Avis juridique important
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61988C0062
Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 14 février 1990. - République hellénique contre Conseil des Communautés européennes. - Politique commerciale commune - Importation de produits agricoles suite à un accident à la centrale nucléaire de Tchernobyl. - Affaire C-62/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-01527
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . La République hellénique vous a saisis d' un recours en annulation du règlement ( CEE ) n° 3955/87 du Conseil, du 22 décembre 1987, relatif aux conditions d' importation de produits agricoles originaires des pays tiers à la suite de l' accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl ( 1 ) ( ci-après "règlement n° 3955/87 ").
2 . Ce règlement, fondé sur le traité CEE, "et notamment son article 113" ( 2 ), qui, rappelons-le, institue la politique commerciale commune, a pour objet de soumettre la mise en libre pratique de certains produits agricoles en provenance des pays tiers au respect de tolérances maximales de contamination radioactive . Il prévoit une possibilité pour les États membres de contrôler le respect de ces tolérances et organise un système d' échanges des informations centralisé par la Commission .
Celle-ci, avec la collaboration d' un comité ad hoc, peut prendre des mesures allant jusqu' à l' interdiction de l' importation des produits originaires du pays tiers en cause .
3 . Ce règlement, applicable pendant une période de deux années, remplace un précédent règlement ( CEE ) n° 1707/86, du 30 mai 1986 ( 3 ), dont la teneur était identique et dont la durée de validité, primitivement fixée au 30 septembre 1986, avait été prorogée par deux fois jusqu' au 31 octobre 1987 ( 4 ).
4 . Précisons que, le 22 décembre 1987 également, le Conseil a adopté le règlement ( Euratom ) n° 3954/87 . fixant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour bétail après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d' urgence radiologique ( 5 ), lequel fait l' objet du recours n° 70/88 intenté par le Parlement contre le Conseil .
5 . Le présent recours est fondé sur deux moyens d' annulation, d' une part la violation des traités CEE et Euratom et l' existence d' un détournement de pouvoir, d' autre part le caractère vague de la proposition de la Commission . Le premier moyen est en fait divisé en deux branches, l' une fondée sur la violation des traités précités qu' aurait commise le Conseil en se fondant exclusivement sur l' article 113 du traité CEE, l' autre sur l' existence du détournement de pouvoir allégué . La
requête, dans le titre précédant les développements consacrés au premier moyen, fait également référence à la violation des formes substantielles . Cependant, la lecture des observations qui figurent sous ce titre montre qu' en réalité il est seulement reproché au Conseil d' avoir adopté une base juridique incorrecte et d' avoir commis ainsi un détournement de pouvoir . L' argument présenté selon lequel il y aurait une contradiction entre le premier visa du règlement attaqué qui vise l' article 113
et les mesures adoptées dans le corps même du règlement qui relèveraient d' une autre base juridique paraît ne faire qu' un avec le grief d' adoption d' un fondement juridique erroné . La référence à la violation des formes substantielles paraît donc superfétatoire .
6 . Avant d' aborder l' examen des deux moyens du recours, deux difficultés doivent cependant être résolues .
7 . En effet, le Conseil, dans son mémoire en défense, a soulevé in limine litis l' irrecevabilité du premier moyen en ce qu' il vise la violation du traité Euratom alors que le recours n' est fondé que sur l' article 173 du traité CEE, à l' exclusion de toute référence à l' article 146 du traité Euratom ( 6 ). La Commission rejoint le Conseil sur ce point ( 7 ).
8 . Nous nous bornerons, à cet égard, à rappeler qu' aux termes de l' article 173 du traité CEE la Cour "est compétente pour se prononcer sur les recours pour ... violation du présent traité ou de toute règle de droit relative à son application ..." ( 8 ). Dès lors, une partie du premier moyen, en ce qu' elle vise la violation du traité Euratom, paraît manifestement irrecevable . Observons, par ailleurs, que l' Ëtat requérant n' a pas expliqué dans sa requête en quoi consistait la violation du
traité Euratom .
