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06/11/1990 | CJUE | N°C-96/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 novembre 1990., Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas., 06/11/1990, C-96/89


Avis juridique important

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61989C0096

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 novembre 1990. - Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas. - Manquement d'État - Admission en libre pratique à un taux de prélèvement réduit d'un lot de manioc exporté de Thaïlande sans certi

ficat d'exportation - Omission de constater des ressources propres et de les m...

Avis juridique important

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61989C0096

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 6 novembre 1990. - Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas. - Manquement d'État - Admission en libre pratique à un taux de prélèvement réduit d'un lot de manioc exporté de Thaïlande sans certificat d'exportation - Omission de constater des ressources propres et de les mettre à la disposition de la Commission. - Affaire C-96/89.
Recueil de jurisprudence 1991 page I-02461

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Par le présent recours en manquement, la Commission vous invite à constater que le royaume des Pays-Bas a manqué à ses obligations en admettant en libre pratique, moyennant le prélèvement réduit de 6 % ad valorem, prévu par l' accord de coopération conclu entre la CEE et le royaume de Thaïlande ( ci-après "accord CEE-Thaïlande ") ( 1 ), un lot de manioc exporté de Thaïlande sans certificat d' exportation et en refusant de constater et de verser comme ressource propre le montant correspondant au
prélèvement agricole à taux plein .

2 . Vous êtes ainsi amenés à vous pencher de nouveau, après votre arrêt Krohn ( 2 ), sur les modalités d' application, déterminées par les règlements de la Commission ( CEE ) n 2029/82, du 22 juillet 1982 ( 3 ), et ( CEE ) n 3383/82, du 16 décembre 1982 ( 4 ), du régime de contingentement des exportations de manioc thaïlandais vers la Communauté . Les constatations effectuées par votre Cour lors de ce précédent arrêt éclairent les enjeux de la présente procédure .

"En vertu de l' article 1er de l' accord CEE-Thaïlande, la possibilité d' importer dans la CEE du manioc au taux préférentiel de 6 % ad valorem est limitée, durant la période de validité de cet accord ( janvier 1982-décembre 1986 ), aux contingents fixés par celui-ci . Le respect de ces contingents est assuré par un système de double contrôle qui, selon l' article 5 de l' accord, impose, d' une part, aux autorités thaïlandaises de ne délivrer de certificats d' exportation que dans les limites des
contingents fixés et, d' autre part, aux autorités communautaires de ne délivrer de certificat d' importation donnant droit au tarif préférentiel que sur présentation d' un certificat d' exportation" ( 5 ).

"Cependant, avant l' intervention, en juillet 1982, de l' accord CEE-Thaïlande et du règlement n 2029/82 ..., les importations de manioc en provenance de Thaïlande étaient effectuées, sans aucune référence à des certificats d' exportation, sous le couvert exclusif de licences d' importation délivrées par les autorités des États membres conformément aux dispositions du règlement n 3183/80 de la Commission, du 3 décembre 1980, portant modalités d' application communes pour les licences d' importation
et d' exportation ainsi que pour les certificats de fixation à l' avance pour les produits agricoles ( JO L 338, p . 1 )" ( 6 ).

"Bien que les licences d' importation délivrées dans la première partie de l' année 1982, avant l' intervention de l' accord CEE-Thaïlande, n' aient pas fait l' objet d' une comptabilisation centralisée au plan communautaire, le respect du contingent fixé par l' accord CEE-Thaïlande pour l' ensemble de l' année 1982 devait néanmoins être assuré grâce à l' intervention des autorités thaïlandaises . En effet, ces dernières avaient procédé, dès le 1er janvier 1982, à une délivrance systématique de
certificats d' exportation pour toute quantité de manioc quittant les ports thaïlandais vers la Communauté et avaient comptabilisé les quantités correspondantes . Elles devaient cesser de délivrer ces certificats lorsque le contingent fixé pour 1982 serait atteint" ( 7 ).

