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06/07/1988 | CJUE | N°180/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 6 juillet 1988., Richard Hamill contre Commission des Communautés européennes., 06/07/1988, 180/87


Avis juridique important

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61987C0180

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 6 juillet 1988. - Richard Hamill contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Responsabilité non contractuelle de l'institution - Divulgation d'informations de service. - Affaire 180/87.
Recueil de

jurisprudence 1988 page 06141

Conclusions de l'avocat général

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Avis juridique important

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61987C0180

Conclusions de l'avocat général Mancini présentées le 6 juillet 1988. - Richard Hamill contre Commission des Communautés européennes. - Fonctionnaires - Responsabilité non contractuelle de l'institution - Divulgation d'informations de service. - Affaire 180/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 06141

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

M . Richard Hamill, fonctionnaire britannique de grade A 6 auprès de la Commission des Communautés européennes et, à l' époque des faits, inspecteur de la direction Concurrence, vous demande de condamner son institution à l' indemniser des préjudices matériels et moraux qu' il aurait subis du fait de son arrestation en Grande-Bretagne le 9 octobre 1984 .

Au cours d' une enquête relative à une escroquerie internationale organisée au moyen de faux chèques, la police de Londres, soupçonnant le requérant d' être directement impliqué dans un tel délit, a téléphoné ( le 20 septembre 1984 ) au bureau de sécurité de la Commission pour demander des renseignements sur son compte . En réponse, le service du Berlaymont lui a fourni 11 jours plus tard des renseignements sur le statut de M . Hamill, son adresse, son véhicule, les périodes pour lesquelles il avait
sollicité des congés, ceux qui lui restaient à prendre, ainsi que ses déplacements à l' époque des faits délictueux . Le 9 octobre, un agent de ce même service a informé Scotland Yard de ce que M . Hamill devait, le matin même, partir par avion de Bruxelles pour effectuer une mission au Royaume-Uni auprès de certaines entreprises sidérurgiques .

Arrivé à l' heure à l' aéroport de Luton, M . Hamill fut interrogé et mis en état d' arrestation . Le jour suivant, un fonctionnaire de la Commission se rendit dans la prison où il était détenu pour retirer les documents relatifs à sa mission . Il a à cette occasion rencontré l' intéressé . Ce dernier le pria de lui trouver un solicitor, affirmant que jusqu' alors la police lui avait refusé toute assistance légale . Le fonctionnaire ne donna pas suite à cette demande et M . Hamill ne se vit assigner
un défenseur que le 12 octobre, jour auquel il fut formellement inculpé de "conspiracy to steal" et de "conspiracy to use a false instrument ". Traduit devant le juge le 13 octobre, il fut remis en liberté le 23 du même mois, non sans s' être vu au préalable retirer l' usage de son passeport . Ce document lui fut restitué par la suite, contre caution, le 22 mars 1985 .

Entre-temps ( le 24 octobre 1984 ), la Commission avait suspendu le requérant de ses fonctions, tout en maintenant son traitement . Cette mesure a été levée le 3 avril 1986, après que l' Old Bailey de Londres eut prononcé la relaxe de l' inculpé pour l' un et l' autre chefs d' inculpation .

Le 3 juin 1986, M . Hamill a présenté une demande en indemnité au titre de l' article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires . N' ayant reçu aucune réponse, il a introduit ( le 11 novembre 1986 ) une réclamation qui fut rejetée par la Commission par décision du 15 juin 1987 . Le requérant avait toutefois déjà déposé le recours présentement en cause ( 10 juin 1987 ), en demandant à la Cour de condamner l' institution au paiement de 5 millions de BFR, majoré des intérêts moratoires à compter
du 3 juin 1986 . De son côté, la défenderesse s' est opposée à cette prétention, la jugeant non fondée et, partiellement, irrecevable .

Disons tout de suite que nous ne nous attarderons pas outre mesure sur l' exception d' irrecevabilité soulevée par l' institution . Loin de faire fond, comme l' affirme cette dernière, sur l' article 215, alinéa 1du traité CEE, le recours a été correctement formé sur la base des articles 90 et 91 du statut des fonctionnaires et, comme les délais de présentation ont été respectés, il doit être déclaré recevable .

Venons-en donc au fond . Le requérant reproche à la Commission : a ) d' avoir organisé son arrestation, de concert avec les autorités du Royaume-Uni; b ) d' avoir enfreint le devoir d' assistance visé à l' article 24 du statut, en ne prenant aucune disposition pour lui trouver un défenseur de confiance et prévenir la famille .

A l' appui de son premier grief, M . Hamill affirme que les services de sécurité de la Commission ne se sont pas limités à informer la police londonienne de quelques données personnelles le concernant . Ils ont délibérément avancé la date de sa mission, prévue à l' origine pour la fin du mois d' octobre, dans le seul but de le remettre entre les mains de Scotland Yard, épargnant ainsi à cette dernière les obstacles judiciaires et longueurs de procédure inhérents à un interrogatoire dans sa commune
de résidence et, éventuellement, son arrestation . En d' autres termes, sans la machination ourdie par la Commission, M . Hamill n' aurait pas été interpellé à Luton, ni injustement détenu; pour l' avoir à leur disposition, les autorités d' outre-manche auraient dû décerner une commission rogatoire et une demande d' extradition, c' est-à-dire, appliquer des procédures prévoyant des garanties qu' il aurait mises à profit .

