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11/10/1989 | CJUE | N°C-100/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 11 octobre 1989., Augustin Oyowe et Amadou Traore contre Commission des Communautés européennes., 11/10/1989, C-100/88


Avis juridique important

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61988C0100

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 11 octobre 1989. - Augustin Oyowe et Amadou Traore contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Anciens agents de l'Association européenne pour la coopération. - Affaire C-100/88.
Recueil de jurisp

rudence 1989 page 04285

Conclusions de l'avocat général

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Monsie...

Avis juridique important

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61988C0100

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 11 octobre 1989. - Augustin Oyowe et Amadou Traore contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Anciens agents de l'Association européenne pour la coopération. - Affaire C-100/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 04285

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans un passé récent, votre Cour a été amenée à examiner à plusieurs reprises la situation juridique de l' Association européenne pour la coopération ( ci-après "AEC ") et la nature de ses rapports avec la Commission des Communautés européennes, notamment sous l' angle du régime juridique auquel était soumis le personnel recruté par l' AEC . Les analyses auxquelles ont procédé vos arrêts du 11 juillet 1985 ( 1 ), et les conclusions qu' ils en ont tirées, sont suffisamment connues de vous pour
que nous ne procédions pas à un exposé exhaustif des éléments de fait et de droit . Nous nous bornerons donc à rappeler quelques données particulières à la présente affaire .

2 . Avant le vaste mouvement de titularisation dans la fonction publique communautaire entrepris à partir de 1981 en liaison avec la création d' une "Agence européenne de coopération", le personnel recruté par l' AEC se répartissait suivant trois catégories :

- le personnel installé dans les pays en voie de développement ( ci-après "délégués ");

- le personnel du siège, appelé à gérer les délégués;

- le personnel recruté par l' AEC sous contrat spécial ( ci-après "agents sous contrat CS "), contrat qui prévoyait leur mise à la disposition de la direction générale du développement ( DG VIII ) de la Commission .

3 . Les requérants, MM . Traore, dont la nationalité est double, malienne et française, et Oyowe, qui est ressortissant du Nigeria, ont, comme certains autres agents de l' AEC, été recrutés, respectivement en 1978 et 1979, suivant un contrat spécial dit "AC" dont les stipulations sont largement analogues à celles des contrats CS, mais dont le financement est original dans la mesure où il provient du Fonds européen de développement . Leurs fonctions sont, depuis leur recrutement, celles de rédacteur
de la revue Le Courrier-Afrique-Caraïbes-Pacifique-Communauté européenne ( ci-après "Courrier ACP "). Aujourd' hui, ils sont, avec un troisième rédacteur de la revue également d' origine africaine, les seuls parmi l' ensemble du personnel recruté par l' AEC dans l' une ou l' autre des catégories précitées à ne pas avoir bénéficié d' une titularisation dans la fonction publique communautaire .

4 . C' est, semble-t-il, moins cet état de fait de non-titularisation en lui-même que leur situation actuelle au regard des droits à pension de retraite qui constitue la première préoccupation des requérants . En effet, en tant qu' agents liés par contrat de travail à une association de droit privé belge, ils se trouvent, du point de vue de leur régime de pension de retraite, soumis au droit belge des pensions . Or, il résulterait de la législation belge sur ce point que le versement de la pension
cesserait d' être dû aux intéressés s' ils quittaient le territoire belge . De plus, la législation belge ne permettrait pas aux personnes quittant ce territoire d' obtenir le remboursement des cotisations de retraite versées . S' exposant à la perte totale de leurs droits à pension dans le cas où ils prendraient leur retraite en Afrique, les requérants ont entamé avec la Commission une discussion tendant à voir résoudre ce problème . Cette démarche n' ayant pas abouti, un contentieux s' est noué,
dont vous êtes saisis .

5 . Les requérants vous demandent, en substance, de dire que, dès leur recrutement par l' AEC, leur employeur réel était la Commission et qu' ils ont droit à bénéficier d' une procédure de titularisation comme fonctionnaires de celle-ci . Subsidiairement, ils demandent que la Commission soit condamnée à les garantir du bénéfice de leur pension de retraite quel que soit le pays où ils résideront ultérieurement .

