deux prestations de services — celle de l'agence et éventuellement celle de son collaborateur indépendant — correspondent
à l'hypothèse de l'article 60, paragraphe 3, de telle sorte qu'il n'y a à cet égard aucun doute qu'il convient de les faire entrer dans le champ d'application des articles 59 et suivants du traité CEE.

14.3. Le gouvernement grec estime toutefois que cette solution est incorrecte, car il est d'avis que le fait que le prestataire de service et le destinaire du service aient leur siège ou leur résidence dans le même État ne correspond pas au libellé de l'article 59, paragraphe 1, du traité CEE.

15. On doit accorder au gouvernement grec que, par ses termes mêmes, l'article 59, paragraphe 1, du traité CEE part de l'hypothèse où le prestataire est établi dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation et que cette condition ne sera en général pas remplie dans les cas visés par les présents recours.

16. Nous sommes toutefois d'avis, à l'instar de la Commission, que ces cas relèvent tout autant de la libre prestation des services selon les articles 59 et suivants du traité CEE que les cas où le prestataire (seul) se rend dans l'État dans lequel réside le bénéficiaire du service (voir l'article 59, premier alinéa, en liaison avec l'article 60, troisième alinéa, du traité CEE) ou que le bénéficiaire du service se rend dans l'État où est établi le prestataire ( 6 ), ou simplement lorsque seule la
prestation de service intervient au-delà des frontières ( 7 ). A bien l'examiner, le problème ne concerne pas seulement des événements qui — comme ici — supposent que le prestataire et le destinataire du service se rendent en même temps de leur État de résidence commun dans l'État dans lequel le service est fourni et où son destinataire doit en bénéficier. Le problème survient également, en l'absence d'un tel déplacement simultané, lorsque le prestataire et le bénéficiaire résident dans un seul
et même État membre ( 8 ).

17. Dans nos conclusions dans l'affaire Cowan ( 9 ), nous avons déjà souligné que la délimitation du champ d'application matérielle des articles 59 et suivants du traité CEE doit procéder de l'idée d'un marché commun libéré, au niveau de l'ensemble des activités économiques intracommunautaires, de toute restriction fondée sur la nationalité ou la résidence. Dans la structure des activités qui sont opposées par l'article 60, paragraphe 1, aux prestations de service et qui font l'objet d'autres
libertés prévues par le traité, la libre prestation des services porte en toute hypothèse sur l'échange par-delà les frontières de « produits » qui ne sont pas des « marchandises ». Comme cela résulte d'une comparaison entre l'article 59, paragraphe 1, et l'article 60, paragraphe 3, les auteurs du traité ont surtout considéré comme problématique — et comme nécessitant donc une réglementation — le cas où le prestataire exerce son activité dans l'État où réside le bénéficiaire. C'est en effet dans
ce cas de figure que l'atteinte aux intérêts de l'État d'accueil semblait particulièrement manifeste:

— le prestataire se rend physiquement dans le territoire de l'État d'accueil, de sorte que les intérêts territoriaux de cet État sont par là même concernés, en toute hypothèse dès lors que — comme le plus souvent — le prestataire n'est pas un ressortissant de l'État d'accueil;

— la prestation de service vient d'une personne soumise à un contrôle moins poussé que les personnes résidant sur le territoire d'un État d'accueil;

— dans la mesure où des dispositions au sens de l'article 60, paragraphe 3, protègent le consommateur (destinataire de la prestation de service) résidant dans l'État d'accueil, cette protection pourrait être affectée;

— les personnes offrant la prestation de service concernée et qui résident dans l'État d'accueil subissent la concurrence d'entreprises d'un autre État membre.

18. Malgré ces intérêts potentiels de l'État d'accueil, les articles 59 et suivants prévoient la garantie de la libre prestation des services. Si on les apprécie dans cette optique, les intérêts de l'État d'accueil sont moins affectés dans le cas où le prestataire de service et le destinataire du service résident dans le même État. L'intérêt de protéger les consommateurs résidant dans l'État d'accueil n'est pas affecté lorsque le prestataire et le bénéficiaire résident dans le même — autre — État
membre ( 10 ). En ce qui concerne spécialement les cas qui nous occupent, le rapport de concurrence entre guides touristiques de l'État d'accueil, d'une part, et l'agence de voyages, d'autre part, n'est pas aussi fortement marqué que dans le cas que nous venons de décrire, car l'offre de l'agence de voyage ne s'adresse par principe pas à des personnes qui résident dans l'Etat d'accueil. Ainsi, la concurrence avec des guides touristiques de l'État d'accueil ne jouera en général qu'en ce qui
concerne les touristes de l'État du siège du prestataire de service, et en aucun cas, en revanche, en ce qui concerne les touristes de l'État d'accueil.

19. Dans ces circonstances, nous pensons qu'il est légitime de conclure selon le principe « qui peut le plus, peut le moins », en fonction duquel le présent cas de figure relève des articles 59 et suivants. Cette conclusion s'impose également si l'on tient compte des objectifs qui fondent la libre prestation des services; sinon, cette garantie ne pourrait plus jouer son rôle dans le contexte des autres libertés, il en résulterait une lacune qui n'a manifestement pas été voulue par les auteurs du
traité.

