Avis juridique important
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61989C0200
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 10 juillet 1990. - FUNOC contre Commission des Communautés européennes. - Fonds social européen - Recours en annulation contre une réduction du concours financier. - Affaire C-200/89.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-03669
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Le présent recours, introduit par l' association pour le développement à Charleroi d' actions collectives de formation pour l' université ouverte ( ci-après "FUNOC "), vise à obtenir, en premier lieu, l' annulation de la décision de la Commission, notifiée à la requérante par lettre du 21 avril 1989, par laquelle la Commission demande le remboursement de 6 579 334 BFR et refuse le paiement du solde ( 6 600 000 BFR ) d' un concours financier octroyé par le Fonds social européen et, en second
lieu, la réparation des dommages subis par la FUNOC à la suite de la décision indiquée .
2 . Les faits qui sont à l' origine du litige peuvent être brièvement résumés de la manière suivante .
En septembre 1983, la FUNOC a présenté à la Commission une demande de financement pour un projet à caractère novateur au sens de l' article 3, paragraphe 2, de la décision 83/516/CEE du Conseil, du 17 octobre 1983, concernant les missions du Fonds social européen ( 1 ), projet échelonné sur trois années ( 1984, 1985 et 1986 ) et destiné à former des jeunes peu qualifiés aux nouvelles technologies de l' information .
Le projet a été approuvé pour le montant demandé, à savoir 16 500 000 BFR, par la décision C ( 84 ) 1076 de la Commission, du 23 juillet 1984 .
Le 6 juin 1988, la requérante a reçu une lettre recommandée du ministère de l' Emploi et du Travail qui lui transmettait une note de débit de la Commission, accompagnée d' une lettre explicative . La Commission demandait le remboursement du montant avancé, de 9 900 000 BFR, au motif qu' il résultait du rapport joint en annexe par la FUNOC à la demande de solde que la requérante avait décidé, dès janvier 1984, de modifier son programme, sans en avertir les services compétents du Fonds social, et que
cette réorientation était en contradiction avec la structure initiale du projet .
A la suite de contacts qui ont eu lieu entre les autorités belges et les services de la Commission, cette dernière, par lettre du 21 avril 1989, a réduit à 6 579 334 BFR sa demande de remboursement, en ne mettant pratiquement à la charge du Fonds que le premier cycle de formation ( 1984 ).
3 . La FUNOC a attaqué cette décision en faisant valoir quatre moyens de recours .
La requérante soutient, en premier lieu, que l' acte serait entaché de vice dans la mesure où il n' émane pas de l' organe compétent .
En effet, la décision aurait été adoptée par M . Vermelho, chef de division à la direction générale V ( Emploi, affaires sociales et éducation ), qui aurait signé la communication contestée du 21 avril 1989 sans y être spécifiquement habilité, alors que, selon la requérante, les lettres précédentes, signées par le directeur général, faisaient preuve d' une orientation différente, plus compréhensive et plus conciliante .
4 . A cet égard, il faut dire tout d' abord que, en vertu de la réglementation interne relative à l' exécution du budget général des Communautés, c' est la direction générale V qui est chargée de gérer ce type de dépense .
Or, il ne ressort de l' examen de la communication contestée aucun élément permettant d' estimer que M . Vermelho a agi de sa propre initiative, en n' observant pas les procédures internes .
D' autre part, la communication précédente, signée par le directeur général, envoyée le 27 octobre 1988 ( annexe 13 ter du recours ) au ministre belge des Affaires sociales, a exprimé la même appréciation, reprise ensuite dans la lettre de M . Vermelho du 21 avril suivant . Dans la communication du 27 octobre, on lit, en effet, que "le fond du problème est qu' il ne s' agit malheureusement pas d' un projet novateur au sens de la réglementation du Fonds ".
De même, les solutions envisagées dans les communications envoyées précédemment par le même directeur général ne semblent pas différentes de la décision adoptée ensuite, consistant à mettre à la charge du Fonds les seules dépenses effectuées par la FUNOC au cours de la première année .
