Avis juridique important
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61988C0167
Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 11 mai 1989. - Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB) contre Office national interprofessionnel des céréales (ONIC). - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'État - France. - Agriculture - Limites quantitatives d'achat à l'intervention différenciées selon les États membres - Appréciation de validité. - Affaire 167/88.
Recueil de jurisprudence 1989 page 01653
édition spéciale suédoise page 00055
édition spéciale finnoise page 00067
Conclusions de l'avocat général
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Monsieur le Président,
Messieurs les Juges,
1 . Dans la présente procédure de renvoi préjudiciel, le Conseil d' État français a déféré à la Cour une question préjudicielle concernant la validité de quatre règlements agricoles dans le secteur des céréales .
Nous renvoyons au rapport d' audience pour la description de la réglementation en cause . Nous nous limitons ici à rappeler que le règlement ( CEE ) n° 400/86 a prévu l' application d' une mesure spéciale d' intervention consistant dans l' achat, par les organismes d' intervention nationaux, à un prix correspondant au prix d' intervention applicable pour la campagne 1985/1986, majoré de 5%, d' une quantité déterminée de froment tendre panifiable, répartie comme suit entre les divers États membres :
- république fédérale d' Allemagne 1 000 000 t .
- France 200 000 t .
- Royaume-Uni 50 000 t .
- Italie 50 000 t .
- Danemark 50 000 t .
- Belgique 50 000 t .
- Pays-Bas 50 000 t .
- Grèce 50 000 t .
- Luxembourg 2 000 t .
Conformément à l' article 3 du règlement, lorsque l' ensemble des quantités offertes dans un État membre dépasse les limites prévues, cet État doit fixer le pourcentage d' abattement à appliquer aux offres présentées par les particuliers .
La mesure spéciale d' intervention prévue au règlement ( CEE ) n° 400/86 se fonde avant tout sur l' article 8 paragraphe 2 du règlement ( CEE ) n° 2727/75 du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, tel qu' il a été modifié par le règlement du Conseil n° 1143/76 .
Cette mesure se fonde en outre sur le règlement ( CEE ) n° 1629/77 de la Commission portant modalités d' application des mesures spéciales d' intervention destinées à soutenir le développement du marché du froment tendre panifiable, adopté sur la base de l' article 8 paragraphe 4 du règlement n° 2727/75 déjà cité . L' article 2 du règlement n° 1629/77 prévoit que les mesures en question sont décidées en tenant compte des critères suivants :
"- situation et perspectives d' évolution des disponibilités en céréales sur le marché de la Communauté,
- perspectives d' importation de céréales et d' exportation de froment tendre,
- évolution des cours du froment tendre panifiable sur les places les plus représentatives de la Communauté ."
L' article 3 de ce même règlement précise en outre qu' en adoptant une mesure spéciale, la Commission doit préciser :
"- la qualité et la quantité de céréales concernées,
- le champ d' application géographique et éventuellement la durée d' application de la mesure ."
2 . A la suite de l' adoption du règlement ( CEE ) n° 400/86, l' organisme d' intervention français, l' ONIC, s' est vu offrir une quantité globale de froment de 1 699 740 t ., nettement supérieure à la limite fixée à 200 000 t . En conséquence, l' ONIC a décidé d' appliquer aux quantités offertes par les particuliers un abattement de 88,23%, conformément à l' article 3 du règlement .
L' Association générale des Producteurs de Blé ( ci-après "AGPB ") a saisi le Conseil d' État français d' un recours contre cette décision de réduction et le Conseil d' État, estimant que la légalité de l' acte contesté dépendait nécessairement de la validité du règlement communautaire dont il constituait l' application, a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour, à titre préjudiciel :
"si le règlement n° 400/86 du 21 février 1986 de la Commission des Communautés européennes, ainsi que les règlements n° 2727/75 du 29 octobre 1975 du Conseil, 1146/76 du 17 mai 1976 du Conseil et 1629/77 du 20 juillet 1977 de la Commission, méconnaissent les dispositions des articles 7, 40 paragraphe 3 et 190 du traité instituant la Communauté économique européenne ".