"Il faut rappeler à cet égard que, lors de l' entrée en vigueur de l' accord CEE-Thaïlande, un certain nombre de licences d' importation délivrées antérieurement étaient encore en cours de validité et permettaient, par conséquent, aux importateurs qui en étaient détenteurs d' effectuer les importations correspondantes après l' intervention de l' accord sans avoir à présenter les certificats d' exportation délivrés par les autorités thaïlandaises . Certains opérateurs économiques pouvaient, dès lors,
être tentés de conserver ces certificats d' exportation et de réutiliser ceux d' entre eux dont la validité n' était pas expirée pour solliciter de nouveaux certificats d' importation sous le régime du règlement n 2029/82 . Un même certificat d' exportation risquait, dès lors, de servir à importer dans la CEE le double de la quantité de manioc mentionnée par ce document" ( 8 ).

3 . Pour faire échec à ces manoeuvres, la Commission a adopté le règlement ( CEE ) n 499/83, du 2 mars 1983 ( 9 ), lequel a modifié les règlements n s 2029/82 et 3383/82 en prévoyant qu' à partir du 21 mars 1983 tout certificat d' importation mentionne le nom du navire transportant le manioc qui figure sur le certificat d' exportation thaïlandais, ainsi que le numéro et la date de ce dernier . Par ailleurs, le certificat d' importation "ne peut être accepté à l' appui de la déclaration de mise en
libre pratique que si, à la lumière, notamment, d' une copie du connaissement présenté par l' intéressé, il apparaît que :

- les produits, pour lesquels la mise en libre pratique est demandée, ont été transportés dans la Communauté par le bateau mentionné sur le certificat d' importation;

- la date à laquelle ces produits ont été chargés à bord dudit bateau en Thaïlande est antérieure à la date du certificat d' exportation thaïlandais ".

Observons, pour être tout à fait complet que, par cet arrêt Krohn, vous avez reconnu à la Commission, avant l' entrée en vigueur du règlement n 499/83, le pouvoir,

"en application de l' article 7 du règlement n 2029/82 ..., de vérifier, dans un cas douteux, que le manioc pour lequel un certificat d' importation était demandé était celui-là même pour lequel le certificat d' exportation présenté avait été délivré ".

Vous avez relevé à cet égard que

"le formulaire de certificat d' exportation figurant en annexe au règlement comporte la mention du nom du navire transportant le manioc faisant l' objet de ce certificat, et que cette mention permet à la Commission d' opérer une telle vérification" ( 10 ).

4 . Ainsi, la Commission peut ordonner aux autorités nationales compétentes de refuser la délivrance de certificats d' importation, malgré la présentation de certificats d' exportation, dès lors qu' elle suspecte que ces derniers correspondent à une importation déjà réalisée .

5 . Le présent recours en manquement est fondé sur les faits suivants . Le 31 janvier 1983, la Commission a fait savoir par télex aux autorités compétentes de tous les États membres que, selon des renseignements fournis par les autorités thaïlandaises, le navire Equinox avait quitté la Thaïlande vers la mi-janvier à destination de la Communauté avec une cargaison de manioc pour laquelle il n' avait pas été délivré de certificat d' exportation . Le télex mentionnait que cette cargaison ne devait pas
être admise en libre pratique, même sous le couvert de certificats d' importation, dès lors que ceux-ci n' avaient pas pu être délivrés sur la présentation de certificats d' exportation thaïlandais . Un second télex de la Commission, du 6 mai 1983, adressé cette fois aux seules autorités néerlandaises, leur faisait savoir que, selon les renseignements recueillis, le navire Equinox aurait déchargé, pour le compte de la société Krohn, 50 000 t de manioc dépourvues de certificats d' exportation . Ce
télex est resté sans réponse .

6 . Une mise en demeure de la Commission, transmise le 6 juin 1983, recevait en revanche une réponse des autorités néerlandaises, laquelle précisait que 62 523 t de manioc avaient été admises en libre pratique sur la présentation de certificats d' importation délivrés en République fédérale d' Allemagne par le Bundesanstalt fuer landwirtschaftliche Marktordnung ( ci-après "BALM ") avant le 21 mars 1983 . Ces certificats d' importation ne mentionnaient pas le nom du navire ayant effectué le transport
.

7 . Après vérifications effectuées par la Commission, celle-ci s' apercevait que les certificats d' importation en cause avaient été délivrés par le BALM sur présentation de certificats d' exportation mentionnant les noms d' autres navires que l' Equinox . Après avoir demandé, par lettres des 2 août 1983 et 1er février 1984, des explications sur ces faits aux autorités néerlandaises, elle les invitait, par lettre du 9 février 1984, à procéder au recouvrement des prélèvements agricoles non perçus sur
le manioc en cause . Devant le refus opposé le 8 mai 1984 par les autorités néerlandaises, la Commission adressait la lettre de mise en demeure le 25 juillet 1985 et l' avis motivé le 29 janvier 1988 .

