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29/11/1988 | CJUE | N°274/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 29 novembre 1988., Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne., 29/11/1988, 274/87


Avis juridique important

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61987C0274

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 29 novembre 1988. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Libre circulation des marchandises - Interdiction d'importation de produits à base de viande non conformes à la régleme

ntation allemande. - Affaire 274/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00...

Avis juridique important

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61987C0274

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 29 novembre 1988. - Commission des Communautés européennes contre République fédérale d'Allemagne. - Libre circulation des marchandises - Interdiction d'importation de produits à base de viande non conformes à la réglementation allemande. - Affaire 274/87.
Recueil de jurisprudence 1989 page 00229

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La législation de la République fédérale d' Allemagne subordonne l' importation des produits alimentaires à base de viande à la conformité de ces produits aux normes fixées par un arrêté fédéral sur la viande, en date du 21 janvier 1982 ( ci-après "arrêté fédéral "). L' interdiction, qui en résulte, d' importer des produits légalement fabriqués et commercialisés dans un État membre, mais ne satisfaisant pas aux normes allemandes, est-elle contraire à l' article 30 du traité CEE? C' est la
question qui vous est posée à travers le présent recours en manquement intenté par la Commission .

2 . Vous devez répondre à cette question à un moment où votre jurisprudence, notamment la plus récente, a clairement délimité la portée des justifications et des dérogations que les États membres peuvent faire valoir pour échapper au grief de violation de l' article 30 . Dans le domaine des produits, liquides ou solides, destinés à l' alimentation, on songe tout particulièrement à vos dernières décisions relatives à la bière ( 1 ), aux succédanés du lait ( 2 ) et aux pâtes alimentaires ( 3 ).

3 . Les normes de l' arrêté fédéral visent à interdire la commercialisation de produits à base de viande comportant certains ingrédients non carnés, sous réserve d' exceptions pour des produits déterminés dont la composition est définie, et moyennant, dans certains cas, des indications précises à faire figurer sur les emballages ou sur des écriteaux .

4 . C' est exclusivement à l' appréciation des justifications et dérogations invoquées par la République fédérale d' Allemagne que va vous conduire l' examen de la présente affaire . En effet, il n' existe aucune contestation quant à l' effet restrictif, sur les importations, de la législation allemande . La République fédérale ne nie pas que sa législation empêche l' accès au marché allemand de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d' autres États membres, et ne discute donc pas la
qualification de mesure d' effet équivalant à une restriction quantitative aux importations . Elle s' attache à démontrer que cette mesure repose sur des motivations qui interdisent de l' analyser comme une violation du principe de libre circulation des marchandises . Aussi, les présentes conclusions seront-elles consacrées exclusivement à l' examen de ces motivations .

5 . La République fédérale a successivement invoqué à ce titre la protection de la santé, celle des consommateurs, celle des opérateurs économiques nationaux, ainsi que certaines exigences impératives tenant à la politique agricole commune .

I - Sur la protection de la santé

6 . L' État défendeur fait tout d' abord valoir que les dispositions litigieuses viseraient à garantir à la population un apport suffisant de certaines substances essentielles dans l' alimentation, qui sont contenues dans la viande, notamment les protéines, le fer et la thiamine . Selon des rapports officiels invoqués par le gouvernement allemand, l' approvisionnement en viande de certains groupes de la population ne serait plus suffisant actuellement . L' objectif d' assurer à la population
allemande un approvisionnement satisfaisant en viande ne pourrait être atteint si les ingrédients non carnés étaient autorisés de façon générale, permettant ainsi la diffusion de produits à la fois moins chers, donc plus attractifs, et moins pourvus en substances essentielles .

7 . La Commission estime que ces arguments ne sont pas fondés . Selon elle, la consommation de viande en République fédérale d' Allemagne, en augmentation sensible depuis les années 1960, serait telle que les valeurs recommandées à l' échelon international pour l' apport en protéines auraient été partiellement dépassées . Dans ces conditions, et compte tenu de ce que l' approvisionnement de la population allemande en protéines serait assuré principalement au moyen de viande fraîche, les légères
modifications de la composition des produits à base de viande auxquelles font obstacle les dispositions litigieuses n' auraient pratiquement pas d' incidence sur l' alimentation et la santé de la population .