Pour répondre au juge national il convient d' étudier les éléments suivants :
a ) la Commission était-elle compétente pour adopter des mesures spéciales d' intervention régionalisées, c' est-à-dire différenciées pour les États membres?
b ) dans l' affirmative, les règlements du Conseil qui conféraient une telle compétence à la Commission ( règlements n°s 2727/75 et 1146/76 ) sont-ils valides?
c ) les mesures spéciales en cause sont-elles discriminatoires?
d ) le règlement qui les contient est-il suffisamment motivé?
a ) L' incompétence alléguée de la Commission
3 . La demanderesse au principal, ( l' AGPB ), soutient que le règlement n° 2727/75, tel qu' il a été modifié par le règlement n° 1143/76, n' autorise pas la Commission à adopter des mesures spéciales d' intervention régionalisées .
A l' appui de cette thèse, elle invoque la différence de formulation des paragraphes 1 et 2 de l' article 8 du règlement précité . Aux termes du paragraphe 1 :
"afin d' éviter, dans certaines régions de la Communauté, des achats importants en application de l' article 7 paragraphe 1, il peut être décidé que les organismes d' intervention prennent des mesures particulières d' intervention ".
La nature et la fonction de ces mesures sont spécifiées au huitième considérant du règlement portant modification, où l' on peut lire :
"considérant que des circonstances particulières peuvent, dans certaines régions de la Communauté, provoquer momentanément une évolution des prix de marché différente de celle observée dans le reste de la Communauté; que, pour éviter des interventions massives dans ces régions, il convient de prévoir la possibilité de prendre, à titre préventif, des mesures particulières d' intervention permettant de soulager leur marché pendant une période déterminée ".
En revanche, le paragraphe 2 de l' article 8 prévoit que :
"lorsque la situation du marché du froment tendre panifiable de la Communauté l' exige, des mesures spéciales d' intervention peuvent être décidées pour cette céréale afin de soutenir le développement de son marché par rapport au prix de référence ...".
On trouve des termes analogues dans le huitième considérant, déjà mentionné, où l' on peut lire :
"... en outre, des mesures spéciales d' intervention doivent également pouvoir être décidées pour le froment tendre panifiable au cas où les prix de marché risquent de ne plus se développer normalement par rapport au niveau du prix de référence ".
Selon l' AGPB, ces éléments de texte démontrent que le Conseil n' a attribué à la Commission le pouvoir d' adopter des mesures régionalisées que dans l' hypothèse des mesures particulières d' intervention . Dans le cas de mesures spéciales, au contraire, pour lesquelles le règlement ne prévoit pas explicitement la possibilité d' une différenciation en fonction du lieu, la régionalisation de l' intervention devrait être considérée comme tacitement exclue . En d' autres termes, l' argumentation de l'
AGPB se fonde sur la présomption que le règlement visé, lorsqu' il a voulu autoriser la Commission à adopter des mesures régionalisées, l' a fait par une disposition explicite; en revanche, là où le règlement ne prévoit pas de régionalisation, celle-ci doit être considérée comme interdite : ubi lex tacuit noluit .
4 . En l' espèce, on devra donc essentiellement se demander si, compte tenu du silence de l' article 8 paragraphe 2 du règlement n° 2727/75, l' adoption de mesures spéciales d' intervention relève ou non de la compétence d' exécution attribuée à la Commission par le Conseil .
A cet égard, il convient tout d' abord de dire que l' argument fondé sur une interprétation littérale ne nous paraît pas présenter une importance déterminante si l' on tient compte de ce que les mesures particulières sont, par leur nature même, localisées . On comprend donc aisément que, pour de telles mesures, le texte fasse référence à des situations qui peuvent se produire dans certaines régions de la Communauté, non pas tant dans le but spécifique de définir la portée territoriale des pouvoirs
de la Commission mais simplement pour décrire la mesure en cause . C' est ce qui résulte clairement de la lecture du paragraphe 1 de l' article 8 à la lumière du huitième considérant du règlement précité .