8 . Les moyens présentés à l' appui du recours ( 11 ) sont fondés sur la violation, d' une part, du règlement ( CEE ) n 2744/75 du Conseil ( 12 ), lequel institue le prélèvement agricole à taux plein, de l' accord CEE-Thaïlande et des règlements ( CEE ) n s 604/83 ( 13 ), 2029/82 et 3383/82, d' autre part, du règlement ( CEE, Euratom, CECA ) n 2891/77 du Conseil ( 14 ) concernant les ressources propres des Communautés .

9 . Avant d' aborder l' examen de ces deux moyens, il convient cependant d' examiner l' objection soulevée par le gouvernement néerlandais, lequel allègue le caractère tardif du recours sans que l' on puisse savoir si, ce faisant, il oppose formellement une exception d' irrecevabilité . En effet, plus de cinq années séparent la lettre de la Commission du 1er février 1984 de l' introduction, le 16 août 1989, du présent recours . La Commission réplique qu' elle attendait l' issue de la procédure ayant
donné lieu à votre arrêt Krohn avant de poursuivre le présent manquement . Selon le gouvernement néerlandais, à supposer même que l' arrêt Krohn puisse avoir une influence sur le présent recours, l' avis motivé n' a été adressé que plus d' un an après le prononcé de l' arrêt précité et le recours introduit plus d' un an également après la réponse donnée à cet avis ( 15 ).

10 . L' objection ainsi soulevée ne paraît pas devoir être accueillie . Votre Cour a déjà fait litière d' un tel argument . Dans un arrêt Commission/Belgique, alors que cet État invoquait l' existence d' un délai raisonnable qui gouvernerait l' engagement de la procédure instituée à l' article 169 du traité, en référence à ce que votre jurisprudence a reconnu à l' égard de l' article 93 ( 16 ), vous avez rappelé que ce dernier article déroge expressément à l' article 169 et ajouté que

"les règles de l' article 169 du traité ... doivent trouver application sans que la Commission soit tenue au respect d' un délai déterminé . La Commission a expliqué qu' elle avait, en l' espèce, faisant usage du pouvoir d' appréciation que l' article 169 du traité lui accorde, estimé devoir retarder l' examen de la compatibilité des mesures litigieuses belges jusqu' après le moment où la directive serait en vigueur dans tous les États membres . Ce faisant, elle n' a pas fait de ce pouvoir d'
appréciation un usage contraire au traité" ( 17 ).

11 . Ce serait, d' ailleurs, entamer sérieusement le pouvoir reconnu à la Commission par votre jurisprudence d' apprécier l' opportunité d' engager la procédure de l' article 169 que d' enfermer dans un délai déterminé le droit, pour l' autorité communautaire, d' agir en manquement . "Opportunité des poursuites" et délai de recours sont ici intimement liés .

12 . Lors de la procédure orale, le gouvernement néerlandais a fait valoir que vous pourriez prendre en considération ce laps de temps écoulé quant aux conséquences financières d' un éventuel arrêt en manquement . Il nous faut rappeler, à cet égard, que vous n' êtes pas saisis d' un recours en responsabilité, auquel cas vous pourriez apprécier le montant des sommes dues, le cas échéant, par les Pays-Bas, mais d' un recours en manquement . Dès lors, vous êtes seulement invités à préciser l' objet du
manquement sans pouvoir exercer les compétences qui seraient les vôtres dans le cadre d' un recours de pleine juridiction .

13 . Venons-en maintenant à l' examen du premier moyen . Celui-ci est fondé sur les articles 5 du traité et 7, paragraphe 1, des règlements n s 2029/82 et 3383/82 ( 18 ). Ces deux dernières dispositions prévoient, notamment, que, "en cas de non-respect des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance du certificat ( d' importation ), la Commission peut, le cas échéant, après consultation des autorités thaïlandaises, prendre les mesures appropriées ".

