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09/11/1989 | CJUE | N°C-295/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 9 novembre 1989., SA Nicolas Corman & Fils contre Etat belge et Grand-Duché de Luxembourg., 09/11/1989, C-295/88


Avis juridique important

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61988C0295

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 9 novembre 1989. - SA Nicolas Corman & Fils contre Etat belge et Grand-Duché de Luxembourg. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique. - Agriculture - Restitutions à l'exportation et montant

s compensatoires monétaires - Marchandise importée sous position tarifair...

Avis juridique important

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61988C0295

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 9 novembre 1989. - SA Nicolas Corman & Fils contre Etat belge et Grand-Duché de Luxembourg. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique. - Agriculture - Restitutions à l'exportation et montants compensatoires monétaires - Marchandise importée sous position tarifaire incorrecte. - Affaire C-295/88.
Recueil de jurisprudence 1990 page I-00129

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

A - En fait

1 . L' entreprise Corman, partie demanderesse au principal, souhaite obtenir de l' organisme d' intervention compétent le paiement de restitutions à l' exportation et de montants compensatoires monétaires pour un produit dénommé "butteroil", qu' elle a exporté de juillet 1975 à mars 1977 vers la France, le Royaume-Uni et certains pays hors de la Communauté .

2 . Le "butteroil" avait été obtenu par la demanderesse par transformation d' un produit appelé "nutrix", composé de 84 % de matières grasses, de 2 % de cacao et de 12 % de farine . Le "nutrix" avait été importé de France en Belgique en tant que produit de la Communauté sous la position tarifaire 18.06 D II c ) 2, alors qu' il s' agissait en réalité d' un produit en provenance d' Autriche ayant été à tort importé en France sous la position 19.02 B II b ); cette classification erronée avait entraîné
la perception d' un prélèvement inférieur à celui résultant de la position tarifaire correcte .

3 . Dans le litige pendant devant les tribunaux belges, la cour d' appel de Bruxelles, par arrêt interlocutoire du 14 avril 1987, a notamment constaté que le "butteroil" ne satisfaisait pas aux critères de l' article 5 du règlement ( CEE ) n° 802/68 relatif à la définition commune de la notion d' origine des marchandises ( 1 ), dans la mesure où la transformation dont ce produit résultait ne pouvait pas être considérée comme une transformation ou ouvraison substantielle, ni comme ayant donné
naissance à un produit nouveau ou comme ayant représenté un stade de fabrication important . Il ressort donc des constatations de la juridiction de renvoi que le "butteroil" est un produit qui n' est pas originaire de la Communauté .

4 . La cour d' appel a, en outre, adressé à la Cour de justice quatre questions visant, pour l' essentiel, le point de savoir sur la base de quelles règles des restitutions à l' exportation et des montants compensatoires monétaires doivent être versés pour l' exportation du "butteroil" et si, compte tenu de la classification erronée qui a été retenue, ces versements doivent être limités au montant des prélèvements effectivement perçus lors de l' importation .

5 . Les arguments des parties seront présentés, autant que de besoin, dans le cadre de nos observations . Pour le reste, et notamment pour la formulation exacte des questions préjudicielles, nous renvoyons au rapport d' audience .

B - En droit

6 . On remarquera, au préalable, que, selon ce qu' il ressort de la procédure écrite et orale devant la Cour de justice, tant la demanderesse au principal que la Commission des Communautés européennes sont convaincues que les règles écrites du droit communautaire ne confèrent à la demanderesse aucun droit au paiement de restitutions à l' exportation . Par ailleurs, les deux parties sont également d' accord pour considérer comme fondé le versement de montants compensatoires monétaires .

7 . Nous partageons ces deux opinions, qui nous paraissent justifiées par les considérations suivantes .

En tant que produit relevant de la position tarifaire 04.03 B, le "butteroil" entre dans le champ d' application du règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers ( 2 ), dont l' article 17 prévoit l' octroi de restitutions à l' exportation sous certaines conditions . Sur la base de cet article, le Conseil a arrêté le règlement ( CEE ) n° 876/68 établissant, dans le secteur du lait et des produits laitiers, les règles générales relatives à l'
octroi des restitutions à l' exportation et aux critères de fixation de leur montant ( 3 ). Selon l' article 6 de ce dernier règlement, il faut notamment, pour que la restitution soit payée, qu' il s' agisse de produits d' origine communautaire ( sauf en cas d' application de l' article 7 ). L' article 7 du règlement n° 876/68 n' autorise, pour sa part, le versement de la restitution pour les produits importés de pays tiers et réexportés vers des pays tiers que si le produit à exporter est identique
au produit importé préalablement et si un prélèvement a été perçu lors de l' importation de ce produit .

8 . Selon les constatations de la juridiction de renvoi, le "butteroil" exporté par la demanderesse au principal n' est pas un produit de la Communauté, de telle sorte que le versement d' une restitution à l' exportation en application de l' article 6 du règlement n° 876/68 n' est pas possible . En outre, la dérogation prévue par l' article 7 ne s' applique pas non plus, car le produit exporté ( le "butteroil ") n' est pas identique au produit importé dans la Communauté ( le "nutrix "): ce dernier
ne relève pas de l' annexe II du traité, alors que le produit exporté est un "produit de l' annexe II ".