9 . Certes, votre Cour, saisie par une question préjudicielle sur le fondement du seul article 177 du traité CEE, a néanmoins examiné, dans un arrêt Deutsche Babcock, si des questions réglées par un règlement CEE faisaient l' objet de dispositions du traité CECA ( 9 ). Mais l' article 232, paragraphe 1, du traité CEE réserve l' application des dispositions du traité CECA et vous avez interprété cet article en ce sens que des dispositions du traité CEE peuvent, en l' absence de dispositions
similaires dans le traité CECA, s' appliquer à des produits relevant de ce dernier traité . La situation aujourd' hui soumise à votre Cour est très différente et l' arrêt précité ne nous paraît pas devoir faire obstacle à l' irrecevabilité d' une partie de ce premier moyen .
10 . Une seconde difficulté préalable provient de ce que la République hellénique, dans son mémoire en réplique ( 10 ), a pour la première fois fait état d' une violation de l' article 190 du traité CEE dans la mesure où le règlement attaqué aurait été arrêté de telle manière qu' il ne permet pas de connaître "les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont appliqué le traité ". Interrogée par votre Cour sur le point de savoir si la référence à l' article 190 ne constituait pas un
moyen nouveau au sens de l' article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, la République hellénique a fait valoir qu' il s' agissait d' un argument nécessaire au soutien du premier moyen en ce sens que la différence de base juridique du règlement n° 1707/86 et du règlement n° 3955/87 "ne contient pas d' éléments objectifs permettant ... à la Cour d' exercer le contrôle juridictionnel adéquat" et "aux États membres et aux intéressés de connaître les conditions dans lesquelles les institutions
communautaires ont appliqué les dispositions du traité dans la situation concrète ".
11 . Cette réponse fait référence à une jurisprudence établie de votre Cour depuis un arrêt Commission/Conseil du 26 mars 1987, fondée sur l' obligation de motiver certains actes communautaires prévue à l' article 190 du traité, et selon laquelle,
"pour satisfaire à cette obligation de motivation, il est nécessaire que les actes communautaires comprennent l' exposé des éléments de fait et de droit sur lesquels l' institution s' est fondée, de sorte que la Cour puisse exercer son contrôle et que tant les États membres que les intéressés connaissent les conditions dans lesquelles les institutions communautaires ont fait application du traité" ( 11 ).
12 . Cette jurisprudence condamne désormais l' indication imprécise de la base juridique par le recours à des formules telles que "vu le traité" ( 12 ).
13 . La simple comparaison des dates montre d' ailleurs le dialogue indirect qui s' est instauré entre le Conseil et votre Cour :
- 30 mai 1986 : adoption par le Conseil du règlement n° 1707/86 fondé sur le traité sans autre précision,
- 26 mars 1987 : arrêt Commission/Conseil, précité, imposant l' obligation d' indiquer la base juridique de l' acte communautaire,
- 22 décembre 1987 : adoption par le Conseil du règlement entrepris visant spécifiquement l' article 113 du traité CEE .
14 . Si votre Cour, dans son arrêt précité, a annulé les règlements attaqués, c' est cependant à un double titre, après avoir constaté qu' ils
"ne satisfont pas aux exigences de motivation de l' article 190 du traité, d' une part, et que, d' autre part, ils n' ont pas été adoptés sur la base juridique correcte" ( 13 ).
15 . En conséquence, si l' article 190 du traité institue l' obligation d' indiquer la base juridique de l' acte adopté, la nécessité de choisir la base juridique correcte ne saurait être fondée sur cet article, car elle procède du principe même de la légalité communautaire .
16 . Or, dans son recours en annulation, la République hellénique entend contester le recours à l' article 113 du traité en tant que fondement juridique; elle ne reproche nullement au Conseil de n' avoir pas indiqué un tel fondement .
17 . Dès lors, soit la référence à l' article 190 dans le mémoire en réplique vise un défaut de motivation, auquel cas ce moyen nouveau paraît irrecevable au regard de l' article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, soit cette référence doit être reliée à la contestation de la base juridique choisie par le Conseil, auquel cas elle est inutile .