14 . A cet égard, la Commission fait valoir qu' au nombre de ces "mesures appropriées" pouvait figurer l' envoi d' un télex aux autorités compétentes des États membres prescrivant de ne pas accepter la mise en libre pratique de la cargaison du navire Equinox malgré la présentation de certificats d' importation ( 19 ). Elle reconnaît, certes, qu' avant le 21 mars 1983, date d' entrée en vigueur du règlement n 499/83, les certificats d' importation ne comportaient pas les références des certificats d'
exportation correspondants . Il incombait, cependant, selon la Commission, aux autorités nationales de vérifier l' identité du manioc présenté en demandant à l' organisme ayant délivré les certificats d' importation la copie du connaissement ou des certificats d' exportation thaïlandais .

15 . Selon le gouvernement néerlandais, les dispositions des articles 7, paragraphe 1, des règlements n s 2029/82 et 3383/82 se rapportent à la délivrance des certificats d' importation et non à la mise en libre pratique . Il appartenait à la Commission de s' opposer à la délivrance par le BALM des certificats d' importation; faute de l' avoir fait, l' autorité communautaire ne saurait invoquer l' existence d' un troisième contrôle de l' application de l' accord CEE-Thaïlande qui serait mis à la
charge des autorités nationales au moment de l' admission en libre pratique ( 20 ).

16 . Comment interpréter la disposition identique des articles 7, paragraphe 1, des règlements n s 2029/82 et 3383/82? Le gouvernement néerlandais estime que le pouvoir ainsi conféré à la Commission doit être exercé avant la délivrance du certificat d' importation . La lettre même du texte en cause nous semble condamner une telle opinion . En effet, le deuxième alinéa de ces articles commence par la phrase : "En cas de non-respect des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance du certificat
...", ce qui, nous semble-t-il, vise la situation où le certificat d' importation a été délivré et la Commission informée de ce que les conditions auxquelles la délivrance était subordonnée n' ont pas été respectées .

17 . Les articles 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, ne sauraient d' ailleurs viser que les situations où les certificats d' importation ont déjà été délivrés, dans la mesure où la Commission détient, au titre du premier alinéa, le pouvoir de s' opposer par télex à la délivrance de ces certificats si les conditions prévues par l' accord de coopération ne sont pas respectées . On ne comprendrait pas dès lors, si l' on suivait l' opinion du gouvernement néerlandais, l' utilité du deuxième alinéa .

18 . Par ailleurs, si la disposition en cause permet à la Commission, au titre des "mesures appropriées", d' enjoindre aux autorités compétentes de refuser la mise en libre pratique de cargaisons couvertes par des certificats d' importation, ce ne peut être, selon le texte même, qu' en cas de non-respect des conditions auxquelles est subordonnée la délivrance du certificat .

19 . Quelles sont ces conditions? Il s' agit notamment, selon nous, des obligations imposées par les articles 6, paragraphe 1, et 6, paragraphe 3, des deux règlements précités, à savoir celle d' importer du royaume de Thaïlande et celle de ne pas mettre en libre pratique une quantité supérieure à celle figurant sur le certificat d' importation .

20 . Cependant, ne faut-il pas inclure, parmi les conditions qui subordonnent la délivrance du certificat, compte tenu des termes mêmes des articles 7, paragraphe 1, premier alinéa, des règlements précités, celles qui sont prévues par l' accord de coopération et notamment

"la règle posée par les articles 1er et 5 de l' accord de coopération selon laquelle les exportations de manioc de Thaïlande vers la CEE ne doivent pas excéder les quantités convenues" ( 21 )?

En effet, dans l' arrêt Krohn, votre Cour a reconnu que le pouvoir conféré à la Commission par les articles 7, paragraphe 1, premier alinéa, précités, de s' opposer à la délivrance des certificats d' importation pouvait être exercé afin de réclamer des renseignements supplémentaires et de vérifier si les certificats demandés n' étaient pas de nature à entraîner un dépassement du contingent . On voit mal en quoi, pour les mêmes objectifs, la Commission ne pourrait pas exercer les compétences
conférées par le deuxième alinéa de ces mêmes articles et prendre, après la délivrance des certificats d' importation, toutes mesures appropriées .

