La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/1988 | CJUE | N°224/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 novembre 1988., Jean Koutchoumoff contre Commission des Communautés européennes., 30/11/1988, 224/87


Avis juridique important

|

61987C0224

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 novembre 1988. - Jean Koutchoumoff contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaire - Protection de l'article 24 du statut - Dommages-intérêts. - Affaire 224/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 000

99

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

...

Avis juridique important

|

61987C0224

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 30 novembre 1988. - Jean Koutchoumoff contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaire - Protection de l'article 24 du statut - Dommages-intérêts. - Affaire 224/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00099

Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

Par demande présentée le 4 juin 1986 en application de l' article 90, paragraphe 1, du statut, le requérant, exposant avoir subi le 2 juin 1986 une agression de la part de son supérieur, M . Wilkinson, demandait à la Commission l' ouverture d' une procédure disciplinaire contre ce dernier . A la suite du rejet implicite de cette demande, le requérant a introduit, le 27 novembre 1986, une réclamation au titre de l' article 90, paragraphe 2, du statut . Cette réclamation a, elle aussi, été
implicitement rejetée par la Commission . Le requérant a donc saisi la Cour, lui demandant en substance :

a ) d' annuler la décision de rejet de sa réclamation;

b ) de constater que la Commission n' avait pas instruit avec la diligence nécessaire les demandes qu' il avait présentées;

c ) de condamner la Commission à la réparation du préjudice moral et du préjudice matériel qu' il a subis .

I - Sur la recevabilité

La Commission a opposé au recours un véritable "tir de barrage" d' exceptions d' irrecevabilité, au point que l' examen des questions de procédure, dont certaines nous paraissent refléter un formalisme excessif et un certain esprit de chicane, finit par prévaloir sur l' appréciation du fond de l' affaire .

A - En premier lieu, la Commission fait valoir que le recours est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre une décision implicite de rejet d' une réclamation administrative, décision qui, conformément à la jurisprudence de la Cour ( voir arrêts rendus, le 28 mai 1980, dans l' affaire Kuhner, 33 et 75/79, Rec . p . 1677, et, le 9 décembre 1982, dans l' affaire Plug, 191/81, Rec . p . 4245 ), aurait un caractère inattaquable en ce qu' elle confirme purement et simplement l' acte précédent -
ou l' abstention - faisant déjà l' objet de la réclamation .

Il ne nous semble pas que cette exception puisse être accueillie . Tout d' abord, il résulte tant des conclusions du recours que, surtout, de la partie qui en expose les motifs que le véritable objet de l' action est, en l' espèce, la décision de la Commission de ne pas accorder à l' intéressé l' assistance réclamée en vertu de l' article 24 du statut . Dès lors, on peut, selon nous, estimer que le requérant a voulu attaquer les deux actes dans lesquels - ainsi qu' il résulte du recours lui-même -
ce refus d' assistance s' est concrétisé : c' est-à-dire aussi bien le rejet implicite de la demande du 4 juin 1986 que le rejet, également implicite, de la réclamation ultérieure du 27 novembre 1986 .

Mais permettez-nous d' ajouter quelques réflexions de caractère plus général sur l' argumentation de la Commission . Il ne fait aucun doute que le rejet d' une réclamation administrative confirme la décision précédente ayant déjà fait l' objet de la réclamation . Ce qui, toutefois, ne nous semble pas pertinent est la transposition à la décision qui rejette la réclamation du principe de procédure selon lequel les actes purement confirmatifs ne sont pas attaquables . Comme on le sait, en effet, ce
principe tend à éviter que l' on tourne l' impossibilité d' attaquer l' acte devenu définitif en raison de la prescription des délais de recours . Tel serait concrètement le cas si le destinataire d' une décision déjà définitive cherchait, en présentant une nouvelle demande, à obtenir une décision de contenu identique à la première, contre laquelle intenter ensuite un recours juridictionnel . Or, force est de constater qu' en introduisant une réclamation administrative en temps utile, le
fonctionnaire ne vise évidemment pas à tourner par un artifice la réglementation d' ordre public qui définit les délais de recours des actes . Bien au contraire, l' introduction préalable d' une réclamation administrative représente une obligation que celui-ci est tenu de remplir en application du statut pour conserver la faculté de saisir ensuite la Cour . De même, la décision de rejet de la réclamation ne peut pas être considérée comme un moyen pour l' intéressé de se créer de façon détournée une
voie de recours contentieuse dont il serait sans cela forclos, mais plutôt comme une condition essentielle de recevabilité dudit recours ( article 91, paragraphe 2, du statut ).