20. Nous aimerions mettre en évidence la justesse de cette façon de voir par un exemple simple. Supposons qu'un entrepreneur de tourisme français ait réussi, par une publicité appropriée, à se procurer, à côté des touristes venant de France, également des touristes de la Belgique ou du Luxembourg comme clients d'un voyage vers la Grèce et/ou l'Italie. Nous ne voyons aucune raison pour que les prestations de guide touristique fournies en Grèce ou en Italie dépendent forcément de l'article 59 en ce
qui concerne les clients belges et luxembourgeois (parce que le prestataire et les destinataires résident dans des États membres différents), alors que tel ne serait pas le cas en ce qui concerne les clients français.

21. En conséquence, nous pensons que la prestation de service concernée ici relève de l'article 59 du traité CEE.

22.11. Il convient ensuite d'examiner la question de savoir si les dispositions légales des États membres défendeurs comportent dans le cas litigieux des restrictions pertinentes au regard des articles 59 et suivants du traité CEE, et qui devraient être justifiées pour pouvoir satisfaire à ces derniers.

23.1. Sur le plan purement matériel, les dispositions légales incriminées font obstacle à la prestation de service de guide touristique, nous n'avons aucun doute à cet égard. Les États membres défendeurs ne nient pas que les agences de voyages qui opèrent dans le domaine d'application de ces dispositions ne peuvent faire assurer l'activité de guide par leur propre personnel (dans le sens que nous avons précédemment exposé), dès lors que ce personnel ne dispose pas du permis d'exercer en tant que
guide touristique de l'État concerné, mais que ces agences de voyage doivent mandater sur place des guides touristiques titulaires d'un tel permis. Inversement, les touristes, dans la mesure où ils préfèrent, à celle du guide touristique local, la prestation de service offerte par le guide touristique voyageant avec eux, ne peuvent en bénéficier. Il est d'ailleurs impossible d'éviter de tels inconvénients — comme dans d'autres cas ( 11 ) — par une organisation différente, car les objets
concernés sont uniques et ne peuvent être visités que dans l'État où ils se trouvent. En conséquence, l'entrave a même un caractère absolu.

24. La question de savoir si la nécessité de recourir aux services des guides touristiques locaux fait augmenter le coût des prestations de l'agence de voyages, ce que conteste le gouvernement italien, est dénuée de toute pertinence dans la mesure où l'agence veut intervenir elle-même comme prestataire du service, en recourant à cet effet exclusivement à son propre personnel et où elle en est empêchée ( 12 ).

25. Il est également fait obstacle à la prestation de services d'un guide touristique qui fournit sa prestation en tant que travailleur indépendant au profit de l'agence de voyages. Les réglementations contestées entraînent en effet une réduction du nombre de visites dans le cadre de son activité (et donc une rémunération forcément moins élevée), ou — ce qui est encore plus vraisemblable en particulier dans le cas de la Grèce et de l'Italie — il ne sera pas du tout fait appel à ce guide touristique.

26.2. Il convient ensuite de se demander si ces entraves sont pertinentes au regard de l'article 59 du traité CEE.

27. Aux termes des articles 60, paragraphe 3, et 65, les dispositions nationales doivent être appliquées sans discrimination à l'égard des prestataires au sens de l'article 59. Cela ne vise pas seulement l'inégalité de traitement flagrante entre les ressortissants de l'État ou les personnes résidant dans cet État et ceux qui ne remplissent pas ces conditions, mais également des formes dissimulées de discrimination, qui, bien que fondées sur des critères en apparence neutres, aboutissent en fait au
même résultat ( 13 ).

28. Inversement, cette interdiction de discrimination n'implique cependant pas que toute législation nationale applicable aux ressortissants de l'État d'accueil et visant normalement une activité permanente d'entreprises établies dans cet État puisse être appliquée intégralement à des activités de caractère temporaire, exercées par des entreprises établies dans les autres États membres ( 14 ).

29. Comme la Commission le remarque à juste titre, il résulte de la jurisprudence citée en dernier lieu que toute disposition — même non discriminatoire — qui entrave en fait ou en droit la libre circulation des services peut fonder une infraction à l'article 59 du traité CEE ( 15 ), et il faut alors examiner cas par cas, à la lumière des critères développés par la jurisprudence, si l'entrave est compatible avec l'article 59 du traité CEE.

30. En conséquence, toute entrave de fait ou de droit à la prestation de service au sens de l'article 59 peut en principe tomber sous le coup de l'interdiction inscrite dans cette disposition. Cela signifie que les entraves qui ont ainsi été constatées sont en toute hypothèse pertinentes au regard de l'article 59, sans que cela dépende de l'existence d'une discrimination.

31. 3. L'examen de l'infraction auquel on doit procéder maintenant peut se faire aussi bien dans l'optique de la discrimination que, également, dans celle d'une constatation en ce sens que la réglementation n'est pas compatible avec l'article 59 du traité CEE, même en l'absence d'une telle discrimination.