8 . Disons-le d' emblée, pas plus que la Commission, nous ne sommes convaincus par l' argumentation du gouvernement allemand .

9 . En premier lieu, il convient d' observer que la situation de la population allemande, du point de vue de l' apport en protéines, ne paraît pas aussi critique que l' a prétendu la République fédérale . Suivant un rapport sur l' alimentation publié en 1980 par le gouvernement allemand, l' "apport en protéines atteint en moyenne les quantités recommandées de 0,9 g par kg et par jour ". Ce rapport relève toutefois une "situation très différente suivant divers groupes d' âge", ajoutant : "Alors que
tous les adultes des deux sexes dépassaient plutôt les quantités recommandées, les jeunes tendent presque sans exception à rester légèrement en deçà des quantités recommandées, et même nettement en deçà dans le groupe d' âge des 13 à 14 ans ." Mais il précise : "Les recommandations, surtout en matière de protéines, prévoient toutefois des excédents de sécurité si élevés que l' apport inférieur constaté chez les jeunes ne présente aucun danger pour la croissance ni la santé ". Relevant, enfin, que
les substances accessoires des protéines, essentiellement la purine, la cholestérine et les acides gras saturés, pouvaient avoir des effets nocifs sur la santé, le rapport souligne qu' "il conviendrait d' envisager d' un oeil critique une augmentation supplémentaire de la consommation de viande et de produits à base de viande chez les adultes" ( 4 ).

10 . De plus, le rapport sur l' alimentation publié par le gouvernement fédéral en 1984, après avoir rappelé que la viande et les produits à base de viande sont importants également par leur apport en thiamine, riboflavine, niacine et fer, ajoute qu' ils "contribuent à l' alimentation humaine non seulement par les protéines et d' autres substances nutritives essentielles qu' ils contiennent, mais également par les graisses, et ... comportent en plus des quantités variables de cholestérol et de
purine" ainsi que, pour les produits à base de viande, "surtout certaines spécialités de charcuterie ... des quantités notables de sel ". Aussi ce document conclut-il qu' "il n' est pas souhaitable que la viande ou les produits à base de viande gras continuent à augmenter de façon générale dans l' alimentation humaine" ( 5 ).

11 . Ces conclusions de rapports officiels sur l' alimentation en République fédérale d' Allemagne appellent plusieurs observations .

12 . En premier lieu, la situation alimentaire de la population allemande, considérée aussi bien de façon générale que par groupes déterminés suivant l' âge ou le sexe, ne paraît pas caractérisée par un état de péril ou même par un état simplement inquiétant . S' il en allait autrement, les deux rapports officiels n' auraient pu s' accorder sur le fait qu' une augmentation de la consommation de viande et de produits à base de viande ne serait pas souhaitable sur le plan de la nutrition . Par
conséquent, la limitation, dans les produits à base de viande, de la part des ingrédients autres que la viande, n' apparaît pas sanitairement nécessaire . De ce point de vue, l' interdiction d' importer les produits à base de viande dont les ingrédients autres que la viande ne correspondent pas aux prescriptions de l' arrêté fédéral ne nous paraît déjà pas pouvoir être rattachée au souci de protection de la santé publique par un lien suffisamment étroit au regard de l' application de l' article 36
du traité .

13 . Cette impression est renforcée par une deuxième observation . Les deux rapports soulignent que la viande et les produits à base de viande ne comportent pas que des éléments nutritifs bénéfiques, et qu' une augmentation de leur consommation se traduirait par des apports de purines, de cholestérol et de graisse, pouvant être excessifs du point de vue d' une alimentation saine . C' est dire que la volonté de ne pas voir diminuer la part des ingrédients carnés dans les produits à base de viande,
qui est à la base de la législation litigieuse, ne paraît pas exempte d' inconvénients pour la santé des consommateurs .

14 . De ces observations se dégagent, selon nous, des doutes quant à la nécessité, voire au bienfait, de la mesure nationale en cause pour la protection de la santé de la population allemande . Ces doutes ne peuvent qu' être confortés par l' examen d' une de vos plus récentes décisions .