D' un autre côté, selon une jurisprudence bien connue de la Cour ( voir en dernier lieu l' arrêt du 11 mars 1987 dans les affaires jointes 279, 280, 284 et 285/84, Rau, non encore publié, point 14 des motifs ):
"la notion d' exécution doit être interprétée largement . La Commission étant seule à même de suivre de manière constante et attentive l' évolution des marchés agricoles et d' agir avec l' urgence que requiert la situation, le Conseil peut être amené, dans ce domaine, à lui conférer de larges pouvoirs d' appréciation et d' action . Dans cette hypothèse, les limites de cette compétence doivent être appréciées notamment au regard des objectifs généraux essentiels de l' organisation du marché ."
A la lumière de cette jurisprudence, il nous semble que l' interprétation littérale invoquée par l' AGPB et qui induit à une lecture restrictive des pouvoirs d' exécution conférés à la Commission à l' article 8 paragraphe 2 n' est pas compatible avec le principe d' une attribution de pouvoir virtuellement large dont s' inspire la répartition des compétences exécutives dans le cadre de la politique agricole : ce principe répond à l' exigence évidente d' assurer une gestion flexible et efficace de l'
organisation commune de marché .
C' est d' autant plus vrai que, tout bien considéré, il ne s' agit pas tant en l' espèce d' établir si la Commission dispose d' un pouvoir spécifique ( par exemple, comme dans l' affaire Rau, celui de procéder à des opérations de vente directe, à prix réduit, de beurre en stock ) que, plutôt, de vérifier si elle peut décider, sur la base de l' appréciation d' un ensemble de circonstances économiques, quelles sont les modalités les plus appropriées pour exercer une compétence qui lui appartient sans
aucun doute ( en l' occurrence, celle d' adopter une mesure spéciale d' intervention ).
C' est pourquoi, en l' espèce, le simple fait que le texte de l' article 8 paragraphe 2 du règlement ne prévoit pas une autorisation spécifique à cet égard ne constitue pas un élément décisif permettant d' arguer de l' incompétence de la Commission pour adopter des mesures spéciales d' intervention régionalisées . Au contraire, dans le silence de la règle, il convient bien plus d' estimer, conformément à la jurisprudence que nous venons de rappeler, qu' en l' absence d' une limitation explicite la
règle elle-même ne s' oppose pas à une modulation géographique de la mesure spéciale .
C' est ce que semble confirmer en outre le fait que le paragraphe 4 du même article 8, de même qu' en ce qui concerne d' autres mesures dans le cadre d' autres organisations de marché, accorde à la Commission un large pouvoir discrétionnaire d' exécution, même si ce pouvoir doit s' exercer dans le cadre de la procédure des comités de gestion . En l' espèce, cette procédure a d' ailleur été respectée, puisque la Commission a adopté la mesure litigieuse de manière régulière, c' est-à-dire seulement
après l' avoir soumise au comité de gestion et en l' absence d' avis de la part de ce dernier .
Il convient enfin de rappeler que le Conseil, auteur du règlement ( CEE ) n° 2727/75, a confirmé en substance, malgré une certaine hésitation, que, textuellement, l' article 8 paragraphe 2 n' exclut pas l' adoption de mesures spéciales régionalisées .
5 . Il convient plutôt d' examiner - en suivant la logique de l' arrêt Rau précité - si des limitations à cet égard ne peuvent pas résulter, bien plus que de la lettre de l' article 8, des objectifs poursuivis par le règlement .
A cet égard, il convient de souligner qu' en modifiant le règlement ( CEE ) n° 2727/75, le règlement ( CEE ) n° 1143/76 a complété la réforme de l' organisation commune des marchés dans le secteur des céréales, instituant un régime caractérisé par :
- la suppression de la régionalisation du prix d' intervention également pour le froment tendre;
- l' unicité du prix d' intervention des céréales dans toute la Communauté;
- le renforcement de l' unité du marché ( en ce sens que le niveau de protection externe a été élevé - par l' introduction d' un élément additionnel dans le calcul du prix indicatif - en vue de garantir une marge suffisante pour assurer la fluidité du marché et de permettre que les courants commerciaux assurent la compensation entre le surplus des zones productrices excédentaires et les besoins des zones de consommation déficitaires );
- l' encouragement à la production de froment tendre de qualité panifiable, par l' introduction d' un prix de référence, unique lui aussi, et supérieur au prix d' intervention ( 1 ).