Dans la lettre du 27 octobre 1988, on parle en effet de "solution acceptable de ce dossier, en tenant compte éventuellement de la partie qui justifie un caractère novateur dans ce programme" et, dans la lettre ultérieure du 22 mars 1989 ( annexe 14 ter du recours ) de "solution ... qui tiendrait compte de la partie qui pourrait justifier le caractère novateur dans ce programme réalisé ".
La documentation produite ne fait donc pas apparaître des indications de nature à faire estimer que, en l' espèce, l' administration communautaire s' est écartée de l' observation des règles en vigueur en la matière .
A notre avis, le premier moyen de recours n' est donc pas fondé .
5 . Le deuxième grief a trait à la prétendue violation, par l' administration communautaire, de la réglementation relative au Fonds .
La requérante soutient, en effet, que la Commission se serait limitée à présenter à l' administration de l' emploi belge une note de débit, transmise ensuite à la FUNOC en juin 1988 ( annexe 7 du recours ), c' est-à-dire une mesure d' exécution d' une décision déjà prise, et cela en violation de l' article 6, paragraphe 1, du règlement ( CEE ) n° 2950/83 ( 2 ), en vertu duquel la Commission est tenue de donner à l' État membre intéressé la possibilité de présenter ses observations avant de
suspendre, réduire ou supprimer le concours .
6 . A propos de ce grief, on doit toutefois observer que l' acte attaqué n' est pas la communication transmise à la requérante en juin 1988, mais la décision ultérieure visée à la communication portant la date du 21 avril 1989 . Cette dernière décision a été incontestablement adoptée à la suite de nombreux contacts entre l' administration belge et la Commission ( voir communication du ministère de l' Emploi et du Travail du 30 juin 1988, annexe 9 du recours; communication de la Commission du 16
septembre 1988, annexe 12; communication du ministre Busquin du 16 septembre 1988, annexe 13 bis; communication de la Commission du 27 octobre 1988, annexe 13 ter; communication du ministre Maystadt du 31 janvier 1989, annexe 14 bis; communication de la Commission du 22 mars 1989, annexe 14 ter ); et c' est précisément à la suite de ces contacts que la Commission a été incitée à modifier, quoique partiellement, sa décision précédente, qui est sans importance ici .
D' autre part, la disposition invoquée par la requérante ne prévoit pas une procédure formelle de consultation, mais exige uniquement que les autorités de l' État membre intéressé aient la possibilité de présenter leurs observations avant l' adoption d' une décision définitive, ce qui s' est précisément produit en l' espèce .
Ce deuxième moyen de recours, lui aussi, apparaît donc non fondé .
7 . La FUNOC soutient ensuite que, en effectuant ses appréciations concernant la conformité de l' action réalisée par rapport au projet initial, la Commission aurait commis une erreur manifeste d' appréciation et aurait appliqué de manière inexacte les dispositions qui régissent le Fonds .
Les modifications apportées au programme annoncé précédemment seraient en effet apparues nécessaires dans l' intérêt de la réussite du projet lui-même et n' auraient pas entraîné un changement substantiel de l' opération réalisée, qui aurait gardé, selon la requérante, ses caractéristiques d' action unique, à caractère novateur, visant à tester une nouvelle hypothèse de travail .
8 . A cet égard, il faut préciser que l' action de formation proposée par la FUNOC en septembre 1983 prévoyait, selon la description faite par la requérante elle-même dans le formulaire relatif à la demande de financement, la création d' une coopérative de production scientifique apte à réaliser des enquêtes et des recherches présentant une utilité collective; en d' autres termes, un observatoire des faits économiques, sociaux et éducatifs régionaux, en mesure de répondre aux demandes et commandes
de la collectivité .
A cette fin, 90 jeunes peu qualifiés auraient dû bénéficier d' une formation appropriée quant aux méthodes et techniques de recherche, avec utilisation intensive de l' informatique .
Le projet aurait dû comporter, selon les informations supplémentaires fournies à la Commission le 15 juin 1984, trois phases distinctes .
Au cours de la première phase ( 1984 - 600 heures ), les participants auraient dû acquérir le savoir-faire nécessaire à la collecte, au prétraitement élémentaire des données ainsi qu' à l' utilisation de la micro-informatique .