6 . Nous vous avons laissé entrevoir qu' à notre avis la revendication de la qualité d' agent de la Commission, ou de la vocation à la qualité de fonctionnaire de celle-ci, constitue, pour les requérants, plus un moyen qu' une fin . Ainsi que l' a clairement fait apparaître l' exposé de leur avocat à l' audience, le problème premier est celui lié à leur pension . Il est vraisemblable que, si ce problème avait pu trouver une solution spécifique, les requérants n' auraient pas revendiqué les qualités
précitées . Mais, les choses étant ce qu' elles sont, ils le font .

7 . Les objections de la Commission quant à la recevabilité de la requête ne doivent pas vous retenir très longtemps . Rappelons, tout d' abord, que selon votre jurisprudence

"non seulement les personnes qui ont la qualité de fonctionnaire ou d' agent autre que local, mais aussi celles qui revendiquent ces qualités"

peuvent attaquer devant la Cour une décision leur faisant grief ( 2 ). Vous avez, dans votre arrêt Salerno ( 3 ), fait application de cette jurisprudence à l' égard de requêtes d' agents du siège de l' AEC ayant saisi en 1977, donc avant toute titularisation, votre Cour afin, notamment, de faire annuler une décision du conseil d' administration de l' AEC du 4 novembre 1976, en estimant que, les requérants réclamant la reconnaissance de la qualité de fonctionnaire de la Commission dès leur engagement
par l' AEC, leur recours contre cette décision qui refusait implicitement de leur faire application du statut des fonctionnaires était recevable . Nous ne voyons pas de raison d' adopter une position différente s' agissant d' une requête tendant à l' annulation de la décision implicite de rejet par la Commission d' une demande de deux agents sous contrat de l' AEC visant à "être traités comme des fonctionnaires au sens du statut" ( 4 ). Par ailleurs, nous estimons que les requérants ont, dès leur
requête initiale, demandé que la Commission soit, à titre subsidiaire, condamnée à les garantir du bénéfice de l' intégralité de leur pension quel que soit le pays où ils résideront ultérieurement . Le caractère subsidiaire de cette demande établissait que l' on se situait en dehors de l' hypothèse d' appartenance à la fonction publique communautaire, et qu' il s' agissait d' une mise en cause de la responsabilité des Communautés . La mention de l' article 215, alinéa 2, du traité dans le mémoire en
réplique a donc constitué une simple précision formelle, et non une modification du chef juridique de la demande . Aucune irrecevabilité ne nous paraît donc susceptible d' être relevée à ce titre .

8 . Sur le fond, le premier chef de la demande, tendant à ce que votre Cour dise pour droit que les requérants sont des agents de la Commission et doivent bénéficier des dispositions applicables aux agents temporaires, nous paraît manifestement devoir être rejeté, dans la mesure où vous avez déjà clairement affirmé que la Commission n' avait pas la qualité d' employeur des membres du personnel recruté par l' AEC . Dans votre arrêt Salerno ( 5 ), vous avez, en effet, à propos d' arguments avancés par
des agents du siège de l' AEC, estimé que les circonstances qu' ils invoquaient ne permettaient pas

"de passer outre à la différence juridique de la situation des agents de l' AEC engagés par une association de droit privé et les fonctionnaires et agents de la Commission nommés conformément aux dispositions du statut des fonctionnaires des Communautés européennes"

avant de souligner que

"c' est l' AEC, et non la Commission, qui était l' employeur des requérants ".

Dans votre arrêt Appelbaum ( 6 ), relatif, cette fois, à la situation d' agents de l' AEC sous contrat CS, vous avez, en vous référant à votre arrêt Salerno du même jour, relevé que l' engagement et la nomination des agents CS de l' AEC par la Commission dans le cadre du processus de titularisation constituaient un recrutement "à l' extérieur des institutions", ce qui implique que, dans la situation antérieure à ce recrutement par la Commission, les agents de l' AEC sous contrat CS étaient à l'
extérieur des institutions et que la Commission n' était pas leur employeur, bien qu' ils fussent mis à la disposition de celle-ci .

9 . La similarité de situation juridique des agents de l' AEC sous contrat CS et de ceux, comme les requérants, sous contrat AC est un point qui ne fait pas l' objet de contestations entre les parties . On ne relève, sur le plan du régime juridique, aucune particularité qui conduirait à conclure que, contrairement aux agents sous contrat CS, ceux liés à l' AEC par contrat AC ont la Commission pour employeur .

