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15/06/1989 | CJUE | N°212/88

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 juin 1989., Procédure pénale contre F. Levy., 15/06/1989, 212/88


Avis juridique important

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61988C0212

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 juin 1989. - Procédure pénale contre F. Levy. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France. - Politique commerciale commune - Mesures de sauvegarde. - Affaire 212/88.
Recueil de jurisprude

nce 1989 page 03511

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur l...

Avis juridique important

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61988C0212

Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 15 juin 1989. - Procédure pénale contre F. Levy. - Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France. - Politique commerciale commune - Mesures de sauvegarde. - Affaire 212/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 03511

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Dans l' arrêt qu' elle a rendu le 6 juillet 1988, la cour d' appel de Paris ( ci-après succinctement dénommée "juge de renvoi ") a posé la question préjudicielle suivante conformément à l' article 177 du traité :

"Les exigences de la législation et de la réglementation française relatives à l' importation en France d' articles textiles en provenance des pays tiers et admis en libre pratique dans un des États membres de la CEE, qui, d' une part, fait obligation aux importateurs en France de tels articles d' obtenir, au préalable, une licence d' importation, d' autre part, définissent les énonciations que doivent comporter les déclarations d' importation en France sous les sanctions prévues à l' article 414 du
code français des douanes, constituent-elles, au sens actuel des principes généraux du droit communautaire, des mesures de restriction quantitative prohibées par l' article 30 du traité CEE?"

Ainsi qu' il apparaît des faits que nous résumerons ci-après, cette question doit être comprise dans le sens suivant :

"L' article 30 du traité CEE doit-il être interprété en ce sens qu' il fait obstacle à ce qu' une réglementation nationale subordonne l' importation d' articles textiles en provenance de pays tiers et admis en libre pratique dans un autre État membre à la délivrance d' une licence d' importation et à la déclaration de données relatives aux marchandises importées, notamment quant à leur origine, le tout à peine d' emprisonnement, de confiscation des marchandises et d' amendes dont le montant est
fonction de la valeur des marchandises?"

Les faits

2 . Voici comment le juge de renvoi décrit les faits qui sont à la base du litige pendant devant lui . MM . Levy et Bazini, parties appelantes devant la juridiction de renvoi, ont été condamnés le 23 décembre 1985 en première instance devant le tribunal de grande instance de Paris pour s' être rendus coupables de fausses déclarations d' origine destinées à contourner une interdiction d' importation . Ils ont ainsi enfreint l' article 426, paragraphes 2 et 3, et l' article 414 du code français des
douanes . Les appelants ont été condamnés à trois mois d' emprisonnement avec sursis et au paiement à l' administration des douanes, qui s' était constituée partie civile, de deux fois la somme de 3 998 357 FF à titre de confiscation des marchandises, d' une part, et à titre d' amende, d' autre part . Cette condamnation faisait suite à une série de 22 déclarations d' importation d' articles de confection pour messieurs, dames et enfants, introduites au bureau de douane français du Bourget entre le 8
mars 1976 et le 23 mai 1977 . Ces marchandises avaient une valeur en douane de 3 998 357 FF et étaient emballées dans des cartons de "réemploi" ou dans des cartons portant l' inscription "Belgium ". Elles ont été déclarées comme étant d' origine et de provenance belges . Une enquête au siège de l' entreprise Dorotex, dont M . Bazini était le seul actionnaire et dont M . Levy était le gérant, suivie d' une demande d' entraide administrative internationale adressée aux services des douanes belges ont
abouti à la constatation que les marchandises en cause n' étaient pas d' origine belge, mais qu' elles provenaient au contraire de Corée du Sud, du Pakistan et de T' ai-wan .

La question préjudicielle et les arguments des parties

3 . Des observations ont été déposées devant la Cour par le gouvernement français et par la Commission . Le gouvernement français conclut que, d' une part, l' importation d' articles textiles originaires de pays tiers qui ont été mis en libre pratique dans un autre État membre pouvait être subordonnée à la délivrance d' une licence d' importation et que, d' autre part, les personnes qui s' étaient rendues coupables de fausses déclarations d' origine pouvaient être condamnées aux peines prescrites
par l' article 414 du code français des douanes lorsque les déclarations inexactes ou incomplètes avaient été faites à dessein et dans le but de tromper .