18 . Par ailleurs, l' on aurait pu penser que cette référence à l' article 190 visait en fait le second moyen pris du caractère vague de la proposition de la Commission . En effet, la République hellénique reproche sur ce point au Conseil de n' avoir pas indiqué si l' acte adopté était ou non conforme à la proposition de la Commission . Or, l' article 190 est justement celui qui dispose que "les règlements ... sont motivés et visent les propositions ou avis obligatoirement recueillis en exécution du
présent traité ". La réponse faite par la République hellénique à la question écrite que vous lui avez posée ne permet pas cependant de retenir une telle analyse, puisqu' elle se réfère expressément et uniquement au premier moyen .
19 . Venons-en maintenant à l' examen de ce dernier, pris dans sa première branche . Il peut se résumer de la façon suivante : le règlement n° 3955/87 concerne exclusivement la protection de la santé des populations des États membres contre les conséquences de l' accident nucléaire de Tchernobyl et aurait dû, dès lors, être fondé sur les articles 130 R et 130 S du traité CEE, éventuellement en combinaison avec l' article 235 .
20 . A l' appui de cette thèse, la République hellénique fait valoir que le règlement n° 1707/86, dont la teneur était identique, avait été adopté à l' unanimité, pour des motifs de protection de la santé publique, que le règlement n° 3954/87 du même jour a été fondé sur l' article 31 du traité Euratom, qui concerne la protection sanitaire de la population et des travailleurs, qu' enfin le visa de l' article 113 introduit un élément de confusion qui empêche la Cour d' exercer son contrôle
juridictionnel .
21 . Observons de façon préliminaire que la controverse sur la base juridique correcte n' est pas de portée purement formelle puisque l' article 113, paragraphe 4, prévoit un vote au sein du Conseil à la majorité qualifiée, alors qu' en matière d' environnement il résulte de la combinaison des articles 130 R et 130 S que le Conseil statue en règle générale à l' unanimité . Selon les termes mêmes de votre jurisprudence,
"le choix de la base juridique était donc susceptible d' avoir des conséquences sur la détermination du contenu ( du règlement attaqué )" ( 14 ).
22 . La question essentielle est donc de déterminer si les mesures instituées par le règlement attaqué participent ou non de la politique commerciale commune . Curieusement, alors que la plupart des commentateurs de l' Acte unique ont souligné les probables difficultés de répartition entre l' article 100 A et les articles 130 R et 130 S du traité, aucune référence n' a été faite à de semblables difficultés s' agissant de l' article 113 ( 15 ).
23 . Rappelons à ce propos que votre Cour, avant l' Acte unique, avait déjà jugé que la protection de l' environnement était un des objectifs de la Communauté ( 16 ) et que
"il n' ( était ) nullement exclu que des dispositions en matière d' environnement puissent s' encadrer dans l' article 100 du traité" ( 17 ).
Dès avant l' Acte unique, une action en matière d' environnement pouvait donc être engagée dans le cadre d' une autre politique communautaire .
24 . L' Acte unique européen a explicitement instauré une compétence de la Communauté en matière d' environnement, en insérant dans le traité les articles 130 R à 130 T . Mais la protection de l' environnement participe également de la réalisation du marché intérieur puisqu' elle est visée aux paragraphes 3 et 4 de l' article 100 A en ce qui concerne, d' une part, le niveau de protection que la Commission doit atteindre dans ses propositions, d' autre part, les clauses de sauvegarde . Dès lors,
comme nous l' avons relevé, les commentateurs ont pu souligner les difficultés de répartition entre les articles 100 A et 130 S ( 18 ).
