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13/12/1989 | CJUE | N°C-102/88

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M. L. Ruzius-Wilbrink contre Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten., 13/12/1989, C-102/88


Avis juridique important

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61988J0102

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 décembre 1989. - M. L. Ruzius-Wilbrink contre Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten. - Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Groningen - Pays-Bas. - Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes

et femmes - Sécurité sociale - Directive 79/7/CEE - Emploi à temps part...

Avis juridique important

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61988J0102

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 13 décembre 1989. - M. L. Ruzius-Wilbrink contre Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten. - Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Groningen - Pays-Bas. - Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Sécurité sociale - Directive 79/7/CEE - Emploi à temps partiel. - Affaire C-102/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 04311

Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés

++++

1 . Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Législation nationale garantissant en cas d' incapacité de travail des prestations dont le montant est indépendant des revenus perçus antérieurement - Exception introduite à l' égard des assurés ayant travaillé à temps partiel - Exception frappant principalement les travailleurs féminins - Inadmissibilité en l' absence de justifications objectives

( Directive du Conseil 79/7, art . 4, § 1 )

2 . Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale - Directive 79/7 - Article 4, paragraphe 1 - Effet direct - Portée

( Directive du Conseil 79/7, art . 4, § 1 )

Sommaire

1 . L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7, relative à l' interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en matière de sécurité sociale, s' oppose à ce que, dans le cadre d' une législation nationale garantissant aux assurés atteints d' une incapacité de travail un minimum social dont le montant est indépendant des revenus professionnels perçus antérieurement par l' assuré, une disposition introduise une exception à ce principe à l' égard des assurés ayant précédemment travaillé à
temps partiel et limite le montant de l' allocation au salaire antérieurement perçu, lorsque cette mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes, à moins que ladite législation ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

2 . En l' absence de mesures d' application adéquates de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7 et en présence d' une discrimination indirecte opérée par l' État, le groupe défavorisé, du fait de cette discrimination, doit être traité de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres allocataires, régime qui, à défaut d' exécution correcte de ladite directive, reste le seul système de référence valable .

Parties

Dans l' affaire C-102/88,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l' article 177 du traité CEE, par le Raad van Beroep te Groningen et tendant à obtenir dans le litige pendant devant cette juridiction entre

M . L . Ruzius-Wilbrink,

et

Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten ( direction de l' association professionnelle des services publics ),

une décision à titre préjudiciel sur l' interprétation de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ( JO 1979, L 6, p . 24 ),

LA COUR ( cinquième chambre ),

composée de Sir Gordon Slynn, président de chambre, MM . M . Zuleeg, R . Joliet, J . C . Moitinho de Almeida et G . C . Rodríguez Iglesias, juges,

avocat général : M . M . Darmon

greffier : Mme D . Louterman, administrateur principal

considérant les observations présentées :

- pour Mme M . L . Ruzius-Wilbrink, par Me B . I . Klaassens, avocat au barreau de Groningen,

- pour la direction de la Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten, par M . W . M . Levelt-Overmars, chef du service juridique des questions de sécurité sociale du Gemeenschappelijk Administratiekantoor, en qualité d' agent,

- pour le gouvernement néerlandais, par M . E . F . Jacobs, secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, en qualité d' agent,

- pour la Commission des Communautés européennes, par MM . René Barents et Julian Currall, membres de son service juridique, en qualité d' agents,

vu le rapport d' audience, ayant entendu les observations orales de la partie requérante au principal, de la partie défenderesse au principal, représenté par M . W . J . van Brussel, en qualité d' agent, du gouvernement néerlandais, représenté par M . J . W . de Zwaan, en qualité d' agent, et de la Commission des Communautés européennes, à l' audience du 15 juin 1989,

ayant entendu les conclusions de l' avocat général présentées à l' audience du 5 juillet 1989,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt

1 Par ordonnance du 10 mars 1988, parvenue à la Cour le 30 mars suivant, le Raad van Beroep te Groningen a posé, en vertu de l' article 177 du traité CEE, deux questions préjudicielles portant sur l' interprétation de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l' égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ( JO 1979, L 6, p . 24, ci-après "directive ").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d' un litige qui oppose Mme Ruzius-Wilbrink ( ci-après "demanderesse ") au Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten ( direction de l' association professionnelle des services publics, ci-après "défendeur ") au sujet du calcul du montant de l' allocation pour incapacité de travail que ce dernier lui a accordée .

3 L' article 6 de la loi néerlandaise du 11 décembre 1975, instaurant un régime général d' assurance contre l' incapacité de travail ( Algemene Arbeidsongeschiktheidswet, ci-après "AAW "), accorde une allocation d' incapacité de travail aux assurés âgés d' au moins 17 ans, frappés d' une incapacité de travail, à la condition que, au cours de l' année qui précède le jour de la survenance de l' incapacité, ils aient perçu des revenus d' un montant supérieur à 15 % du salaire minimal .

