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02/10/1990 | CJUE | N°C-241/89

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 2 octobre 1990., SARPP - Société d'application et de recherches en pharmacologie et phytotherapie SARL contre Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre de France e.a., 02/10/1990, C-241/89


Avis juridique important

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61989C0241

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 2 octobre 1990. - SARPP - Société d'application et de recherches en pharmacologie et phytotherapie SARL contre Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre de France e.a. - Demande de décision préjudicielle:

Tribunal de grande instance de Paris - France. - Édulcorants de synthèese...

Avis juridique important

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61989C0241

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 2 octobre 1990. - SARPP - Société d'application et de recherches en pharmacologie et phytotherapie SARL contre Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre de France e.a. - Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France. - Édulcorants de synthèese - Étiquetage - Publicité. - Affaire C-241/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-04695

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Par le présent renvoi préjudiciel, le tribunal de grande instance de Paris demande à la Cour si l' article 10, paragraphe 1, de la loi n° 88-14, du 5 janvier 1988, et l' arrêté du 11 mars 1988, en ce qu' ils prohibent toute indication évoquant les caractéristiques physiques, chimiques ou nutritionnelles du sucre ou évoquant le mot sucre dans l' étiquetage des édulcorants de synthèse et dans la publicité qui leur est consacrée, sont compatibles avec les dispositions de l' article 30 du traité CEE
.

Le contexte normatif ainsi que les faits qui sont à l' origine du litige au principal sont exposés dans le rapport d' audience, auquel nous renvoyons .

2 . Avant d' aborder le fond de la question déférée à la Cour, il nous semble cependant nécessaire de formuler quelques brèves observations .

En premier lieu, il apparaît comme évident que la question posée par le juge a quo doit être reformulée .

Il est, en effet, de jurisprudence constante que la Cour n' est pas compétente pour statuer, dans le cadre d' une procédure préjudicielle, sur la compatibilité avec le droit communautaire d' actes normatifs nationaux . Elle peut cependant, en présence d' une ordonnance de renvoi formulée de manière inexacte, identifier la question de droit communautaire en des termes qui lui permettent de se prononcer .

En outre, comme la Commission l' a observé à juste titre, pour fournir des indications utiles au juge de renvoi, il y a lieu plus particulièrement de faire référence à la réglementation énoncée dans la directive 79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, relative au rapprochement des législations des États membres concernant l' étiquetage et la présentation des denrées alimentaires ainsi que la publicité faite à leur égard ( 1 ). Et ce conformément à la jurisprudence de la Cour selon laquelle, en
vue de fournir à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle une réponse utile, la Cour peut être amenée à prendre en considération les normes de droit communautaire auxquelles le juge national n' a pas fait référence dans l' énoncé de sa question ( 2 ).

3 . La directive précitée, qui édicte les règles communautaires à caractère général et horizontal applicables aux denrées alimentaires, a été conçue dans l' intention d' améliorer le fonctionnement du marché et la libre circulation des marchandises, en assurant en même temps une information correcte et une protection suffisante des consommateurs ( 3 ).

Son champ d' application, tel qu' il est défini à l' article 1er, paragraphe 1, paraît coïncider avec les dispositions françaises litigieuses, qui ont, elles aussi, pour objet des produits destinés au consommateur final ( 4 ).

L' intitulé même de la loi n° 88-14 précise en effet que l' acte vise les actions en justice des associations agréées de consommateurs et l' information de ces mêmes consommateurs .

En outre, la directive paraît couvrir tant l' hypothèse dans laquelle les édulcorants de synthèse sont destinés à la vente en l' état que l' hypothèse dans laquelle ils constituent l' ingrédient d' une autre denrée alimentaire destinée à la vente au consommateur final ( article 1er, paragraphe 1, et article 3, paragraphe 1 ).

4 . Quelque doute quant à la coïncidence parfaite entre la directive et la réglementation française peut, en vérité, surgir pour ce qui concerne l' extension de l' interdiction à la publicité des produits, cette matière n' étant évoquée que d' une manière marginale par l' acte normatif communautaire .

Il y a cependant lieu d' avoir à l' esprit le fait que la réglementation française ne régit pas ex professo les formes et les modalités de promotion des ventes, mais se borne à étendre à la publicité les interdictions prévues pour l' étiquetage des produits en question et que, d' autre part, la directive elle-même touche à certains aspects relatifs à la publicité, notamment en ce qui concerne l' exigence d' une information correcte du consommateur ( article 2 ).

Nous estimons donc que la réglementation nationale en cause est de nature à relever dans son ensemble du champ d' application de la directive .

5 . La réglementation établie par la source de droit communautaire prévoit en particulier, à l' article 2, que l' étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé (( paragraphe 1, sous a ) )) ainsi que la présentation et la publicité des denrées alimentaires ( paragraphe 3 ) ne doivent pas être de nature à induire l' acheteur en erreur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire ou en attribuant à celle-ci des effets ou propriétés qu' elle ne possède pas ou, enfin, en
suggérant à l' acheteur que la denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières, alors que toutes les denrées alimentaires similaires possèdent ces mêmes caractéristiques .