A la lumière de ces considérations, on ne peut, à notre avis, partager la thèse du caractère inattaquable en soi de la décision de rejet de la réclamation, dans la mesure où elle ne fait que confirmer l' acte attaqué . Cela, du reste, paraît parfaitement conforme également à la lettre du statut qui, à l' article 90, paragraphe 2, stipule que la décision implicite de rejet est "susceptible de faire l' objet d' un recours" juridictionnel .

Peut-être est-il ensuite opportun de rappeler que, dans certains ordres juridiques comme les ordres juridiques italien et français, qui, pourtant, prévoient ou ont prévu le système de la "réclamation administrative préalable obligatoire", le fait que les décisions de rejet d' une réclamation - qu' elles soient implicites ou explicites - soient susceptibles de recours n' a jamais fait de doute ( 1 ).

Quant aux arrêts cités des 28 mai 1980 et 9 décembre 1982, il ne nous semble pas qu' ils aient la portée que la Commission leur confère . En effet, dans l' affaire Kuhner, il y avait eu deux décisions de rejet de la réclamation, l' une implicite et l' autre, ultérieure, explicite, et deux recours juridictionnels distincts dirigés respectivement contre les décisions précitées de rejet . Dans cette affaire, la Commission avait, à juste titre, invoqué le caractère confirmatif de la seconde décision de
rejet par rapport à la première et, en conséquence, l' irrecevabilité du second des deux recours . Mais il s' agissait d' une affaire différente de l' espèce actuelle, tant parce qu' elle était relative à deux décisions de rejet d' une seule réclamation ( et non à deux décisions de rejet concernant l' une la "demande" et l' autre la "réclamation ") que parce qu' il y avait deux recours juridictionnels distincts, mais identiques en substance, le second étant irrecevable en vertu du principe ne bis in
idem .

Quant à l' arrêt Plug, il y a lieu d' observer que, dans cette affaire, la demande juridictionnelle d' annulation de la décision implicite de rejet de la réclamation avait le même contenu que d' autres demandes dirigées, dans le cadre du même recours, contre les décisions de base qui avaient fait l' objet de la réclamation . Dans cette affaire, donc, pour des raisons d' économie de procédure, il était possible de faire abstraction de la première demande et de se prononcer sur le fond seulement sur
les autres demandes, qui avaient, en tout état de cause, le même objet .

En conclusion, dans ces deux précédents, le recours ( ou la demande ) dirigé contre la décision de rejet de la réclamation constituait la répétition d' un autre recours ( ou d' une autre demande ) contentieux . Cela veut dire que l' irrecevabilité du premier - la Cour se prononçant en tout état de cause sur le second - n' avait pas pour conséquence de paralyser totalement la voie juridictionnelle, comme cela serait au contraire le cas en l' espèce .

Il convient de rappeler, enfin, qu' à côté de ces précédents il y en a d' autres, dans lesquels ni la Commission ni la Cour n' ont eu de doute sur la recevabilité des recours qui avaient exclusivement pour objet une décision de rejet d' une réclamation ( pour un exemple particulièrement proche du cas d' espèce, voir arrêt du 14 juin 1979, Mme V ., 18/78, Rec . p . 2093 ).

B . En second lieu, la Commission fait remarquer que, dans la réclamation administrative, le requérant ne s' est pas fondé explicitement sur l' article 24 du statut ni n' a formulé la moindre demande de dommages et intérêts . Le recours introduit par la suite serait donc, en tout ou en partie, irrecevable, dans la mesure où il introduit un fait nouveau ( respectivement : la violation de l' article 24 et la demande de réparation ) qui n' avait pas fait l' objet de la phase précontentieuse .

Nous dirons tout de suite que ces moyens de procédure sont le reflet d' une interprétation trop formaliste du principe de l' identité d' objet et de cause entre la réclamation administrative et le recours juridictionnel ultérieur, une interprétation qui ne nous semble pas conforme à l' esprit des règles du statut, tel qu' il a été précisé par la jurisprudence de la Cour .