32. a) Le dernier aspect étant le plus large, nous aimerions commencer par lui. La possibilité d'admettre, compte tenu des particularités de bien des prestations de service, la compatibilité avec le traité de certaines exigences particulières imposées aux prestataires de services comme conséquence de l'application de réglementations pour cette catégorie d'activités a été reconnue dans la jurisprudence. Toutefois, en tant que principe fondamental du traité, la libre prestation des services ne peut
être limitée que par des réglementations justifiées par l'intérêt général (et qui s'appliquent à toutes les personnes ou entreprises exerçant une activité sur le territoire de l'État dont émane la réglementation) et seulement dans la mesure où l'intérêt général n'est pas déjà sauvegardé par les dispositions légales imposées au prestataire de service dans l'État où il est établi ( 16 ).

33. Conformément aux arrêts Commission/Allemagne et Van Wesemael, les exigences doivent par ailleurs être concrètement justifiées (ou objectivement nécessaires), pour assurer le respect des règles relatives à cette profession et la protection des intérêts qu'elles visent.

34. aa) A cet égard, les gouvernements français et italien font valoir que, conformément à la jurisprudence, une infraction à l'article 59 est en toute hypothèse exclue lorsque l'État d'accueil prend en considération un diplôme obtenu dans d'autres États membres. Ils prétendent que, dans les cas où un diplôme est exigé dans l'État d'accueil pour une activité déterminée, cet État est bien dans l'obligation de tenir compte des diplômes obtenus dans d'autres États membres et d'examiner s'ils sont
équivalents, mais il n'est toutefois pas tenu de permettre l'activité de prestataires de service ne disposant d'aucun diplôme (équivalent).

35. Nous nous permettons de ne pas partager cet avis. Comme cela résulte de notre exposé, indépendamment de la prise en considération des preuves acquises à l'étranger, l'État d'accueil doit montrer que la restriction en question résulte de raisons impérieuses liées à l'intérêt général. Ainsi, l'État membre concerné doit prouver qu'elle est nécessaire à tout égard pour la protection de cet intérêt général. En effet, si les États membres doivent tenir compte du fait que l'intérêt à protéger est déjà
« sauvegardé par les règles ... (de) l'État (d'établissement) », cela ne constitue en réalité qu'une partie de cet examen très large de la nécessité: une limitation peut s'avérer non nécessaire lorsque les dispositions de l'État d'établissement tiennent déjà suffisamment compte de l'intérêt protégé. L'absence de telles dispositions (comme dans de nombreux cas sur lesquels portent les présents recours) n'implique pas forcément que la limitation est nécessaire. On doit, au contraire, examiner dans
chaque cas « si le même résultat ne pouvait pas être obtenu par des dispositions moins restrictives » (nous complétons: ou même des dispositions qui ne prévoient aucune restriction). La formulation de cette jurisprudence sur ce point est à mon avis particulièrement claire dans l'arrêt Commission/Allemagne ( 17 ).

36. Après que la Cour ait rappelé le devoir de l'État d'accueil de tenir compte de la circonstance que l'intérêt général est déjà « sauvegardé par les règles auxquelles le prestataire est soumis dans l'État membre où il est établi », elle poursuit expressément, au point 17 des motifs:

«En outre, lesdites exigences doivent être objectivement nécessaires en vue de garantir l'observation des règles et la protection des intérêts qui constituent l'objectif de celles-ci » ( 18 ).

37. Au point 29 des motifs de cet arrêt, la Cour énumère sommairement les conditions auxquelles doivent satisfaire les exigences posées par l'État d'accueil. On y lit:

« Il s'ensuit que ces exigences ne peuvent être considérées comme compatibles avec les articles 59 et 60 du traité que s'il est établi qu'il existe, dans le domaine de l'activité considérée, des raisons impérieuses liées à l'intérêt général qui justifient des restrictions à la libre prestation des services, que cet intérêt n'est pas déjà assuré par les règles de l'État d'établissement et que le même résultat ne peut pas être obtenu par des règles moins contraignantes » ( 18 ).

38. Il résulte clairement de cette formulation, ainsi que du fait que la Cour a soumis les points cités à un examen séparé ( 19 ), que le « caractère nécessaire de la restriction » doit être contrôlé dans tous ses aspects.

39. Contrairement aux États membres défendeurs, nous ne voyons pas la moindre contradiction entre cette constatation et la proposition de la Commission « de directive du Conseil relative à un deuxième système général de reconnaissance des formations professionnelles, qui complète la directive 89/48/CEE » ( 20 ). Conformément à cette proposition (article 5), dans les cas réglementés — auxquels appartiennent également les activités de guide touristique dans la mesure où elles sont réglementées dans
certains États membres (voir l'article 2) —, les États membres ne peuvent pas interdire l'exercice des professions réglementées lorsque le candidat possède un diplôme acquis dans un autre État membre ou un certificat d'examen ou qu'il justifie d'une expérience professionnelle de deux ans.

40. Cela ne signifie toutefois pas que l'exercice de l'activité peut être interdit lorsque cette interdiction enfreindrait l'article 59. Si le texte proposé était déjà adopté, il devrait être interprété en ce sens, compte tenu de la liberté fondamentale garantie à l'article 59. Par ailleurs, nous considérons que l'argument des États membres défendeurs sur ce point n'est en aucune façon peremptoire, car le texte cité appartient au droit communautaire dérivé, et qu'il n'est de surcroît qu'une
proposition, de telle sorte qu'il ne pourrait faire obstacle à l'application de l'article 59, même s'il y avait vraiment une contradiction.