10 . Il reste à examiner si, indépendamment du régime juridique abstrait du contrat AC auquel ils étaient soumis, les conditions d' exercice, par les requérants, de leurs fonctions les plaçaient, en fait, dans la situation d' employés de la Commission . Or, les arguments avancés par MM . Oyowe et Traore sur ce point n' apparaissent nullement déterminants, dans la mesure où ils sont analogues à des arguments que vous avez déjà eu l' occasion d' examiner dans le cadre des affaires précitées, sans en
conclure que la Commission avait la qualité d' employeur . Ainsi, la référence à un article des clauses particulières de leur contrat selon lequel ils sont placés "à la disposition de la Commission des Communautés européennes" ou encore à une des clauses générales du contrat AC selon laquelle ils acceptent d' accomplir "toutes les enquêtes, missions et études qui pourraient ... être confiées par la Commission ..." n' ont pas de caractère probant, car vos arrêts Appelbaum et Hattet ( 7 ) étaient
relatifs à des agents sous contrats CS également mis, par définition, à la disposition de la Commission et soumis à des clauses particulières largement similaires à celle évoquée à l' instant, et ils n' ont pourtant pas conclu à la qualité d' employeur de la Commission .

11 . Pareillement, la présence du Courrier ACP dans l' organigramme de la DG VIII n' emporte pas la conviction puisque, dans votre arrêt Salerno, vous avez relevé que l' inscription de l' AEC dans l' organigramme de la Commission ne prouvait en rien que l' AEC était une unité administrative de la Commission .

12 . En réalité, les requérants n' ont produit aucun élément, en particulier aucun document, de nature à prouver que des fonctionnaires de la Commission ont, en cette qualité et non en celle de membre du conseil d' administration de l' AEC ou de la rédaction du Courrier ACP, adressé des instructions à des journalistes ou accompli à leur égard des actes formels d' autorité . En particulier, l' avertissement adressé à M . Lucien Pagni, auquel les requérants font allusion, émanait d' un administrateur
délégué de l' AEC, et non d' une autorité de la Commission .

13 . Certes, il n' est absolument pas discutable que la Commission était, de diverses façons, étroitement associée au fonctionnement de l' AEC et qu' en fait elle exerçait un contrôle sur maints aspects de l' activité de celle-ci, voire, à certains égards, la dirigeait . Mais, en présence de ces données constantes, vous avez estimé que l' AEC n' était pas une unité administrative de la Commission, et que la seconde n' était pas l' employeur du personnel recruté par la première . La situation des
requérants dans le cadre particulier du Courrier ACP ne fait apparaître aucun élément nouveau par rapport au cadre général sur lequel vous vous êtes déjà prononcés . Aussi, nous estimons que la Commission ne peut être considérée comme l' employeur des requérants, et que leur premier chef de demande doit être, par conséquent, rejeté .

14 . La discussion relative au deuxième chef de demande a été relativement circonscrite par les arguments échangés entre les parties . Il n' est pas soutenu par la Commission que le régime juridique du contrat AC, auquel sont soumis les requérants, pouvait justifier une différence de traitement, au regard de la titularisation, par rapport aux employés de l' AEC sous contrat CS, qui, tous, ont bénéficié d' une procédure leur permettant d' être titularisés . La Commission indique à ce sujet, dans un
document adressé à la Cour, que la distinction entre les deux types d' agent est "essentiellement de nature budgétaire", ajoutant que "les contrats qui régissent les relations d' emploi entre l' AEC et les agents CS ou AC sont ... largement semblables et ( que ) leurs fonctions, à grade égal, ne présentent aucune différence marquante" ( 8 ).

15 . En fait, la divergence entre les requérants et la Commission se concentre sur un seul point . Selon l' institution communautaire, la nature propre des fonctions de MM . Oyowe et Traore, qui est de représenter, en qualité de journalistes, la "sensibilité des pays ACP" au sein du "Courrier ACP", serait incompatible avec la qualité de fonctionnaire communautaire qui, en vertu du statut, comporte l' obligation d' allégeance à la Communauté .

16 . Disons-le d' emblée, l' examen de la situation des journalistes du "Courrier ACP" ne nous a pas permis de parvenir à une conclusion identique à celle de la Commission . En effet, il nous a semblé que les journalistes du Courrier ACP étaient, en réalité, appelés à exercer leurs fonctions dans des conditions comparables quelle que soit leur origine, "ACP" ou "CEE", et que, dès lors, on ne discernait, dans les conditions d' exercice de leurs fonctions par les journalistes d' "origine ACP", aucune
particularité justifiant un traitement différent, au regard de la titularisation dans la fonction publique communautaire, par rapport aux autres journalistes de la revue .

