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04/05/1988 | CJUE | N°31/87

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 4 mai 1988., Gebroeders Beentjes BV contre État des Pays-Bas., 04/05/1988, 31/87


Avis juridique important

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61987C0031

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 4 mai 1988. - Gebroeders Beentjes BV contre État des Pays-Bas. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank 's-Gravenhage - Pays-Bas. - Procédure de passation des marchés publics de travaux. - Affaire 31/87

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Recueil de jurisprudence 1988 page 04635

Conclusions de l'avocat gén...

Avis juridique important

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61987C0031

Conclusions de l'avocat général Darmon présentées le 4 mai 1988. - Gebroeders Beentjes BV contre État des Pays-Bas. - Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank 's-Gravenhage - Pays-Bas. - Procédure de passation des marchés publics de travaux. - Affaire 31/87.
Recueil de jurisprudence 1988 page 04635

Conclusions de l'avocat général

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Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . Les questions posées à votre Cour, suivant jugement du 28 janvier 1987, par l' Arrondissementsrechtbank de La Haye, sont relatives à l' interprétation de dispositions de la directive 71/305/CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux ( 1 ) ( ci-après : "directive ").

2 . Elles résultent d' un litige dans lequel la société Beentjes ( ci-après : "Beentjes ") a demandé à l' État néerlandais réparation du préjudice causé par le fait que, ayant soumissionné pour le montant le plus bas dans le cadre d' une adjudication de travaux mise en oeuvre par la commission locale de remembrement Waterland ( ci-après : "commission locale "), elle n' a pourtant pas obtenu le marché, attribué à l' entrepreneur qui avait soumissionné pour un montant immédiatement supérieur, la
commission locale motivant le rejet de son offre par sa moindre qualification . La demande de Beentjes se fondant directement sur la méconnaissance, par la commission locale, de dispositions de la directive, le juge national a estimé qu' il convenait de faire préciser par votre Cour certaines conditions de son application .

3 . La première question posée concerne le champ d' application de la directive . Elle vise à savoir si cette dernière régit la passation de marchés de travaux entrepris par un organisme tel qu' une commission locale de remembrement néerlandaise .

4 . Selon l' exposé des motifs de la directive, la coordination des procédures nationales de passation des marchés publics de travaux est, à côté de l' élimination des restrictions, un des moyens nécessaires pour "la réalisation simultanée de la liberté d' établissement et de la libre prestation de services en matière de marchés publics de travaux, conclus dans les États membres pour le compte de l' État, des collectivités territoriales et d' autres personnes morales de droit public" ( 2 ). Quant
aux règles de fond, la directive définit, dans son article 1er, sous b ), les "pouvoirs adjudicateurs" régis par ses dispositions comme étant "l' État, les collectivités territoriales et les personnes morales de droit public énumérées en annexe I", annexe qui mentionne, pour tous les États membres, les groupements de collectivités territoriales, et pour les Pays-Bas spécifiquement, différentes catégories d' organismes, notamment universitaires .

5 . La commission locale de remembrement est, suivant les indications données par le juge a quo, une instance "dépourvue de personnalité juridique propre" et chargée de la mise en oeuvre du remembrement . Elle est désignée par le conseil provincial et tenue de respecter une instruction établie par une commission centrale, instituée suivant un arrêté royal, dont les membres sont désignés par la Couronne .

6 . L' absence de personnalité juridique de la commission locale, expressément signalée par le juge a quo, nous incite à ne pas attacher d' autre signification, à l' expression "personne morale" qu' il utilise dans sa première question, que celle d' "organisme" ou d' "instance ".

7 . L' argumentation, soutenue au principal par le gouvernement des Pays-Bas, suivant laquelle la directive ne s' appliquerait pas à la passation, par des organismes tels que la commission locale, de marchés de travaux repose sur une simple confrontation des caractéristiques de cette commission aux dispositions précitées du texte communautaire . La commission locale n' étant ni un service de l' administration d' État, ni un service administratif d' une collectivité territoriale, ni une des
"personnes morales de droit public énumérées en annexe I" de la directive, cette dernière ne régirait pas les marchés de travaux passés par l' organisme considéré .