Il y a lieu de formuler à cet égard les observations suivantes . La forme et le contenu de la réclamation n' ont pas un caractère rituel . La Cour a, de fait, souligné ( arrêt rendu le 9 mars 1978 dans l' affaire Herpels, 54/77, Rec . p . 585 ) que, "au stade de la phase précontentieuse organisée par l' article 90 du statut, il s' agit d' un débat entre le fonctionnaire, agissant sans ministère d' avocat, et l' administration"; il s' ensuit que "les réclamations éventuelles ne sont soumises à aucune
condition de forme et que leur contenu doit, ainsi que la Cour l' a plusieurs fois déclaré, être interprété et compris par l' administration avec toute la diligence qu' une grande organisation bien équipée doit à ses justiciables, y compris les membres de son personnel" ( attendus 46 et 47 ).

Cela est du reste cohérent avec l' objectif, propre à la phase précontentieuse, de permettre à l' institution de connaître l' objet essentiel des doléances ou des désirs du fonctionnaire afin de permettre que les différends éventuels soient réglés à l' amiable et au sein de l' administration elle-même, sans qu' il soit nécessaire de recourir au contrôle juridictionnel .

Le principe de l' identité d' objet et de cause entre la réclamation et le recours ne peut donc être interprété de façon à ce point rigoureuse qu' elle altère la nature de la procédure de l' article 90, paragraphe 2, du statut, transformant un instrument qui a été conçu comme un simple "préliminaire de conciliation" en une sorte d' anticipation sur l' instance contentieuse ultérieure .

Il en résulte - comme la Cour l' a souligné à maintes reprises ( voir arrêts des 23 janvier 1986, Rasmussen, 173/84, Rec . p . 197, 7 mai 1986, Rihoux, 52/85, Rec . p . 1555, 23 octobre 1986, Schwiering, 142/85, Rec . p . 3199, et 20 mai 1987, Geist, 242/85, Rec . p . 2181 ) - que le contenu de la réclamation ne lie pas de manière définitive et rigoureuse l' éventuelle phase contentieuse, l' intéressé pouvant préciser et développer devant les juges les griefs déjà exposés dans la phase précédente en
présentant des moyens et arguments qui, s' ils ne figurent pas dans la réclamation elle-même, y sont étroitement liés . En d' autres termes, cela signifie que le fonctionnaire n' est pas tenu de spécifier dans sa réclamation l' ensemble des implications technico-juridiques de sa demande; il incombe plutôt à l' institution - qui a la possibilité et le devoir de le faire - de déduire et d' apprécier ces implications "avec toute la diligence qu' une grande organisation bien équipée doit à ses
justiciables ". Il y a lieu d' en conclure que, au cours de la phase contentieuse, les demandes et moyens nouveaux sont recevables à condition d' être objectivement liés au contenu de la réclamation soumise précédemment à l' examen de l' administration .

En raisonnant a contrario, il convient, ensuite, d' observer qu' une solution différente, qui mettrait l' accent sur la charge qui incombe au fonctionnaire de préciser le contenu de la réclamation, risquerait de se répercuter de manière inéquitable sur la protection de ses droits . D' une part, en effet, celui-ci serait tenu d' exposer déjà dans sa réclamation l' ensemble des demandes et moyens qu' il entend éventuellement présenter à nouveau au cours de la phase contentieuse; d' autre part, l'
institution pourrait aisément se borner à rejeter la réclamation ( comme, du reste, une éventuelle demande préalable ) implicitement, évitant donc tout à fait de se prononcer sur le contenu de celle-ci, mais conservant, par ailleurs, la possibilité d' empêcher tout recours ultérieur en faisant valoir l' irrecevabilité des moyens non développés dans la phase précontentieuse .

A la lumière de ces remarques préliminaires, nous examinerons chacune des exceptions d' irrecevabilité susmentionnées . En ce qui concerne l' exception fondée sur l' absence dans la réclamation de référence explicite à l' article 24 du statut, il suffit d' observer que cette absence ne paraît pas déterminante dans la mesure où, au cours de la phase précontentieuse, le requérant, invoquant une agression de la part de son supérieur hiérarchique et demandant à la Commission d' intervenir par voie
disciplinaire, avait implicitement réclamé l' assistance de la Commission pour l' offense subie . Il y a donc lieu de rejeter cette exception .