41. bb) Comme cela résulte des citations que nous avons faites, le critère pour la justification de la restriction est l'existence de « raisons impérieuses liées à l'intérêt général ».

42. Les États membres défendeurs font valoir à cet égard deux motifs:

— la mise en valeur et la conservation des richesses historiques, artistiques et culturelles ou, respectivement — ainsi le gouvernement français —, la meilleure diffusion possible de connaissances relatives au patrimoine culturel et artistique du pays;

— ainsi que (particulièrement en Italie) la protection du consommateur.

43. En ce qui concerne le contenu exact de ces intérêts et leurs rapports entre eux, on peut constater qu'il existe un point commun et une différence. Les deux intérêts ont en commun d'être préservés par une information aussi exacte et complète que possible des touristes ou, dans le cas contraire, d'être affectés. La différence réside dans le fait que la protection du consommateur vise les intérêts de chaque consommateur pris individuellement, alors que, en ce qui concerne la mise en valeur des
richesses citées, ce qui est décisif est l'effet collectif des informations: le fait que le plus grand nombre possible de personnes aient les connaissances les plus précises et les plus complètes que puisse offrir une visite touristique — compte tenu de son but et des ses possibilités — profite à la valeur virtuelle de ces richesses ( 21 ). La diffusion massive d'informations incorrectes aurait un effet négatif sur cette valeur.

44. La protection du consommateur peut sans aucun doute justifier un intérêt général impérieux. Pour ce qui est de la mise en valeur des richesses citées, on doit certainement constater un intérêt de la même nature pour certains objets ayant une valeur historique, artistique ou culturelle. Jusqu'où va ce domaine nous semble discutable, et nous nous demandons si tout ce qui compose l'activité de guide touristique au sens des définitions qui en sont données dans la législation des trois États membres
relève également d'un intérêt général impérieux. Là n'est finalement pas la question, comme le montreront nos observations ultérieures.

45. ce) Il convient à présent de traiter la question de savoir si les restrictions contestées par la Commission semblent justifiées par l'un des deux motifs invoqués ou même par les deux.

46.1) Nous aimerions d'abord faire ici le lien entre les arguments de la Commission — qui admet, il est vrai, les objectifs poursuivis, mais non pas le moyen utilisé à cet effet (exigence d'un permis d'exercer) — et la jurisprudence que nous avons citée. Nous avons déjà dit que, conformément à cette jurisprudence, un État membre n'est autorisé à prendre que les mesures de restriction à la libre prestation des services qui sont nécessaires au regard des objectifs poursuivis. La Commission ne se
limite toutefois pas à attaquer les mesures litigieuses sous un seul aspect qu'elle décrit par la notion de « nécessité »; elle estime par ailleurs que les mesures ne sont pas efficaces pour protéger l'un des deux intérêts évoqués ( 22 ), en d'autres termes qu'elles ne sont pas appropriées. Or, il est indubitable que ce critère est décisif lui aussi. En effet, une mesure qui n'est pas appropriée pour atteindre l'objectif recherché ne peut jamais être considérée comme « nécessaire » à cet
égard. Si l'on établit le caractère approprié d'une mesure en ce sens, il reste encore à vérifier si l'État membre aurait pu protéger également l'intérêt en cause par une mesure moins draconienne ou même s'il serait suffisamment protégé sans réglementation. En revanche, cet examen n'est plus nécessaire lorsque la mesure, en raison de son caractère inapproprié, est de prime abord « disqualifiée » comme non nécessaire.

47. Il faut donc constater qu'on ne peut pas, sous peine de les dénaturer, rattacher à l'un ou à l'autre des motifs de justification — protection du consommateur et mise en valeur des richesses citées — les arguments présentés par la Commission et par les États membres défendeurs en ce qui concerne ces deux motifs. C'est pourquoi nous les traiterons ci-après de manière commune en fonction des critères de l' adéquation et de la nécessité (au sens large).

48. 2) La Commission conteste d'abord le caractère approprié des mesures, en visant au premier chef l'idée de la mise en valeur des richesses culturelles, historiques et artistiques. La Commission estime que la diffusion d'informations concernant ces richesses est déjà largement assurée, selon des modalités multiples, par les médias. Grâce à la liberté de presse et d'expression, ces informations échappent à un contrôle effectif. Elles ont par conséquent un impact au moins aussi important sur la
valorisation de ces richesses que les informations fournies par des guides touristiques.

49. Les États membres défendeurs répondent à cela en avançant deux arguments pour l'essentiel.

50. a) L'un de ces arguments, utilisé par le gouvernement grec, consiste à dire que la Grèce contrôle les informations imprimées diffusées à l'intérieur du pays et que, en ce qui concerne les imprimés diffusés à l'extérieur, elle prend les mesures correspondantes dans le seul souci d'une présentation correcte du patrimoine historique et culturel du pays. En ce qui concerne le caractère public, le gouvernement grec affirme qu'il existe une différence importante entre la diffusion d'informations par
écrit et la diffusion orale dont il est question ici. Les guides touristiques communiquent leurs informations dans un groupe de touristes fermé. Ces informations sont donc moins faciles à contrôler que les points de vue présentés librement sur le pays par l'auteur de matériel imprimé.