21 . Au nombre de ces mesures doit pouvoir figurer la recommandation faite aux autorités nationales de n' accepter la mise en libre pratique au taux réduit qu' à la condition de se faire communiquer les certificats d' exportation correspondants afin de vérifier l' identité du manioc importé avec celui pour lequel ces certificats ont été délivrés . Dès lors que le pouvoir conféré à la Commission par les articles 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, s' exerce dans les situations où les certificats d'
importation ont déjà été délivrés, la Commission est, par la nature des choses, obligée de faire porter la vérification au moment de la mise en libre pratique . Lui refuser d' intervenir à ce moment-là serait rendre lettre morte la disposition précitée, donc la priver de tout effet utile .

22 . Il ne s' agit en aucun cas de réparer, comme le gouvernement néerlandais le prétend, les erreurs de la Commission ou du BALM . En effet, si le premier télex en cause est du 31 janvier 1983, il mentionne que les autorités thaïlandaises ont informé la Commission du départ du navire Equinox vers la mi-janvier 1983 avec une cargaison de manioc dépourvue de certificats d' exportation . Ce ne peut être, en conséquence, que dans la seconde moitié du mois de janvier 1983 que la Commission a reçu cette
information . Or, certains des certificats d' importation délivrés par le BALM portent les dates des 6, 11, 19 et 27 janvier . Il n' est pas certain, dès lors, que la Commission était encore en mesure d' intervenir auprès du BALM pour l' inviter à ne pas délivrer les certificats d' importation . Par ailleurs, le télex de la Commission du 6 mai 1983, adressé aux autorités néerlandaises, précise qu' aucune demande de certificat d' importation relatif à ces quantités ne lui a été communiquée
conformément à l' article 9 des règlements n s 2029/82 et 3383/82 . En conséquence, il est vraisemblable que les certificats d' importation délivrés par le BALM l' ont été pour d' autres cargaisons de manioc et l' on discerne mal comment la Commission pouvait s' opposer à leur délivrance dès lors qu' elle ignorait qu' ils seraient utilisés plus tard pour une nouvelle cargaison . Il ne lui restait donc plus qu' à faire usage des pouvoirs que lui reconnaissent les articles 7, paragraphe 1, deuxième
alinéa, précités .

23 . Il ne s' agit pas non plus d' instaurer un troisième contrôle systématique . Les "mesures appropriées" ne sauraient être que des mesures ponctuelles, visant une cargaison déterminée comme en l' espèce, comme cela ressort du libellé de la disposition qui emploie le singulier à propos de la "délivrance du certificat ". Dans la plupart des cas, ces mesures viseront à prévenir les conséquences d' irrégularités constatées à l' occasion des contrôles effectués soit par les autorités thaïlandaises,
soit par les autorités nationales ou communautaires .

24 . L' article 5 du traité vient également éclairer les dispositions des articles 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, précités . Le devoir de coopération qui s' impose aux autorités nationales aurait dû conduire les autorités néerlandaises à se rapprocher, fût-ce par téléphone, du BALM afin de prendre connaissance des noms des navires figurant sur les certificats d' exportation . Une telle attitude aurait paru d' autant plus naturelle que les autorités néerlandaises ne pouvaient ignorer, dès ce
moment, les difficultés particulières auxquelles la Communauté était confrontée . En effet, le règlement n 499/83, qui, notamment, impose la mention du nom du navire sur le certificat d' importation, est daté du 2 mars 1983 . Or, la mise en libre pratique n' a pu avoir lieu qu' après le 18 mars 1983, date du dernier certificat d' importation ( 22 ) présenté par l' opérateur économique . Même si le règlement n 499/83 n' est entré en vigueur que le 21 mars 1983, les motifs de son adoption ainsi que
ses dispositions étaient très certainement connus des autorités compétentes néerlandaises .

25 . Enfin, pour être complet, il ne nous paraît pas que la délivrance du certificat d' importation puisse fonder, dans les présentes circonstances, une confiance légitime dans le chef de l' opérateur économique concerné, étant donné que, selon votre jurisprudence, le principe de la confiance légitime

"ne peut ... être invoqué par une entreprise qui s' est rendue coupable d' une violation manifeste de la réglementation en vigueur" ( 23 ).

26 . En conséquence, la Commission, à notre sens, pouvait imposer aux autorités compétentes des États membres, au titre des "mesures appropriées", de refuser la mise en libre pratique de la cargaison du navire Equinox sur la présentation de certificats d' importation, sauf à vérifier l' identité du manioc en cause en demandant la communication des certificats d' exportation correspondants .