En ce qui concerne l' exception fondée sur le caractère nouveau de la demande de réparation des dommages subis, il résulte du recours et, plus clairement, du mémoire en réplique, que ladite demande s' articule en réalité en trois chefs distincts . Nous les examinerons séparément .

a ) En premier lieu, le requérant, se fondant sur l' article 24, alinéa 2, du statut, fait valoir la responsabilité solidaire de l' institution pour le préjudice que lui a causé l' auteur de l' agression . L' obligation de réparation prévue par la disposition précitée n' est qu' une manifestation du plus large devoir d' assistance auquel l' administration est tenue à l' égard des fonctionnaires . Or, comme il a été souligné plus haut, c' est justement au respect de ce devoir que le requérant avait
rappelé la Commission dans sa réclamation . Par conséquent, il ne nous semble pas qu' en invoquant devant la Cour l' obligation spécifique d' indemnisation, il a réellement introduit un fait nouveau par rapport au domaine objectif de la phase précontentieuse . Du reste, nous croyons qu' il y a lieu de reconnaître que la Commission était parfaitement en mesure de savoir que la demande d' assistance formulée de manière générale dans la réclamation pouvait avoir, en vertu de l' alinéa 2 de la
disposition précitée du statut, des conséquences quant à la réparation des dommages subis .

b ) En second lieu, le requérant fait valoir la responsabilité de la Commission pour le préjudice que lui a causé la décision de rejet de sa réclamation : décision qu' il estime viciée pour violation de l' article 24 du statut . Il ne fait aucun doute qu' aucune demande de réparation ayant un tel objet n' a été formulée dans la réclamation . Il est cependant également incontestable que la demande de dommages et intérêts a un caractère accessoire par rapport à la demande visant à l' annulation de l'
acte faisant grief, étant fondée sur la même causa petendi ( la violation de l' article 24 du statut ). Cette relation étroite est, du reste, confirmée par le fait qu' une éventuelle irrecevabilité de la demande d' annulation aurait comme conséquence inévitable l' irrecevabilité de l' action en indemnisation . Nous dirons donc que, pour que cette dernière soit recevable, il suffit que "la non-validité du même acte qui est ensuite attaqué au stade juridictionnel ait été invoquée dans le cadre de la
réclamation administrative" ( voir en ce sens les conclusions de l' avocat général M . Capotorti dans l' affaire Curtis, 167/80, Rec . 1981 p . 1533, arrêt du 4 juin 1981, Rec . p . 1499 .).

Cela est, du reste, conforme à ce qui a été observé plus haut quant à la nature et à la finalité du système des voies de recours statutaires . En effet, une fois que le fonctionnaire a invoqué dans sa réclamation l' illégalité d' un acte, l' administration ne peut pas ne pas être au courant du fait que cette illégalité, si elle est établie, peut entraîner sa responsabilité pour les conséquences préjudiciables découlant de l' acte en question . La Cour s' est exprimée en ce sens dans l' arrêt qu'
elle a rendu le 22 octobre 1975 dans l' affaire Meyer-Burkhardt ( 9/75, Rec . p . 1171 ), où elle a exposé que, en cas de rejet d' une réclamation relative à la légalité d' un acte faisant grief, il est loisible à l' intéressé de soumettre à la Cour le litige portant aussi bien sur la légalité de l' acte lui-même que sur les éventuelles conséquences pécuniaires . L' arrêt rendu le 9 mars 1978 dans l' affaire Herpels ( 54/77, Rec . p . 585 ) est encore plus explicite : s' agissant de la recevabilité
de la demande de réparation qui n' avait pas été formulée dans la réclamation administrative antérieure, la Cour a observé :

"... il ressort de la requête que cette demande n' a été formulée que pour le cas d' une annulation du refus attaqué, de sorte qu' elle n' avait pas besoin d' être déjà expressément mentionnée dans les réclamations que le requérant a adressées à la défenderesse;

que, par ailleurs, il importe que la Cour puisse se prononcer sur la justification de demandes d' une telle nature;

qu' il convient donc de recevoir la demande en réparation de préjudice ".