25 . Cependant, à côté de cette obligation explicite de prendre en compte la protection de l' environnement lors de la réalisation du marché intérieur, c' est toute politique communautaire qui doit veiller à une telle prise en considération puisque l' article 130 R, paragraphe 2, dispose que "les exigences en matière de protection de l' environnement sont une composante des autres politiques de la Communauté ". S' il faut déduire de cette disposition qu' "il n' est pas exclu que des décisions prises
dans le cadre de ces politiques ne tiennent pas exclusivement compte de leurs données spécifiques, mais qu' elles soient modifiées, voire même pas prises, eu égard aux problèmes de l' environnement" ( 19 ), il faut également, à notre sens, en conclure qu' une mesure ayant des effets, ou même des objectifs, protecteurs de l' environnement peut avoir été adoptée sur un autre fondement que l' article 130 R .
26 . L' Acte unique, en instituant de façon explicite une action de la Communauté en matière d' environnement, alors que votre Cour avait déjà jugé que la protection en ce domaine était un des objectifs de la Communauté, n' a pas restreint, sur ce point, la capacité d' intervention des institutions communautaires . En effet, l' instauration, dans le traité, d' une compétence communautaire nouvelle, avec, pour corollaire, une règle de décision en principe à l' unanimité, ne peut avoir eu pour effet
de transférer à ce nouveau champ d' action des mesures ressortissant jusqu' ici aux compétences communautaires, telles celles fondées sur les articles 43, 100 ou 113, dont l' adoption peut obéir à des règles différentes . Il n' en irait autrement que si les États membres avaient entendu de façon explicite, par une réforme des traités, restreindre les compétences de la Communauté, ce qui n' est pas le cas de l' Acte unique .
27 . Une telle analyse des dispositions pertinentes du traité nous paraît confortée par l' ensemble de votre jurisprudence .
28 . Dès l' avis 1/78 ( 20 ) rendu par votre Cour en vertu de l' article 228 du traité CEE, vous avez constaté que
"on ne saurait ... imprimer à l' article 113 du traité CEE une interprétation dont l' effet serait de limiter la politique commerciale commune à l' utilisation des instruments destinés à avoir une prise sur les seuls aspects traditionnels du commerce extérieur" ( 21 ),
et vous avez ajouté que
"l' énumération, dans l' article 113, des objets de la politique commerciale ... est conçue comme une énumération non limitative" ( 22 ),
enfin, que
"une interprétation restrictive de la notion de politique commerciale commune risquerait d' entraîner des troubles dans les échanges intracommunautaires en raison des disparités qui subsisteraient, alors, dans certains secteurs des rapports économiques avec les pays tiers" ( 23 ).
29 . Par ailleurs, vous avez déjà admis, dans votre arrêt du 26 mars 1987, que
"le lien avec les problèmes du développement ne fait pas échapper un acte au domaine de la politique commerciale commune tel qu' il est défini par le traité" ( 24 ).
30 . Notons, au surplus, que cette jurisprudence est tout à fait similaire à celle que vous avez développée à l' égard de l' article 43 du traité et de la politique agricole commune . Vous avez, en effet, déclaré, dans l' affaire dite "des hormones", que :
"la poursuite des objectifs de la politique agricole commune ... ne saurait faire abstraction d' exigences d' intérêt général telles que la protection des consommateurs ou de la santé et de la vie des personnes et des animaux, exigences dont les institutions communautaires doivent tenir compte en exerçant leurs pouvoirs" ( 25 ),
pour en conclure
"que la directive litigieuse relève du domaine de la politique agricole commune et que le Conseil était compétent pour l' arrêter sur la base du seul article 43 du traité" ( 26 ).
31 . Vos récents arrêts du 16 novembre 1989 ont confirmé ce point de vue ( 27 ). Vous avez, à ce propos, rappelé
"que la poursuite des objectifs de la politique agricole commune ne saurait faire abstraction d' exigences d' intérêt général, dont notamment la protection de la santé, et que le fait que les actes adoptés dans le cadre de la politique agricole commune poursuivent en même temps des objectifs qui, en l' absence de dispositions spécifiques, sont poursuivis sur la base de l' article 100 du traité, ne soustrait pas ces actes au champ d' application de l' article 43" ( 28 ).