51. Nous ne pouvons ici que partager le point de vue de la Commission. En ce qui concerne tout d'abord la valorisation des richesses artistiques, historiques et culturelles, il convient, comme nous l'avons déjà dit, de procéder à une prise en compte globale. L'idée que se fait le public de telles richesses et qui est, en ce sens, déterminante pour leur valorisation est largement influencée par des documents imprimés, mais également par des émissions radiodiffusées et télévisées. Nous ne pouvons pas
imaginer que la Grèce (ou un autre des États membres défendeurs) peut contrôler efficacement toutes ces sources d'information dans le pays sans exercer une censure injustifiée. En ce qui concerne la production des éditeurs ou des offices de radio et de télévision étrangers, ils ne disposent déjà pas du pouvoir souverain nécessaire. Même une influence sans contrainte juridique ne nous paraît pas possible dans tous les cas en ce qui concerne les intéressés européens, et en tout cas pas en ce qui
concerne les intéressés d'autres pays, par exemple ceux venant des États-Unis, qui se font une image desdites richesses tout aussi décisive, pour la valorisation de ces richesses, que celle qu'en ont les intéressés européens.

52. Toutes les informations provenant de l'ensemble des sources disponibles ont fondamentalement la même fonction, à savoir de renseigner les intéressés sur les objets concernés.

53. Ce point de vue permet déjà, à notre avis, de présumer le caractère inapproprié des mesures concernées ici aux fins de la protection du consommateur, puisque le consommateur ne peut en fin de compte être protégé efficacement contre les informations erronées, mais que, par ailleurs, la multiplicité des informations disponibles permet leur contrôle réciproque et protège ainsi autant que possible le consommateur.

54. b) C'est cependant là qu'intervient l'argument des gouvernements français et italien qui estiment que les informations communiquées par un guide touristique influencent leur destinataire plus fortement que les informations diffusées par les médias. Selon eux, en raison de leurs origines culturelles différentes et de la durée généralement limitée de la visite, les touristes sont fortement influencés par la prestation de service du guide touristique. Par ailleurs, c'est, à leur avis, au moyen de
la grande possibilité de critique du lecteur que s'exerce le contrôle des informations touristiques diffusées par écrit. Ils estiment qu'une formation du guide touristique s'impose, car le comportement d'une personne qui fait partie d'un groupe de touristes fermé est plus passif que celui du lecteur d'informations écrites.

55. Nous pensons que cet argument ne résiste pas à l'examen, au moins en ce qui concerne l'aspect de la valorisation des richesses artistiques, historiques et culturelles.

56. Il convient tout d'abord de retenir que les médias atteignent un cercle de personnes bien plus large que les voyages individuels. Étant donné le rapport numérique, c'est beaucoup plus en fonction des informations diffusées en dehors de tels voyages que le public aura une image fausse ou non d'un objet culturel, historique ou artistique déterminé.

57. Par ailleurs, nous éprouvons des doutes importants quant au point de savoir si la valeur virtuelle d'un tel objet peut être influencée par les visiteurs qui participent à la visite seulement « passivement » et « sans esprit critique », que les informations présentent ou non des lacunes. En effet, s'agissant de visiteurs de cette nature, on ne peut escompter qu'ils consacrent à la visite un intérêt allant au-delà de la simple curiosité, de telle sorte que l'information orale du guide touristique
tombe dans l'oubli peu de temps après. Un visiteur vraiment intéressé et doté d'esprit critique se procurera, pour aider sa mémoire, des informations écrites (et il mesurera ce qu'il entend à ce qu'il aura lu). L'exigence posée par les États membres défendeurs n'influence en rien tous ces mécanismes.

58. On doit admettre que ces considérations ne sont pas déterminantes dans la même mesure en ce qui concerne la protection du consommateur, car il ne s'agit pas d'une prise en considération globale mais d'une prise en compte de chaque consommateur. Dans cette mesure, on ne peut pas exclure que tel ou tel consommateur reçoive une information incorrecte lors d'une visite sur les lieux et que cette information affecte la valeur de la prestation qu'il paie, sans que ce désavantage soit corrigé par le
fait qu'il obtiendra un jour ou l'autre les informations correctes.

59. On peut ainsi constater, en conséquence, que les mesures attaquées par la Commission ne sont déjà pas appropriées en ce qui concerne l'objectif de valorisation des richesses artistiques, historiques et culturelles. En ce qui concerne la protection du consommateur, ce caractère approprié est également sujet à caution, mais la Commission ne l'a pas contesté à tous égards de manière convaincante. Commme le montreront toutefois mes observations ci-dessous, là n'est finalement pas la question.

60. 3) A notre avis, c'est à juste titre que la Commission nie la nécessité des restrictions concernées ici.