27 . Le royaume des Pays-Bas a donc manqué à ses obligations communautaires en s' abstenant de vérifier auprès du BALM l' existence des certificats d' exportation relatifs à la cargaison litigieuse et en acceptant, malgré le télex de la Commission, la mise en libre pratique de 60 000 t environ de manioc, pour lesquelles aucun certificat d' exportation n' avait été délivré .

28 . Certes, le gouvernement néerlandais fait valoir qu' il a effectué une enquête relative aux relâches et mouvements du navire Equinox . Selon les résultats de cette enquête, l' Equinox serait resté à quai dans un port thaïlandais dans l' attente de recevoir des certificats d' exportation .

29 . Une telle vérification ne paraît cependant pas suffisante . Il ressort qu' en réalité, si l' Equinox a bien reçu des certificats d' exportation pour une partie de sa cargaison, les 60 000 t de manioc en cause n' ont pas bénéficié de la délivrance de tels certificats puisque, rappelons-le, c' est sur la présentation de certificats d' exportation mentionnant d' autres navires que les certificats d' importation ont été délivrés par le BALM pour cette quantité . L' enquête diligentée par le
gouvernement néerlandais n' était donc pas une exécution correcte des "mesures appropriées" prises par la Commission au titre des dispositions des articles 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, des règlements n s 2029/82 et 3383/82 . Cela suffit, à notre sens, pour que vous constatiez le manquement de ce chef . Il n' y a pas lieu dès lors, d' examiner le moyen subsidiaire, présenté par la Commission ( 24 ), fondé sur le refus des autorités néerlandaises de procéder au recouvrement a posteriori des
prélèvements non perçus .

30 . Examinons maintenant le second moyen . Celui-ci vise l' omission de la part du gouvernement néerlandais d' avoir constaté comme ressources propres le montant correspondant à la différence entre le prélèvement à taux plein et celui à taux réduit et d' avoir mis ce montant à la disposition de la Commission pour le 29 juin 1984 au plus tard ainsi que celle-ci le lui avait demandé par lettre du 18 avril de la même année .

31 . Les observations écrites font état d' une première divergence, peut-être plus apparente que réelle, entre les parties . Le gouvernement néerlandais oppose, en effet, un premier argument selon lequel il n' appartiendrait pas à la Commission de constater les ressources propres, ce pouvoir étant exclusivement exercé par les États membres . La Commission répond, à juste titre nous semble-t-il, que si le soin de constater les ressources propres appartient effectivement aux seuls États membres, en
application de l' article 1er du règlement n 2891/77, il ressort des dispositions de ce règlement que les États membres ont l' obligation de constater en tant que ressources propres les montants des créances dès que ces dernières sont devenues exigibles . L' incompétence de la Commission pour constater elle-même les ressources propres ne souffre pas de contestation; la difficulté essentielle est de savoir si un État membre est obligé de constater des créances qu' il conteste .

32 . A notre sens, la réponse ne peut qu' être affirmative . Il ne saurait être permis à un État membre, du seul effet qu' il conteste être créancier d' une certaine somme, de paralyser la mise des ressources propres à la disposition des autorités communautaires . Vous avez, sous l' empire du règlement ( CEE, Euratom, CECA ) n 2/71 du Conseil, du 2 janvier 1971 ( 25 ), reconnu que l' existence d' un système de comptabilisation mensuelle dans les écritures communautaires en tant que recettes à
recouvrer ainsi que l' institution d' intérêts de retard pour tout défaut d' inscription impliquaient nécessairement le droit de la Commission de demander des contrôles supplémentaires et, le cas échéant, d' y être associée, "dès le moment où la constatation aurait dû avoir lieu" ( 26 ). La reconnaissance d' un tel pouvoir au bénéfice de la Commission ne se comprend que si l' État membre concerné est tenu, malgré ses hésitations, de constater les ressources propres . S' il omet de le faire, c' est,
en quelque sorte, "à ses risques et périls", dans la mesure où il devra alors acquitter les intérêts de retard prévus par l' article 11 du règlement n 2891/77 .