On peut se poser ici la question suivante : les mesures spéciales d' intervention régionalisées, telles que celles contenues dans le règlement ( CEE ) n° 400/86 précité, ne risquent-elles pas de faire obstacle à la mise en oeuvre des principes d' unité des prix, d' unité du marché et de soutien du prix du froment tendre panifiable par rapport au prix de référence?
On peut en vérité remarquer qu' une mesure spéciale d' achat à l' intervention, quantitativement limitée et diversement répartie entre les États membres, se traduit en substance par un soutien et donc une distribution de revenus supplémentaire, qui n' est pas la même pour les productions de chaque État . Tel a été le cas en l' espèce, où la quantité de froment tendre panifiable ayant bénéficié de l' intervention spéciale en République fédérale a été sensiblement supérieure à celle en ayant bénéficié
dans les autres États membres; c' est particulièrement clair en ce qui concerne la France où même la production globale de céréales était, à l' époque, d' environ trois fois la production allemande .
Cet argument n' apparaît toutefois pas convaincant . Les mesures spéciales d' intervention visent à soutenir le prix du froment tendre panifiable par rapport au prix de référence unique . Dès lors que la mesure doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire ( voir le cinquième considérant du règlement ( CEE ) n° 1143/76 ), la Commission peut, plutôt que de procéder aux achats à guichet ouvert ( c' est-à-dire sans limites quantitatives ), décider de procéder à ces achats dans les limites d' un
certain plafond . Dans ces hypothèses, il est normal que le quota global puisse être réparti de manière diverse entre les États membres . En effet, les situations des marchés diffèrent en raison de l' influence de facteurs variés, tels que le volume de la production, le rendement des surfaces cultivées, les coûts de production, les débouchés possibles : en conséquence, les besoins en intervention de soutien sont également différents . C' est justement par rapport à cette exigence que la mesure
spéciale pour maintenir le prix de référence unique doit être proportionnée, en ce sens qu' il faudra intervenir plus énergiquement là où le marché s' avère le plus déprimé, alors que, manifestement, si on intervient de manière indifférenciée par rapport à des situations économiques différentes, la mesure s' avèrera "déséquilibrée" et, en fin de compte, elle aura un effet de distorsion .
Il en résulte que, lorsque la mesure spéciale consiste en une possibilité d' achat à l' intervention quantitativement limitée, il est fonctionnel, par rapport à l' objectif de soutenir le prix unique de référence communautaire, que le quota global soit subdivisé de manière diverse en fonction des exigences régionales ( bien évidemment selon des critères objectifs ). Une fois cet objectif atteint et le prix ramené au niveau désiré ( compte tenu du prix de référence ), les courants commerciaux normaux
pourront corriger, par le jeu des mécanismes du marché unique, les déséquilibres entre les zones excédentaires et les zones déficitaires .
En définitive, il nous semble qu' à la lumière des normes inscrites dans le règlement ( CEE ) n° 2727/75, y compris les règles de procédure telles qu' elles ont été modifiées par le règlement ( CEE ) n° 1143/76, ainsi qu' eu égard aux finalités propres au règlement lui-même, la Commission était compétente pour adopter les mesures spéciales d' intervention en cause .
b ) Validité du règlement du Conseil ( CEE ) n° 2727/75 dans la version du règlement ( CEE ) n° 1143/76 et du règlement ( CEE ) n° 1146/76 du Conseil
6 . La juridiction nationale demande à la Cour de se prononcer sur la validité de ces actes dans l' hypothèse où elle estimerait que ces derniers autorisent la Commission à adopter des mesures spéciales régionalisées .
Il convient avant tout de préciser que, comme cela résulte des considérations qui précèdent, le règlement du Conseil qui habilite la Commission à adopter des mesures spéciales d' intervention est le règlement ( CEE ) n° 2727/75 ( et notamment son article 8 ).
C' est uniquement sur la validité de ce règlement en tant que base juridique qu' il convient de s' interroger .
En revanche, la validité du règlement ( CEE ) n° 1146/76 ne saurait être contestée . Ce dernier n' a aucune incidence sur des questions de compétence et se borne à réglementer d' autres aspects relatifs à l' application des mesures spéciales et particulières, telles que, surtout, les modalités de remise des céréales sur le marché .