8 . On ne peut faire silence sur un paradoxe de la situation de la commission locale de remembrement résultant de ce que, suivant les indications expresses du jugement de renvoi, l' article 35 de l' instruction établie par la commission centrale contraindrait la commission locale à appliquer la directive lors de la passation de ses marchés de travaux . Il est donc permis de se demander si l' applicabilité de la directive, qui fait l' objet de la première question, est vraiment sérieusement discutée,
dès lors que les pouvoirs publics néerlandais - et nous renvoyons ici aux termes exprès du point 5.4 du jugement de renvoi - ont conclu à la nécessité, pour la commission locale, de mettre en oeuvre ses dispositions .

9 . Cependant, la rigueur juridique exige qu' en présence de la question du juge national vous répondiez en termes de principe . Le simple constat de l' application effective d' une norme peut s' expliquer par l' usage d' une faculté et ne suffit donc pas à faire la preuve de l' existence d' une obligation juridique .

10 . En réalité, votre Cour est aujourd' hui en présence d' un phénomène courant de la vie administrative dans les sociétés développées : le développement des "démembrements de l' administration ". De plus en plus fréquemment, les législations des États choisissent de confier des missions publiques par nature à des organismes détachés de l' organisation administrative classique sans pour autant être dotés d' une personnalité juridique propre . Ces démembrements répondent soit au souci d' associer
étroitement aux missions considérées des personnes extérieures à l' administration, cela se traduisant dans la composition des organismes, soit à celui d' affirmer, aux yeux des administrés, l' indépendance de ces organismes, cela se manifestant par l' impossibilité pour les autorités administratives classiques de leur donner des instructions, soit à un dosage de ces deux préoccupations . C' est ainsi, par exemple, que depuis quelques années sont apparues dans certains États des "autorités
administratives indépendantes" dotées de pouvoirs importants, notamment de réglementation . Mais sans aller jusqu' à ces créations récentes, l' ordinaire de la vie administrative nous met, depuis longtemps, en présence d' organismes, tels les jurys de concours, dont l' activité est matériellement administrative, mais s' exerce distinctement et indépendamment des structures classiques de l' administration, celle-ci étant, par l' absence de pouvoir hiérarchique, en quelque sorte tenue
fonctionnellement à l' écart .

11 . Dans la mesure où la commission locale de remembrement néerlandaise nous semble une expression de ce phénomène de démembrement de l' administration, la question qui vous est au fond posée consiste à savoir s' il est possible de soustraire à des règles communautaires qui obligent l' État ou des collectivités territoriales des organismes placés en dehors des structures classiques de leur administration, mais qui, sans être dotés d' une personnalité juridique propre, exécutent des missions
relevant normalement de l' État ou de ces collectivités .

12 . Il importe, à cet égard, de ne pas confondre indépendance fonctionnelle et autonomie . Délivrés de la subordination hiérarchique à l' égard de l' administration "classique", centrale ou locale, les organismes considérés n' agissent pas dans un intérêt distinct de celui de l' État ou d' une collectivité territoriale . Ils poursuivent des objectifs relevant de la compétence normale de l' État ou d' une telle collectivité . C' est au nom de l' État ou, suivant la législation concernée, d' une
collectivité territoriale, qu' un jury de concours statue en matière de délivrance de diplômes, et pas au nom d' introuvables intérêts distincts . La prise en compte d' intérêts des administrés, soit à travers la composition des organismes, soit à travers leur indépendance fonctionnelle, ne transforme pas pour autant leur finalité qui, en l' absence de personnalité juridique propre, n' est que de représenter, suivant des modalités originales, l' État ou une collectivité territoriale . Aussi, sauf
dispositions particulières, les règles communautaires applicables à l' État ou aux collectivités territoriales doivent régir de plein droit les activités d' organismes du type de ceux envisagés ici .

13 . Il est nécessaire, cependant, s' agissant de l' application des règles communautaires en cause, de déterminer les critères d' une telle indissociabilité entre certains organismes, d' une part, l' État ou les collectivités territoriales, d' autre part .