17 . En premier lieu, on relève que l' affirmation de la Commission selon laquelle les requérants, "journalistes d' origine ACP", étaient soumis à des règles déontologiques propres au sein de la revue paraît, pour le moins, sujette à discussion . Si l' on se reporte au procès-verbal de la réunion du comité paritaire de la revue tenue le 3 octobre 1978, évoquée par la Commission, on y lit, en effet, ceci :

"L' accord est unanime pour souligner que les membres de l' équipe rédactionnelle du 'Courrier' d' origine ACP ne sont pas là pour défendre les points de vue et intérêts des États ACP, pas plus que les membres européens de cette équipe ne sont là pour défendre les points de vue et intérêts européens . Le 'Courrier' est un organe d' information et de documentation sur la coopération CEE-ACP ... L' équipe rédactionnelle doit donc viser à rendre compte de cette coopération avec objectivité et
équilibre, en évitant de faire du 'Courrier' tant une revue fade qu' une revue polémique entre les partenaires ."

Le même procès-verbal indique un peu plus loin que "la qualité des membres de l' équipe rédactionnelle est capitale aux plans des qualités professionnelles et de la loyauté à l' objet de la revue . Le comité considère qu' ils sont tous au service d' une cause commune, celle de la coopération entre les États ACP et la Communauté ".

18 . Aussi, s' il s' agit de prendre en compte les règles déontologiques applicables aux journalistes d' origine ACP de la revue, on trouve difficilement dans le procès-verbal de la réunion du comité paritaire évoquée par la Commission la consécration d' une déontologie propre à ces journalistes, et distincte de celle s' appliquant aux journalistes européens . Bien au contraire, c' est l' idée d' une déontologie commune à tous les membres de l' équipe rédactionnelle qui se dégage de ce document .
Suivant cette déontologie, chaque membre de l' équipe rédactionnelle doit faire preuve de la même indépendance, à l' égard des "points de vue ACP" comme à l' égard des "points de vue européens ".

19 . Dans ces conditions, les règles déontologiques applicables aux membres de la rédaction du Courrier ACP ne nous semblent pas, a priori, accréditer l' idée d' une particularité des journalistes d' origine ACP, selon laquelle ils seraient chargés de "représenter la sensibilité ACP" par leur activité professionnelle . La représentent-ils, symboliquement, par leur origine nationale? C' est possible, mais, en tout cas, sous l' angle de la déontologie, ils ne sont pas appelés à la représenter par leur
travail de journaliste, par leurs articles . Au contraire, la déontologie s' exprime plutôt en ce sens qu' il leur est demandé de ne pas se comporter comme des représentants des points de vue ACP, tout comme il est demandé aux journalistes d' origine européenne de ne pas se comporter en tant que représentants des points de vue CEE .

20 . Nous souhaiterions faire observer à votre Cour un point qui n' est peut-être pas que de détail et qui vient, en quelque sorte, colorer ces premières remarques . A la requête est annexée une photocopie du dernier numéro alors paru du Courrier ACP, celui de janvier-février 1988 . A la page 3 de ce numéro figure le sommaire . Tout en bas de la page, en petits caractères, nous lisons ceci : "Les articles n' engagent que leurs auteurs ". Nous dirons, après avoir lu cette mention, que les articles de
la revue, quels que soient leurs auteurs et, plus précisément, quelle que soit l' origine géographique de leurs auteurs, n' engagent particulièrement pas plus les pays ACP que la CEE, et engagent autant les uns que l' autre .

21 . Cela nous conduit à considérer que l' équipe rédactionnelle de la revue est conçue globalement comme non dépendante à l' égard des points de vue ACP et CEE, et qu' en particulier aucun de ses membres n' est a priori appelé à se faire le porte-parole de l' un ou l' autre de ces points de vue, quelle que soit son origine géographique . S' il est exact que des journalistes originaires de pays ACP ont été recrutés à la suite d' une demande du groupe ACP, les principes déontologiques exprimés par le
comité paritaire ne permettent nullement d' établir que c' était dans le but de faire assurer par ceux-ci, de façon institutionnelle, la représentation des points de vue ACP . Ces principes inclineraient plutôt à penser qu' il s' agissait, avant tout, de garantir symboliquement la présence de cette sensibilité, tout comme la présence des sensibilités des douze États membres est garantie par le recrutement de fonctionnaires des douze nationalités à la CEE, sans que l' on attende des fonctionnaires de
chaque nationalité qu' ils se consacrent, par leur activité professionnelle, à promouvoir les vues de l' État membre dont ils sont ressortissants .