Au cours de la deuxième phase ( 1985 - 200 heures ), les mêmes participants auraient dû devenir opérationnels, par l' application des méthodes et techniques précédemment acquises, pour réaliser ensuite, au cours de la troisième phase ( 1986 - 200 heures ), des enquêtes et des recherches d' utilité collective et répondre aux demandes des membres de la collectivité .
9 . Or, d' après ce qui ressort du rapport final, rédigé par la requérante elle-même et communiqué à la Commission en juin 1987, l' opération s' est déroulée de manière sensiblement différente de ce qui était prévu, en comportant non pas un cours de formation unique, pour 90 jeunes, échelonné sur trois ans, mais trois cours de formation récurrents, d' une durée annuelle, destinés à trois groupes différents de 30 jeunes . En outre, la coopérative prévue n' a, semble-t-il, jamais été constituée .
10 . Il nous semble à tout le moins très douteux que ce changement représente, comme le soutient la FUNOC une modification de caractère exclusivement formel .
Transformer un cours triennal de formation de 1 000 heures, destiné à 90 jeunes peu qualifiés, en trois cycles annuels différents adressés à des groupes de 30 jeunes ne signifie pas seulement apporter une modification formelle concernant l' organisation du cours . De cette manière, toute la structure de l' action est transformée et les possibilités mêmes de réussite du projet peuvent être considérablement réduites, en raison de la succession précipitée des différentes phases de la formation .
A cet égard, l' argument avancé par la Commission, selon lequel la durée de la formation avait constitué un élément essentiel pour l' admission de la demande de financement, apparaît tout à fait plausible .
Inversement, les raisons invoquées par la requérante quant à la nécessité, dans laquelle elle se serait trouvée, de modifier son programme - en limitant dans un premier temps le nombre des participants - en raison du retard intervenu dans l' adoption de la décision de financement et de celui consécutif au versement des "avances de paiement" ne semblent pas tout à fait convaincantes .
11 . En effet, en attendant que le Fonds adopte la décision de financement, la FUNOC aurait parfaitement pu renvoyer de quelques mois le début du programme de formation et, de toute manière, elle aurait dû communiquer en temps utile à la Commission son intention de modifier le projet initial, afin de vérifier la conformité des changements proposés aux critères adoptés par l' administration communautaire pour l' octroi du financement .
Il apparaît au contraire que, par la communication envoyée le 15 juin 1984 ( voir annexe 1 au mémoire en défense ), à la suite d' une réunion qui s' était tenue quelques jours auparavant, la requérante a confirmé à la Commission les modalités initialement prévues de déroulement du projet, alors que, depuis quelques mois déjà ( mars 1984 ), le programme de formation avait débuté selon l' organisation différente décrite ci-dessus .
D' autre part, les affirmations de la FUNOC, selon lesquelles elle aurait en réalité communiqué oralement aux fonctionnaires de la Commission les modifications effectuées, en obtenant un assentiment explicite, n' apparaissent pas plausibles . Elles sont, en effet, formellement démenties par l' administration communautaire et semblent en contradiction manifeste avec la communication écrite précitée du 15 juin 1984 .
12 . De même, l' autre argument avancé par la requérante, selon lequel il découlerait d' une note de la Commission ( voir annexe 24 au recours ) que l' administration communautaire reconnaît la possibilité d' apporter des modifications aux projets initialement prévus, puisque, dans cette note, les bénéficiaires sont invités à indiquer, dans le rapport final, les modifications apportées au cours du déroulement de l' action par rapport aux objectifs et à la méthodologie indiqués dans la demande de
financement, nous semble, lui aussi, peu convaincant .
En effet, il est évident que l' appréciation du déroulement d' un projet à caractère novateur requiert une certaine souplesse et qu' il faut tenir compte de la nécessité d' adapter le projet initial afin de faire face aux difficultés rencontrées .
Mais cela n' implique certainement pas la liberté du bénéficiaire de modifier de manière substantielle le déroulement du programme annoncé, avant même de le commencer et sans aucune communication préalable adressée aux services de la Commission .