Il est vrai que, dans son arrêt du 4 juillet 1985 ( Ammann, 174/83, Rec . p . 2133 ), la Cour a statué différemment en concluant à l' irrecevabilité d' une demande de réparation ( du dommage résultant de l' incidence de la dévaluation monétaire sur des droits pécuniaires payés avec retard ) non formulée dans la réclamation préalable . Il est toutefois singulier qu' une telle conclusion soit motivée par référence à un attendu de l' arrêt Meyer-Burckhardt, qui - comme on l' a vu - parvenait, sur ce
point, à une solution opposée en excluant la recevabilité du recours à la fois en indemnisation et en annulation, dans la seule mesure où celui-ci n' avait pas été introduit dans le délai de trois mois après le rejet de la réclamation . Mais, mis à part cette singularité, il reste que la position adoptée dans l' arrêt Amman apparaît inspirée par une conception très rigide de la règle de correspondance entre la phase précontentieuse et la phase contentieuse . Cette conception risque, comme on l' a
vu, d' alourdir la charge incombant au fonctionnaire, sans toutefois restreindre la grande liberté, de forme et de contenu, dont jouit l' administration dans la réponse qu' elle donne aux réclamations administratives . Il nous semble donc préférable de considérer l' arrêt Amman comme un cas isolé et non comme le signal d' un revirement jurisprudentiel par rapport à la position adoptée dans les affaires Meyer-Burckhardt et Herpels .

Nous estimons, par conséquent, que la demande d' indemnisation formulée par le requérant et fondée sur l' illégalité de la décision de rejet prise par la Commission à son égard est recevable .

Il y a lieu d' observer, en outre, que la Commission soulève l' irrecevabilité de cette demande spécifique en dommages et intérêts également du fait de son caractère accessoire par rapport à une demande d' annulation irrecevable elle aussi . Il s' agit, évidemment, d' un grief qui n' est pas fondé, dans la mesure où la demande d' annulation est, comme nous l' avons vu, recevable . De plus, il nous semble que, en soulignant le caractère accessoire d' une demande par rapport à l' autre, la Commission
affaiblit sa thèse sur la nécessité de formuler déjà dans la réclamation la demande d' indemnisation .

c ) Enfin, le requérant demande la réparation du préjudice causé par la négligence dont a fait preuve l' administration dans l' instruction de la demande qu' il lui avait présentée . Il s' agit d' une demande en indemnisation, distincte des deux précédentes, fondée sur la responsabilité de l' administration non pas du fait d' un acte illégal, mais plutôt du fait d' un comportement fautif constitué d' une manière générale par le retard à prendre certaines mesures .

Une telle action en dommages et intérêts a, selon la jurisprudence de la Cour, un caractère autonome ( voir arrêt du 13 juillet 1972, Heinemann, 79/71, Rec . p . 579, et en particulier, les conclusions de l' avocat général M . Roemer ) et est "subordonnée à des conditions d' exercice conçues en vue de son objet ". Elle "n' est pas soumise aux délais de l' article 91 du statut" ( dans l' arrêt du 28 mai 1970, Richez-Parise, 19, 20, 25 et 30/69, Rec . p . 325, la Cour a, par exemple, jugé recevable
une demande de réparation pour faute de l' administration, qui avait été présentée au stade de la réplique ); en outre, "s' agissant en l' espèce d' un recours de pleine juridiction, la Cour, même en l' absence de conclusions régulières, est investie du pouvoir ..., s' il y a lieu, de condamner d' office ( l' administration ) au paiement d' une indemnité pour le préjudice causé par sa faute de service" ( voir arrêts du 9 juillet 1970, Fiehn, 23/69, Rec . p . 547, et du 27 octobre 1987, Houyoux, 176
et 177/86, Rec . p . 4333 ).

Sur la base de ces éléments, nous pensons que l' on peut conclure, sans plus, que le requérant n' était pas tenu de formuler cette demande spécifique d' indemnisation au cours de la phase précontentieuse, d' autant plus que, à y bien regarder, au moment de la présentation de la réclamation, la faute que constitue le fait qu' elle a été instruite avec négligence ne pouvait pas encore avoir été consommée .