La Commission adopte une conclusion différente . Elle conclut en effet qu' il y a lieu de faire une distinction entre des mesures de surveillance, d' une part, et des mesures de sauvegarde qu' un État membre aurait été autorisé à prendre par la Commission, d' autre part . Lorsqu' il a seulement été habilité à exercer une surveillance sur les échanges commerciaux, un État ne serait pas autorisé à prendre, à l' encontre d' un opérateur économique qui fait de fausses déclarations, les mêmes sanctions
que celles qu' il pourrait prendre en répression d' une fraude visant à contourner ou à enfreindre une mesure de protection .

Avant de porter nous-mêmes une appréciation propre, nous reproduisons ici les raisonnements qui sont développés dans les observations du gouvernement français et dans les observations de la Commission respectivement .

4 . Le gouvernement français fonde son raisonnement sur une décision qui était en vigueur au moment des faits, c' est-à-dire en 1976-1977 . Il s' agit de la décision 71/202/CEE de la Commission, du 12 mai 1971, qui a été modifiée par la décision 73/55/CEE, du 9 mars 1973 ( 1 ). Il prend pour point de départ l' article 1er de cette décision, dont voici le texte :

"1 . Les États membres sont autorisés à subordonner l' importation de produits originaires de pays tiers et mis en libre pratique dans un autre État membre à l' octroi d' un titre d' importation lorsque :

- l' importation dans l' État membre intéressé des mêmes produits en provenance directe du pays tiers concerné est, en conformité avec le traité, soumise à des restrictions quantitatives ou à une autolimitation appliquée par le pays tiers concerné en vertu d' un accord commercial avec l' État membre intéressé, et que

- des détournements de trafic sont à craindre en raison des disparités entre ces mesures et les mesures de politique commerciale appliquées dans les autres États membres .

2 . L' État membre peut exiger du demandeur du titre d' importation toutes indications utiles concernant la désignation du produit, son origine, son prix, le volume ou le montant de l' importation envisagée ainsi que la mise en libre pratique du produit dans un autre État membre .

3 . La délivrance du titre d' importation doit intervenir dans les meilleurs délais et au plus tard dans les huit jours ouvrables après l' introduction de la demande par l' intéressé ."

Selon le gouvernement français, il ressort de cet article 1er qu' au moment des faits un État membre était fondé à soumettre les importations de produits en provenance de pays tiers mis en libre pratique dans un autre État membre à la délivrance d' une licence d' importation à condition que l' importation directe des produits en cause en provenance des États tiers concernés soit elle-même soumise dans le premier État membre à des restrictions quantitatives ou à des accords d' autolimitation, en
conformité avec le traité .

Le gouvernement français fait observer à propos de la condition visée dans la deuxième partie de la phrase précédente que les articles de confection en cause ne figurent pas dans l' annexe I au règlement ( CEE ) n° 1439/74 du Conseil, du 4 juillet 1974 ( 2 ), et qu' ils relèvent de l' arrangement multifibres conclu entre la Communauté et certains pays à bas niveau de salaires . Dans ces circonstances, la France serait en droit d' exiger des licences d' importation .

Le gouvernement français examine ensuite la question de la proportionnalité des peines prescrites par l' article 414 du code français des droits de douane en répression des délits douaniers définis à l' article 426, paragraphes 2 et 3, du même code ( 3 ). Le gouvernement français rejette la position défendue devant le juge de renvoi par Levy, qui a affirmé que les omissions ou inexactitudes commises en l' espèce ne seraient que des délits douaniers au sens de l' article 410 du même code français des
douanes et ne seraient dès lors passibles que des amendes forfaitaires énoncées par cet article ( 4 ). A l' appui de la conception qu' il défend, le gouvernement français renvoie à l' arrêt rendu le 15 décembre 1976 par la Cour de justice dans l' affaire 41/76, Donckerwolcke ( 5 ). Le gouvernement français déclare notamment que l' on a affaire dans le cas d' espèce à une intention frauduleuse et, en d' autres termes, qu' aucune bonne foi ne saurait être invoquée, de sorte qu' il serait
disproportionné d' appliquer les amendes forfaitaires plus légères instituées par l' article 410, ces amendes ne visant que des omissions commises en toute bonne foi . Le gouvernement français soutient que, dans un cas comme celui de l' espèce, il est parfaitement justifié d' appliquer les sanctions plus sévères décrétées par l' article 414, en l' occurrence une peine d' emprisonnement avec sursis et une amende égale à deux fois la valeur en douane .