13 . Ajoutons à ce que nous venons de dire que la demande de contribution avait été introduite par la FUNOC sur la base de l' article 3, paragraphe 2, de la décision 83/516, disposition qui concerne des projets ayant un caractère novateur, et que le caractère répétitif de l' action effectuée semble être en contradiction avec cette disposition .
A cet égard, la requérante objecte que l' action effectuée n' aurait pas été véritablement répétitive, compte tenu de la nature, de l' essence et de la structure du projet, consistant en une opération unique de validation d' une hypothèse de travail et d' une méthodologie .
Elle souligne que la formation se serait inscrite dans une démarche expérimentale unique, visant à élaborer et à enrichir progressivement la méthodologie appliquée . Seuls les groupes de jeunes auraient donc eu un caractère "répétitif", parce qu' il y en a eu trois au lieu d' un seul .
14 . Toutefois, ces observations ne nous semblent pas elles non plus décisives .
Il est vrai, en effet, que les vérifications successives, répétées, d' une même hypothèse de travail permettent, compte tenu de l' expérience acquise chaque fois, d' améliorer progressivement la qualité des résultats obtenus; néanmoins, à notre avis, après la première vérification expérimentale, l' action ne présente plus un caractère novateur et n' est plus susceptible d' être financée sur la base de la disposition citée ci-dessus .
15 . Quant à l' affirmation de la FUNOC, selon laquelle le critère de "non-répétitivité" n' apparaît dans aucun des textes qui réglementent la gestion de ce type d' actions, il suffit d' observer que ce critère est implicite et découle du concept même de "projet à caractère novateur ".
16 . A la lumière de ce que nous avons dit, on doit conclure, nous semble-t-il, que la détermination à laquelle la Commission est parvenue, selon laquelle la FUNOC, ayant apporté des modifications substantielles par rapport au programme d' action annoncé, n' a pas utilisé les sommes demandées de manière conforme à la décision de financement et à la réglementation communautaire relative au Fonds, n' est viciée d' aucune erreur manifeste d' appréciation ou d' erreur de droit .
17 . A titre subsidiaire, la requérante soutient que la décision adoptée viole le principe de proportionnalité, parce que, de la sorte, la Commission aurait sanctionné un vice de caractère formel, comme la non-communication des modifications intervenues, par la suppression totale du financement de la partie de programme réalisée au cours de 1985 et de 1986 . Cela serait d' autant plus grave que la sanction adoptée mettrait en jeu la survie même de la FUNOC .
A cet égard, on doit toutefois relever que le retrait de la décision précédente de financement a été déterminé non pas par un simple "vice de forme", mais par la constatation que les changements apportés par la FUNOC au projet initial rendaient l' action réalisée considérablement différente de ce qui avait été établi dans la décision d' approbation et de toute manière - au moins pour le deuxième et le troisième cycle - non susceptible de financement sur la base de l' article 3, paragraphe 2, de la
décision 83/516, relatif au financement de projets à caractère novateur .
En conséquence, en décidant de supprimer le financement pour les actions de formation réalisées en 1985 et en 1986, la Commission n' a pas outrepassé les limites de ce qui est nécessaire pour garantir l' utilisation correcte des sommes versées par le Fonds .
18 . Enfin, en ce qui concerne la demande de réparation du dommage, il faut rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, pour que la responsabilité de la Communauté au titre de l' article 215, deuxième alinéa, du traité soit engagée, il est nécessaire que soient remplies simultanément les conditions de l' illégalité du comportement reproché aux institutions, de l' effectivité du dommage et de l' existence d' un lien de causalité entre le comportement précité et le dommage dont on se
plaint .
Dans le cas d' espèce, comme nous l' avons dit, le comportement de la Commission, qui aurait provoqué le dommage, n' apparaît pas illégal .
En conséquence, il n' est pas nécessaire d' examiner si les autres conditions établies par la jurisprudence précitée sont remplies, et la demande de réparation du dommage, présentée par la FUNOC, doit être également rejetée .
19 . Sur la base des considérations développées ci-dessus, nous concluons en proposant à la Cour de rejeter le recours et de condamner la requérante aux dépens .
(*) Langue originale : l' italien .
( 1 ) JO L 289, p . 38 .
( 2 ) JO L 289, p . 1 .