En ce qui concerne le règlement ( CEE ) n° 2727/75, il convient également de rappeler que sa validité - ou celle de certaines de ses dispositions - n' a pas réellement été contestée dans les observations écrites ou orales présentées devant la Cour . Compte tenu toutefois de la teneur de la question préjudicielle, on peut néanmoins formuler quelques considérations très brèves en ce qui concerne le respect du principe de non-discrimination et de l' obligation de motivation .
7 . Il ressort des considérations sous a ) que la possibilité de régionaliser les mesures spéciales d' intervention est objectivement justifiée par la nécessité de limiter l' intervention au minimum strictement nécessaire, compte tenu de la situation des différents marchés, et de soutenir le prix du froment tendre panifiable par rapport au niveau du prix de référence unique .
Qui plus est, dans l' arrêt du 1er juillet 1974, Union des Minotiers de la Champagne ( 11/74, Rec . p . 877 ), la Cour a reconnu le caractère non discriminatoire du régime de prix régionalisé en vigueur pour les céréales avant la réforme de 1975, au motif que le système dépendait de critères objectifs . Ce système prévoyait un mécanisme de détermination des prix d' intervention articulé par zone de production, ce qui conduisait à une fixation différenciée des prix sur une base régionale . Il s'
agissait donc d' un système dans lequel les éléments de régionalisation étaient beaucoup plus marqués que ceux prévus par le règlement ( CEE ) n° 2727/75 qui s' inspire au contraire du principe d' unicité tant du prix d' intervention que du prix de référence et qui prévoit la régionalisation en fonction de critères objectifs et exclusivement en relation avec des hypothèses spécifiques telles que, précisément, les mesures particulières et spéciales d' intervention . La solution adoptée par la Cour
dans l' arrêt précité nous semble donc devoir s' appliquer a fortiori dans le cas d' espèce .
Le fait de prévoir des mesures spéciales, régionalisées le cas échéant, n' est donc pas contraire au principe de non-discrimination et les motifs paraissent évidents, dès lors que la possibilité de régionaliser se fonde - comme on l' a vu - précisément sur les objectifs du règlement qui ressortent des considérants du règlement lui-même .
c ) Sur le caractère discriminatoire du règlement ( CEE ) n° 400/86
8 . L' AGPB estime que les mesures contenues dans le règlement n° 400/86 sont discriminatoires, en ce que la différence sensible des quantités de froment tendre panifiable admises à bénéficier de l' intervention spéciale dans les divers États membres, en particulier en France et en République fédérale, ne serait justifiée par aucune raison objective .
Il convient de préciser à cet égard que, selon une jurisprudence constante de la Cour ( voir, récemment, l' arrêt Rau déjà cité ainsi que l' arrêt du 17 juin 1987, dans les affaires 424 et 425/85, Frico, non encore publié ), l' interdiction de discrimination énoncée à l' article 40 paragraphe 3 deuxième alinéa du traité CEE en tant que spécification du principe général d' égalité, ne fait pas obstacle à ce que des situations analogues soient traitées différemment lorsqu' une telle différence de
traitement repose sur des justifications objectives .
En l' espèce, la Commission a soutenu que la différence de traitement en question était motivée par la prise en considération des aspects suivants :
- de septembre 1985 à janvier 1986, le rapport prix de marché/prix d' intervention en France a été d' environ 1% supérieur au même rapport en Allemagne;
- pendant la même période, les exportations françaises ont enregistré une évolution particulièrement favorable;
- en janvier 1986, les autorités françaises ont manifesté l' intention d' écouler une partie des stocks détenus par l' organisme d' intervention .
La réalité de ces éléments n' a pas été contestée . L' AGPB estime toutefois que leur importance a été surestimée; c' est ce qui aurait conduit à l' adoption d' une mesure qui ne reflète pas les exigences du marché et qui s' est avérée préjudiciable pour les producteurs français .
9 . Il convient de rappeler que la Commission, agissant dans le cadre des compétences d' exécution qui lui ont été conférées, dispose d' une importante marge d' appréciation discrétionnaire des faits et des circonstances . Il est évident que la Cour ne peut substituer son appréciation à celle de la Commission; toutefois, elle peut et doit vérifier, dans le cadre du contrôle de la légalité, l' existence d' éventuelles erreurs d' appréciation manifestes, ainsi que la cohérence logique du raisonnement
sur lequel se fonde l' acte .