14 . Nous vous proposons de considérer que, dès lors qu' un organisme, dépourvu de personnalité juridique propre, dont les membres sont désignés par des autorités de l' État ou d' une collectivité territoriale, est investi d' une mission rentrant dans les compétences normales de celle-ci ou de celui-là, et doté par eux des moyens permettant de l' accomplir, la passation des marchés de travaux se rattachant à l' exercice de cette mission est régie par les dispositions de la directive .

15 . L' esprit de la démarche à laquelle nous vous invitons, et qui consiste à ne pas s' en tenir strictement à la lettre de termes tels que "État" ou "collectivité territoriale", n' est pas nouveau pour vous .

16 . Ainsi, dans le cadre de la procédure du recours en manquement, vous avez, dans votre arrêt Commission contre Irlande ( 3 ), du 24 novembre 1982, estimé que, dès lors qu' un gouvernement "nomme les membres du comité directeur" d' un organisme, "lui accorde des subventions publiques qui couvrent l' essentiel de ses dépenses et, enfin, définit les finalités et les contours de la campagne en faveur de la vente et de l' achat de produits" nationaux, ce gouvernement ne peut "se prévaloir du fait que
la campagne a été mise en oeuvre par une société de droit privé pour se dégager de la responsabilité qui pourrait lui incomber en vertu des dispositions du traité" ( 4 ).

17 . Par ailleurs, en matière préjudicielle, vous avez, dans votre arrêt Broekmeulen du 6 octobre 1981 ( 5 ), estimé que la "commission de recours pour la médecine générale" existant au sein de l' Association royale néerlandaise pour la promotion de la médecine, association de droit privé, devait être considérée, en l' absence d' "une voie de recours effective devant les juridictions ordinaires dans une matière touchant à l' application du droit communautaire", comme une juridiction nationale au
sens de l' article 177 du traité compte tenu de ce qu' elle exerce ses fonctions avec l' approbation des autorités publiques, fonctionne avec leur concours, et de ce que ses décisions, acquises à la suite d' une procédure contentieuse, sont en fait reconnues comme définitives .

18 . Aussi, nous paraîtrait-il conforme à votre réalisme jurisprudentiel de considérer les dispositions communautaires régissant la passation de marchés publics de travaux par l' État et les collectivités territoriales comme applicables à la passation de marchés de travaux par un organisme dont le statut, tout en ménageant son indépendance fonctionnelle, manifeste qu' il agit pour le compte de l' État ou d' une collectivité territoriale .

19 . Dans le cas d' espèce, la commission dont s' agit est, en vertu de la loi, chargée à l' échelon local de la mise en oeuvre du remembrement . Compte tenu de ce que son activité à ce titre doit se conformer aux instructions d' une commission centrale dont les membres sont nommés par la Couronne et de ce que, au regard de la loi néerlandaise relative aux recours contre les décisions administratives, elle est considérée comme un organe administratif de l' autorité centrale, il est clair que la
commission locale, qui n' est pas pourvue d' une personnalité juridique propre, est investie, au nom de l' État, d' une mission administrative . En outre, ses membres sont désignés par le conseil provincial, autorité publique, et les dépenses qu' elle contracte sont financées par les pouvoirs publics .

20 . Si vous retenez l' analyse que nous vous avons proposée, vous estimerez que les marchés publics de travaux passés par des organismes tels qu' une commission locale de remembrement aux Pays-Bas le sont pour le compte de l' État et se trouvent, dès lors, régis par les dispositions de la directive .

21 . La deuxième question touche au fond des dispositions de la directive dont il s' agit de savoir si elles permettent d' écarter un soumissionnaire en fonction de certains critères qualitatifs non expressément spécifiés dans l' avis d' adjudication .

22 . La directive pose, dans son article 20, le principe d' une distinction entre critères de vérification de l' aptitude des entrepreneurs et critères d' attribution du marché :

"L' attribution du marché se fait sur la base des critères prévus au chapitre 2 ... après vérification de l' aptitude des entrepreneurs ... effectuée par les pouvoirs adjudicateurs conformément aux critères de capacité économique, financière et technique visés aux articles 25 à 28 ."