15 . Dans la présente affaire, le gouvernement allemand a invoqué des arguments présentant des analogies avec ceux du gouvernement français dans l' espèce, qui a donné lieu à votre arrêt du 23 février 1988, Commission/France ( 6 ). En présence d' une législation interdisant l' importation et la vente des succédanés de lait en poudre et de lait concentré, que le gouvernement français entendait notamment justifier, sur le terrain de la protection de la santé publique, par la valeur nutritive moindre
des succédanés, vous avez estimé que :

"un État membre ne saurait invoquer des raisons de santé publique pour interdire l' importation d' un produit au motif que celui-ci aurait une valeur nutritive inférieure ou une teneur en matières grasses plus élevée qu' un autre produit qui se trouve déjà sur le marché concerné",

ajoutant que :

"il est évident que le choix alimentaire des consommateurs dans la Communauté est tel que la seule circonstance qu' un produit importé soit d' une qualité nutritive inférieure n' entraîne pas un danger réel pour la santé humaine" ( 7 ).

16 . Votre Cour a ainsi répondu à la question de savoir dans quelle mesure le souci de protection de la santé pouvait être invoqué à l' égard de certains produits, non en tant qu' ils seraient nocifs, mais en ce qu' ils seraient de moindre qualité nutritive . Elle l' a fait suivant un raisonnement qui nous paraît pouvoir être exactement transposé à la présente espèce . La circonstance que des produits à base de viande fabriqués dans d' autres États membres contiennent moins de viande et apportent,
par conséquent, moins de protéines animales, de thiamine ou d' autres substances essentielles, ne nous semble pas représenter un danger plus réel pour la santé humaine que celui allégué à propos des succédanés du lait, dès lors que le choix alimentaire des consommateurs allemands pourrait, si ces produits à base de viande étaient importés, se porter sur la viande fraîche, dont l' apport en protéines et en autres substances essentielles est optimal, ou sur les produits nationaux comportant une part
de viande plus importante . La part suffisante en substances essentielles de l' alimentation des groupes éventuellement considérés comme "sensibles" pourrait être assurée par cette possibilité de choix .

17 . Ces observations nous conduisent donc à estimer que la législation allemande concernée ne peut être analysée comme "nécessaire aux fins d' une protection efficace" ( 8 ) de la santé et de la vie des personnes, pour reprendre la formule désormais traditionnelle de votre jurisprudence, et que l' argument, sur ce point, de la République fédérale doit être écarté, sans qu' il soit besoin de tenter une comparaison des vertus respectives des protéines animales et végétales, et sans qu' il y ait lieu
de rechercher, à ce stade, si des mesures moins restrictives des échanges intracommunautaires étaient concevables .

II - Sur la protection des consommateurs

18 . La République fédérale d' Allemagne fait également valoir que la législation critiquée reposerait sur des exigences impératives tenant à la protection des consommateurs . Les articles 4 et 5 de l' arrêté fédéral seraient des mesures appropriées pour éviter que le consommateur ne soit induit en erreur compte tenu de ce que, "en raison d' habitudes datant de plusieurs dizaines d' années" ( 9 ), le consommateur allemand "part de l' idée que la marchandise achetée sous une désignation commerciale
qui la présente comme un produit à base de viande n' est composée que de viande ou essentiellement de viande" ( 10 ). Aussi, en l' absence d' une harmonisation qui, pour le gouvernement fédéral, serait le seul moyen approprié pour surmonter les problèmes posés en ce qui concerne la protection du consommateur contre les tromperies, la législation allemande, qui ne s' analyse d' ailleurs pas en une interdiction absolue d' importation, puisqu' elle admet des exceptions dans des conditions définies,
mettrait en oeuvre des règles adéquates à cette protection . En effet, l' extrême diversité des produits à base de viande offerts dans les douze États membres interdirait le recours à des mesures moins restrictives des importations consistant en une réglementation du marquage des produits en cause .

19 . La Commission estime que, à travers sa position sur la protection du consommateur, l' État défendeur développe en réalité deux arguments : l' un sur la politique de qualité qui serait menée à l' échelon national, l' autre sur la nécessité de lutter contre les tromperies en matière de dénomination et de composition des produits à base de viande .

