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14/12/1988 | CJUE | N°247/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 14 décembre 1988., Star Fruit Company SA contre Commission des Communautés européennes., 14/12/1988, 247/87


Avis juridique important

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61987C0247

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 14 décembre 1988. - Star Fruit Company SA contre Commission des Communautés européennes. - Recours en carence d'une entreprise - Abstention de la Commission d'engager une procédure au sens de l'article 169 du traité CEE. - Af

faire 247/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00291

Conclusions de ...

Avis juridique important

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61987C0247

Conclusions de l'avocat général Lenz présentées le 14 décembre 1988. - Star Fruit Company SA contre Commission des Communautés européennes. - Recours en carence d'une entreprise - Abstention de la Commission d'engager une procédure au sens de l'article 169 du traité CEE. - Affaire 247/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00291

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

L' affaire dans laquelle nous présentons aujourd' hui nos conclusions concerne essentiellement la question de la recevabilité d' un recours introduit par une personne physique ou morale contre la Commission et ayant pour objet l' engagement - par cette institution - d' une procédure d' infraction aux règles du traité à l' encontre d' un État membre .

A - Les faits

En l' espèce également, il s' agit de l' importation en France de bananes se trouvant en libre pratique dans un État membre . La requérante, qui a porté l' affaire devant la Cour, est une société dont le siège se trouve à Bruxelles et qui est spécialisée notamment dans le commerce des fruits ( elle doit d' ailleurs être le principal fournisseur de la requérante dans l' affaire 206/87 ).

La requérante fait valoir qu' elle a été sollicitée à de nombreuses reprises par des clients français, mais qu' elle n' a pas été en mesure d' effectuer des exportations vers la France . Ses camions ont constamment été refoulés à la frontière - de sorte que les importations n' ont pu être

réalisées qu' à deux reprises - et ses clients français n' ont pas réussi, dans le cadre d' appels d' offres d' importation lancés par les administrations françaises, à obtenir des licences, lesquelles ont par contre été délivrées de manière systématique au groupement d' intérêt économique bananier ( dont il était également largement question dans la requête 206/87 ), parce que ce groupement se serait engagé à respecter une discipline des prix déterminée .

La requérante s' est, par conséquent, adressée à la Commission le 17 avril 1987, et lui a exposé la situation du marché français de la banane ( déjà décrite de manière détaillée dans l' affaire 206/87 ). De l' avis de la requérante, la République française enfreint ainsi à la fois l' article 30 du traité CEE et l' article 2 de la convention ACP-CEE du 28 février 1975, et est de ce fait tenue de dédommager la requérante pour les transactions non réalisées durant la période s' étendant du mois d'
octobre 1986 au mois d' octobre 1987 . Elle a demandé de manière formelle à la Commission d' engager, en vertu de l' article 169 du traité CEE, une procédure d' infraction ayant pour objet :

- de constater la violation du traité CEE en ses articles 30 et suivants et de la convention de Lomé, précitée, en son article 2 et son protocole n° 6;

- d' inviter l' État français à supprimer les contingents qu' il impose sur les bananes originaires ou en provenance de la Communauté économique européenne ou des États associés, ainsi que sur les bananes originaires d' un pays tiers qui se trouvent en libre pratique dans la Communauté;

- d' inviter l' État français à indemniser la requérante à raison des pertes subies à concurrence d' un montant de 87 451 400 BFR, à la suite de la non-livraison de certains envois .

Ayant eu par la suite simplement communication - par lettre d' un chef de division de la Commission du 4 mai 1987 - de ce que les services compétents de la Commission prendraient les mesures qui s' imposent et l' en tiendraient informée, la requérante a saisi la Cour de justice le 14 août 1987, et lui a déféré le présent litige .

Dans son recours - introduit en application des articles 173 et 175 du traité CEE - la requérante conclut à ce qu' il plaise à la Cour constater que la Commission s' est abstenue d' engager une procédure d' infraction contre la République française à la suite de sa demande du 17 avril 1987 ( intégralement retranscrite dans la requête ).

La Commission - comme du reste la République française admise à intervenir au soutien de ses conclusions - conclut également à l' irrecevabilité du recours et se limite, par conséquent, à présenter ses observations sur la base de l' article 91 du règlement de procédure de la Cour .