4 Sont exemptés de cette condition les assurés qui, le jour anniversaire de leurs 17 ans, sont déjà frappés d' une incapacité de travail, les travailleurs indépendants à temps plein dont les revenus étaient inférieurs au salaire minimal, les étudiants sans revenus et les célibataires qui travaillent dans le ménage de leurs parents ou de leurs frères ou soeurs célibataires .

5 Les articles 10 et 12 de l' AAW prévoient que l' allocation pour incapacité de travail est déterminée par application d' un pourcentage, fixé en fonction du degré d' incapacité, à une base de calcul, correspondant à un salaire minimal journalier, variant en fonction de l' état civil de l' intéressé, de l' existence d' un enfant à charge et des revenus réellement perçus . Le montant ainsi calculé, dit le "minimum social", vise à garantir un revenu minimal en fonction des besoins de l' intéressé .

6 Toutefois, selon l' article 10, paragraphe 5, cette base de calcul n' est pas appliquée lorsque, pendant l' année précédant le jour de la survenance de l' incapacité de travail, l' intéressé n' a pas fourni un travail d' une durée jugée normale pour sa branche professionnelle et lorsqu' en conséquence il a perçu un revenu inférieur à un montant équivalant à 260 fois le montant de la base de calcul qui était normalement applicable . Dans un tel cas, le revenu quotidien moyen est pris comme base de
calcul .

7 Par décision du 15 octobre 1985, le défendeur a accordé à la demanderesse une allocation d' incapacité de travail calculée, conformément à l' article 10, paragraphe 5, de l' AAW, sur la base du traitement moyen quotidien perçu par elle pendant l' année qui a précédé la survenance de son incapacité, au cours de laquelle elle n' a travaillé que 18 heures en moyenne par semaine .

8 La demanderesse a contesté cette décision devant le Raad van Beroep en faisant valoir que l' article 10, paragraphe 5, comporte une discrimination indirecte des femmes prohibée par la directive 79/7/CEE .

9 Le Raad van Beroep a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

"1)Un système instituant des droits à allocation au profit de la population active ( non chômeuse ) en cas d' incapacité de travail et prévoyant que ces allocations sont égales au minimum social à l' exception des cas où, en conséquence notamment du fait que l' allocataire travaillait à temps partiel, le salaire antérieur de celui-ci était inférieur à ce minimum social, est-il compatible avec l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE?

2)En cas de réponse négative à la première question, la norme communautaire - ainsi enfreinte - implique-t-elle que les allocataires ( des deux sexes ) ont droit à une allocation égale au minimum social, même dans les cas ( dérogatoires ) visés dans la première question?"

10 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites déposées devant la Cour, il est renvoyé au rapport d' audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .

11 Il résulte de l' ordonnance de renvoi que la juridiction nationale demande en substance si l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE s' oppose à ce que, dans le cadre d' une législation nationale garantissant un minimum social aux assurés atteints d' une incapacité de travail, une disposition introduise une exception à ce principe à l' égard des assurés ayant précédemment travaillé à temps partiel et limite le montant de l' allocation au salaire antérieurement perçu, lorsque ce groupe
d' assurés comprend un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes .

12 L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE dispose que "le principe de l' égalité de traitement implique l' absence de toute discrimination fondée sur le sexe soit directement, soit indirectement ... en ce qui concerne :

- ...

- ...

- le calcul des prestations ".

13 Il ressort du dossier que la législation nationale en cause ouvre à tout assuré, à l' exception des personnes ayant travaillé auparavant à temps partiel, le droit à une allocation qui correspond à un minimum social dont le montant est indépendant des revenus professionnels perçus antérieurement par l' assuré . En effet, certains groupes d' allocataires qui n' ont même pas perçu de revenus professionnels pendant l' année précédant la survenance de l' incapacité, ou qui n' ont perçu que des revenus
très faibles, tels que les travailleurs indépendants à temps plein ayant perçu un revenu inférieur à 15 % du salaire minimal, les étudiants et les célibataires travaillant dans le ménage de leurs parents ont également droit à ce minimum social . Seule la prestation accordée aux travailleurs à temps partiel est calculée en fonction des revenus antérieurement perçus par l' assuré et correspond, en conséquence de l' application de l' article 10, paragraphe 5, de l' AAW, nécessairement à un montant
inférieur à ce minimum social .

14 Il ressort également du dossier que la catégorie des travailleurs à temps partiel se compose aux Pays-Bas d' un pourcentage considérablement plus faible d' hommes que de femmes .