22 . Progressant dans le raisonnement, nous estimons que, si tous les membres de l' équipe rédactionnelle se trouvent soumis, au sein du Courrier, à la même déontologie, précisément en ce qui concerne leur indépendance à l' égard des points de vue ACP et européens, cela signifie que l' éventuelle qualité de fonctionnaire des journalistes devrait poser des problèmes de même intensité quelle que soit l' origine des journalistes . En schématisant, nous dirons que, s' il y a incompatibilité entre la
qualité de fonctionnaire et celle de membre d' une équipe de journalistes dont la déontologie est celle que nous avons décrite, cette incompatibilité doit exister à l' égard de tous les journalistes . Et si l' on estime, à déontologie identique, que l' incompatibilité n' existe pas pour un ou plusieurs journalistes, on ne peut justifier qu' elle subsiste à l' égard des autres .

23 . Or, nous savons que, dans l' équipe rédactionnelle du Courrier, se trouvaient, et se trouvent encore, des fonctionnaires de la Commission, à commencer par l' actuel rédacteur en chef . La Commission ne nous a pas indiqué, dans le cadre de la présente procédure, que cette situation soulèverait des difficultés au regard de la déontologie des membres de l' équipe rédactionnelle . Surtout, un des membres d' origine CEE de cette équipe, M . Ian Piper, a bénéficié d' une titularisation en 1981 . Ce
journaliste, rappelons-le, était soumis, en principe, aux mêmes règles déontologiques que ses deux collègues, MM . Oyowe et Traore, pour ce qui concerne sa non-dépendance, ou son indépendance, à l' égard des points de vue ACP et CEE . Aussi, nous en arrivons à la conclusion que la Commission ne pouvait se fonder sur une prétendue particularité de la situation des requérants, et sur une prétendue "représentation de la sensibilité ACP" par ceux-ci, pour leur dénier vocation à la titularisation, par
ailleurs accordée à un autre journaliste sous contrat CS . Pour parvenir à une conclusion inverse, il aurait fallu se trouver en présence d' un véritable paritarisme de la revue, et en particulier de son équipe rédactionnelle, s' exprimant jusqu' au travers de la déontologie . On l' a vu, tel n' est pas le cas .

24 . La Commission a signalé le problème pratique, important à ses yeux, que soulèverait la titularisation des requérants, en indiquant que, s' ils quittaient, dans le cours de leur carrière, leurs postes, ceux-ci devraient être pourvus par d' autres fonctionnaires, ayant a priori la nationalité d' un État membre, ce qui interdirait la "représentation de la sensibilité ACP ". Nous avons vu les limites, sur le plan déontologique, de la notion de "représentation de la sensibilité ACP ". Nous pourrions
dire que, dès lors que l' on attend une indépendance d' esprit comparable de tous les journalistes, quelle que soit leur origine, il n' y aurait peut-être pas vraiment nécessité de recruter des journalistes en dehors de la CEE . Ajoutons que, dans l' éventualité, examinée par la Commission, relative aux vacances d' emploi, il pourrait être envisagé de recruter sur les emplois en question des agents temporaires en dérogeant à la règle de nationalité d' un des États membres . Nous savons tous que la
gestion des emplois vacants n' est pas toujours exclusive d' une certaine souplesse . A nos yeux, en tout cas, une situation telle que celle de la revue justifierait une telle souplesse, pour autant que cela s' avérerait utile à la CEE en ce qui concerne la qualité de ses relations avec les pays ACP .