Toujours eu égard à l' action en dommages-intérêts, la Commission observe également qu' en modifiant la demande d' indemnisation au stade du mémoire en réplique en portant son montant de 2 500 à 6 050 écus, le requérant a introduit une demande nouvelle et, par conséquent, irrecevable . Force est d' observer, toutefois, que, dans la réplique, le requérant n' a pas fait valoir, à l' appui du préjudice dénoncé, des moyens différents de ceux indiqués, même si c' est en termes vagues, dans l' acte
introductif d' instance, à savoir, la responsabilité solidaire de la Commission sur la base de l' article 24 du statut, la violation du devoir d' assistance et la négligence dans l' instruction du dossier . Il a simplement précisé ces moyens, en parvenant à une évaluation différente, plus élevée, du préjudice . Il ne s' agit donc pas d' une demande nouvelle ( mutatio libelli ), ni d' une modification substantielle de la demande initiale, mais plutôt d' un simple amendement à cette dernière qui n' en
modifie ni la cause ni l' objet et qui, partant, n' a pas pour conséquence d' ouvrir un nouveau domaine d' enquête et donc de rendre plus difficile la défense de la partie adverse . En effet, cette dernière n' a même pas dû rectifier sa ligne de défense, puisqu' elle s' est bornée à reprendre, dans la duplique, les arguments déjà exposés sur le caractère non fondé des griefs et des prétentions du requérant .

Nous estimons donc conforme à la justice ainsi qu' aux principes qui régissent le bon déroulement du procès d' admettre la recevabilité de la demande d' indemnisation telle que modifiée dans le mémoire en réplique .

C - Et nous en venons à la dernière exception d' irrecevabilité soulevée par la Commission .

La Commission fait valoir que le recours serait irrecevable, dans la mesure où il vise à obtenir que la Cour impose l' obligation à la Commission d' ouvrir une procédure disciplinaire .

Toutefois, comme nous l' avons relevé plus haut, la demande spécifique de mesures disciplinaires à l' encontre de M . Wilkinson, formulée par le requérant dans sa demande et dans sa réclamation, doit être considérée comme se situant dans le cadre d' une demande, plus large, visant à obtenir l' assistance effective de la Commission . Il y a donc lieu de comprendre le recours juridictionnel ultérieur comme destiné à constater l' illégalité, pour violation de l' article 24 du statut, des décisions de
rejet de la demande et de la réclamation . L' exception ne nous semble donc pas fondée .

Par ailleurs, nous tenons à relever qu' en tout état de cause l' exercice de l' action disciplinaire ne devrait pas être - comme l' affirme la Commission - absolument discrétionnaire . Ainsi, nous estimons, par exemple, que la Cour pourrait juger illégale l' absence d' ouverture d' une procédure disciplinaire contre un fonctionnaire dans le cas où il s' avérerait que cette décision reflète une partialité de l' administration en faveur dudit fonctionnaire .

II - Sur le fond

Sur le fond, le requérant fait valoir que :

a ) la décision de rejet de la réclamation est incompatible avec l' article 24 du statut;

b ) en tout état de cause, le manque de diligence avec lequel la Commission a instruit sa demande représenterait un comportement illicite .

En conséquence, des moyens exposés sous a ) et b ), il demande, en outre, que la Commission soit condamnée à réparer le préjudice matériel et moral qu' elle lui a causé .

En ce qui concerne le moyen exposé sous a ), il ne nous semble pas que, en l' espèce, le requérant puisse légitimement invoquer une violation du devoir d' assistance de la part de l' institution concernée . En effet, la Commission a tenu compte, à juste titre :

- du fait que le requérant lui-même a reconnu, dans sa demande, avoir été à l' origine de l' épisode litigieux par son refus - par ailleurs contraire aux règles de service - de signer l' accusé de réception de ses rapports de notation pour les périodes 1981 à 1983 et 1983 à 1985, réception qu' il avait, du reste, déjà auparavant systématiquement évitée;

- de la circonstance que, bien qu' ayant sollicité l' intervention de l' administration en sa faveur, il avait ensuite refusé de prêter à son tour tout concours, en ne fournissant, ni dans la demande ni dans le cadre de l' instruction de la réclamation, aucun élément susceptible de prouver la véracité de sa propre version des faits, et en particulier ses assertions quant au comportement violent de son supérieur hiérarchique .