23 . La directive traite de l' appréciation des capacités des entrepreneurs sous deux aspects : la capacité financière et économique, d' une part ( article 25 ), les capacités techniques de l' autre ( article 26 ).

24 . S' agissant de la capacité économique et financière, qui n' a pas été en cause dans le litige au principal mais qui est évoquée dans la disposition nationale mise en avant par l' État néerlandais et à laquelle se réfère le libellé de la question, nous notons que, suivant l' article 25 de la directive, sa justification peut être fournie "en règle générale" par une ou plusieurs des trois "références" décrites sous trois rubriques, a ) à c ), de l' article, les pouvoirs adjudicateurs précisant
dans l' avis la ou les références choisies "ainsi que les références probantes, autres que celles mentionnées sous a ), b ) et c ), qu' ils entendent obtenir ".

25 . Quant aux capacités techniques, l' article 26 dispose que leur justification "peut être fournie" par des références décrites sous cinq rubriques a ) à e ), de l' article, les pouvoirs adjudicateurs précisant dans l' avis celles de ces références qu' ils entendent obtenir .

26 . Ce bref rappel des dispositions de la directive concernant la vérification de l' aptitude des entrepreneurs conduit à formuler trois observations .

27 . Tout d' abord, il apparaît que, contrairement aux affirmations de l' État néerlandais rapportées dans le point 6.2 du jugement de renvoi, l' objet des articles 25 et 26 de la directive n' est pas simplement de normaliser les documents qui peuvent être exigés lorsqu' on recourt à des critères de sélection qualitative . Ils tendent également à déterminer ces critères, ainsi que l' indique l' article 20 précité . Dans la mesure où le texte des articles 25 et 26 expose les différentes références
que peuvent exiger les pouvoirs adjudicateurs, il faut considérer que ce sont les éléments qualitatifs respectivement concernés par ces références qui constituent les critères annoncés par l' article 20 .

28 . Certes, ces critères sont relativement incomplets, car, ainsi que le faisait remarquer l' avocat général M . Mischo en concluant, le 11 juin 1987, dans des affaires relatives à des questions préjudicielles posées par le Conseil d' État de Belgique ( 6 ), les références probantes des articles 25 et 26 désignent des éléments qualitatifs - par exemple travaux antérieurement accomplis, outillage et équipement technique, effectif moyen de l' entreprise - sans poser aucune exigence de niveau . Il en
résulte qu' en ce qui concerne les exigences de ce type une certaine marge semble laissée aux pouvoirs adjudicateurs . Mais elles doivent s' appliquer aux éléments qualitatifs concernés par les références probantes des articles 25 et 26, dans des conditions que nous allons maintenant préciser .

29 . Deuxième observation, tirée de la comparaison des termes de l' article 25 et de l' article 26, les critères résultant des références techniques décrites sous les rubriques a ) à e ) de l' article 26 ont un caractère limitatif, les pouvoirs adjudicateurs n' ayant pas, au contraire de ce qui est prévu à l' article 25 pour la capacité financière et économique, la possibilité de demander "d' autres références probantes" et donc de mettre en oeuvre des critères relatifs à des éléments qualitatifs
complémentaires non mentionnés dans les rubriques en question . Vous aviez, dans votre arrêt Transporoute du 10 février 1982 ( 7 ), déjà relevé le caractère limitatif des références autres que celles relatives à la capacité économique et financière .