25 . A ce stade du raisonnement, doit-on estimer que le deuxième chef de demande est fondé et qu' il l' est aussi bien en ce qui concerne M . Traore que M . Oyowe? Dans votre arrêt Appelbaum ( 9 ), vous avez estimé qu' une différence essentielle dans les situations des agents du siège et des agents CS justifiant, au regard des règles de titularisation, un traitement différent n' existait pas . Il nous semble qu' il doit en aller, a fortiori, de même en ce qui concerne les agents sous contrat AC par
rapport à ceux, sous contrat CS, qui ont bénéficié d' une titularisation, compte tenu de la très grande similarité des régimes juridiques auxquels se trouvaient soumis, par l' effet des contrats en question, les agents de l' une ou l' autre catégorie . La Commission elle-même a reconnu cette similarité et indiqué que la seule différence notable était relative au financement des rémunérations versées au moyen des contrats AC, c' est-à-dire à une donnée tout à fait extérieure aux droits et obligations
résultant, pour chaque partie, des contrats . Enfin, nous l' avons vu, les conditions d' exercice des fonctions ne permettaient pas de discerner de différence essentielle entre un journaliste du Courrier ACP sous contrat CS et un journaliste de la même revue sous contrat AC ni, par conséquent, de justifier une différence de traitement au regard du principe de la titularisation .

26 . Toutefois, il nous semble que ce raisonnement ne peut être pleinement retenu qu' en ce qui concerne M . Traore . En effet, la Commission a, dans son mémoire en duplique, invoqué la condition, stipulée à l' article 28, sous a ), du statut des fonctionnaires communautaires, suivant laquelle "Nul ne peut être nommé fonctionnaire ... s' il n' est ressortissant d' un des États membres des Communautés, sauf dérogation accordée par l' autorité investie du pouvoir de nomination ...". Or, si M . Traore
possède la nationalité française, M . Oyowe est ressortissant du Nigeria . Il ne nous semble pas qu' il puisse invoquer l' identité de situation précédemment relevée pour fonder une obligation de la Commission de déroger, en sa faveur, à la condition de nationalité . Il est, estimons-nous, de la nature de la condition de nationalité posée à l' article 28, sous a ), précité, de ne pas avoir à céder dans le cas où une personne, qui ne satisfait pas à cette condition, se trouve dans une situation par
ailleurs identique, ou comparable, à celle d' une autre personne qui y satisfait . Si l' on interprétait différemment cette condition de nationalité, on la réduirait en fait à néant, dans la mesure où l' on admettrait ainsi que des situations objectivement comparables, et dont on ne peut définir a priori la variété et les limites, obligeraient l' administration à y déroger .

27 . Nous pensons que, pour que la condition de nationalité ait un sens et ne soit pas purement formelle, il est nécessaire de reconnaître que l' AIPN, la Commission en l' espèce, dispose d' un pouvoir absolument discrétionnaire pour décider s' il y a lieu, ou non, d' y déroger . Une situation à d' autres égards objectivement identique ne peut la mettre dans l' obligation juridique de déroger . La dérogation à la condition de nationalité ne nous paraît pas, de ce point de vue, pouvoir être placée
sur le même plan que la question de la dérogation à la règle générale de la nomination au grade de base, invoquée par les requérants sur le fondement de votre arrêt Appelbaum ( 10 ). Les deux dérogations s' appliquent à des principes dont la portée est, évidemment, sans commune mesure .

28 . Cela signifie-t-il que nous vous invitons à rendre un arrêt donnant partiellement satisfaction à M . Traore et laissant M . Oyowe, face à ses problèmes, dans une situation peu satisfaisante au regard de l' équité? En réalité, il nous paraît possible de retenir une solution permettant de ne pas voir définitivement sacrifiée la situation de M . Oyowe . Nous considérons, en effet, au regard de l' ensemble des éléments du dossier qui a été soumis à votre Cour, et notamment des arguments développés
au long de la procédure par la Commission, arguments au sein desquels l' exception liée à la condition de nationalité a revêtu un caractère quelque peu tardif, puisqu' elle n' a surgi que dans la duplique, qu' il n' est pas suffisamment établi que le défaut de nationalité "communautaire" ait constitué, pour la Commission, le motif déterminant de sa position consistant à lui dénier toute vocation à titularisation . Plus précisément, il n' est pas suffisamment établi que la Commission, si elle avait
eu connaissance de l' impossibilité légale, pour elle, de se retrancher derrière la "représentation de la sensibilité ACP" pour refuser à M . Oyowe le bénéfice d' une procédure de titularisation, aurait, sur le seul fondement de la condition de nationalité, adopté la même position . La Commission devrait, selon nous, procéder à un nouvel examen de la situation de M . Oyowe, compte tenu de l' analyse que nous vous proposons de faire vôtre quant à une prétendue incompatibilité de la situation de
fonctionnaire des Communautés avec la "représentation de la sensibilité ACP" par les requérants . Il appartiendra, alors, à la Commission, dans le cadre de ce nouvel examen, d' examiner si elle estime devoir faire bénéficier M . Oyowe d' une dérogation en ce qui concerne la condition de nationalité . Il n' est d' ailleurs pas exclu qu' au moment de ce nouvel examen M . Oyowe ait acquis la nationalité belge .