L' article 3 énumère ensuite, sous réserve de certaines conditions et dérogations prévues aux articles suivants, les seules mentions obligatoires que l' étiquetage des denrées alimentaires doit comporter .

L' article 15 dispose enfin que les États membres ne peuvent pas interdire le commerce des denrées alimentaires conformes aux règles prévues dans la directive par l' application de dispositions nationales non harmonisées qui règlent l' étiquetage et la présentation de certaines denrées alimentaires, sous réserve d' éventuelles justifications fondées, en particulier et pour ce qui nous intéresse ici, sur des raisons de protection de la santé publique ou de répression de la concurrence déloyale .

6 . Cela étant, quant au cadre normatif en question, disons d' emblée qu' une interdiction aussi générale de l' utilisation du mot sucre, telle que la prévoit le législateur français qui va jusqu' à interdire l' utilisation de la mention "sucré à/au" ou de marques comportant le radical "suc" ( par exemple, Maxi-suc, Pouss-suc, Sucredulcor ), nous paraît aller largement au-delà de ce qui est exigé par la directive 79/112 et, en particulier, par son article 2 .

Une interdiction aussi large et indistincte, loin d' assurer une information correcte des consommateurs, est en effet susceptible d' aboutir à un effet inverse, en faisant obstacle à une information satisfaisante et complète .

De cette manière, on empêche, par exemple, d' indiquer qu' une denrée ne contient pas de sucre, ce qui est souvent précisément ce que l' acheteur veut savoir .

De même, lorsqu' on interdit d' indiquer qu' un produit a été "sucré à" ou que l' édulcorant a un "pouvoir sucrant", on rend certainement plus difficile la compréhension de la fonction de l' édulcorant de synthèse, puisque la langue française ne comporte pas d' expression correspondante aisément compréhensible par la grande majorité des personnes . La preuve en est que le législateur national lui-même, se référant aux édulcorants de synthèse (( article 10, sous a ) )), parle de "pouvoir sucrant ".

En outre, la dérogation même prévue par la réglementation française, qui permet que l' on conserve les dénominations et les marques de fabrique de substances édulcorantes commercialisées antérieurement au 1er décembre 1987 par le secteur médical et pharmaceutique, si, d' une part, elle est potentiellement discriminatoire parce qu' elle semblerait, compte tenu de la situation du marché, privilégier les produits français, elle enlève, d' autre part, de la crédibilité et de la force à l' argument tiré
de la protection du consommateur ( comme, en vérité, également aux autres justifications invoquées ), puisque, si possibilité de confusion il y a, on ne voit pas pour quel motif certains produits doivent pouvoir conserver les indications précédentes .

7 . Si donc, à la lumière de ce qui précède, il apparaît que la réglementation française va au-delà de ce qui est autorisé par l' article 2 de la directive aux fins de protéger les consommateurs, elle ne pourrait qu' être éventuellement justifiée par les exemptions précitées visées à l' article 15, paragraphe 2 .

Or, pour ce qui concerne en particulier l' exigence de la répression de la concurrence déloyale, la thèse avancée dans les observations présentées par la Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre consiste en substance à affirmer que, puisque le sucre a fait l' objet de campagnes de dénigrement réitérées, la simple utilisation de ce mot dans l' étiquetage d' un produit en quelque sorte concurrent constitue un acte de concurrence déloyale .

Visiblement, l' argument n' est pas des plus solides et convaincants . Il paraît, en effet, franchement difficile d' accueillir la thèse selon laquelle l' indication "sans sucre" constitue en soi un dénigrement du sucre en ce que le consommateur attribuerait au produit ainsi évoqué des conséquences nocives pour sa santé .

Si l' on suivait un tel raisonnement, on devrait également considérer que, lorsque l' on parle d' une boisson décaféinée ou sans alcool, on vise non pas à fournir une information à l' acheteur, mais à dénigrer la caféine et l' alcool .

Ajoutons que la thèse en question semble procéder d' une conception à tout le moins réductrice des capacités de compréhension et de critique des consommateurs .

Enfin, on ne saurait raisonnablement considérer, comme le gouvernement français l' a soutenu, que la réglementation en cause est justifiée par l' exigence de "prévenir des pratiques abusives" ( p . 11 des observations ), puisqu' une telle interdiction apparaît, en tout état de cause, comme manifestement disproportionnée par rapport à l' objectif indiqué .

Si pratiques abusives il y a, elles peuvent, en effet, être réprimées en utilisant les dispositions de caractère général qui visent à protéger le consommateur ou à réprimer la concurrence déloyale .