32 . Cette jurisprudence nous paraît tout à fait transposable à la matière de la politique commerciale commune . En vue d' éviter tout détournement de trafic dans les rapports avec les pays tiers et toute distorsion en matière de concurrence, il faut que la Communauté puisse, au titre de la politique commerciale commune, adopter des règles uniformes quant aux conditions selon lesquelles les produits en provenance des pays tiers pourront être importés dans son territoire . Au nombre de ces conditions
peut notamment figurer le respect de tolérances maximales en matière de radioactivité sans que la mesure change de nature et ne puisse plus être adoptée au titre de l' article 113 . Le règlement attaqué nous paraît donc ressortir par sa nature même à la politique commerciale commune .
33 . Observons, par ailleurs, qu' il n' est pas certain que la protection de la santé publique soit tout entière contenue dans la notion, non définie par le traité, d' environnement . Le fait que l' article 130 R, paragraphe 1, dispose que "l' action de la Communauté en matière d' environnement a pour objet ... de contribuer à la protection de la santé des personnes" ne signifie nullement que des préoccupations de cet ordre ressortissent exclusivement au domaine de l' environnement . Au surplus, les
précautions quant à l' importation dans la Communauté de produits destinés à l' alimentation humaine traduisent le souci de protéger la santé publique bien plus que de prévenir toute atteinte à l' environnement . Rappelons, enfin, que la santé publique figure au nombre des exceptions de l' article 36 du traité en matière de libre circulation des marchandises .
34 . L' ensemble de ces observations nous conduit donc à conclure que le Conseil a valablement fondé l' adoption du règlement n° 3955/87 sur l' article 113 du traité CEE .
35 . Pour être tout à fait complet sur ce point, il nous faut mentionner que la République hellénique, dans son recours, a également fait référence à la possibilité, selon elle, de fonder le règlement attaqué sur l' article 235 du traité CEE . Un tel argument, qu' elle n' a d' ailleurs pas développé par la suite, ne saurait être retenu . Dans le cadre même de l' argumentation de l' État requérant, indépendamment de son bien-fondé, il suffit de relever que l' article 130 R fonde une compétence
particulière pour la Communauté en matière d' environnement et que, dès lors, il ne saurait être fait ici recours à l' article 235 puisque, selon une jurisprudence de votre Cour, ainsi qu' il résulte des termes mêmes de cette disposition,
"le recours à cet article comme base juridique d' un acte n' est justifié que si aucune autre disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter cet acte" ( 29 ).
36 . La seconde branche du premier moyen, à savoir le grief de détournement de pouvoir, nous retiendra moins longtemps . La République hellénique entend démontrer que le Conseil n' a eu recours à l' article 113 pour fonder l' adoption du règlement attaqué qu' au seul but d' éviter la prise de décision à l' unanimité requise par l' article 130 S . Votre Cour a déjà défini la notion de détournement de pouvoir . Ainsi, dans un arrêt du 14 juillet 1988, vous avez déclaré que
"les pouvoirs dévolus à la Commission par ce traité seraient détournés de leur but légal s' il apparaissait que la Commission en ait usé dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d' éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances auxquelles elle doit faire face" ( 30 ).
37 . A vrai dire, ce grief est entièrement lié à la première branche du moyen . Si la base juridique adéquate avait été l' article 130 S, l' on aurait pu s' interroger sur le point de savoir si le recours à l' article 113 n' était pas motivé par la volonté d' éluder la règle de prise de la décision à l' unanimité . Mais tel n' est pas le cas . Dès lors, l' on voit mal en quoi le Conseil aurait commis un détournement de pouvoir en recourant à la procédure prévue à l' article 113, alors que, à notre
sens, c' est cet article qui constitue en la matière le fondement juridique correct .