3O . La troisième observation a trait aux effets juridiques des mentions de l' avis d' adjudication . Les articles 25 et 26 disposent que les pouvoirs adjudicateurs précisent, dans l' avis, "les références qu' ils entendent obtenir ". Compte tenu de la signification des références, figurant à ces articles, qui, eu égard à l' article 20, doivent être interprétées à la fois comme l' énoncé d' éléments qualitatifs d' appréciation et le descriptif des documents permettant cette appréciation, il nous
paraît que, en exigeant des pouvoirs adjudicateurs qu' ils précisent dans l' avis les références qu' ils entendent obtenir, la directive leur a notamment imposé de faire connaître aux entrepreneurs les éléments qualitatifs, autrement dit les critères, sur la base desquels serait vérifiée leur aptitude . Dès lors, les dispositions en question de la directive nous semblent interdire à un pouvoir adjudicateur d' exclure un entrepreneur sur la base d' éléments qualitatifs dont les références n' ont pas
été exigées dans l' avis . En décider autrement introduirait, selon nous, le risque d' une dislocation de l' édifice construit par la directive, d' une méconnaissance délibérée des obligations qu' elle édicte quant à l' information réciproque des pouvoirs adjudicateurs et des entrepreneurs .

31 . Suivant le modèle d' avis de marchés figurant à l' annexe I de la directive 72/277/CEE du Conseil relative aux modalités et conditions de publication des avis de marchés et de concessions de travaux publics au Journal officiel des Communautés européennes ( 8 ), l' avis doit mentionner sous une rubrique 11 les "conditions minimales de caractère économique et technique à remplir par l' entrepreneur ". Sans vouloir méconnaître l' intérêt, notamment budgétaire, d' une normalisation de la
publication, au Journal officiel des Communautés européennes, des avis d' adjudication, il nous semblerait excessif de considérer que les références économico-financières et techniques demandées par les pouvoirs adjudicateurs doivent figurer exclusivement, à peine de nullité, sous la rubrique 11 et qu' une référence, relative à des éléments qualitatifs prévus par les articles 25 et 26, mais figurant sous une autre rubrique de l' avis, serait inopérante . Une telle manière de voir ne nous semblerait
en harmonie ni avec les intentions qui ont présidé à l' édiction de la directive 72/277/CEE ni avec les prévisions du législateur communautaire dans la directive de fond 71/305/CEE .

32 . Dans l' espèce ayant donné lieu à l' arrêt de renvoi, l' avis d' adjudication, qui comportait une rubrique 11 vierge, mentionnait, in fine, que

"la main-d' oeuvre employée devra être constituée pour 70 % au moins de chômeurs de longue durée qui auraient été placés par l' intermédiaire du bureau régional de la main-d' oeuvre ".

Ces données conduisent à observer que, si des éléments qualitatifs peuvent valablement être mentionnés dans l' avis sans figurer formellement sous la rubrique 11, encore faut-il qu' ils rentrent dans les prévisions des articles 25 et 26, comme l' exige d' ailleurs l' article 16, sous l ), de la directive 71/305 . Or, une mention telle que celle évoquée ci-dessus est étrangère, par définition, aux références de nature à justifier, suivant l' article 25, de la capacité économique et financière, et
elle ne paraît pas pouvoir être rattachée à l' une des rubriques de l' article 26 dont nous avons souligné le caractère limitatif . La situation ainsi caractérisée peut sembler paradoxale, dans la mesure où le défaut, dans l' avis d' adjudication, de mention valable de critères économico-financiers, aboutit à l' absence de la moindre condition d' aptitude pour prétendre à l' attribution du marché, et donc à une aptitude de principe de toute entreprise . Mais il faut souligner que c' est le pouvoir
adjudicateur qui, par une mauvaise application de la directive, s' est lui-même placé dans cette situation . Le paradoxe ne résulte donc pas de la directive, mais de sa méconnaissance .

33 . Pour être complet sur la discussion vous permettant de répondre utilement à la deuxième question, il convient encore, selon nous, de préciser, au regard de la situation qui a justifié votre saisine, les conditions d' application des dispositions de la directive relatives aux critères d' attribution du marché .

34 . Selon son article 20, cette attribution se fait sur la base des critères prévus au chapitre 2 . A ce chapitre, l' article 29, paragraphe 1, précise ainsi les

"critères sur lesquels les pouvoirs adjudicateurs se fondent pour attribuer le marché :

- soit uniquement le prix le plus bas;

- soit, lorsque l' attribution se fait à l' offre économiquement la plus avantageuse, divers critères variables suivant le marché : par exemple, le prix, le délai d' exécution, le coût d' utilisation, la rentabilité, la valeur technique ".