33 . Sur ce dernier point, les parties s' opposent également . Selon le gouvernement néerlandais, l' article 11 précité n' instituerait d' intérêts de retard que pour le cas où un État membre, après avoir constaté les ressources propres conformément aux articles 1er et 2 du même règlement, aurait omis de les inscrire au crédit du compte ouvert à son trésor au nom de la Commission au plus tard le 20 du deuxième mois suivant celui au cours duquel le droit a été constaté ( 27 ). Il serait, en revanche,
inapplicable pour le cas où un État membre a refusé de constater les ressources propres, ce qui conduit bien évidemment à un défaut d' inscription .

34 . Votre jurisprudence a déjà rejeté une telle opinion . Dans un arrêt Commission/Allemagne, alors que ce dernier État estimait

"que l' article 11 du règlement n 2891/77, précité, n' institue une obligation de payer des intérêts que dans les seuls cas où un État membre outrepasse le délai prévu à l' article 10, paragraphe 1, de ce règlement, qui lui est laissé, après la constatation des droits, pour procéder à leur inscription au compte de la Commission, mais non pas dans l' hypothèse d' un retard dans la constatation préalable des droits en question" ( 28 ),

vous avez répondu que

"il résulte des termes mêmes de l' article 11, précité, du règlement n 2891/77 que les intérêts moratoires sont dus pour 'tout retard' dans les inscriptions au compte de la Commission . Il en résulte que, quelle que soit la raison pour laquelle l' inscription au compte de la Commission a été faite avec retard, les intérêts moratoires sont exigibles, sans qu' il y ait lieu de distinguer selon que cette inscription tardive résulte d' une méconnaissance de la date limite fixée pour la constatation des
droits ou d' un dépassement du délai prévu par l' article 10, paragraphe 1, du règlement n 2891/77" ( 29 ).

35 . Certes, dans l' espèce ayant donné lieu à votre arrêt, un règlement de la Commission imposait aux États membres de constater les droits dus avant une certaine date . Cette circonstance ne nous paraît pas devoir modifier le raisonnement que vous aviez suivi alors . En l' espèce, même s' il n' existe pas à proprement parler de délai pour la constatation des droits, il résulte de l' article 2 du règlement n 2891/77 que le droit doit être constaté "dès que la créance correspondante a été dûment
établie par le service ou l' organisme compétent de l' État membre ". Un tel point de vue a d' ailleurs été le vôtre dans un arrêt récent Commission/Italie ( 30 ). L' avocat général M . Mancini, dans ses conclusions sous l' arrêt Commission/Allemagne, avait d' ailleurs indiqué que

"la constatation n' est pas ... l' acte constitutif du droit qui a pour objet la ressource, mais uniquement le fait qui fait naître l' obligation incombant à l' État de mettre cette ressource à la disposition de la Commission . S' il n' en était pas ainsi, si la naissance du droit dépendait de la constatation à laquelle procèdent les États, ces derniers se verraient restituer en pratique un pouvoir fiscal qui leur a été retiré" ( 31 ).

36 . L' argument opposé par le gouvernement néerlandais paraît en conséquence dénué de pertinence . Le second moyen doit donc également être accueilli .

37 . Un point encore, cependant . Les droits en cause auraient dû être constatés dès le mois d' avril 1983 et les montants correspondants inscrits au compte de la Commission au plus tard le 20 juin 1983, en application de l' article 10, paragraphe 1, du règlement n 2891/77 . Cependant, la Commission vous demande de constater le manquement en ce que le royaume des Pays-Bas a refusé de constater comme ressources propres le montant en cause, majoré des intérêts à compter du 29 juin 1984, date à
laquelle elle avait demandé que ce montant soit mis à sa disposition . Vous n' êtes, dès lors, invités à constater le manquement que dans les limites de votre saisine, c' est-à-dire tel que le recours a pu les définir .

38 . Nous vous invitons, en conséquence, à déclarer que le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité :

- en admettant en libre pratique, en avril 1983, au prélèvement à taux réduit de 6 % ad valorem une cargaison de 60 000 t environ de manioc exporté de Thaïlande sans certificats d' exportation;

- en refusant de constater comme ressources propres des Communautés le montant qu' il a indûment omis de percevoir sur cette cargaison, soit 19 765 281,39 HFL, et de mettre ce montant, majoré de l' intérêt prévu à l' article 11 du règlement n 2891/77 à compter du 29 juin 1984, à la disposition de la Commission .