38 . Observons d' ailleurs que l' article 130 S lui-même, dans son deuxième alinéa, laisse place à une prise de décision à la majorité puisqu' il prévoit que "le Conseil définit", à l' unanimité, "ce qui relève des décisions à prendre à la majorité qualifiée ". Certains auteurs estiment d' ailleurs que les actes adoptés auparavant sur le double fondement des articles 100 et 235 du traité CEE devraient l' être désormais à la majorité qualifiée, sur la base de l' article 130 S, paragraphe 2 ( 31 ).
39 . Nous concluons, en conséquence, au rejet de cette seconde branche et, dès lors, du premier moyen tout entier .
40 . Venons-en maintenant à l' examen du second moyen . La République hellénique conteste la mention "vu la proposition de la Commission" en ce qu' elle ne précise pas si l' acte adopté est ou non conforme à ladite proposition, circonstance qui, aux termes de l' article 149, paragraphe 1, du traité CEE, n' est pas sans influence sur les règles de vote au sein du Conseil . Une telle imprécision, selon la requérante, est contraire à la sécurité juridique puisque les citoyens seraient dans l'
incapacité de contrôler la légalité prima facie des actes du Conseil .
41 . Relevons immédiatement que la République hellénique, dans son recours, se réfère aux "citoyens", et non aux États membres . En effet, ces derniers participent aux délibérations du Conseil et ne sauraient, dès lors, ignorer si l' acte adopté est ou non conforme à la proposition de la Commission . Une jurisprudence constante de votre Cour déclare à ce propos
"que la mesure de l' obligation de motiver, consacrée par l' article 190 du traité, dépend de la nature de l' acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté" ( 32 ),
et se réfère au fait que le gouvernement requérant a été étroitement associé au processus d' élaboration de la décision attaquée . La République hellénique ne saurait donc, en effet, invoquer pour elle-même un défaut de motivation du règlement attaqué .
42 . En ce qui concerne les citoyens, nous nous bornerons à rappeler que les propositions de la Commission sont publiées au Journal officiel des Communautés européennes et que tant la comparaison de la proposition et de l' acte adopté que la lecture des articles du traité mentionnés comme fondement juridique de l' acte permettent à un particulier de savoir si cet acte devait être adopté par le Conseil à l' unanimité ou pouvait l' être à la majorité qualifiée . Le grief d' insécurité juridique ne
paraît pas, en conséquence, devoir prospérer . Au surplus, l' article 190 oblige seulement à viser les propositions de la Commission ainsi que les avis obligatoirement recueillis en exécution du traité CEE; il n' impose nullement d' indiquer si l' acte du Conseil est ou non conforme à la proposition de la Commission . Le second moyen nous semble donc, lui aussi, devoir être rejeté .
43 . C' est pourquoi nous concluons au rejet du présent recours, dont les dépens, y compris ceux exposés par les parties intervenantes, devront être supportés par la République hellénique .
(*) Langue originale : le français .
( 1 ) JO L 371 du 30.12.1987, p . 14 .
( 2 ) Premier visa du règlement .
( 3 ) JO L 146 du 31.5.1986, p . 88 .
( 4 ) Par les règlements ( CEE ) n° 3020/86 ( JO L 280 du 1.10.1986, p . 79 ) et n° 624/87 ( JO L 58 du 28.2.1987, p . 101 ).
( 5 ) JO L 371 du 30.12.1987, p . 11 .
( 6 ) Mémoire en défense du Conseil, p . 13 de la traduction française .
( 7 ) Mémoire en intervention de la Commission, p . 8 de la traduction française .
( 8 ) Souligné par nous .
( 9 ) Arrêt du 15 décembre 1987, voir surtout point 11 ( 328/85, Rec . p . 5119 ).
( 10 ) P . 4 de la traduction française .
( 11 ) Point 5 ( 45/86, Rec . p . 1493 ), voir aussi arrêt du 7 juillet 1981, Rewe, point 25 ( 158/80, Rec . p . 1805 ).
( 12 ) Voir 45/86, précité, points 8 et 9 .
( 13 ) 45/86, précité, point 22 .