Plus succincte est l' argumentation qui sous-tend la seconde accusation . L' intervention d' un avocat - affirme M . Hamill - aurait certainement empêché la police britannique de porter gravement atteinte aux droits de la défense, ce qui a eu pour conséquence que son incarcération s' est prolongée pendant plus d' une semaine .

Les préjudices, enfin, sont matériels et moraux . Les premiers doivent, tout d' abord, être vus en liaison avec la santé et la carrière de M . Hamill, l' une et l' autre sérieusement compromises; à quoi s' ajoutent les frais légaux et le coût de son séjour forcé en Grande-Bretagne . Les seconds tiennent au discrédit personnel causé par l' arrestation et par la mesure de suspension administrative, mais également au fait que ses proches n' ont pas été alertés et qu' ils n' ont appris la nouvelle de l'
arrestation qu' à travers les journaux .

La Commission se défend de telles accusations en se retranchant essentiellement derrière le principe selon lequel elle serait tenue de coopérer avec les magistratures et les polices nationales chaque fois que ne seraient pas en cause les privilèges et immunités de ses fonctionnaires et agents .

Que dire de la thèse ainsi résumée? Il nous semble qu' elle doit être tout à la fois qualifiée et corrigée . Aux termes des articles 18 et 19 du protocole du 8 avril 1965, les privilèges et immunités dont jouissent les fonctionnaires européens leur sont accordés dans le seul intérêt de la Communauté . Il est exclu, par conséquent, que ces avantages spéciaux puissent être invoqués dans des cas où il n' apparaît pas que ledit intérêt soit menacé, ni que les droits fondamentaux de l' individu aient été
lésés ( dans le même sens, en ce qui concerne les fonctionnaires internationaux en général, Plantey, The International Civil Service, New York, 1984, p . 105, 371 et suiv .; Duffar, Contributions à l' étude des privilèges et immunités des organisations internationales, Paris, 1982, p . 71 et suiv .).

D' autre part, les droits des pays membres et le jus gentium ne fournissent pas d' éléments permettant de déterminer avec certitude si et dans quelle mesure une administration internationale est tenue de collaborer avec les organes d' un État effectuant une enquête sur un fonctionnaire ou agent de cette organisation suspect d' avoir commis un délit . Une obligation similaire est en effet généralement admise vis-à-vis de l' autorité judiciaire, alors que tel ne semble pas être le cas lorsqu' il s'
agit de la police . Il est non moins vrai toutefois qu' aucune norme n' interdit de prêter à cette dernière l' assistance nécessaire .

Si ces prémisses sont exactes, il nous paraît raisonnable de conclure que les institutions communautaires n' ont aucune obligation ( et, a fortiori, aucun pouvoir ) de pousser leur coopération avec les organes des États membres, chargés de procéder aux enquêtes, jusqu' à prendre une part active dans leurs investigations . Par rapport à ces organes, elles ne peuvent en revanche taire les informations qu' elles possèdent sur des faits dont l' ignorance ferait obstacle au développement de l' enquête .

Cela dit, tournons-nous vers le premier grief du requérant . Ainsi qu' on s' en souviendra, celui-ci affirme que son arrestation a été le résultat d' une "combine" entre la Commission et les autorités britanniques : Scotland Yard n' aurait pu, en effet, y procéder si la première n' avait pas modifié le calendrier des missions de M . Hamill, et en particulier le jour de son déplacement au Royaume-Uni, et en informant, dans le même temps, la police de Londres de la nouvelle date .

Or, les faits exposés par les parties ne semblent pas confirmer cette reconstitution des événements; en particulier, il n' est pas prouvé que les changements apportés au programme des missions aient été décidés pour des raisons contraires ou étrangères à l' intérêt du service . Le seul élément certain dont on dispose - parce qu' il a été reconnu par la Commission elle-même - est le coup de téléphone du 9 octobre 1984 . Il ne fait pas de doute, en d' autres termes, que ce matin-là, un zélé
fonctionnaire du Berlaymont a communiqué à la police britannique l' heure d' arrivée de M . Hamill et d' autres détails de sa mission .

Notre examen doit donc se concentrer sur cette communication . Peut-on estimer que la Commission était habilitée à ce faire en vertu de son obligation générale de collaborer avec la police d' un État membre? Nous croyons que non . A la lumière de ce qui a été dit sous le point 3, une chose est de donner des réponses circonstanciées à des demandes tendant à vérifier les faits autour desquels tourne l' enquête ( et telles furent, par exemple, les informations que la Commission a fournies à Scotland
Yard le 1er octobre 1984 en ce qui concerne les déplacements de M . Hamill à l' époque où le délit a été commis ); une autre chose est d' offrir, de sa propre initiative, des informations non seulement strictement liées à l' intérêt du service, mais qui ne tendent en outre nullement à faire la lumière sur des faits entraînant une suspicion à l' égard du fonctionnaire, et qui, par contre, sont susceptibles de mettre la police en situation de l' interroger et de l' arrêter .