Il est vrai que le requérant a tenté de justifier le fait qu' il n' ait pas cité de témoins au cours de la phase administrative par la crainte de possibles pressions de la Commission sur ces mêmes témoins . On ne peut exclure que cette crainte puisse être réelle . Néanmoins, il y a lieu de relever que de telles pressions, si elles avaient existé - comme, du reste, toute autre carence de l' instruction administrative -, trouveraient leur remède naturel dans le cadre d' ensemble des moyens de recours
prévus par le statut, mais ne pourraient, en tout état de cause, dispenser le fonctionnaire de la charge de prouver le bien-fondé de ses affirmations . En outre, il convient de préciser que, dans le cas d' espèce, le risque de pressions de la part de la Commission pourrait tout au plus justifier la réticence manifestée par le requérant au cours de la phase administrative, mais non la circonstance que celui-ci, même au cours de la procédure contentieuse ultérieure, n' ait pas avancé le moindre
élément à l' appui de ses arguments, et en particulier de la demande d' assistance adressée à l' administration . Il nous semble, par conséquent qu' il est possible de conclure qu' en rejetant la réclamation du requérant la Commission n' a pas violé l' article 24 du statut .

Nous ne croyons pas non plus que l' on puisse considérer que cette décision de rejet a comporté en l' espèce une violation du devoir de sollicitude, entendu, selon la jurisprudence de la Cour ( voir arrêt du 23 octobre 1986, Schwiering, 321/85, Rec . p . 3199 ), comme obligation de tenir compte, lors de l' adoption d' une décision, non seulement de l' intérêt du service, mais également de celui du fonctionnaire intéressé . En fait, ainsi qu' il résulte de la lettre envoyée le 15 mai 1987 par M .
Hay, directeur général de la direction générale du personnel et de l' administration, la Commission a jugé que l' importance de tout l' incident devait être ramenée à de justes proportions et si elle a, d' une part, rejeté la demande du requérant, elle a, d' autre part, également décidé de ne pas donner suite à la demande d' ouverture d' une procédure disciplinaire contre ce dernier . Compte tenu du fait que le requérant lui-même avait reconnu dans sa demande avoir refusé de signer l' accusé de
réception de ses rapports de notation - fait qui constitue une violation d' une obligation de service -, il nous semble que l' on peut conclure que la Commission a, dans l' ensemble, tenu compte de l' intérêt du requérant en décidant de ne prendre en l' espèce aucun type de mesure, ni favorable ni défavorable, à son égard .

Quant au moyen exposé sous b ), relatif à la violation du devoir de diligence de la part de la Commission, nous devons souligner, de manière générale, qu' en présence d' incidents qui troublent la régularité du service l' institution est tenue d' intervenir en procédant à des vérifications en temps utile, de manière approfondie et impartiale et en adoptant les mesures appropriées ( voir arrêt du 14 juin 1979, Mme V ., 18/78, Rec . p . 2093 ). En cas d' événements de ce genre, l' administration ne
devrait donc pas se limiter à de pures constatations préliminaires, consistant à recueillir les déclarations opposées des parties intéressées, mais devrait procéder à des vérifications objectives, afin de pouvoir fonder sur des convictions plus solides ses propres appréciations et décisions .

Il y a lieu de constater que, dans le cas d' espèce, la Commission n' a pas cherché à opérer des vérifications de ce type; en outre, il aurait été au moins souhaitable que la Commission convoque plus rapidement les fonctionnaires intéressés, au lieu de le faire seulement après la présentation de la réclamation, et fasse explicitement part au requérant de sa propre appréciation des faits .

Cela étant, toutefois, il convient de considérer que l' institution jouit d' un certain pouvoir discrétionnaire pour définir quelle est la procédure d' enquête à suivre dans une hypothèse déterminée; elle est en effet seule à pouvoir évaluer l' opportunité de son action, compte tenu, également, du contexte dans lequel celle-ci est destinée à se dérouler .