20 . Selon elle, il serait douteux que l' objectif d' une politique nationale de la qualité puisse, au regard de votre jurisprudence, être considéré comme une exigence impérative d' intérêt public, mais de plus, à supposer même un tel objectif comme admissible, le critère de la législation allemande, c' est-à-dire l' élimination de tout ingrédient non carné, serait inapte à l' atteindre . La qualité des produits à base de viande ne serait en aucune manière déterminée essentiellement par l'
utilisation exclusive de viande dans leur composition . Pour la Commission, la qualité doit s' affirmer sur le marché, les fabricants et vendeurs des produits allemands à base de viande ayant la possibilité de les promouvoir par des campagnes de type publicitaire . En outre, le législateur allemand aurait la faculté, afin de ne pas défavoriser les produits de qualité sur le plan de la concurrence, d' arrêter des dispositions sur la présentation et la désignation des produits à base de viande, sur
des normes et catégories de qualité pour certains types de produits, sur des informations à fournir aux consommateurs, et ce sans entraver les importations .

21 . Quant à la protection du consommateur contre les tromperies, la Commission estime qu' il n' est nullement impossible de l' assurer à l' aide d' indications permettant aux acheteurs de s' orienter parmi un assortiment de produits élargi . Malgré l' extrême diversité des produits offerts dans les douze États membres, une information du consommateur au moyen d' un système de désignation et de description des ingrédients serait parfaitement concevable, dans le cadre des dispositions de la directive
79/112/CEE du Conseil, du 18 décembre 1978, ( ci-après "directive ") ( 11 ), ainsi que l' illustrerait d' ailleurs l' arrêté en cause . La Commission souligne, en particulier, les possibilités offertes par l' article 7, paragraphe 3, de la directive, qui permet de prévoir l' indication obligatoire d' une quantité pour certains ingrédients, ce qui donnerait la faculté, pour des produits de composition particulièrement complexe, de n' exiger, par exemple, qu' une indication sommaire des principaux
ingrédients .

22 . Cet échange d' arguments entre la Commission et l' État défendeur est, pourrions-nous dire, désormais classique dans les procédures relatives aux mesures de restriction d' importations de produits destinés à l' alimentation . Vous avez, dans de récents arrêts que nous avons déjà cités, adopté, à leur égard, des positions qui sont elles-mêmes en passe de devenir classiques . C' est pourquoi il suffit, pour l' essentiel, selon nous, de s' y référer dans la présente affaire .

23 . Dans votre arrêt Drei Glocken du 14 juillet 1988 ( 12 ), rendu à propos de la compatibilité, avec l' article 30, de la loi italienne empêchant l' importation de pâtes alimentaires contenant du blé tendre, vous avez indiqué que

"l' argument ... selon lequel la loi sur les pâtes alimentaires vise à protéger les consommateurs, du fait qu' elle a pour objet de garantir la qualité supérieure des pâtes, produit italien de vieille tradition, ne peut être retenu ".

Relevant qu' il était

"légitime de vouloir donner aux consommateurs qui attribuent des qualités particulières aux pâtes obtenues exclusivement à partir de blé dur la possibilité d' opérer leur choix en fonction de cet élément",

vous avez estimé que

"pareille possibilité peut être assurée par des moyens qui n' entravent pas l' importation de produits légalement fabriqués et commercialisés dans d' autres États membres, et notamment par 'l' apposition obligatoire d' un étiquetage adéquat concernant la nature du produit vendu' " ( 13 ).

24 . On ne peut manquer de relever l' analogie entre l' argument italien sur la garantie de la

"qualité supérieure des pâtes, produit italien de vieille tradition" ( 14 ),

et l' argument allemand selon lequel,

"en raison d' habitudes datant de plusieurs dizaines d' années, le consommateur allemand s' est formé une image précise de ce qu' il attend des produits à base de viande qu' il achète" ( 15 ).

25 . Il nous semble que, comme pour les pâtes alimentaires, le débat sur l' existence d' une exigence impérative tenant à la nécessité de protéger les attentes qualitatives du consommateur se ramène à la question de savoir si d' autres moyens, moins restrictifs des importations que la mesure nationale considérée, pouvaient être mis en oeuvre . Nous estimons que la réponse à cette question est positive .