Le paragraphe 2 précise que, dans le cas où l' attribution se fait à l' offre économiquement la plus avantageuse,

"les pouvoirs adjudicateurs mentionnent, dans le cahier des charges ou dans l' avis de marché, tous les critères d' attribution dont ils prévoient l' utilisation, si possible dans l' ordre décroissant de l' importance qui leur est attribuée ".

35 . Nous observons que, à défaut de donner une liste limitative des critères d' attribution lorsque celui du prix le plus bas n' est pas seul retenu, l' article 29 met en évidence un facteur commun à ces critères : ils doivent, à l' exemple de ceux expressément cités, concerner des caractères de la prestation à fournir, ou des modalités de son exécution, à l' exclusion de considérations tenant au "prestataire ". Pour simplifier, nous dirions que les critères de l' attribution "à l' offre
économiquement la plus avantageuse" concernent le "produit", et non le "producteur", les qualités du "travail", et non celles de l' entrepreneur de travaux .

36 . Ce faisant, la directive distingue nettement les critères de vérification de l' aptitude, qui concernent les qualités de l' entrepreneur, et ceux d' attribution du marché, relatifs aux qualités de la prestation qu' il offre, du travail qu' il se propose d' effectuer .

37 . Dans ces conditions, le respect des dispositions de la directive impose de ne pas confondre les critères et de ne pas prendre en considération, lorsqu' il s' agit d' attribuer le marché, des critères concernant l' aptitude des entrepreneurs . Nous souscrivons, dans cette mesure, à l' analyse de la République italienne, sans pouvoir la suivre, toutefois, lorsqu' elle suggère une séparation rigide dans la chronologie des deux phases, celle de la vérification de l' aptitude et celle de l'
attribution du marché . Un critère d' aptitude ne peut être utilisé comme critère d' attribution, mais il ne nous paraît pas que la directive permette d' opposer une forclusion à l' appréciation de l' aptitude . Un pouvoir adjudicateur tardivement informé d' une cause d' inaptitude doit pouvoir en exciper "in extremis", sous réserve qu' il n' y ait pas détournement de pouvoir, que cette invocation ne dissimule pas un refus de voir jouer normalement les critères d' attribution .

38 . L' avis d' adjudication ne comportait, sous la rubrique 13 réservée aux "critères d' attribution du marché" par la directive 72/277/CEE, précitée, aucune mention . Le seul "critère" figurant dans l' avis était celui, déjà signalé, relatif à la nécessité d' employer un certain quota de chômeurs pour l' exécution des travaux . Or, ce critère, sans rapport avec des qualités intrinsèques du travail à effectuer, de la prestation à accomplir, du "produit", ne pouvait rentrer dans les critères d'
attribution du marché au sens de la directive, et par conséquent permettre d' exclure un soumissionnaire . Dans une telle situation, où aucun critère d' attribution n' a été valablement spécifié, ni dans l' avis ni dans le cahier des charges, il semble résulter des termes mêmes de l' article 29 que seul le critère du prix le plus bas peut être appliqué .

39 . Aussi, nous vous proposons de répondre à la deuxième question en indiquant que la directive ne permet d' écarter un entrepreneur que sur la base d' un ou plusieurs des critères d' aptitude relatifs aux éléments prévus à ses articles 25 et 26 et spécifiés dans l' avis d' adjudication, ou sur la base d' un ou plusieurs des critères d' attribution prévus à son article 29 et spécifiés dans l' avis d' adjudication ou dans le cahier des charges, le critère exclusif du prix le plus bas n' étant alors
pas retenu .

40 . La troisième question nous retiendra moins longuement . En effet, ainsi que l' a relevé la Commission, l' effet direct des dispositions concernées de la directive paraît avoir déjà été, au moins implicitement, consacré par votre arrêt Transporoute précité .

41 . Dans la présente affaire, le juge a quo vous demande si les dispositions de la directive dont nous venons de préciser le sens peuvent être invoquées par un justiciable

"lorsque la législation nationale qui a mis en oeuvre ces dispositions a accordé à l' adjudicateur des pouvoirs en matière de refus d' attribution du marché plus étendus que ce qui est permis au titre de la directive ".