Nous vous invitons également à condamner l' État membre défendeur aux dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Accord concernant la production, la commercialisation et les échanges de manioc, approuvé au nom de la Communauté par le Conseil dans sa décision 82/495/CEE, du 19 juillet 1982 ( JO L 219, p . 52 ).

( 2 ) Arrêt du 15 janvier 1987 ( 175/84, Rec . p . 97 ).

( 3 ) Règlement portant modalités d' application du régime d' importation applicable aux produits de la sous-position O7.O6 A du tarif douanier commun, originaires de Thaïlande et exportés de ce pays en 1982 ( JO L 218, p . 8 ).

( 4 ) Règlement portant modalités d' application du régime d' importation applicable aux produits de la sous-position 07.06 A du tarif douanier commun, originaires de Thaïlande et exportés de ce pays en 1983 ( JO L 356, p . 8 ).

( 5 ) 175/84, précité, point 5 .

( 6 ) Ibidem, point 6 .

( 7 ) Ibidem, point 7 .

( 8 ) Ibidem, point 16 .

( 9 ) Règlement modifiant les règlements ( CEE ) n 2029/82 et ( CEE ) n 3383/82 portant modalités d' application du régime d' importation applicable aux produits de la sous-position 07.06 A du tarif douanier commun, originaires de Thaïlande et exportés de ce pays en 1982 et en 1983 ( JO L 56, p . 12 ).

( 10 ) 175/84, précité, point 17 .

( 11 ) P . 8 et 13 du recours, dans sa traduction française .

( 12 ) Règlement du 29 octobre 1975 relatif au régime d' importation et d' exportation des produits transformés à base de céréales et de riz ( JO L 281, p . 65 ).

( 13 ) Règlement du Conseil du 14 mars 1983 relatif au régime à l' importation applicable pour les années 1983 à 1986 aux produits relevant de la sous-position 07.06 A du tarif douanier commun, et modifiant le règlement ( CEE ) n 950/68 relatif au tarif douanier commun ( JO L 72, p . 3 ).

( 14 ) Règlement du 19 décembre 1977 portant application de la décision du 21 avril 1970 relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés ( JO L 336, p . 1 ).

( 15 ) P . 8 du mémoire en défense, dans sa traduction française .

( 16 ) Arrêt du 11 décembre 1973, Lorenz ( 120/73, Rec . p . 1471 ).

( 17 ) Arrêt du 10 avril 1984, point 12 ( 324/82, Rec . p . 1861 ), souligné par nous .

( 18 ) Voir la requête, points 6.2 et 6.3, p . 11 de la traduction française .

( 19 ) P . 12 du recours, dans sa traduction française .

( 20 ) P . 12 du mémoire en défense, dans sa traduction française, p . 7 du mémoire en duplique .

( 21 ) 175/84, précité, point 15 .

( 22 ) Voir, à cet égard, le mémoire en défense, p . 6 de la traduction française .

( 23 ) Arrêt du 12 décembre 1985, Sideradria, point 21 ( 67/84, Rec . p . 3983 ).

( 24 ) Point 7 de la requête, dans sa traduction française .

( 25 ) Règlement portant application de la décision, du 21 avril 1970, relative au remplacement des contributions financières des États membres par des ressources propres aux Communautés ( JO L 3, p . 1 ).

( 26 ) Arrêt du 10 janvier 1980, Commission/Italie, point 15 ( 267/78, Rec . p . 31 ).

( 27 ) Article 10, paragraphe 1, du règlement n 2891/77 .

( 28 ) Arrêt du 20 mars 1986, point 16 ( 303/84, Rec . p . 1171 ).

( 29 ) Ibidem, point 17, souligné par nous .

( 30 ) Arrêt du 22 février 1989, point 12 ( 54/87, Rec . p . 385 ).

( 31 ) Conclusions dans l' affaire 303/84 ( Rec . 1986, p . 1176 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-96/89
Date de la décision : 06/11/1990
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Manquement d'État - Admission en libre pratique à un taux de prélèvement réduit d'un lot de manioc exporté de Thaïlande sans certificat d'exportation - Omission de constater des ressources propres et de les mettre à la disposition de la Commission.

Politique commerciale

Relations extérieures

Dispositions financières

Agriculture et Pêche

Ressources propres

Céréales


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : Royaume des Pays-Bas.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:374

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