5 . La Commission développe le raisonnement suivant . Elle prend pour point de départ l' arrêt que la Cour a rendu le 15 décembre 1971 dans les affaires jointes 51 à 54/71, International Fruit Company, dans lequel il a été jugé que le droit communautaire fait obstacle à l' application, dans les rapports intracommunautaires, d' une législation nationale qui maintiendrait l' exigence, même purement formelle, de licences d' importation ou d' exportation ( 6 ). Ce principe se rattache à l' article 9,
paragraphe 2, du traité, comme la Cour l' a également reconnu dans l' arrêt qu' elle a rendu le 15 décembre 1976 dans l' affaire 41/76, Donckerwolcke ( 7 ).

Toute dérogation au principe susmentionné nécessiterait une autorisation de la Commission . La Commission se réfère ici à la même décision 71/202/CEE, du 12 mai 1971, à laquelle le gouvernement français s' était lui aussi référé . La Commission fait cependant une distinction très nette entre deux situations : d' une part, la surveillance des échanges commerciaux intracommunautaires que les États membres seraient autorisés d' une manière générale à exercer en vertu de l' article 1er de cette décision
et, d' autre part, les mesures de sauvegarde qu' un État membre ne serait autorisé à prendre que sur la base d' une autorisation spécifique et expresse de la Commission .

Selon la Commission, la situation juridique serait considérablement différente selon que l' on a à faire à des mesures de surveillance ou à des mesures de sauvegarde . Dans le cadre de la surveillance qu' il exerce, un État serait en droit, comme le décrit l' article 1er de la décision susnommée, d' exiger des "titres d' importation" indiquant l' origine des marchandises telle qu' elle est connue de l' importateur; les sanctions éventuelles à appliquer en cas de déclaration fausse ne pourraient, en
toute hypothèse, pas être aussi élevées que les sanctions infligées en cas d' "importation prohibée"; en particulier, la confiscation des marchandises telle qu' elle a été infligée dans la présente affaire sur la base de l' article 414 du code français des douanes serait une sanction disproportionnée et, partant, incompatible avec le traité . La Commission fonde cette thèse principalement sur les points 36 à 38 des motifs de l' arrêt Donckerwolcke .

Dans l' hypothèse où la Commission aurait accordé, pour les marchandises en cause, une autorisation de prendre des mesures de sauvegarde, c' est-à-dire des mesures visant à exclure les marchandises en question de la libre circulation intracommunautaire, la Commission semble suggérer qu' une sanction pénale sévère du type de celle qui a été appliquée dans la présente espèce sur la base de l' article 414 du code français des douanes serait licite .

Appréciation des arguments des parties

6 . Pour pouvoir se prononcer sur la question préjudicielle déférée à la Cour, il faut, selon nous, partir du principe fondamental inscrit à l' article 9, paragraphe 2, en combinaison avec l' article 30 du traité CEE ( 8 ). Cela signifie en même temps que les dérogations éventuelles au principe de la libre circulation des marchandises, qui est applicable tant pour les marchandises mises en libre pratique dans un autre État membre que pour les marchandises produites dans la Communauté elle-même, sont
d' interprétation stricte ( 9 ).

C' est la raison pour laquelle il faut en tout cas, selon nous, souscrire à la distinction faite par la Commission dans ses observations entre, d' une part, l' hypothèse où des mesures de sauvegarde ont été autorisées par la Commission sur la base de l' article 115, paragraphe 1, du traité par dérogation au régime de la libre circulation des marchandises et, d' autre part, l' hypothèse où l' État membre exerce une surveillance des échanges commerciaux à l' intérieur de la Communauté en vue de
demander éventuellement une telle autorisation .

Dans les pages qui vont suivre, nous continuerons donc à distinguer entre les deux situations suivantes : d' une part, la situation dans laquelle, au moment de leur importation en France, cet État membre avait obtenu, pour les marchandises en cause, l' autorisation de déroger au principe de la libre circulation des marchandises et, d' autre part, la situation dans laquelle la France n' avait pas obtenu une pareille autorisation pour ces mêmes marchandises . Pour savoir de quelle hypothèse il s'
agit, le juge de renvoi devra vérifier si, pour la période concernée et pour les marchandises concrètes originaires de pays tiers déterminés, la France avait été autorisée par la Commission, sur la base de l' article 115, à prendre des mesures de sauvegarde . Des autorisations mentionnées par la Commission dans ses observations, trois semblent susceptibles d' avoir été éventuellement applicables aux marchandises concernées, fût-ce pour des périodes limitées et exclusivement pour des marchandises
originaires de Corée du Sud ( 10 ).