61. Il s'agit en effet, selon la Commission, d'un cercle fermé: le guide touristique qui représente l'agence de voyages et les touristes (en tant que consommateurs) sont partis ensemble de l'État membre dans lequel l'agence de tourisme est établie pour fournir et, respectivement, recevoir le service dans un autre État membre. Dans ces circonstances, la réputation en tant qu'agent économique de l'agence de voyages, combinée à la concurrence sur le marché, protège suffisamment les intérêts du
consommateur.

62. a) Il nous semble approprié de faire tout d'abord une remarque préliminaire, concernant la nature et le contenu de la prestation de service. Comme nous l'avons déjà dit, il s'agit ici uniquement de la communication d'informations et, en fait, d'informations qui doivent enrichir culturellement le touriste pendant ses loisirs. Pour le touriste en tant que consommateur, une information défectueuse n'a pas de conséquences étendues; en particulier, elle n'engendre pas à son égard de dommages
importants pour sa santé physique et psychique ou pour ses finances. En ce qui concerne l'aspect de la valorisation des richesses visées, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas de la transmission d'une formation scolaire, et encore moins de recherche scientifique. En outre, le dommage n'est en aucune manière irréparable — pas plus pour le consommateur pris individuellement que pour l'objet culturel concerné. Dès que le touriste constate la réalité de la situation sur la base des
informations qui lui sont accessibles, le dommage disparaît.

63. Si l'on doit constater en conséquence que le danger pour les différents intérêts est minime et que d'éventuels dommages ne sont pas irréversibles, le cas qui nous occupe est alors différent des cas de services dans le domaine de la médecine, du conseil juridique ou de la construction sur lesquels le gouvernement italien, en particulier, s'est fondé. La question de savoir si l'on peut confier la protection de certains intérêts aux forces du marché et accorder ainsi la primauté au principe de la
liberté de prestation des services sur des dispositions restrictives ne saurait être indépendante de telles considérations. En effet, s'il en était autrement, les États membres pourraient, à volonté, fixer des obligations de justifier d'un permis d'exercer, même pour des activités tout à fait simples et sans danger (en faisant dépendre d'un examen l'octroi du permis) et ainsi empêcher la libre prestation des services, par exemple pour des raions de « protection des consommateurs ».

64. C'est, nous semble-t-il, cet ordre d'idées qui inspirait la Cour lorsque, en examinant si des restrictions à la libre circulation des services étaient justifiées, elle a pesé les dangers menaçant concrètement les intérêts concernés; elle n'a pas utilisé des notions abstraites (telles que la « protection des consommateurs »), mais a au contraire tenu compte de la situation concrète.

65. Ainsi, on peut lire dans l'arrêt Webb ( 23 ):

« Il convient de reconnaître à cet égard que la mise à disposition de main-d'œuvre constitue un domaine particulièrement sensible du point de vue professionnel et social. En raison de la nature particulière des liens de travail inhérents à ce type d'activité, l'exercice de celle-ci affecte directement tant les relations sur le marché de l'emploi que les intérêts légitimes des travailleurs concernés. »

66. Dans l'arrêt Commission/Allemagne, la Cour a déclaré ( 24 ):

«... le secteur de l'assurance constitue un domaine particulièrement sensible du point de vue de la protection du consommateur en tant que preneur d'assurance et assuré. Cela résulte notamment du caractère spécifique de la prestation de l'assureur qui est liée à des événements futurs dont la survenance ou, en tout cas, le moment de celle-ci reste incertain à l'époque où le contrat est conclu. L'assuré qui, après un sinistre, n'en obtient pas le dédommagement peut se trouver dans une situation
très précaire. De même, il est, en règle générale, extrêmement difficile pour le preneur d'assurance d'apprécier si les perspectives d'évolution de la situation financière de l'assureur et les clauses du contrat, le plus souvent imposées par ce dernier, lui donnent suffisamment de garantie d'être dédommagé en cas de sinistre.

Il faut, en outre, prendre en considération ... que, dans certaines branches, l'assurance est devenue un phénomène de masse. En effet, des contrats sont conclus par un très grand nombre de preneurs d'assurance, à tel point que la sauvegarde des intérêts des assurés et des tiers lésés touche pratiquement toute la population. »

67. b) Dans cette optique, il nous semble correct d'estimer, à l'instar de la Commission, que la pression du marché qui s'exerce sur l'organisateur de voyages (et influence indirectement le choix et le contrôle des guides touristiques employés ou mandatés) offre suffisamment de garanties pour la protection des consommateurs et la valorisation des biens culturels.

68. La clientèle des organisateurs de voyages leur confie l'organisation de leurs congés, c'est-à-dire une part importante de leur temps de loisirs — la meilleure période de l'année, comme l'a décrit le slogan d'une agence bien connue. Du point de vue des voyageurs, la prestation de l'organisateur ne se limite pas au déroulement technique du voyage, mais doit également, dans une certaine mesure, le satisfaire pendant cette période relativement courte — par rapport au reste de l'année. Si ce n'est
pas ce qu'il obtient, rien ne pourra empêcher le voyageur de choisir un autre organisateur pour son prochain voyage. Une clientèle attitrée d'« inconditionnels » nous semble difficile à concevoir. Par ailleurs, l'organisateur doit défendre une réputation, ce qui n'est certes pas important pour se lier les clients existants, mais bien pour étendre sa clientèle. Comme l'exactitude de l'information diffusée au but du voyage peut toujours être contrôlée, des prestations défectueuses dans ce domaine
peuvent toujours avoir un effet négatif pour le développement de la clientèle dans le sens que nous venons de citer. Dans ce contexte, nous aimerions faire ici deux observations.