9 . Dans la mesure où la demanderesse au principal voit une discrimination interdite dans le fait d' exclure du versement de restitutions à l' exportation les produits d' origine extracommunautaire et où elle se fonde, à cet égard, sur les arrêts Quellmehl et Gritz de maïs du 19 octobre 1977 ( 4 ), sa position ne saurait être considérée comme fondée . Cette différence de traitement entre les produits est en effet justifiée par le fait que la politique agricole commune vise à favoriser les
producteurs à l' intérieur de la Communauté . Enfin, la Cour de justice a déjà établi, dans son arrêt du 1er octobre 1974 dans l' affaire 14/74, que l' organisation des marchés agricoles a institué des mécanismes de prix destinés à assurer aux producteurs agricoles certaines garanties de revenu prévoyant, en cas d' exportation vers des pays tiers, des restitutions accordées à l' aide des ressources communautaires . Selon la Cour, le bénéfice de ces mesures est réservé, en principe, aux produits de
la Communauté, "c' est-à-dire à ceux des pays qui participent au financement de la politique agricole commune" ( 5 ).

10 . Toutefois, contrairement aux restitutions à l' exportation, les montants compensatoires monétaires peuvent être versés également pour des produits d' origine extracommunautaire étant donné qu' aucune limitation aux seuls produits ayant leur origine dans la Communauté ne résulte des dispositions applicables du droit communautaire .

11 . En vertu de l' article 1er, paragraphe 2, du règlement ( CEE ) n° 974/71 du Conseil, du 12 mai 1971 ( 6 ), la perception ou l' octroi de montants compensatoires pouvaient être décidés sous certaines conditions pour les produits pour lesquels des mesures d' intervention sont prévues dans le cadre de l' organisation commune des marchés agricoles ainsi que pour les produits dont le prix est dépendant de celui des produits susvisés . Ce système est régi, dans le détail, par le règlement ( CEE ) n°
1380/75 de la Commission, du 29 mai 1975, portant modalités d' application des montants compensatoires monétaires ( 7 ).

Sur les questions posées par la cour d' appel

12 . En passant maintenant à l' examen des diverses questions posées par la cour d' appel de Bruxelles, il nous faut signaler qu' il ne nous paraît pas certain qu' elles soient toutes pertinentes pour la présente procédure .

1 . Sur la première question

13 . La première question soulève, en substance, le point de savoir si une marchandise qui ne figure pas à l' annexe II du traité CEE peut cependant être considérée, sous certaines conditions, comme un produit de base, notamment en vue de l' octroi de restitutions à l' exportation et de montants compensatoires monétaires .

14 . En ce qui concerne l' octroi de restitutions à l' exportation, il ne nous paraît pas nécessaire de répondre expressément à cette question . La juridiction de renvoi ayant elle-même constaté que le "butteroil" exporté n' était pas d' origine communautaire, cela suffit déjà pour exclure le versement de telles restitutions . Il n' y a donc pas lieu de rechercher si le "butteroil" peut être considéré comme un produit de base ou un produit de transformation . S' il fallait, en revanche, reconnaître
au "butteroil" la qualité de produit de la Communauté, des restitutions devraient alors être versées pour son exportation, et il serait donc également sans importance que le produit de base "butteroil" ait été initialement tiré d' un produit de transformation .

15 . Quant à l' octroi de montants compensatoires monétaires, il n' y a pas lieu non plus de répondre à la première question puisqu' il est constant que le "butteroil" a été exporté en tant que produit de base au sens de l' annexe II du traité CEE .

2 . Sur la deuxième question

Cette question a pour but d' obtenir une interprétation de l' article 9 du règlement ( CEE ) n° 2682/72 du Conseil, du 12 décembre 1972 ( 8 ). Toutefois, ce règlement vise, aux termes de son article 1er, l' octroi des restitutions applicables à l' exportation des produits de base lorsqu' ils sont exportés sous forme de marchandises ne relevant pas de l' annexe II du traité . Or, il a été établi que le "butteroil" est une marchandise relevant de ladite annexe . Le règlement n° 2682/72 du Conseil n'
est donc pas applicable à l' exportation de "butteroil ". Il en résulte que la question relative à l' interprétation de l' article 9 est sans objet .

3 . Sur la troisième question

16 . Dans la mesure où la troisième question soulève le point de savoir sur la base de quels principes ou règles de droit communautaire les restitutions à l' exportation doivent être établies, il y a lieu d' observer, là encore, que pour l' exportation du "butteroil", qui n' a pas son origine dans la Communauté, aucune restitution à l' exportation ne doit être fixée et que la question est donc sans objet .

17 . Quant à l' autre aspect visé par la troisième question, à savoir la fixation de montants compensatoires monétaires, on répétera ce qui a déjà été dit : l' octroi des montants compensatoires monétaires est régi par les dispositions des règlements n°s 974/71 et 1380/75 .