29 . La Commission disposerait, dans ce nouvel examen, d' une appréciable marge de manoeuvre . Un refus de dérogation ne serait pas, nous l' avons dit, illégal . Permettez-nous, toutefois, de dire qu' à notre avis la situation de M . Oyowe, considérée par rapport à celle de ses collègues, et la prise en compte par la Commission de ce que nous appellerions un sens de la sollicitude devraient la conduire, en opportunité, à ne pas retenir la solution du refus de dérogation .

30 . Aussi, sur le deuxième chef de demande, nous invitons votre Cour à annuler la décision de la Commission en tant qu' elle refuse de prendre en considération la demande de titularisation de MM . Traore et Oyowe, et de renvoyer ceux-ci devant la Commission afin qu' elle tire, à l' égard de chacun d' eux, les conséquences de votre arrêt conformément à l' article 176 du traité, ces conséquences devant, en tout état de cause, comporter, à l' égard de M . Traore, la mise en oeuvre d' une procédure de
titularisation .

31 . Nous nous permettrons d' être plus bref sur le dernier chef de demande dont nous pensons qu' il doit faire l' objet d' un rejet de votre part . En effet, nous ne distinguons pas en quoi la responsabilité de la Communauté pourrait être engagée à l' égard de l' un ou l' autre des intéressés . La demande des requérants sur ce point a un caractère subsidiaire, qui suppose que vous rejetiez, à l' égard des deux requérants ou de l' un d' entre eux, leurs premiers chefs de demande, c' est-à-dire que
vous estimiez, en particulier, que la Commission n' a pas rompu, à leur détriment, le principe d' égalité ou de non-discrimination . Dès lors, on distinguerait mal en quoi une faute pourrait être reprochée à la Commission sur ce point . Ajoutons également que, compte tenu des arrêts déjà cités par lesquels vous avez nettement indiqué que la Commission n' était pas l' employeur des agents recrutés par l' AEC, nous ne voyons pas non plus comment l' on pourrait relier la situation des requérants au
regard de la législation belge en matière de pensions de retraite, dont ils relèvent de façon normale en qualité d' employés d' une association de droit privé belge, avec un comportement par hypothèse fautif de la Commission . En réalité, on ne pourrait parvenir à un tel résultat sans entrer en contradiction avec les positions de votre jurisprudence au sujet de l' AEC et de son personnel . Si l' employeur des requérants est une association de droit privé belge, et non la Commission, on ne voit pas
comment l' application à leur égard de la législation belge en matière de pensions de retraite entraînerait la responsabilité des Communautés . Si celle-ci est engagée, on ne voit pas comment on pourrait continuer à dire que la Commission n' est pas l' employeur du personnel recruté par l' AEC, alors que c' est ce que vous avez toujours dit .

32 . En définitive, nous concluons :

1 ) à l' annulation de la décision de la Commission faisant suite à la réclamation des requérants en tant qu' elle concerne leur demande de titularisation en qualité de fonctionnaire, et au renvoi de l' affaire devant la Commission pour nouvelle décision;

2 ) au rejet des autres chefs de demande;

3 ) à ce que la Commission soit condamnée à supporter l' ensemble des dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) 87, 130/77, 22/83, 9 et 10/84, Salerno e.a, Rec . p . 2523; 119/83, Appelbaum, Rec . p . 2423; 66 à 68 et 136 à 140/83, Hattet e.a ., Rec . p . 2459 .

( 2 ) 116/78, Bellintani e.a ., arrêt du 5 avril 1979, Rec . p . 1585, point 6 .

( 3 ) Voir réf . note 1 .

( 4 ) Annexe 5 de la requête, p . 3, point 10 ), sous a ).

( 5 ) Voir réf . note 1 .

( 6 ) Voir réf . note 1 .

( 7 ) Voir réf . note 1 .

( 8 ) Observations du 18 avril 1989 en réponse à une question de la Cour, p . 2 .

( 9 ) Voir réf . note 1 .

( 10 ) Voir réf . note 1 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-100/88
Date de la décision : 11/10/1989
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Anciens agents de l'Association européenne pour la coopération.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Augustin Oyowe et Amadou Traore
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Mancini

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:370

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