7 . Nous allons tout d' abord examiner l' hypothèse dans laquelle la Commission aurait délivré, pour les marchandises en cause, une autorisation de déroger au principe de la libre circulation des marchandises et nous laisserons de côté les questions relatives à la motivation et à la validité de pareilles autorisations accordées sur la base de l' article 115, questions auxquelles la Cour a déjà répondu ( 11 ) et qui n' ont d' ailleurs pas été soulevées par le juge

de renvoi .

Lorsqu' il se trouve dans une telle situation, l' État membre a le droit d' exclure de la libre circulation les marchandises en provenance du pays d' origine énoncé dans l' autorisation et de les contenir à l' extérieur de son territoire pour la durée de validité de la décision d' autorisation prise par la Commission et aux conditions définies dans cette décision . L' exécution de cette décision justifie l' exigence d' une licence d' importation . Dans un pareil cas, on pourrait comprendre que l'
État membre en question impose aux importateurs de déclarer l' origine exacte des produits importés et l' on pourrait aussi admettre la gravité d' une violation éventuelle de cette obligation ainsi que l' application de sanctions même rigoureuses en vue d' en assurer le respect ( 12 ).

Si l' on applique ce raisonnement à la question de droit qui nous occupe aujourd' hui, il semble conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour et aux principes énoncés dans le traité que, dans une situation telle que celle que nous venons de décrire, un État membre applique des sanctions sévères du type de celles qui sont prévues par l' article 414 du code français des douanes .

8 . Voyons maintenant la situation dans laquelle la Commission n' a délivré aucune autorisation ( valide ) autorisant l' État membre à prendre des mesures de sauvegarde, c' est-à-dire à exclure les marchandises en cause de la libre circulation des marchandises . Dans une telle situation, il peut tout au plus être permis à un État membre d' exercer une certaine surveillance sur le déroulement des échanges commerciaux intracommunautaires .

Il faut ici répondre à deux questions : un État membre pouvait-il, au moment des faits, exiger un titre d' importation conformément à l' article 1er, paragraphe 1, de la décision 71/202/CEE, telle qu' elle a été modifiée en 1973, et, deuxièmement, un État membre pouvait-il punir une fausse déclaration sur l' origine des marchandises faite en vue d' obtenir ce titre d' importation de sanctions telles que celles qui sont prévues en droit douanier national en cas d' "importation prohibée"?

9 . La première question porte donc sur la possibilité pour l' État membre concerné de subordonner, au moment des faits et d' une manière générale, c' est-à-dire sans spécification des produits concernés, l' importation en provenance d' un autre État membre à l' obtention d' un titre d' importation et de soumettre la délivrance de ce titre d' importation à la condition que soient fournies les données nécessaires, telles que l' origine de la marchandise à importer . Une telle possibilité repose,
comme nous l' avons dit, sur l' article 1er, paragraphe 1, de la décision 71/202/CEE ( dont le texte est reproduit au point 4 des présentes conclusions ) ( 13 ), qui autorise, d' une manière générale, les États membres à exiger un titre d' importation en vue de la surveillance des échanges commerciaux intracommunautaires, moyennant certaines conditions ( pour des produits qui sont soumis à des restrictions dans les échanges externes et pour lesquels des détournements de trafic sont à craindre ).

L' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire Donckerwolcke ainsi que les conclusions présentées par l' avocat général M . Capotorti dans la même affaire permettent de douter de la compatibilité dudit article 1er de la décision avec le traité ( 14 ). Au reste, la décision a été remplacée, ultérieurement aux faits en cause, par la décision 80/47/CEE qui a introduit des modifications importantes, de manière, notamment, à tenir compte de la jurisprudence de la Cour ( 15 ). Cette question ne se pose pas
vraiment dans le présent litige dans la mesure où l' incompatibilité éventuelle de l' article 1er de la décision 71/202/CEE avec le traité concerne la possibilité que cette décision ouvre pour les États membres de s' opposer, sans autorisation spécifique de la Commission, à l' importation de marchandises pour une durée maximale de huit jours . Eu égard à la situation de fait, l' aspect essentiel de l' article 1er qui nous concerne dans la présente procédure est l' obligation d' indiquer l' origine
du produit à l' occasion de l' importation . Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour ( 16 ) que les États membres peuvent bel et bien contraindre l' importateur à indiquer l' origine première des marchandises, même en ce qui concerne des marchandises qui ont été mises en libre pratique dans un autre État membre et qui sont couvertes par un certificat communautaire de circulation . Les États membres ne peuvent cependant pas exiger de l' importateur autre chose que d' indiquer l' origine des
produits telle qu' il la connaît ou peut raisonnablement la connaître ( voir le point 35 des motifs de l' arrêt Donckerwolcke que nous citons au point 10 ci-dessous ). Dans les limites de cette dernière restriction et eu égard à la réponse que nous allons donner immédiatement à la seconde question, les États membres ont dès lors le droit de sanctionner le non-respect d' une obligation de déclaration qu' ils auraient imposée .

10 . Il est clair qu' il faut répondre négativement à la seconde question que nous avons énoncée au point 8 à propos de la rigueur des sanctions prévues par un État membre . La jurisprudence de la Cour, et en particulier les points 35 à 38 de l' arrêt Donckerwolcke, tel qu' il a été confirmé ultérieurement ( 17 ), ne laissent aucun doute à cet égard .

Le texte des motifs de l' arrêt auquel nous nous référons est le suivant :

"que, toutefois, les États membres ne sauraient exiger de l' importateur à cet égard autre chose que d' indiquer l' origine des produits telle qu' il la connaît ou peut raisonnablement la connaître" ( point 35 );

"qu' au surplus le fait, pour l' importateur, de ne pas respecter l' obligation de déclarer l' origine première d' une marchandise ne saurait donner lieu à l' application de sanctions disproportionnées, compte tenu du caractère purement administratif de l' infraction" ( point 36 );

"qu' à cet égard, serait certainement incompatible avec les dispositions du traité, puisque équivalant à une entrave à la libre circulation des marchandises, la saisie de la marchandise ou toute sanction pécuniaire fixée en fonction de la valeur de celle-ci" ( point 37 );

"que, de manière générale, toute mesure administrative ou répressive dépassant le cadre de ce qui est strictement nécessaire à l' État membre d' importation, en vue d' obtenir des renseignements raisonnablement complets et exacts sur les mouvements de marchandises relevant de mesures de politique commerciale particulières, doit être considérée comme mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative prohibée par le traité" ( point 38 ).

La formulation claire et nette de cette jurisprudence démontre sans équivoque possible que le traité fait obstacle à l' application, dans les échanges intracommunautaires, d' une sanction pénale d' une rigueur disproportionnée - qu' il s' agisse d' une peine de privation de liberté, ou d' une confiscation, ou encore d' une amende dont le montant est fonction de la valeur des marchandises - en vue d' assurer le respect d' une obligation de nature purement administrative . Et c' est bien de cela qu'
il s' agit dans l' hypothèse qui nous occupe, à savoir de l' obligation, imposée dans le cadre de la surveillance des mouvements intracommunautaires des marchandises, de mentionner l' origine première de produits qui se trouvent en libre pratique, c' est-à-dire, en d' autres termes, de produits pour lesquels la Commission n' a donné aucune autorisation valide de prendre des mesures de sauvegarde, mais uniquement une autorisation d' exercer la surveillance susvisée .

11 . Les éléments que nous venons d' exposer n' ôtent rien à la possibilité pour les États membres de faire une distinction selon l' intention de l' importateur lorsqu' ils sanctionnent des délits douaniers de nature purement administrative . Le droit communautaire ne contient aucune indication à cet égard, pour autant, toutefois, que les États membres n' appliquent pas des sanctions pénales disproportionnées ( telles que celles qui sont énoncées au point précédent ) destinées à sanctionner des
délits douaniers graves .

Les considérations émises au point précédent n' enlèvent rien non plus à la possibilité pour les États membres d' interdire et de sanctionner, dans les limites du principe de proportionnalité, les fausses déclarations d' origine concernant des produits qui sont offerts aux consommateurs ( 18 ). Ce n' est cependant pas de cela qu' il s' agit dans la question déférée par le juge de renvoi qui concerne une fausse déclaration d' origine faite par un importateur aux autorités douanières .