B - Appréciation

Il convient, selon nous, de répondre à la question de la recevabilité - seule à être envisagée aujourd' hui - du recours présentement en cause, de la manière suivante :

1 . Il nous paraît clair que la référence à l' article 173 du traité CEE en tant que fondement du recours est dépourvue de toute pertinence . En réalité, il n' y a pas lieu d' engager en l' espèce un recours en annulation, alors que la requérante ne précise pas l' acte de la Commission pouvant le cas échéant faire l' objet d' une annulation . C' est d' ailleurs ce que semble également admettre la requérante, lorsque, à la suite des critiques formulées sur ce point, elle s' est contentée d' indiquer
- pour toute réponse - qu' elle s' en remettait à la sagesse de la Cour en ce qui concerne la recevabilité de son recours au titre de l' article 173 du traité CEE .

La recevabilité du recours doit, par conséquent, être examinée au seul titre de l' article 175, alinéa 3, du traité CEE, aux termes duquel toute personne physique ou morale peut saisir la Cour de justice dans les conditions fixées aux alinéas 1 et 2 pour faire grief à l' une des institutions de la Communauté d' avoir manqué de lui adresser un acte autre qu' une recommandation ou un avis .

2 . Il a été précisé, à la suite des objections soulevées par la Commission en ce qui concerne les points 3 et 4 de la requête, que ces troisième et quatrième chefs de demande de la requérante - concernant l' invitation à supprimer les contingents et à indemniser la requérante adressée à l' État français - ne constituent pas des petita autonomes, mais doivent être considérés comme liés aux deux premiers chefs de demande et examinés de manière identique .

Il n' est, par conséquent, pas nécessaire de s' attarder davantage à l' opinion de la Commission selon laquelle des recours de ce type seraient irrecevables, parce que non prévus dans le système juridictionnel du traité, ce qui est fort douteux . Le noeud du problème réside davantage dans la question de savoir si les personnes physiques ou morales peuvent saisir la Cour de justice en application de l' article 175 du traité CEE, en vue d' obtenir que la Commission engage une procédure d' infraction
au titre de l' article 169 du traité CEE .

3 . Cette thèse soulève de sérieux doutes .

a ) Par cette affirmation, nous ne nous référons pas tant à des arguments qui pourraient sembler limpides lorsqu' on se rapporte à la lettre de l' article 175 du traité CEE (" avoir manqué de lui adresser ... avis ") et sur lesquels la Commission a fortement mis l' accent dans ses observations, relevant, d' une part, que, dans le cadre de la procédure fondée sur l' article 169, on se trouve uniquement en présence d' actes pris à l' égard de l' État membre concerné ( et en aucun cas d' actes qui par
leur nature et leur finalité doivent être adressés à un requérant privé ) et soulignant, d' autre part, qu' il ne s' agit pas d' actes obligatoires présentant la nature de décision ( caractère que l' avocat général Gand a considéré comme essentiel au regard de l' article 175, dans ses conclusions dans l' affaire 48/61 ) ( 1 ).

Il serait toutefois possible, en effet, de rétorquer que la Commission peut sans conteste prendre, dans le cadre de l' article 169 - où se situe précisément la clé du problème -, des actes produisant des effets juridiques, parce que la procédure débouche souvent sur la saisine de la Cour de justice en vue d' obtenir une constatation obligatoire de manquement . Il est, en outre, loisible de remarquer qu' une interprétation restrictive littérale (" avoir manqué de lui adresser ... avis ") se heurte au
fait que, selon cette thèse, les recours en carence ne pourraient avoir pour objet que l' adoption d' actes administratifs en faveur du requérant, à l' exclusion de certains actes déterminés défavorables aux tiers - alors qu' un intérêt à agir pourrait manifestement exister .

b ) Des doutes considérables s' élèvent, par contre, selon nous sous deux autres aspects .

Le système de protection juridictionnelle du traité ne prévoit manifestement pas de droit de recours général des personnes privées, mais limite celui-ci en fonction de leur intérêt particulier . Cette démarche s' exprime en ce qui concerne le recours en annulation au titre de l' article 173 du traité CEE, à travers l' exigence selon laquelle le requérant doit être individuellement et directement concerné . Le critère "avoir manqué de lui adresser ... avis" figurant à l' article 175 doit être compris
en ce sens, c' est-à-dire qu' il peut tout au plus s' agir d' actes présentant un intérêt particulier pour le requérant, mais en aucun cas d' actes de portée générale ( il n' est pas suffisant - comme l' énonce Daig dans son ouvrage "Nichtigkeits - und Untaetigkeitsklagen im Recht der europaeischen Gemeinschaften", p . 239 - qu' un requérant soit concerné par une mesure de nature collective avec d' autres personnes appartenant à un groupe identifié par des caractéristiques distinctives générales; il
doit s' agir de mesures concernant de manière spécifique la personne ou la situation du requérant ).