69. D'abord, l'examen exigé par les États membres défendeurs ne peut contrôler que la fiabilité générale, éventuellement les connaissances spécifiques, du guide touristique, et non pas la correction des informations individuelles, ce qui ne serait possible que par une surveillance permanente. Ainsi, il n'est en aucun cas possible d'offrir une protection à toute épreuve contre des informations systématiquement fausses. Nous pensons même que de telles prestations systématiquement défectueuses peuvent
être évitées bien mieux grâce au mécanisme de marché que nous avons cité que lorsque le jeu de ce mécanisme est stoppé du fait des restrictions contestées par la Commission.

70. Ensuite, il nous semble évident, en ce qui concerne le problème des fausses informations isolées, que chaque voyage doit être préparé par le guide touristique, en cas de répétition au moins les premières fois. Cette préparation se fait — comment pourrait-il en être autrement? — en utilisant des sources généralement accessibles. L'exigence d'un examen ne peut avoir qu'un effet relatif et même aucun effet lorsqu'il s'agit d'examens de nature générale comme dans le cas de la France et de la Grèce.
Là encore les rapports de marché dans l'État d'établissement de l'organisateur de voyages offrent des garanties au moins égales.

71. c) On peut, par ailleurs, supposer qu'en tant que consommateur le touriste est protégé sur place par sa possibilité de choix. Les guides locaux qui disposent d'un permis devraient être identifiables en tant que tels. Si le touriste souhaite avoir recours à un tel guide, cela lui est loisible à tout moment; en tout cas, l'organisateur de voyages ne peut pas l'obliger à revendiquer également la prestation (déjà payée par le touriste) du guide touristique qui agit au nom de l'organisateur.

72. Il faut donc admettre que la mesure par laquelle les États membres défendeurs n'autorisent l'activité de guide touristique que sur la base d'un permis dépendant de la réussite à un examen n'est pas nécessaire pour atteindre les objectifs allégués, en toute hypothèse pas en ce qui concerne les touristes dont il est question ici.

73. Cela étant, il est inutile de chercher à savoir si, par son contenu, l'examen est organisé de telle sorte qu'on peut lui contester sous cette forme le caractère de nécessité. Comme la Commission le remarque à juste titre, cela pourrait en toute hypothèse se justifier dans la mesure où l'examen est tenu totalement ou en grande partie dans une autre langue ou porte sur d'autres langues que la langue du guide touristique concerné, qu'il utilise lors de l'accompagnement du groupe de touristes et
qui, en règle générale, est la langue de l'État d'établissement de l'organisateur. En ce qui concerne la langue de l'État d'accueil, on devrait également laisser à l'organisateur le choix des modalités selon lesquelles les contacts nécessaires sur place seront organisés. Il n'est pas indispensable que cela se fasse par l'intermédiaire du guide touristique.

74. Le fait que la Grèce ne reconnaît manifestement pas les diplômes de guide touristique des autres États en lieu et place du diplôme grec devrait également être examiné au regard du caractère de nécessité, mais nous pouvons nous dispenser de débattre de ce point.

75. b) On peut également laisser ouverte la question de savoir si l'obligation de passer l'examen dans une langue autre que celle de l'État d'établissement représente une discrimination indirecte, le souci d'assurer une égalité de traitement devant être évalué en tenant compte du fait qu'il pourrait éventuellement être impossible de demander à l'État concerné d'organiser des examens dans toutes les langues officielles de la Communauté.

76. III. Avant d'en venir à notre prise de position sur cette base, nous devons brièvement commenter le fait que la Commission n'a demandé une condamnation des trois États défendeurs que dans la mesure où ils font obstacle à l'exercice de l'activité de guide touristique dans des lieux autres que les musées ou les monuments historiques.

77. Si nous avons bien compris les explications lors de l'audience orale, cette réserve s'explique par le fait qu'il y a eu à un certain moment une possibilité de compromis entre la Commission et les trois États défendeurs. S'il avait abouti, la Commission aurait accepté la restriction à la libre prestation de service contestée ici en ce qui concerne les musées et les monuments historiques, mais non pas par ailleurs. Cela n'explique toutefois pas pourquoi la restriction à la libre prestation des
services ne devrait être inadmissible que dans le dernier cas. Les considérations que nous avons exposées jusqu'ici ne permettent pas de traiter les prestations de guide touristique en ce qui concerne les musées et les monuments historiques d'une autre manière que les autres prestations de service visées par les recours. Bien entendu, il nous est toutefois interdit d'aller au-delà des demandes de la requérante.

C — Conclusion

78. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que vous proposer de faire droit au recours de la Commission dans les affaires C-154/89, C-180/89 et C-198/89 dans la forme souhaitée et, conformément à sa demande, de condamner les trois défendeurs aux dépens.

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( *1 ) Langue originale: l'allemand.