Il est, en effet, évident que le droit communautaire ne s' oppose pas à la répression éventuelle d' actes de concurrence déloyale consistant à dénigrer un produit concurrent en lui attribuant plus ou moins explicitement des effets nocifs pour la santé . Mais il ne nous semble pas qu' il s' agisse là du point débattu dans l' espèce présente .

8 . Quant, ensuite, aux éventuelles raisons tirées de l' exigence de protection de la santé publique ( évoquées dans une certaine mesure dans l' ordonnance de renvoi elle-même ), elles ne nous paraissent pas sérieusement envisageables dans la mesure où, comme on l' a dit, la mention du mot sucre ou la référence à celui-ci dans l' étiquetage du produit n' est pas en soi de nature à induire en erreur le consommateur, mais peut au contraire lui permettre d' effectuer son choix en connaissance de cause
.

En réalité, les dispositions de la réglementation française qui ont pour objet d' assurer cette protection sont non pas celles dont on discute dans la présente procédure, mais, plutôt, d' autres dispositions spécifiques relatives, par exemple, à l' indication obligatoire de la présence éventuelle de phénylalanine ou à l' obligation de recommander la consommation avec modération par les femmes enceintes .

9 . Avant de conclure, nous voudrions souligner que l' on n' aboutirait pas à une solution différente même si la Cour estimait devoir examiner à la lumière de l' article 30 les aspects de la réglementation en cause relatifs à la publicité .

A cet égard, il y a d' abord lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour ( 5 ), l' interdiction des mesures d' effet équivalant à des restrictions quantitatives, sanctionnée par l' article 30 du traité, vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d' entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire .

En particulier, une législation qui limite ou interdit certaines formes de publicité et certains moyens de promotion des ventes, bien qu' elle ne conditionne pas directement les importations, peut être de nature à restreindre le volume de celles-ci par le fait qu' elle affecte les possibilités de commercialisation pour les produits importés . On ne saurait, en effet, exclure la possibilité que le fait, pour un opérateur concerné, d' être contraint soit d' adopter des systèmes différents de publicité
ou de promotion des ventes en fonction des États membres concernés, soit d' abandonner un système qu' il juge particulièrement efficace puisse constituer un obstacle aux importations même si une telle législation s' applique indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés ( 6 ).

Il y a lieu de souligner ensuite que, comme la Cour l' a confirmé à plusieurs reprises depuis l' arrêt Rewe ( 7 ), en l' absence d' une réglementation commune relative au commerce des produits dont il s' agit, les obstacles à la circulation intracommunautaire résultant de disparités des législations nationales doivent être acceptés, à la condition que cette législation, appliquée indistinctement aux produits nationaux et aux produits importés, puisse être reconnue comme étant nécessaire pour des
raisons d' intérêt général comme celles visées à l' article 36 du traité, par exemple la protection de la santé des personnes ou des exigences impératives tenant, notamment, à la défense des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales . Raisons qui, comme nous venons de l' illustrer, ne paraissent pas exister dans le cas d' espèce .

10 . A la lumière des considérations qui précèdent, nous proposons de répondre comme suit à la question posée par le juge national :

"Les dispositions de la directive 79/112/CEE, et en particulier ses articles 2 et 15, doivent être interprétées en ce sens qu' elles s' opposent à l' application d' une législation nationale qui interdit dans l' étiquetage des édulcorants de synthèse et dans la publicité qui leur est consacrée, la mention du mot sucre ou bien toute référence aux caractéristiques physiques, chimiques ou nutritionnelles du sucre, lorsqu' il s' agit de caractéristiques que ces produits possèdent également ."

(*) Langue originale : l' italien .

( 1 ) JO L 33, p . 41 .

( 2 ) Arrêt du 20 mars 1986, Tissier, point 9 ( 35/85, Rec . p . 1207 ).

( 3 ) Voir deuxième, troisième, quatrième et septième considérants .

( 4 ) Notons que la directive 79/112/CEE a été modifiée par la directive 83/395/CEE, du 14 juin 1989 ( JO L 189, p . 17 ), qui a étendu le champ d' application de l' acte aux denrées alimentaires destinées à certaines collectivités telles que les restaurants, les hôpitaux et les cantines .

( 5 ) Voir, en premier lieu, arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, point 5 ( 8/74, Rec . p . 837 ).

( 6 ) Arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek' s, point 15 ( 286/81, Rec . p . 4575 ).

( 7 ) Arrêt du 20 février 1979, 120/78, point 8, Rec . p . 649 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-241/89
Date de la décision : 02/10/1990
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Tribunal de grande instance de Paris - France.

Édulcorants de synthèese - Étiquetage - Publicité.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Protection des consommateurs

Mesures d'effet équivalent

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : SARPP - Société d'application et de recherches en pharmacologie et phytotherapie SARL
Défendeurs : Chambre syndicale des raffineurs et conditionneurs de sucre de France e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: O'Higgins

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1990:338

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