15 Dans ces conditions, il convient de constater qu' une disposition telle que celle en cause aboutit, en principe, à une discrimination des travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins et doit être considérée comme contraire à l' objectif poursuivi par l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE, à moins que la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (
voir arrêt du 13 juillet 1989, Rinner-Kuehn, 171/88, Rec . p . 0000 ).

16 La seule raison avancée en l' espèce au principal pour justifier la différence de traitement entre les personnes ayant travaillé à temps partiel avant la survenance de leur invalidité et les autres allocataires, à savoir qu' il serait injuste de leur accorder une allocation supérieure aux revenus antérieurement perçus, ne peut pas constituer une justification objective de cette différence de traitement dans la mesure où, dans bon nombre d' autres cas, le montant de l' allocation accordée au titre
de l' AAW est supérieur à ces revenus .

17 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la première question que l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce que, dans le cadre d' une législation nationale garantissant un minimum social aux assurés atteints d' une incapacité de travail, une disposition introduise une exception à ce principe à l' égard des assurés ayant précédemment travaillé à temps partiel et limite le montant de l' allocation au
salaire antérieurement perçu, lorsque cette mesure frappe un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes, à moins que ladite législation ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

18 La seconde question porte sur les conséquences qui s' attacheraient à la constatation, par la juridiction nationale, de l' incompatibilité de la législation nationale en cause avec l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE .

19 Il y a lieu d' observer à cet égard, comme la Cour l' a jugé en dernier lieu dans l' arrêt du 24 juin 1987, Borrie Clarke ( 384/85, Rec . p . 2865 ), que, considéré en lui-même et compte tenu de la finalité de ladite directive et de son contenu, l' article 4, paragraphe 1, est suffisamment précis pour être invoqué par un justiciable devant une juridiction nationale afin d' amener celle-ci à écarter toute disposition nationale non conforme à cet article . Il importe de rappeler à cet égard que
cette disposition impose aux États membres de supprimer toutes dispositions contraires au principe de l' égalité de traitement .

20 Il ressort de l' arrêt du 4 décembre 1986, Pays-Bas/Federatie Nederlandse Vakbeweging, ( 71/85, Rec . p . 3855 ) que, dans un cas de discrimination directe, les femmes ont le droit d' être traitées de la même façon et de se voir appliquer le même régime que les hommes se trouvant dans la même situation, régime qui reste, à défaut d' exécution correcte de la directive, le seul système de référence valable . D' une manière analogue, dans un cas de discrimination indirecte comme celui de l' espèce
au principal, les membres du groupe défavorisé, hommes ou femmes, ont le droit de se voir appliquer le même régime que les autres allocataires .

21 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la seconde question que, en l' absence de mesures d' application adéquates de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE et en présence d' une discrimination indirecte opérée par l' État, le groupe défavorisé, du fait de cette discrimination, doit être traité de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres allocataires, régime qui, à défaut d' exécution correcte de ladite directive, reste le seul système de référence valable .

Décisions sur les dépenses

Sur les dépens

22 Les frais exposés par le gouvernement néerlandais et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l' objet d' un remboursement . La procédure revêtant, à l' égard des parties au principal, le caractère d' un incident soulevé dans la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens .

Dispositif

Par ces motifs,

LA COUR ( cinquième chambre ),

statuant sur les questions à elle soumises par le Raad van Beroep te Groningen par ordonnance du 10 mars 1988, dit pour droit :

1)L' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, doit être interprété en ce sens qu' il s' oppose à ce que, dans le cadre d' une législation nationale garantissant un minimum social aux assurés atteints d' une incapacité de travail, une disposition introduise une exception à ce principe à l' égard des assurés ayant précédemment travaillé à temps partiel et limite le montant de l' allocation au salaire antérieurement perçu, lorsque cette mesure frappe un nombre
beaucoup plus élevé de femmes que d' hommes, à moins que ladite législation ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe .

2)En l' absence de mesures d' application adéquates de l' article 4, paragraphe 1, de la directive 79/7/CEE et en présence d' une discrimination indirecte opérée par l' État, le groupe défavorisé, du fait de cette discrimination, doit être traité de la même façon et se voir appliquer le même régime que les autres allocataires, régime qui, à défaut d' exécution correcte de ladite directive, reste le seul système de référence valable .


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-102/88
Date de la décision : 13/12/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Raad van Beroep Groningen - Pays-Bas.

Politique sociale - Égalité de traitement entre hommes et femmes - Sécurité sociale - Directive 79/7/CEE - Emploi à temps partiel.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : M. L. Ruzius-Wilbrink
Défendeurs : Bestuur van de Bedrijfsvereniging voor Overheidsdiensten.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Sir Gordon Slynn

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:639

Source

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