26 . Certes, l' information du consommateur, considérée à travers les formes diverses de distribution des produits, c' est-à-dire la vente sous emballage, la vente en vrac et la consommation dans les établissements de restauration, pose des problèmes sensiblement plus complexes pour les produits à base de viande - dont les deux parties soulignent l' extrême diversité - que pour les pâtes, à propos desquelles il s' agissait de savoir comment permettre au consommateur de distinguer celles contenant
exclusivement du blé dur et celles contenant du blé tendre . Nous croyons, cependant, que, malgré cette complexité, l' information du consommateur, garantie par des systèmes d' étiquetage et de désignation des produits, permettrait au gouvernement fédéral d' atteindre ses objectifs légitimes .

27 . Il convient d' observer, tout d' abord, que la directive offre, comme l' a justement remarqué la Commission, de larges possibilités . On peut relever, en particulier, que, selon le paragraphe 5, sous a ), de son article 6, la liste des composants, que doit obligatoirement comporter, en vertu de l' article 3, l' étiquetage, "est constituée par l' énumération de tous les ingrédients de la denrée alimentaire, dans l' ordre décroissant de leur importance pondérale au moment de leur mise en oeuvre
". Elle est précédée d' une mention appropriée comportant le mot "ingrédients ". Le paragraphe 6 du même article indique que les "dispositions communautaires et, en leur absence, les dispositions nationales peuvent prévoir pour certaines denrées alimentaires que la mention d' un ou plusieurs ingrédients déterminés doit accompagner la dénomination de vente ". Semblablement peut être prévue, suivant l' article 7, paragraphe 3, "l' indication obligatoire, pour certains ingrédients, d' une quantité
exprimée en valeur absolue ou en pourcentage ".

28 . Il n' appartient pas à votre Cour, ni à nous-même, de dicter à la République fédérale d' Allemagne un système détaillé d' étiquetage et de désignation des ingrédients pour les produits à base de viande . Mais il vous appartient de constater, comme nous-même, que la République fédérale d' Allemagne ne peut, au regard des possibilités offertes par la directive, soutenir que l' entrave aux importations constitue le seul moyen de protection du consommateur .

29 . S' agissant des denrées alimentaires pourvues d' un emballage, pour lesquelles les dispositions de la directive sont les plus contraignantes, nous ne distinguons pas ce qui empêcherait le consommateur d' être suffisamment informé, par la lecture de la liste des ingrédients figurant sur ledit emballage, quant à l' existence, dans le produit en cause, des qualités qu' il en attend .

30 . Pour les denrées vendues en vrac, l' exposé des motifs de la directive souligne que les "États membres doivent conserver la faculté, au vu des conditions locales et des circonstances pratiques, de fixer les modalités d' étiquetage", l' information du consommateur devant "néanmoins rester assurée dans ce cas" ( 16 ). Et si son article 12 dispose que, "pour les denrées alimentaires présentées non préemballées à la vente au consommateur final ou pour les denrées alimentaires emballées sur les
lieux de vente à la demande de l' acheteur, ou préemballées en vue de leur vente immédiate, les États membres arrêtent les modalités selon lesquelles les mentions prévues à l' article 3 ... sont indiquées", il précise toutefois que ces États "peuvent ne pas rendre obligatoires ces mentions ou certaines d' entre elles, à condition que l' information du consommateur soit assurée ".

31 . Comme la Commission, nous estimons que ces dispositions n' interdisent pas un étiquetage sommaire ou simplifié mettant en évidence les principaux ingrédients ainsi, éventuellement, que leur pourcentage . Selon nous, de telles mentions procureraient au consommateur les informations significatives au regard de ses attentes en termes de qualité . En particulier, il serait certainement en mesure de déterminer si le produit qui lui est proposé est uniquement à base de viande, essentiellement à base
de viande ou s' il comporte une part significative d' ingrédients non carnés, tels, par exemple, le lait ou les oeufs . Dès lors que le recours à des procédés d' information de ce type n' est pas interdit à un État membre, nous pensons qu' il ne peut, pour les produits alimentaires vendus en vrac, soutenir que la protection du consommateur quant à ses attentes de qualité rend nécessaire la mesure nationale litigieuse .