En l' espèce, l' élément essentiel pris en compte par la Commission pour l' adoption de la mesure en cause a été l' écart d' indice des prix entre le marché allemand et le marché français . Personne ne conteste qu' il s' agit d' une différence limitée mais c' est tout de même une donnée qui démontre l' existence d' une demande un peu plus dynamique sur le marché français . D' autre part, la Cour ne dispose pas d' éléments qui lui permettent d' estimer que la Commission ait surestimé cette différence
lorsqu' elle a réparti les quotas d' intervention spéciale entre les deux pays . La pratique antérieure montre que, dans un cas, en 1980 ( 2 ), pour des écarts de prix oscillant autour des mêmes valeurs, la Commission a adopté une mesure tout à fait analogue à celle en cause ici, pour la répartition proportionnelle des quantités admises à l' intervention spéciale dans les deux pays . En revanche, en 1983 ( 3 ), face à un prix français supérieur au prix allemand de 1%, le quota d' intervention
spéciale accordé à la France a même été supérieur au quota accordé à l' Allemagne, ce qui semblerait en contradiction avec l' appréciation retenue dans la présente espèce .
Il ne faut pas oublier toutefois, que ces mesures ont été adoptées dans des contextes économiques différents, ce qui peut expliquer l' absence d' uniformité parfaite des solutions adoptées à chaque fois . D' autre part, rien ne permet d' en déduire que, dans le cas qui nous occupe, la donnée relative aux prix a été appréciée de manière erronée, donnant lieu en conséquence à une mesure injustifiée . C' est d' autant plus vrai qu' en l' espèce, l' indication résultant du facteur de prix était - comme
on l' a vu - confirmée par les prévisions favorables de l' administration française en ce qui concerne la capacité d' absorption des stocks existants par le marché national ( 4 ).
10 . Il est exact qu' après l' adoption du règlement ( CEE ) n° 400/86, les prix français n' ont pas cessé de décliner jusqu' à devenir inférieurs au prix d' intervention, alors que les prix allemands se sont relevés et qu' en outre la proportion de froment pour lequel on a demandé et obtenu le bénéfice de l' intervention spéciale en République fédérale, environ 97%, a été nettement plus élevée que celle dont a bénéficié la France, où seule une proportion de 11,7% de chaque offre a été acceptée .
Bien sûr, il s' agit d' éléments relatifs au résultat de la mesure et donc qui ne se sont révélés qu' a posteriori mais ils ne sont pas pour autant privés de toute valeur et signification . En effet, ce sont des éléments de prévision comportant en tant que tels une marge d' incertitude mais que la Commission ne pouvait raisonnablement exclure de son appréciation, d' autant plus qu' en l' espèce elle était spécialement tenue de le faire, surtout en ce qui concerne l' évolution des prix, en vertu de
la disposition précise de l' article 2 du règlement n° 1629/77 .
Néanmoins, par leur nature même, de tels facteurs ne constituent que de simples indices aux fins du contrôle de la légalité, et ils n' acquièrent une signification probante que s' ils s' insèrent dans un contexte d' ensemble suffisamment circonstancié et concluant .
En l' espèce, on l' a vu, il ne semble pas que la Commission ait apprécié de manière erronée l' évolution des marchés préalablement à l' adoption du règlement . D' autre part, l' évolution ultérieure peut vraisemblablement avoir été influencée par des circonstances qui se sont produites mais qu' il était difficile d' analyser a priori . Dans ces conditions, il nous semble que, même si l' évolution des prix et le comportement des opérateurs en France au cours des mois suivant février 1986 suscitent
quelques doutes quant au caractère approprié des mesures, ces circonstances ne permettent toutefois pas de déduire qu' au moment où elle a pris sa décision, la Commission avait procédé à une appréciation manifestement erronée .
En définitive, nous estimons que la différence de traitement prévue au règlement ( CEE ) n° 400/86 apparaît suffisamment justifiée sur le plan objectif et ne représente donc pas une discrimination illicite .
d ) En ce qui concerne la motivation
11 . Les principes résultant de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne l' obligation de motiver les règlements sont bien connus .