Or, dans l' arrêt Transporoute, en présence, précisément, de dispositions nationales transposant de façon inexacte, selon l' expression de l' avocat général M . Reischl, l' article 29 de la directive, vous avez estimé que ce sont les dispositions de cet article qui devaient être appliquées par l' adjudicateur, cette solution impliquant, à l' évidence, l' applicabilité directe des dispositions en cause de la directive . Vous avez notamment relevé que

"l' objectif de la disposition, qui est de protéger le soumissionnaire de l' arbitraire du pouvoir adjudicateur, ne pourrait être atteint si on laissait à celui-ci le soin d' apprécier l' opportunité d' une demande de justification ".

42 . S' agissant, aujourd' hui, de plusieurs dispositions de la directive, parmi lesquelles le même article 29, dont l' objectif, identique, peut être rendu vain par une disposition nationale de transposition réservant un pouvoir d' appréciation général à l' adjudicateur, il nous semble qu' il doit être répondu dans le même sens que celui consacré par votre arrêt de 1982 . Il est clair, en effet, que la construction juridique définie par les articles 20, 25, 26 et 29 de la directive a pour objectif,
à travers la détermination de critères d' aptitude et d' attribution, de protéger le soumissionnaire de l' arbitraire du pouvoir adjudicateur . Il est non moins clair que cette construction serait ruinée par le jeu d' une disposition telle que l' article 21, paragraphe 2, du règlement uniforme, disposition nationale de transposition de la directive, qui tendrait à libérer l' adjudicateur du respect des critères définis par celle-ci . Aussi, nous ne pouvons conclure que dans le sens de la protection
du soumissionnaire recherchée par la directive, dont les dispositions en cause doivent prévaloir sur la disposition nationale de transposition .

43 . En conséquence, nous vous proposons de répondre aux questions de l' Arrondissementsrechtbank de La Haye dans les termes suivants :

"1 ) Les dispositions de la directive 71/305/CEE du Conseil s' appliquent aux marchés de travaux passés par un organisme dépourvu de personnalité juridique propre, dès lors que sa composition, sa mission et les moyens permettant de l' accomplir établissent qu' il agit au nom de l' État ou d' une collectivité territoriale .

2 ) Ces dispositions ne permettent d' écarter un entrepreneur que sur la base d' un ou plusieurs des critères d' aptitude relatifs à des éléments prévus à l' article 25, ou énoncés à l' article 26, spécifiés dans l' avis d' adjudication, ou sur la base d' un ou plusieurs des critères d' attribution prévus à l' article 29 et spécifiés dans l' avis d' adjudication ou dans le cahier des charges, dès lors que le critère exclusif d' attribution du prix le plus bas n' est pas retenu .

3 ) Un adjudicateur public est tenu de respecter ces dispositions sans pouvoir se prévaloir d' une disposition nationale de transposition lui conférant un pouvoir général d' appréciation de l' entrepreneur et de son offre ."

( 1 ) JO L 185 du 16.8.1971, p . 5 .

( 2 ) Premier considérant .

( 3 ) 249/81, Rec . p . 4005 .

( 4 ) 249/81, précité, point 14 .

( 5 ) 246/80, Rec . p . 2311 .

( 6 ) Affaires jointes 27 à 29/86, arrêt du 9 juillet 1987, Rec . p . 3347 .

( 7 ) 76/81, Rec . 1982, p . 417 .

( 8 ) JO L 176 du 3.8.1972, p . 12 .


Synthèse
Numéro d'arrêt : 31/87
Date de la décision : 04/05/1988
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle: Arrondissementsrechtbank 's-Gravenhage - Pays-Bas.

Procédure de passation des marchés publics de travaux.

Droit d'établissement

Libre prestation des services

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Gebroeders Beentjes BV
Défendeurs : État des Pays-Bas.

Composition du Tribunal
Avocat général : Darmon
Rapporteur ?: Rodríguez Iglesias

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:1988:226

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