( 14 ) 45/86, précité, point 12; voir aussi arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, point 6 ( 68/86, Rec . p . 855 ); arrêt du 2 février 1989, Commission/Conseil, point 4 ( 275/87, Rec . p . 0000 ); arrêt du 16 novembre 1989, Commission/Pays-Bas, point 8 ( 131/87, Rec . p . 0000 ); arrêt du 16 novembre 1989, Commission/Conseil, point 7 ( 11/88, Rec . p . 0000 ).
( 15 ) Conseil européen du droit de l' environnement, rapport de Kromarek, R .: "Commentaire de l' Acte unique européen en matière d' environnement", Revue juridique de l' environnement, 1/1988, p . 76; Roelants du Vivier, F ., et Hannequart, J.P .: "Une nouvelle stratégie européenne pour l' environnement dans le cadre de l' Acte unique", Revue du marché commun, n° 316, avril 1988, p . 205; Kraemer, L .: "L' Acte unique européen et la protection de l' environnement", Revue juridique de l'
environnement, 4/1987, p . 450; Jacqué, J . P .: "L' Acte unique européen", Revue trimestrielle de droit européen, 1/1986, p . 576; Glaesner, H . J .: "L' Acte unique européen", Revue du marché commun, n° 298, juin 1986, p . 307 .
( 16 ) Arrêt du 7 février 1985, Procureur de la République/Adbhu, point 3 ( 240/83, Rec . p . 531 ).
( 17 ) Arrêt du 18 mars 1980, Commission/Italie, point 8 ( 91/79, Rec . p . 1099 ).
( 18 ) Par exemple, P . Kromarek, précité, qui estime que "l' ensemble du droit des pollutions et nuisances pourrait tomber dans le champ d' application de l' article 100 A", RJE 1-1988, p . 87; L . Kraemer, précité, qui estime que les directives auparavant fondées sur l' article 100 ainsi que les règlements liés à des produits pourraient relever de l' article 100 A, alors que les directives auparavant fondées sur l' article 235 relèveraient de l' article 130 S, paragraphe 1, et celles fondées à la
fois sur l' article 100 et sur l' article 235 de l' article 130 S, paragraphe 2, précité, p . 463 .
( 19 ) H . J . Glaesner, précité, p . 316 .
( 20 ) 4 octobre 1979, Rec . p . 2871 .
( 21 ) 1/78, précité, point 44 .
( 22 ) 1/78, précité, point 45; voir aussi arrêt du 27 septembre 1988, Commission/Conseil, point 15 ( 165/87, Rec . p . 0000 ).
( 23 ) 1/78, précité, point 45 .
( 24 ) 45/86, précité, point 20 .
( 25 ) 68/86, précité, point 12 .
( 26 ) 68/86, précité, point 22 .
( 27 ) 131/87 et 11/88, précités; voir aussi arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil ( 131/86, Rec . p . 905 ).
( 28 ) 131/87, précité, point 25; voir aussi 11/88, précité, point 10; 131/86, précité, point 21 .
( 29 ) 45/86, précité, point 13; voir aussi 275/87, précité, point 5; arrêt du 30 mai 1989, Royaume-Uni/Conseil, point 5 ( 56/88, Rec . p . 0000 ); arrêt du 30 mai 1989, Commission/Conseil, point 6 ( 242/87, Rec . p . 0000 ).
( 30 ) Stahlwerke et Hoogovens/Commission, point 23 ( 33/86, 44/86, 110/86, 226/86 et 285/86, Rec . p . 0000 ); voir aussi arrêt du 21 février 1984, Watzstahl-Vereinigung et Thyssen AG/Commission ( 140/82, 146/82, 221/82 et 226/82, Rec . p . 951 ).
( 31 ) L . Kraemer, précité, p . 463 .
( 32 ) Arrêt du 11 janvier 1973, Pays-Bas/Commission, point 11 ( 13/72, Rec . p . 27 ); voir aussi arrêt du 14 janvier 1981, République fédérale d' Allemagne/Commission, point 20 ( 819/79, Rec . p . 21 ).