( 1 ) Directive du Conseil du 21 décembre 1988 (JO 1989, L 19, p. 16).

( 2 ) Directive du Conseil du 16 juin 1975 (JO L 167, p. 22).

( 3 ) Arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen/Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor de Metaalnijverheid (33/74, Rec. p. 1299): cet arrêt se limite d'abord à l'effet direct en ce qui concerne l'interdiction de discrimination; l'arrêt du 18 janvier 1979, Ministère public/Van Wesemael, points 19 et suiv., points 24 et suiv. (110/78 et 111/78, Rec. p. 35), va plus loin.

( 4 ) Le fait que les trois recours ne concernent que de telles prestations rémunérées résulte des demandes de la requérante qui font chaque fois expressément état de « prestations de service » et qui renvoient donc à cet égard à l'article 60.

( 5 ) Voir l'arrêt du 3 février 1982, Seco et autres/Établissement d'assurances contre la vieillesse et l'invalidité, point 8 (62/81 et 63/81, Rec. p. 223).

( 6 ) Voir l'arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone/Ministero del Tesoro (286/82 et 26/83, Rec. p. 377); arrêt du 2 février 1989, Cowan/Trésor public (187/87, Rec. p. 195).

( 7 ) Voir arrêt du 30 avril 1974, Procédure pénale contre Sacchi, point 6 (155/73, Rec. p. 409); arrêt du 18 mars 1980, Procédure pénale contre Debauve, point 8 (52/79, Rec. p. 833); arrêt du 18 mars 1980, Coditel et autres/Ciné Vog Films et autres (62/79, Rec. p. 881); arrêt du 6 octobre 1982, Coditel et autres/Ciné Vog Films et autres (262/81, Rec. p. 3381); arrêt du 26 avril 1988, Bond van Adverteerders/Royaume des Pays-Bas (252/85, Rec. p. 2085); également, arrêt du 4 décembre 1986,
Commission/Allemagne (205/84, Rec. p. 3755).

( 8 ) Exemple: une entreprise de construction française construit une maison en Italie pour un maître d'oeuvre résidant en France.

( 9 ) Voir p. 205 de l'arrêt précité note 6.

( 10 ) Les intérêts des personnes résidant dans un État d'accueil peuvent toutefois être concernés à un autre égard, par exemple dans le cas d'une construction par le prestataire.

( 11 ) Ainsi, s'agissant d'une série de prestations de service, le destinataire du service peut se rendre dans l'État où réside le prestataire du service, lorsque ce dernier rencontre des obstacles i l'exercice de son activité dans l'État où réside le bénéficiaire du service.

( 12 ) Voir l'arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa/Office national d'immigration, point 12, à la fin (C-113/89, Rec. p. I-1417).

( 13 ) Voir l'arrêt du 3 février 1982, fin du point 8 (62/81 et 63/81), précité note S; c'est également sur cette considération que repose manifestement l'arrêt du 27 mars 1990, points 11 et 12 (C-113/89), précité note 12. On ne débat pas ici d'une inégalité de traitement justifiée conformément à l'article 56 en liaison avec l'article 66.

( 14 ) Arrêt du 17 décembre 1981, Procédure pénale contre Webb, point 16 (279/80, Rec. p. 3305); arrêt du 4 décembre 1986, Commission/Allemagne (liberté en matière d'assurance), point 26 (205/84, Rec. p. 3755); voir en ce sens également l'arrêt dans l'affaire Van Wesemael, précité note 3.

( 15 ) Voir également la formulation dans l'arrêt du 26 novembre 1975, Coenen/Sociaal Economische Raad, fin du point 6 (39/75, Rec. p. 1547): « (exigences) ... qui sont de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire ».

( 16 ) Voir l'arrêt du 4 décembre 1986, point 27 (205/84), précité note 7; arrêt du 17 décembre 1981, point 17 (279/80), précité note 14; également l'arrêt Van Wesemael, point 27, précité note 3.

( 17 ) Affaire 205/84, précitée note 7.

( 18 ) C'est nous qui soulignons.

( 19 ) Voir arrêt Commission/Allemagne, points 30 et suiv., 34 et suiv., 42 et suiv., précité note 7.

( 20 ) JO 1989, C 263, p. 1.

( 21 ) C'est pourquoi nous voyons également une différence entre la « mise en valeur » et l'intérêt avancé par le gouvernement français de « meilleure diffusion possible de connaissances ».

( 22 ) A savoir la mise en valeur des richesses citées.

( 23 ) Point 18, arrêt précité note 14.

( 24 ) Points 30 et 31, arrêt précité note 7.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-198/89
Date de la décision : 05/12/1990
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement - Libre prestation de services - Guides touristiques - Qualification professionnelle prescrite par la réglementation nationale.

Affaire C-154/89.

Commission des Communautés européennes contre République italienne.

Manquement - Libre prestation de services - Guides touristiques - Qualification professionnelle prescrite par la réglementation nationale.

Affaire C-180/89.

Commission des Communautés européennes contre République hellénique.

Manquement - Libre prestation des services - Guides touristiques - Qualification professionnelle prescrite par la réglementation nationale.

Libre prestation des services


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République française.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Kapteyn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:434

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