En agissant ainsi, la Commission a : a ) eu un comportement tel qu' il se situe dans un rapport de causalité direct avec les événements qui allaient se révéler par la suite source de préjudice pour le requérant; b ) soustrait le requérant aux garanties auxquelles il avait droit en raison de sa résidence sur le territoire belge . La raison en est évidente . D' un côté, affirmer que M . Hamill aurait été de toute façon arrêté à l' occasion d' un voyage ultérieur au Royaume-Uni - et, partant, même si
la Commission n' avait pas averti la police britannique - est une conjecture pure et simple, dénuée de pertinence . D' autre part, le fonctionnaire a été privé de ce qu' on peut certainement définir comme une attente légitime : M . Hamill avait en effet toutes les raisons de supposer que, eu égard à la nécessité de faire transiter les recherches dont il était l' objet par les procédures prévues à cette fin par les lois belges, il aurait bénéficié des droits y afférents ( comme celui d' être entendu
par le juge de Bruxelles chargé de l' exequatur, sur le caractère fondé ou non des accusations ).

Le coup de téléphone du 9 octobre va en définitive bien au-delà des limites de l' obligation à laquelle la Commission est astreinte et, même si cela ne s' est pas fait dans le cadre d' une machination, il a permis aux autorités britanniques de contourner les garanties que des normes précises offrent au fonctionnaire . Il est permis, partant, de conclure qu' il a constitué une grave négligence et fondé avec certitude la responsabilité de l' institution .

Envisageons à présent le second grief . M . Hamill - on l' a vu - soutient que la Commission n' a pris aucune disposition pour lui venir en aide comme le prescrivait l' article 24 du statut . Il est de fait, toutefois, que cette norme tend à protéger le fonctionnaire des agressions dont il est victime "en raison de sa qualité et de ses fonctions" ( c' est nous qui soulignons ); et il est certain que les investigations, l' interpellation et la détention dont le requérant a fait l' objet ne satisfont
pas à cette condition . Il semble, au contraire, que ce dernier se soit retrouvé impliqué dans la genèse de l' escroquerie à la suite de comportements imprudents ou trop désinvoltes et qu' il se soit montré à tout le moins réticent lors de son interrogatoire à Luton .

Dans de telles circonstances, surtout s' agissant de mesures restrictives de liberté personnelle qui n' atteignaient pas le requérant en qualité de fonctionnaire et pouvaient apparaître justifiées, la Commission n' avait pas l' obligation de fournir à M . Hamill un avocat, non plus - à la limite - celle d' avertir ses proches . M . Hamill, au reste, n' a pas administré la preuve qu' il avait adressé une demande explicite en ce sens au fonctionnaire de la Commission qui lui avait rendu visite .

Quelques mots, pour finir, sur les prétentions du requérant . A l' évidence, la réparation qui lui est due doit se limiter aux dommages se trouvant dans un rapport direct de causalité avec la négligence imputable à la Commission : donc - pour tenir compte de ce qui vient d' être dit - au seul préjudice résultant de ce qu' il n' a pu jouir des garanties dont le fonctionnaire se serait prévalu si l' interrogatoire avait eu lieu dans son État de résidence .

Nous inspirant sur ce point d' un certain nombre de précédents ( voir, en particulier, les arrêts des 15 décembre 1982 dans l' affaire 158/79, Roumengous/Conseil, Rec . 1982, p . 4379, et 7 novembre 1985 dans l' affaire 145/83, Adams/Commission, Rec . 1985, p . 3539 ), nous croyons opportun que les parties s' accordent pour ce qui est de la liquidation de l' indemnité .

A la lumière des considérations qui précèdent, nous vous proposons :

a ) de condamner la Commission à réparer le préjudice subi par M . Richard Hamill du fait qu' il a été arrêté en Grande-Bretagne le 9 octobre 1984 à la suite d' informations fournies par l' institution à la police britannique et qui l' ont privé de la possibilité d' être entendu dans son État de résidence selon les procédures prévues par les lois de ce dernier;

b ) de rejeter le recours pour le surplus;

c ) d' inviter les parties à communiquer à la Cour, dans un certain délai, le montant de l' indemnité sur lequel elles se seront accordées ou, en cas de désaccord, leurs conclusions respectives, assorties de toutes indications utiles;

d ) de réserver les dépens .

(*) Traduit de l' italien .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 180/87
Date de la décision : 06/07/1988
Type de recours : Recours de fonctionnaires - fondé, Recours de fonctionnaires - non fondé

Analyses

Fonctionnaires - Responsabilité non contractuelle de l'institution - Divulgation d'informations de service.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : Richard Hamill
Défendeurs : Commission des Communautés européennes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Mancini
Rapporteur ?: O'Higgins

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:372

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