32 . Cette appréciation des possibilités offertes sur le terrain de l' information du consommateur est, à notre sens, confirmée par l' examen des dispositions de l' arrêté fédéral .

33 . Ce texte, qui interdit la commercialisation des produits à base de viande dans la fabrication desquels ont été utilisés certains ingrédients précisément désignés ( article 4, paragraphe 1 ), prévoit que cette interdiction ne s' applique pas aux produits utilisant, dans des conditions définies, des substances déterminées ( article 4, paragraphe 2 ). Il prévoit également, par dérogation à l' interdiction, la possibilité de commercialiser des produits auxquels sont ajoutées, dans des conditions
définies, des substances déterminées, à la condition de respecter certaines règles relatives aux indications à faire figurer sur les emballages, ou sur des écriteaux, lorsqu' il s' agit de marchandises vendues en vrac, ou sur les menus ou listes de prix en cas de débit dans des établissements de restauration ( article 5 ).

34 . Ainsi, nous pouvons noter, par exemple, que l' utilisation, dans la fabrication de produits tels que pâté de foie ou pâté de volaille, d' oeufs liquides ou de jaunes d' oeufs congelés dans une proportion maximale de 5 % des quantités de viande et de matière grasse, ne fait pas obstacle à leur commercialisation, qui n' est subordonnée à aucune mesure spéciale d' information du consommateur . Des remarques analogues peuvent être faites, par exemple, pour l' utilisation de plasma de sang séché
dans la fabrication de certains saucissons et de certaines saucisses, ou de gélatine alimentaire dans celle de préparations en gelée, de jambon cuit ou de langue . Nous pouvons également noter que le blanc d' oeuf liquide ou congelé peut intervenir dans la fabrication de certaines saucisses à bouillir et produits similaires, dans la proportion maximale de 3 % des quantités de viande et de matière grasse utilisées, les produits devant, au stade de la commercialisation, porter l' indication "avec
blanc d' oeuf ". De même, la charcuterie cuite à tartiner, les pâtés de gibier et de volaille, les boulettes de viande et les farces de viande hachée peuvent comporter des protéines de lait solubilisées dans la proportion maximale de 2 % de la viande et des matières grasses utilisées, ces produits devant comporter l' indication "avec des protéines de lait" au stade de la commercialisation .

35 . Ces différentes observations, tirées de la lecture des articles 4 et 5 de l' arrêté fédéral et des annexes 2 et 3 auxquels ils renvoient, nous amènent à constater que la réglementation allemande met d' ores et déjà en oeuvre des règles très précises en vue de garantir l' information du consommateur sur la présence, dans certains produits à base de viande, d' ingrédients déterminés . Nous constatons également, d' ailleurs, que, pour des produits désignés, la présence de certains ingrédients ne
donne lieu, en revanche, à aucune information spéciale du consommateur . Dans ces conditions, il est permis de se demander pourquoi une information du consommateur mise en oeuvre en République fédérale d' Allemagne au sujet de l' utilisation, dans certains produits, d' ingrédients déterminés suivant des proportions fixées, et dont on peut penser qu' elle a, aux yeux du gouvernement fédéral, un caractère satisfaisant, puisqu' il l' a prévue, cesserait d' être possible ou satisfaisante, dès lors que
les mêmes ingrédients seraient utilisés dans des proportions plus élevées, ou que d' autres ingrédients seraient introduits dans des produits . En quoi, par exemple, le fait d' indiquer, sur des emballages ou des écriteaux "saucisses à bouillir avec blanc d' oeuf et des protéines de lait", apparemment satisfaisant lorsque les proportions des ingrédients ne dépassent pas respectivement 3 et 2 % des quantités de viande et de matière grasse, cesserait-il de l' être dans l' hypothèse de saucisses à
bouillir contenant un pourcentage un peu plus élevé des mêmes composants?