Nous nous bornerons à rappeler l' arrêt du 22 janvier 1986, Eridania ( 250/84, Rec . p . 117 ) et, encore plus récemment, l' arrêt du 7 juillet 1988, Moksel ( 55/87, non encore publié ) ( 5 ).
En l' espèce, la motivation de l' acte est succincte mais elle apparaît quand même plus précise que celle qu' on trouve dans des actes de contenu analogue ( voir en particulier le règlement ( CEE ) n° 533/80 déjà cité ).
Il est certain, pourtant, que le règlement ( CEE ) n° 400/86 a été adopté sur la base d' un ensemble de règlements qui précisent la fonction des mesures spéciales et, surtout, les critères dont dépend leur application .
Le règlement ( CEE ) n° 400/86, non content de se référer explicitement aux règlements de base ( considérants 1 et 2 ), spécifie également les éléments dont il a été tenu compte ( niveau des prix et possibilités de débouchés ) et qui ont justifié en l' espèce la fixation d' une quantité maximale acceptée à l' intervention pour chaque État membre .
Du reste c' est essentiellement sur ces deux aspects ( prix et possibilités de débouchés ) qu' a porté le contrôle devant la Cour .
C' est pourquoi, même si quelques détails supplémentaires eussent été souhaitables, justement pour éviter une certaine perplexité au sujet de la façon dont la Commission a exercé ses pouvoirs, il ne nous semble pas moins que la motivation de l' acte en cause est appropriée à la nature de cet acte et a satisfait à l' exigence de permettre aux intéressés de connaître la portée et la justification de la mesure et à celle de permettre à la Cour d' exercer ensuite son contrôle sur la légalité de l' acte
.
C' est pourquoi nous proposons à la Cour de déclarer qu' il n' y a pas en l' espèce d' éléments susceptibles de mettre en cause la validité des règlements dont il s' agit .
(*) Langue originale : l' italien .
( 1)Le prix de référence joue un double rôle de protection : c' est d' une part la base ( plus élevée que celle utilisée pour les autres céréales ) pour le calcul du prix indicatif et, donc, pour la détermination du niveau de protection externe; d' autre part, c' est le paramètre en fonction duquel d' éventuelles interventions de soutien ( les mesures spéciales d' intervention ) pourront être proportionnées .
( 2 ) Voir règlement ( CEE ) n° 80/533 de la Commission, du 14 mai 1980, JOCE L 138 du 4 juin 1980, page 11 .
( 3 ) Voir règlement ( CEE ) n° 1428/83 de la Commission, du 2 juin 1983, JOCE L 145 du 3 juin 1983, page 26 .
( 4 ) En revanche l' argument de la Commission selon lequel elle aurait tenu compte, comme facteur supplémentaire, de l' évolution positive des exportations françaises dans la période de septembre 1985 à février 1986 apparaît plus faible . En tant que composante externe de la demande, les exportations contribuent à la détermination du niveau de prix . On peut donc estimer que la donnée relative aux prix - sur laquelle la Commission s' est fondée - reflétait déjà l' incidence de l' exportation
pendant la période indiquée .
( 5 ) En particulier, dans l' arrêt Eridania, la Cour a établi que :
"Selon une jurisprudence constante de la Cour, la motivation, exigée par l' article 190 du traité, doit être adaptée à la nature de l' acte en cause . Elle doit faire apparaître d' une façon claire et non équivoque le raisonnement de l' autorité communautaire, auteur de l' acte incriminé, de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d' exercer son contrôle .
Il résulte en outre de cette jurisprudence, confirmée en dernier lieu par l' arrêt du 28 octobre 1982 ( Lion et Haentjens, 292 et 293/81, Rec . p . 3887 ) qu' on ne saurait exiger que la motivation des règlements spécifie les différents éléments de fait ou de droit, parfois très nombreux et complexes, qui font l' objet des règlements, dès lors que ceux-ci rentrent dans le cadre systématique de l' ensemble dont ils font partie . Par conséquent, si l' acte contesté fait ressortir l' essentiel de l'
objectif poursuivi par l' institution, il serait excessif d' exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu' elle a opérés" ( points 37 et 38 des motifs ).