Dans la procédure en manquement de l' article 169 du traité CEE telle que l' envisage la requérante, lorsqu' elle demande que soit constatée la violation par la France des articles 30 et suivants du traité CEE et des conventions de Lomé, il s' agit indubitablement en dernière analyse ( si l' on garde à l' esprit les conséquences que devrait tirer la République française de l' arrêt en manquement demandé par la requérante ) d' un acte de portée générale, destiné en effet à modifier le régime des
importations en vigueur et les restrictions qu' il impose au commerce intracommunautaire . La poursuite d' un tel objectif par une entreprise privée - comme l' a déjà souligné l' avocat général Roemer dans ses conclusions dans l' affaire 103/63 ( 2 ) - peut en réalité difficilement être admise .

- Il apparaît, d' autre part, clairement - et de manière peut-être encore plus péremptoire - que, dans le système du traité tel qu' il se déduit des articles 169 et 170, seuls la Commission et les États membres sont compétents pour déférer à la Cour une violation du traité par un État membre, que le pouvoir d' appréciation discrétionnaire joue un rôle important sur ce point ( comme l' a souligné l' avocat général Gand dans ses conclusions dans l' affaire 48/65 ), et que la solution dépend également
du respect d' une procédure précontentieuse donnant la possibilité à l' État membre concerné de prendre les mesures nécessaires pour se conformer au traité en dehors de toute procédure judiciaire .

Il est difficilement compatible avec ces impératifs d' admettre qu' une personne privée intéressée puisse demander à la Commission d' engager une procédure d' infraction et, en cas de refus, saisir la Cour de justice . Une condition essentielle définie à l' article 175 du traité CEE - l' abstention de statuer en violation du traité - fait ici défaut précisément parce que la Commission n' est pas tenue d' engager une telle procédure, mais dispose pour ce faire d' un pouvoir d' appréciation
discrétionnaire . Par ailleurs, le comportement litigieux de l' État - dans l' hypothèse où la Commission estimerait qu' il n' y a pas lieu d' engager une procédure - serait d' une certaine manière déféré directement à un contrôle judiciaire ( dans le cadre, en effet, d' une procédure ayant, en quelque sorte, pour objet de contraindre l' institution à former un recours et dans laquelle serait pour le moins discutée l' existence d' indices suffisants pour que l' on se trouve en présence d' une
violation du traité ); cela signifie que l' État membre concerné n' aurait pas la possibilité - prévue à l' article 169 - de s' expliquer au préalable et de mettre fin à la violation qui lui est imputée . C' est également la thèse soutenue par l' avocat général Gand dans ses conclusions dans l' affaire 48/65, et consacrée - comme le montre Daig, op . cit ., p . 240 - dans l' opinion dominante .

C - Conclusion

4 . Eu égard aux considérations qui précèdent, force est donc de constater que le recours introduit par la société Star Fruit Company est irrecevable et de condamner la partie requérante aux dépens de l' instance, conformément aux conclusions, à l' exception bien entendu des frais engagés par la partie intervenante, puisque celle-ci n' avait pas déposé de conclusions dans ce sens .

(*) Langue originale : l' allemand .

( 1 ) Arrêt du 1er mars 1966, dans l' affaire 48/65, Alfons Loetticke GmbH et autres/Commission de la CEE, Rec . 1966, p . 27 .

( 2 ) Arrêt du 2 juillet 1964 dans l' affaire 103/63, Rhenania, Schiffahrts - und Speditionsgesellschaft mbH/Commission de la CEE, Rec . 1964, p . 839 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 247/87
Date de la décision : 14/12/1988
Type de recours : Recours en annulation - irrecevable, Recours en carence - irrecevable

Analyses

Recours en carence d'une entreprise - Abstention de la Commission d'engager une procédure au sens de l'article 169 du traité CEE.

Libre circulation des marchandises

Fruits et légumes

Relations extérieures

Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : Star Fruit Company SA
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Lenz
Rapporteur ?: O'Higgins

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:544

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