Conclusion

12 . Eu égard aux observations qui précèdent, nous proposons à la Cour de répondre à la question du juge de renvoi de la manière suivante :

"S' agissant de marchandises pour lesquelles la Commission avait donné, pour la période en cause, une autorisation spécifique permettant de déroger à la libre circulation des marchandises, il était loisible à un État membre, dans les limites d' application de l' autorisation spécifique de la Commission et aux conditions prévues dans celle-ci, d' empêcher l' importation desdites marchandises bien qu' elles eussent déjà été mises en libre pratique dans un autre État membre . En pareille hypothèse, l'
État membre avait le droit de sanctionner de fausses déclarations sur l' origine de ces marchandises par des sanctions sévères telles que la confiscation des marchandises et/ou des amendes de même valeur .

S' agissant de marchandises pour lesquelles la Commission n' avait pas donné une autorisation spécifique de prendre des mesures de sauvegarde, mais uniquement une autorisation d' exercer une surveillance sur les mouvements intracommunautaires, un État membre n' avait pas le droit de sanctionner la fraude commise dans la déclaration d' origine des marchandises exigée par lui par des peines d' une rigueur disproportionnée, égales ou comparables aux sanctions évoquées dans l' alinéa précédent; une
telle déclaration d' origine n' avait en effet pour but que de permettre à l' État de surveiller les courants commerciaux intracommunautaires ."

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Publiées respectivement au JO 1971, L 121, p . 26, et au JO 1973, L 80, p . 22 .

( 2 ) Relatif au régime commun applicable aux importations ( JO 1954, L 159, p . 1 ). L' annexe I est intitulée "Liste commune de libération ".

( 3 ) Aux termes de l' article 414, sont notamment passibles d' un emprisonnement pouvant s' élever à trois mois, de la confiscation de l' objet de la fraude et d' une amende comprise entre une et trois fois la valeur de l' objet de fraude tout fait de contrebande ainsi que tout fait d' importation ou d' exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées ou fortement taxées au sens du code des douanes . Ce qu' il y a
lieu d' entendre par importation ou exportation sans déclaration de marchandises prohibées est défini notamment à l' article 426 . Aux termes du paragraphe 2, est réputée telle toute fausse déclaration ayant pour but ou pour effet d' éluder l' application des mesures de prohibition . Aux termes du paragraphe 3, sont réputées telles les fausses déclarations dans l' espèce, la valeur ou l' origine des marchandises ou dans la désignation du destinataire réel ou de l' expéditeur réel lorsque ces
infractions ont été commises à l' aide de documents faux, inexacts, incomplets ou non applicables .

Conformément à l' article 38, paragraphe 1, sont considérées comme prohibées toutes marchandises dont l' importation ou l' exportation est interdite à quelque titre que ce soit, ou soumise à des restrictions ou à des règles de qualité ( notamment ). L' article 38, paragraphe 2, dispose que, lorsque l' importation ou l' exportation n' est permise que sur présentation d' une autorisation, licence, certificat, etc ., la marchandise est prohibée si elle n' est pas accompagnée d' un titre régulier ou si
elle est présentée sous le couvert d' un titre non applicable .

( 4 ) L' article 410 punit d' une amende de 2 000 à 20 000 FF toute irrégularité qui n' est pas plus sévèrement réprimée par une autre disposition du code, et en particulier toute omission ou inexactitude portant sur l' une des indications que les déclarations doivent contenir lorsque l' irrégularité n' a aucune influence sur l' application des droits ou des prohibitions .

( 5 ) Rec . 1976, p . 1921 . Le gouvernement français se réfère en particulier au point 35 des motifs .

( 6 ) Rec . 1971, p . 1107, point 9 des motifs .

( 7 ) Rec . 1976, p . 1921, point 21 des motifs .

( 8 ) Voir les points 17 et 18 des motifs de l' arrêt Donckerwolcke, déjà cité en note 5 .

( 9 ) Voir le point 29 des motifs de l' arrêt rendu par la Cour dans l' affaire Donckerwolcke . Voir également les arrêts déjà rendus antérieurement par la Cour le 23 novembre 1971 dans l' affaire 62/70, Bock, Rec . 1971, p . 897, point 14 des motifs, et le 8 avril 1976 dans l' affaire 29/75, Kaufhof, Rec . 1976, p . 431, point 5 des motifs .