36 . Nous estimons que la présence, dans des produits à base de viande, d' ingrédients excédant les proportions prévues par l' arrêté fédéral, ou d' ingrédients non prévus par cet arrêté, ne constituerait pas quelque chose de si fondamentalement nouveau que le système d' information du consommateur organisé dans ce même texte, ou un système s' en inspirant, serait réduit à néant ou privé de toute efficacité . La possibilité, évoquée plus haut, de prévoir des indications en pourcentage pour certains
ingrédients, pourrait apparemment perfectionner un système du type de celui mis en oeuvre par l' arrêté allemand .

37 . Enfin, s' agissant des produits distribués dans les établissements de restauration, nous observerons, pareillement, que, selon l' article 5, précité, paragraphe 2, de l' arrêté fédéral, les indications telles que "avec des protéines de lait", "avec blanc d' oeuf" ou "avec utilisation de lait", entre autres, doivent "être portées sur le menu ou dans la liste des prix, ou, en l' absence de ce menu ou de cette liste, sur un autre support ou dans une communication par écrit ". Pour certaines formes
de restauration collective, "il suffit d' indiquer les substances sous forme de notes, dont le médecin responsable et, sur demande, également les participants à la restauration peuvent prendre connaissance ". Ici encore, on ne voit pas ce qui rendrait vain ou inefficace un système d' information du consommateur de ce type, en présence des produits "nouveaux" que nous avons évoqués auparavant, surtout si on tient compte des perfectionnements qu' il est possible de lui apporter compte tenu de la
diversité de ces produits .

38 . C' est pourquoi nous pensons, au vu de ces considérations tirées tant de la directive que de la réglementation appliquée en République fédérale d' Allemagne, que des moyens moins restrictifs des importations pouvaient être mis en oeuvre pour satisfaire à l' exigence de protection du consommateur . L' argumentation en défense ne peut donc davantage être retenue sur ce point .

III - Sur la protection des opérateurs économiques allemands

39 . La République fédérale d' Allemagne a également soutenu que sa législation reposerait sur un souci de protection des producteurs et des distributeurs de produits à base de viande contre la concurrence déloyale consistant en ce que "certains opérateurs proposent des produits de moindre qualité sous une forme destinée à créer chez le consommateur l' impression d' un produit de meilleure qualité ". Les "marchandises de moindre qualité produites à un coût sensiblement inférieur" procureraient à
leurs producteurs un "avantage concurrentiel qui, reposant en dernier ressort sur un dol, est incompatible avec les principes relatifs à la loyauté des échanges commerciaux" ( 17 ).

40 . La Commission fait valoir, face à cette argumentation, et en invoquant votre jurisprudence, que

"une pression pouvant résulter de la situation économique, ou même une obligation prévue par le droit juridique national, qui aurait pour effet d' étendre aux produits indigènes les règles applicables aux produits provenant d' autres États membres ne saurait en aucun cas justifier l' application de mesures incompatibles avec l' article 30" ( 18 ).

Elle ajoute que, dès lors que l' information du consommateur sur les produits qui lui sont offerts est assurée de façon appropriée, la loyauté de la concurrence entre producteurs et distributeurs de produits à base de viande est suffisamment garantie .

41 . Il nous paraît également que le risque de concurrence déloyale, reposant sur un dol à l' égard du consommateur, n' a pas à être envisagé à partir du moment où la protection du consommateur a été assurée par une information appropriée . Or, nous avons vu que les moyens d' une telle information existent . Dès lors que le consommateur sait ce qu' il achète, on distingue mal en quoi la loyauté de la concurrence serait affectée . Par conséquent, l' argumentation de la République fédérale d'
Allemagne nous semble, ici encore, devoir être écartée .

IV - Sur des exigences impératives tenant à la politique agricole commune

42 . La République fédérale d' Allemagne a enfin invoqué, au soutien de sa législation, des exigences impératives tenant à la politique agricole commune . Les organisations communes de marché du secteur de la viande de boeuf et de la viande de porc ont pour objectif commun d' assurer un niveau de vie suffisant à la population agricole, objectif qui serait mis en péril si les excédents qui existent déjà étaient encore aggravés par une utilisation accrue d' ingrédients non carnés, notamment le soja,
dans la charcuterie . Les organisations communes de marché n' ayant pas abouti à une harmonisation d' ensemble dans le domaine de la commercialisation de la viande et des produits à base de viande, elles devraient nécessairement être complétées par des réglementations nationales existantes répondant aux mêmes objectifs, telles que les articles 4 et 5 de l' arrêté fédéral .