4 . Sur la quatrième question

18 . La quatrième question vise le point de savoir si les montants compensatoires monétaires ou les restitutions à l' exportation éventuellement dus doivent être limités en fonction des droits effectivement perçus lors de l' importation ou bien en fonction des droits qui auraient dû être perçus selon la position tarifaire correcte .

19 . En ce qui concerne les restitutions à l' exportation, cette question ne peut se poser que dans le cas visé à l' article 7 du règlement n° 876/68, c' est-à-dire quand le produit importé et le produit exporté sont identiques . Or, on a vu que cela n' était pas le cas, de telle sorte qu' il n' est pas nécessaire, là non plus, de répondre expressément à la question .

20 . Pour le versement de montants compensatoires monétaires, l' article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 1380/75 prévoit seulement que le montant compensatoire n' est applicable à la sortie de l' État membre de réexportation que s' il a été appliqué à l' entrée dans cet État membre ou s' il a été fait usage, pour le compte de cet État, de la faculté prévue à l' article 2 bis du règlement n° 974/71 ( et il n' apparaît pas que ce soit le cas en l' espèce ).

21 . Les défendeurs au principal ont soutenu qu' une limitation était nécessaire, et ce en fonction des droits effectivement perçus à l' importation . Ils n' ont cependant pas précisé sur quelle disposition se fonderait une telle limitation pour l' octroi de montants compensatoires monétaires . La Commission s' est elle-même bornée, sur la question des montants compensatoires, à renvoyer à l' application de la règle de l' article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 1380/75, sans
mentionner, pour sa part, la nécessité d' une limitation .

22 . Selon la règle susvisée, la seule condition pour le versement du montant compensatoire monétaire est qu' un montant compensatoire ait déjà été perçu lors de l' importation . C' était le cas en l' espèce puisque des montants compensatoires monétaires ont été appliqués lors de l' importation du "nutrix" en Belgique . Étant donné, par ailleurs, que, lors de l' importation en Belgique, la classification tarifaire et, partant, la fixation des droits perçus à l' importation ont été correctes, la
distinction entre les droits normalement dus et les droits effectivement versés ne devrait pas, là non plus, entrer en ligne de compte . En outre, l' article 12 du règlement n° 1380/75 ne comporte aucune disposition restrictive du type de celle prévue, par exemple, à l' article 7, paragraphe 2, du règlement n° 876/68 pour l' octroi de restitutions à l' exportation pour le lait et les produits laitiers .

C - Conclusion

23 . Nous proposons donc à la Cour de répondre comme suit à la demande de décision préjudicielle présentée par la cour d' appel de Bruxelles :

"1 ) L' article 6, paragraphe 1, du règlement n° 876/68 doit être interprété, sans préjudice des dispositions de l' article 7, en ce sens que l' exportation de produits qui sont mentionnés à l' article 1er du règlement n° 804/68, mais ne sont pas originaires de la Communauté ne donne pas lieu au versement de restitutions à l' exportation .

2 ) L' exportation vers des pays tiers d' un produit relevant du règlement n° 804/68 peut donner lieu, sous les conditions résultant du règlement n° 974/71 et de l' article 12, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 1380/75, au versement de montants compensatoires monétaires également pour les produits qui ne sont pas originaires de la Communauté ."

(*) Langue originale : l' allemand .

( 1 ) JO 1968, L 148, p . 1 .

( 2 ) Règlement ( CEE ) n° 804/68 du Conseil, du 27 juin 1968 ( JO L 148, p . 13 ).

( 3 ) JO 1968, L 155, p . 1 .

( 4 ) Arrêts du 19 octobre 1977, Albert Ruckdeschel & Co . et autres/Hauptzollamt Hamburg-St . Annen et autres ( 117/76 et 16/77, Rec . p . 1753 ), et SA Moulins et huileries de Pont-à-Mousson et autres/Office national interprofessionnel des céréales ( 124/76 et 20/77, Rec . p . 1795 ).

( 5 ) Arrêt du 1er octobre 1974, Norddeutsches Vieh - und Fleischkontor GmbH/Hauptzollamt Hamburg-Jonas ( 14/74, Rec . p . 899, 909 ).

( 6 ) Règlement ( CEE ) n° 974/71 du Conseil, relatif à certaines mesures de politique de conjoncture à prendre dans le secteur agricole à la suite de l' élargissement temporaire des marges de fluctuation des monnaies de certains États membres ( JO L 106, p . 1 ).

( 7 ) JO L 139, p . 37 .

( 8 ) Règlement ( CEE ) n° 2682/72 du Conseil, du 12 décembre 1972, établissant, pour certains produits agricoles exportés sous forme de marchandises ne relevant pas de l' annexe II du traité, les règles générales relatives à l' octroi des restitutions à l' exportation et les critères de fixation de leur montant ( JO L 289, p . 13 ).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-295/88
Date de la décision : 09/11/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.

Agriculture - Restitutions à l'exportation et montants compensatoires monétaires - Marchandise importée sous position tarifaire incorrecte.

Agriculture et Pêche

Produits hors annexe II du traité CEE

Produits laitiers


Parties
Demandeurs : SA Nicolas Corman & Fils
Défendeurs : Etat belge et Grand-Duché de Luxembourg.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:412

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