( 10 ) Il s' agit de la décision 76/839/CEE, du 9 septembre 1976 ( JO 1976, L 304, p . 29 ), de la décision 77/762/CEE, du 30 mars 1977 ( JO 1977, L 314, p . 33 ), et de la décision 77/482/CEE, du 27 mai 1977 ( JO 1977, L 198, p . 30 ). La décision 76/926/CEE, du 10 novembre 1976 ( JO 1976, L 364, p . 8 ), et la décision 77/362/CEE, du 3 mars 1977 ( JO 1977, L 138, p . 29 ), concernent des positions tarifaires de marchandises qui, selon les observations du gouvernement français, n' étaient pas
expédiées dans les cartons en question .

( 11 ) Voir l' arrêt rendu par la Cour le 8 avril 1976 dans l' affaire 29/75, Kaufhof, Rec . 1976, p . 443, point 6 des motifs, ainsi que les arrêts rendus le 5 mars 1986 dans l' affaire 59/84, Tezi I, et dans l' affaire 242/84, Tezi II, Rec . 1986, p . 916 et 933, points 43 et 51 et 52 des motifs .

( 12 ) Voir les conclusions présentées par l' avocat général M . Capotorti dans l' affaire Donckerwolcke, Rec . 1976, p . 1945, deuxième colonne .

( 13 ) Cette décision a été profondément modifiée par la décision 80/47/CEE de la Commission, du 20 décembre 1979 ( JO 1980, L 16, p . 14 ). Voir note 15 ci-dessous .

( 14 ) Rec . 1976, p . 1921, 1948-1949, repris par l' avocat général M . Warner dans l' affaire 52/77, Cayrol/Rivoira, Rec . 1977, p . 2261, 2290 . Voir à ce sujet Weber, A .: "Die Bedeutung des Art . 115 EWGV fuer die Freiheit des Warenverkehrs", EuropaRecht 1979, p . 30 et suiv ., 40-41; Kretschmer, H .: "Beschraenkungen des innergemeinschaftlichen Warenverkehrs nach der Kommisionsenstscheidung 80/47/CEE", EuropaRecht 1981, p . 63 et suiv ., 73 .

( 15 ) La décision 80/47/CEE, du 20 décembre 1979 ( JO 1980, L 16, p . 14 ), a introduit des modifications importantes sur trois points . Tout d' abord, la surveillance intracommunautaire n' est plus possible désormais qu' après autorisation spécifique donnée par la Commission ( article 2 ). Deuxièmement, la décision a défini les hypothèses spécifiques dans lesquelles une justification de l' origine peut être exigée ( article 4 ). Troisièmement, elle a limité les possibilités de différer de quelques
jours supplémentaires la délivrance des titres d' importation jusqu' à ce que la Commission ait statué sur la demande d' autorisation de prendre des mesures de protection ( article 3, paragraphe 4 ). Le 22 juillet 1987, la Commission a adopté une nouvelle décision, la décision 87/433/CEE ( JO 1987, L 238, p . 26 ), par laquelle elle a procédé à de nouvelles adaptations inspirées notamment par les arrêts Tezi que nous avons cités précédemment à la note 11 .

( 16 ) Voir l' arrêt Donckerwolcke, déjà cité à la note 5, points 33 à 35 des motifs, ainsi que l' arrêt rendu par la Cour le 30 novembre 1977 dans l' affaire 52/77, Cayrol/Rivoira, Rec . 1977, p . 2261, points 34 à 36 des motifs, et l' arrêt rendu le 28 mars 1979 dans l' affaire 179/78, Rivoira, Rec . 1979, p . 1147, points 16 et 17 des motifs .

( 17 ) Voir également l' arrêt déjà cité à la note 16 qui a été rendu dans l' affaire 52/77, Cayrol/Rivoira, points 34 à 39 des motifs, et l' arrêt rendu le 28 mars 1979 dans l' affaire 179/78, Rivoira, p . 1147, point 18 des motifs .

( 18 ) Voir l' arrêt rendu par la Cour le 25 avril 1985 dans l' affaire 207/83, Commission/Royaume-Uni, Rec . 1985, p . 1201, point 21 des motifs .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 212/88
Date de la décision : 15/06/1989
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Paris - France.

Politique commerciale commune - Mesures de sauvegarde.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : F. Levy.

Composition du Tribunal
Avocat général : Van Gerven
Rapporteur ?: Zuleeg

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1989:250

Source

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