43 . Selon la Commission, l' application des dispositions relatives à la libre circulation des marchandises ne saurait dépendre de la question de savoir s' il existe dans la Communauté ou dans certains États membres des excédents de produits entraînant des problèmes d' écoulement des stocks .

44 . Sur ce point, nous pouvons nous référer très précisément à votre jurisprudence la plus récente . Dans votre arrêt précité du 23 février 1988 sur les succédanés du lait, vous avez rappelé que,

"dès lors que la Communauté a établi une organisation commune de marché dans un secteur déterminé, les États membres sont tenus de s' abstenir de toute mesure unilatérale qui rentre de ce chef dans la compétence de la Communauté" ( 19 ).

Vous avez ajouté que

"des mesures nationales, même soutenant une politique commune de la Communauté, ne peuvent aller à l' encontre d' un des principes fondamentaux de la Communauté, en l' occurence celui de la libre circulation des marchandises, sans être justifiées par des raisons reconnues par le droit communautaire" ( 20 ).

Cette position a été tout dernièrement réaffirmée par votre arrêt précité Drei Glocken ( 21 ).

45 . Aucune des autres raisons invoquées par la République fédérale d' Allemagne ne pouvant, nous l' avons vu, justifier le non-respect, par la législation nationale sur la viande, du principe de libre circulation des marchandises, la seule référence à la politique agricole commune ne saurait constituer cette justification .

46 . C' est pourquoi nous concluons :

- à ce que vous constatiez que, en interdisant l' importation et la commercialisation sur son territoire de produits à base de viande provenant d' autres États membres et non conformes aux dispositions des articles 4 et 5 de l' arrêté du 21 janvier 1982 sur la viande, la République fédérale d' Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l' article 30 du traité CEE;

- à ce que vous condamniez la République fédérale d' Allemagne aux dépens .

(*) Langue originale : le français .

( 1 ) Affaire 178/84, Commission/République fédérale d' Allemagne, arrêt du 12 mars 1987, Rec . p . 1227 .

( 2 ) Affaire 216/84, Commission/France, arrêt du 23 février 1988, Rec . p . 793 .

( 3 ) Affaire 407/85, Drei Glocken, arrêt du 14 juillet 1988, Rec . p . 0000 .

( 4 ) Citations du rapport extraites de la note de documentation n° II distribuée à la Cour, p . 14 et 15, version française .

( 5 ) Citations extraites de l' annexe 5 du mémoire de la Commission .

( 6 ) Supra, note 2 .

( 7 ) Point 15 .

( 8 ) Dernièrement, 261/85, arrêt du 4 février 1988, Commission/Royaume-Uni, Rec . p . 547, point 12 .

( 9 ) Mémoire en défense du gouvernement allemand, version française, p . 7

( 10 ) Ibidem .

( 11 ) Relative au rapprochement des législations des États membres concernant l' étiquetage et la présentation des denrées alimentaires destinées au consommateur final ainsi que la publicité faite à leur égard ( JO L 33, du 8.2.1979, p . 1 ).

( 12 ) Supra, note 3 .

( 13 ) Point 16 .

( 14 ) Ibidem .

( 15 ) Mémoire en défense du gouvernement allemand, p . 7 de la version française .

( 16 ) Supra, note 11, treizième considérant .

( 17 ) Mémoire en défense du gouvernement fédéral, p . 15 et 16 de la version française .

( 18 ) Mémoire de la Commission, p . 19, version française .

( 19 ) Affaire 216/84, précité, point 18 .

( 20 ) Ibidem, point 19 .

( 21 ) Affaire 407/85, précité, point 26 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 274/87
Date de la décision : 29/11/1988
Type de recours : Recours en constatation de manquement - fondé

Analyses

Libre circulation des marchandises - Interdiction d'importation de produits à base de viande non conformes à la réglementation allemande.

Libre circulation des marchandises

Restrictions quantitatives

Mesures d'effet équivalent

Agriculture et Pêche

Denrées alimentaires


Parties
Demandeurs : Commission des Communautés européennes
Défendeurs : République fédérale d'Allemagne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:515

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