Or, comme nous l' avons relevé plus haut, dans ce cas particulier, la Commission, en se basant sur les éléments qui ont été fournis par les intéressés, a jugé qu' il convenait - et cela également, en définitive, dans l' intérêt particulier du requérant - de ramener à sa juste valeur l' importance de l' incident . La Commission a, certes, été confortée dans cette opinion par le fait que, comme on l' a vu, tout au long de la phase précontentieuse, comme, du reste, également devant la Cour, il n' est
apparu aucun élément de nature à attribuer à l' épisode une importance réellement susceptible d' altérer le déroulement régulier du service .

De ce point de vue, il nous semble qu' il existe une différence significative par rapport à l' affaire précitée Mme V ., où il s' avérait avec certitude qu' une violente altercation s' était produite entre fonctionnaires, lesquels en avaient également gardé des lésions personnelles et où, par conséquent, le fait que la Commission n' ait pas procédé à de promptes vérifications représentait, comme l' a relevé la Cour, une omission fautive . Mais il est évident que, dans cette affaire, il s' agissait
d' un événement qui, déjà à première vue, revêtait une tout autre gravité, également sous l' angle des responsabilités éventuelles des fonctionnaires impliqués .

Par contre, il ne nous semble pas que les faits de l' espèce, ainsi qu' ils ont été présentés par les parties, étaient de nature à ne laisser à la Commission aucun choix quant à l' accomplissement d' enquêtes et vérifications . Et cela, à plus forte raison dans la mesure où l' institution avait estimé que, dans une telle situation, il était, en tout état de cause, préférable d' éviter d' adopter quelque mesure que ce soit à l' égard des intéressés .

Par conséquent, même si elle avait pu - et dans d' autres circonstances aurait certainement dû - pousser plus à fond son enquête, nous sommes d' avis que, dans le cas du présent recours, l' institution est restée dans les limites du pouvoir d' appréciation discrétionnaire des faits et des situations dont elle dispose et que, en définitive, il n' est pas possible de lui imputer une véritable violation du devoir de diligence .

Il est évident enfin que, dans la mesure où il n' y a rien d' illicite dans l' action de la Commission, la demande de réparation des dommages subis doit être rejetée .

III - Sur les dépens

La Commission a demandé la condamnation du requérant au paiement de la totalité des dépens, en raison du caractère vexatoire du recours . Nous croyons que la demande doit être rejetée, non seulement parce que, à notre avis, la Commission a succombé sur les nombreuses questions de recevabilité qu' elle a soulevées, mais également parce qu' il existait un intérêt objectif à ce que la Cour examine, dans un cas aussi délicat, si l' institution s' était maintenue dans les limites de la diligence normale
dans l' instruction de la demande présentée par le requérant .

Sur la base de tous les arguments exposés ci-dessus, nous concluons en proposant à la Cour de :

a ) déclarer le recours recevable;

b ) le rejeter au fond;

c ) déclarer que chacune des parties supportera ses propres dépens .

(*) Traduit de l' italien .

( 1 ) Voir Chapus, R .:, Droit du contentieux administratif, Paris, 1982, p . 202; Cassarino, S .: Il processo amministrativo, Milan, 1984, p . 1160; et Cannada Bartoli, dans le même sens, E .: Encyclopédie du droit, p . 856 . Pour la jurisprudence, voir Conseil d' État Sect . 30 mars 1973, Gen, p . 269, AJDA 1973, p . 268, conclusions de G . Guillaume, et Consiglio di Stato, VI, 3 mars 1970, n° 185 . Il est clairement établi, même si les motivations avancées sont différentes, que la décision de
rejet de la réclamation - qu' elle soit implicite ou explicite - est susceptible de recours : on fait valoir, d' une part, le caractère substitutif de la décision de rejet par rapport à la décision initiale et, d' autre part, son caractère nouveau du fait qu' elle émane d' un organe différent de celui qui a adopté la décision initiale et qu' elle a été prise, par hypothèse, à la suite d' une enquête ad hoc et d' une nouvelle appréciation du droit et des faits .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 224/87
Date de la décision : 30/11/1988
Type de recours : Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaire - Protection de l'article 24 du statut - Dommages-intérêts.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Jean Koutchoumoff
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Tesauro
Rapporteur ?: Grévisse

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:519

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award